ÉDITORIAL
Faut-il traiter les anévrysmes de découverte fortuite ?
A
vec le développement des techniques d’imagerie
non invasives (IRM, scanner tridimensionnel) per-
mettant de visualiser les vaisseaux intracrâniens, le
nombre d’anévrysmes de découverte fortuite a rapidement aug-
menté. Étant donné l’effet dévastateur des hémorragies ménin-
gées secondaires à leur rupture (50 % de mortalité initiale), le
traitement préventif d’un anévrysme asymptomatique doit être
envisagé. Toutefois, cela nécessite une évaluation du risque théra-
peutique comparée à l’histoire naturelle de la maladie.
HISTOIRE NATURELLE DES ANÉVRYSMES NON ROMPUS
Celle-ci est mal connue, les nombreux articles publiés à ce sujet
ayant des résultats contradictoires du fait de la sélection réalisée
lors du choix des patients suivis.
Brennan (1), utilisant les critères de la “médecine basée sur les
preuves”, a récemment colligé 45 études : aucune n’est suffisam-
ment contrôlée, randomisée et prospective pour avoir le poids de
l’évidence (il est peu probable d’ailleurs qu’une telle étude puisse
un jour être réalisée). Le risque annuel de rupture varie de 0,05 %
à 2 %, selon l’étude ; pour le plus bas risque observé (étude
ISUIA [International Study of Unruptured Intracranial Aneu-
rysms]) (2), un biais de sélection des patients a été relevé par de
nombreux auteurs (3, 4), les patients non opérés et suivis étant
ceux pour lesquels un traitement a été récusé d’emblée (patients
âgés ou porteurs d’anévrysme de traitement jugé difficile).
De nombreux facteurs influençant le risque de ruptures sont à
prendre en compte : l’âge du patient (plus il est élevé, plus le
risque de saignement est grand), la morphologie et la topographie
de l’anévrysme, les antécédents personnels et familiaux d’hémor-
ragie, l’hypertension artérielle. L’étude ISUIA a accordé une
grande importance à la taille de l’anévrysme (en dessous ou au-
dessus de 10 mm). Cette soi-disant “taille critique” a frappé les
esprits et est depuis lors souvent retenue. Or, les anévrysmes rom-
pus que nous traitons habituellement ont souvent une petite taille
(5-7) ; parmi les 100 derniers anévrysmes que j’ai opérés, 50 %
étaient de petites lésions (en moyenne 5,5 mm de diamètre, quelle
qu’en soit la topographie).
RISQUES LIÉS AU TRAITEMENT
Les taux de mortalité et de morbidité chirurgicale rapportés dans
la littérature (avec méta-analyses) (8) varient de 0 à 7 % pour le
décès et de 4 à 15 % pour les complications.
Il est bien connu que l’expérience chirurgicale est un facteur
influençant ces résultats (dans l’ISUIA, les centres avaient une
activité en chirurgie vasculaire très variable).
Pour les lésions à petit collet, une embolisation est maintenant
réalisable et à proposer en première intention (en particulier, dans
certaines topographies : artère communicante antérieure, tronc
basilaire). Ses résultats sont en cours d’évaluation, mais l’exclu-
sion par voie endovasculaire est plus facile à réaliser et à accepter
par les patients et semble moins risquée que la chirurgie.
En conclusion, quelle attitude peut-on proposer devant un ané-
vrysme asymptomatique ? Une simple surveillance (comme le
recommande l’ISUIA pour les petits anévrysmes) est-elle raison-
nable ? Le risque de rupture, quelle que soit sa valeur exacte
(avec une mortalité qui reste de 100 % une fois sur deux), ne peut
pas justifier une telle attitude contemplative. Il est faible mais
cumulatif avec le temps. Un traitement doit donc toujours être
envisagé et d’autant plus que le patient est jeune et qu’il existe un
facteur de risque associé (comme un antécédent familial, une
hypertension artérielle). Si un traitement est décidé, sa modalité
est à déterminer par les membres d’une équipe pluridisciplinaire
(neurochirurgiens vasculaires, neuroradiologues intervention-
nels), entraînée à la prise en charge de ces lésions. ■
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Brennan JW, Schwartz ML. Unruptured intracranial aneurysms : appraisal of
the litterature and suggested recommendations for surgery, using evidence based
medicine criteria. Neurosurgery 2000 ; 47 (6) : 1359-72.
2. International Study of Unruptured Intracranial Aneurysms Investigators.
Unruptured intracranial aneurysms : risks of rupture and risks of surgical inter-
vention. N Engl J Med 1998 ; 339 (24) : 1725-33.
3. Ausman JL. The New England Journal of Medicine report on unruptured intra-
cranial aneurysm : a critique. Surg Neurol 1999 ; 51 (2) 227-9.
4. Kobayashi S, Orz Y, George B et al. Treatment of unruptured cerebral aneu-
rysm. Surg Neurol 1999 ; 51 (4) 355-62.
5. Tsutsumi K, Ueki K, Morita A, Kirino T. Risk of rupture from incidental cere-
bral aneurysms. J Neurosurg 2000 ; 93 : 550-3.
6. Juvela S, Porras M, Poussa K. Natural history of unruptured intracranial
aneurysms : probability of and risk factors for aneurysm rupture. J Neurosurg
2000 ; 93 : 379-87.
7. Forget TR, Benitzer R, Veznedaroglu E et al. A review of size and location of
ruptured intracranial aneurysms. Neurosurgery 2001 ; 49 (6) : 1322-6.
8. King JT, Berlin JA, Flamm ES. Morbidity and mortality from elective surgery
for asymptomatic, unruptured, intracranial aneurysms : a meta-analysis.
J Neurosurg 1994 ; 81 : 837-42.
* Service de neurochirurgie, hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre.
Oui…
●P. David*
La Lettre du Neurologue - n° 10 - vol. V - décembre 2001 411