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Faut-il traiter les anévrysmes de découverte fortuite ?
Oui…
● P. David*
vec le développement des techniques d’imagerie
non invasives (IRM, scanner tridimensionnel) permettant de visualiser les vaisseaux intracrâniens, le
nombre d’anévrysmes de découverte fortuite a rapidement augmenté. Étant donné l’effet dévastateur des hémorragies méningées secondaires à leur rupture (50 % de mortalité initiale), le
traitement préventif d’un anévrysme asymptomatique doit être
envisagé. Toutefois, cela nécessite une évaluation du risque thérapeutique comparée à l’histoire naturelle de la maladie.
A
Il est bien connu que l’expérience chirurgicale est un facteur
influençant ces résultats (dans l’ISUIA, les centres avaient une
activité en chirurgie vasculaire très variable).
Pour les lésions à petit collet, une embolisation est maintenant
réalisable et à proposer en première intention (en particulier, dans
certaines topographies : artère communicante antérieure, tronc
basilaire). Ses résultats sont en cours d’évaluation, mais l’exclusion par voie endovasculaire est plus facile à réaliser et à accepter
par les patients et semble moins risquée que la chirurgie.
HISTOIRE NATURELLE DES ANÉVRYSMES NON ROMPUS
Celle-ci est mal connue, les nombreux articles publiés à ce sujet
ayant des résultats contradictoires du fait de la sélection réalisée
lors du choix des patients suivis.
Brennan (1), utilisant les critères de la “médecine basée sur les
preuves”, a récemment colligé 45 études : aucune n’est suffisamment contrôlée, randomisée et prospective pour avoir le poids de
l’évidence (il est peu probable d’ailleurs qu’une telle étude puisse
un jour être réalisée). Le risque annuel de rupture varie de 0,05 %
à 2 %, selon l’étude ; pour le plus bas risque observé (étude
ISUIA [International Study of Unruptured Intracranial Aneurysms]) (2), un biais de sélection des patients a été relevé par de
nombreux auteurs (3, 4), les patients non opérés et suivis étant
ceux pour lesquels un traitement a été récusé d’emblée (patients
âgés ou porteurs d’anévrysme de traitement jugé difficile).
De nombreux facteurs influençant le risque de ruptures sont à
prendre en compte : l’âge du patient (plus il est élevé, plus le
risque de saignement est grand), la morphologie et la topographie
de l’anévrysme, les antécédents personnels et familiaux d’hémorragie, l’hypertension artérielle. L’étude ISUIA a accordé une
grande importance à la taille de l’anévrysme (en dessous ou audessus de 10 mm). Cette soi-disant “taille critique” a frappé les
esprits et est depuis lors souvent retenue. Or, les anévrysmes rompus que nous traitons habituellement ont souvent une petite taille
(5-7) ; parmi les 100 derniers anévrysmes que j’ai opérés, 50 %
étaient de petites lésions (en moyenne 5,5 mm de diamètre, quelle
qu’en soit la topographie).
RISQUES LIÉS AU TRAITEMENT
Les taux de mortalité et de morbidité chirurgicale rapportés dans
la littérature (avec méta-analyses) (8) varient de 0 à 7 % pour le
décès et de 4 à 15 % pour les complications.
* Service de neurochirurgie, hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre.
La Lettre du Neurologue - n° 10 - vol. V - décembre 2001
En conclusion, quelle attitude peut-on proposer devant un anévrysme asymptomatique ? Une simple surveillance (comme le
recommande l’ISUIA pour les petits anévrysmes) est-elle raisonnable ? Le risque de rupture, quelle que soit sa valeur exacte
(avec une mortalité qui reste de 100 % une fois sur deux), ne peut
pas justifier une telle attitude contemplative. Il est faible mais
cumulatif avec le temps. Un traitement doit donc toujours être
envisagé et d’autant plus que le patient est jeune et qu’il existe un
facteur de risque associé (comme un antécédent familial, une
hypertension artérielle). Si un traitement est décidé, sa modalité
est à déterminer par les membres d’une équipe pluridisciplinaire
(neurochirurgiens vasculaires, neuroradiologues interventionnels), entraînée à la prise en charge de ces lésions.
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1. Brennan JW, Schwartz ML. Unruptured intracranial aneurysms : appraisal of
the litterature and suggested recommendations for surgery, using evidence based
medicine criteria. Neurosurgery 2000 ; 47 (6) : 1359-72.
2. International Study of Unruptured Intracranial Aneurysms Investigators.
Unruptured intracranial aneurysms : risks of rupture and risks of surgical intervention. N Engl J Med 1998 ; 339 (24) : 1725-33.
3. Ausman JL. The New England Journal of Medicine report on unruptured intracranial aneurysm : a critique. Surg Neurol 1999 ; 51 (2) 227-9.
4. Kobayashi S, Orz Y, George B et al. Treatment of unruptured cerebral aneurysm. Surg Neurol 1999 ; 51 (4) 355-62.
5. Tsutsumi K, Ueki K, Morita A, Kirino T. Risk of rupture from incidental cerebral aneurysms. J Neurosurg 2000 ; 93 : 550-3.
6. Juvela S, Porras M, Poussa K. Natural history of unruptured intracranial
aneurysms : probability of and risk factors for aneurysm rupture. J Neurosurg
2000 ; 93 : 379-87.
7. Forget TR, Benitzer R, Veznedaroglu E et al. A review of size and location of
ruptured intracranial aneurysms. Neurosurgery 2001 ; 49 (6) : 1322-6.
8. King JT, Berlin JA, Flamm ES. Morbidity and mortality from elective surgery
for asymptomatic, unruptured, intracranial aneurysms : a meta-analysis.
J Neurosurg 1994 ; 81 : 837-42.
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…ni jamais, ni toujours
● H. Loiseau*
es anévrysmes artériels intracrâniens posent encore
un certain nombre de questions, d’autant plus élevé
qu’ils sont asymptomatiques. Même si les chiffres ne
sont pas exactement comparables, la fréquence des anévrysmes
intracrâniens non rompus (mis en évidence lors d’études autopsiques) est très nettement supérieure (5 %) à celle des anévrysmes rompus (environ 10 nouveaux cas pour 100 000 habitants par an). Ce qui veut dire que la rupture n’est pas un
événement obligé dans l’histoire de beaucoup d’anévrysmes.
L’étude internationale multicentrique baptisée ISUIA, acronyme anglicisé désignant The International Study of Unruptured
Intracranial Aneurysms a pour objectif principal de répondre à
la question “Faut-il ou non traiter les anévrysmes non
rompus ?”, ce qui revient en d’autres termes à apprécier la différence entre la menace contenue dans l’histoire naturelle de la
maladie et les risques liés à la prise en charge. Il s’agit d’une
question apparemment simple, car ce type d’évaluation prévaut
dans chaque décision médicale, et sans surpise, car la situation
semble d’une grande banalité par sa récurrence. Pour autant, la
réponse que nous en avons est davantage issue des traditions
locales et des écoles de pensée plutôt que de travaux scientifiques robustes.
ISUIA est une étude unique, exceptionnelle par son envergure
et, surtout, actuellement inachevée. On peut toujours émettre
des réserves sur certains de ses aspects méthodologiques, sur
les outils utilisés ou sur les résultats publiés, mais la mortalité
et la morbidité chirurgicales relevées par l’étude ISUIA sont
élevées. Dès lors qu’on les recherche de manière un tant soit
peu rigoureuse et quel que soit le registre de la pathologie chirurgicale, les chiffres des complications sont toujours plus élevés que dans l’imaginaire des médecins, neurochirurgiens et
autres coreligionnaires. Les exemples sont nombreux. Ainsi, le
bénéfice d’une endartériectomie carotidienne est obéré par les
complications des procédures diagnostiques et chirurgicales.
Des catégorisations ultérieures ont apporté une certaine modulation et conforté les positions thérapeutiques. Mais l’exemple
L
* Service de neurochirurgie, hôpital Pellegrin, Bordeaux.
le plus démonstratif a certainement été celui des anastomoses
extra-intracrâniennes. L’analyse définitive a permis de démontrer l’inutilité (aussi inattendue que significative sur le plan statistique) de cette procédure pourtant tellement satisfaisante sur
le plan intellectuel, et si élégante sur le plan chirurgical. Les
articles décriant ces résultats ont été nombreux, les neurochirurgiens déçus tout autant. Nonobstant ces protestations, les
erreurs méthodologiques potentielles et les autres critiques, les
résultats ont conduit les compagnies d’assurance nord-américaines à interrompre le remboursement de cette procédure et,
ipso facto, à sa quasi-disparition. Le délai nécessaire pour obtenir une réponse à la question “Faut-il ou non traiter les anévrysmes asymptomatiques ?”, ce qui est, finalement, le but
avoué de la partie prospective de l’étude internationale va être
mis à profit pour d’importantes revendications thérapeutiques.
Il ne faut pas confondre “Faut-il traiter ?” avec “Comment
traiter les anévrysmes ?”, et d’autant plus qu’ils sont asymptomatiques. Il s’agit d’un tout autre problème dont la résolution
sera difficile comme en témoigne le récent rapport de
l’ANAES.
L’hétérogénéité des informations délivrées par la littérature
permet la défense de son propos et la mise en exergue d’un
point particulier. Les résultats d’une étude multicentrique diffèrent souvent de ceux provenant d’une équipe particulièrement
performante, ce qui, d’ailleurs, ne va pas sans soulever d’autres
questions.
ISUIA devrait délivrer des informations cruciales mais déterminantes, apportant ainsi une pierre supplémentaire à la
construction de l’evidence-based medicine. Il y a fort à parier
qu’elles seront catégorielles, en d’autres termes qu’elles permettront de différencier les anévrysmes artériels intracrâniens
selon des critères taxinomiques de taille, de localisation, d’âge
du patient, etc. et d’utiliser une prise en charge dont les risques
seront ajustés à la menace. Ce qui répond à la loi ubiquitaire du
“Ni jamais, ni toujours”. En attendant, soyons fidèles à
William Osler qui souhaitait, en son temps, qu’en médecine
clinique, l’excellence relève toujours d’un savant partage entre
l’art de l’incertitude et la science de la probabilité.
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