ISAT : le traitement endovasculaire des anévrysmes intra-

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ISAT : le traitement endovasculaire des anévrysmes intracrâniens rompus donne de meilleurs résultats cliniques à
un an que la chirurgie
● D. Dormont*
e 2 mai 2002, le comité de pilotage de l’étude internationale sur le traitement des anévrysmes intracrâniens
rompus (ISAT, International Subarachnoid Aneurysm
Trial) décida d’interrompre le recrutement des patients après le
2 143e. Cet arrêt anticipé du recrutement (le nombre total de
patients prévu était de 2 500) a été décidé car l’analyse des résultats intermédiaires permettait de confirmer sans aucune ambiguïté l’hypothèse de l’objectif primaire de l’essai : les patients
traités par voie endovasculaire présentaient à un an un risque
relatif d’être morts ou dépendants (Rankin modifié de 3 à 6)
diminué de 24,3 % par rapport aux patients traités chirurgicalement (p < 0,001). La publication détaillée des résultats de
l’essai est en cours dans le Lancet (1). Ces résultats font basculer le choix entre traitement endovasculaire ou chirurgical des
anévrysmes intracrâniens rompus dans le domaine de l’evidencebased medicine.
La survenue d’une hémorragie méningée par rupture d’un anévrysme sous-arachnoïdien reste au XXIe siècle une pathologie
gravissime grevée d’une mortalité (tous grades de sévérité de
l’hémorragie méningée confondus) dans les grandes séries
publiées d’environ 20 % pour les patients traités chirurgicalement
de leur anévrysme et d’une morbidité très élevée avec un nombre
extrêmement faible de patients pouvant reprendre leurs activités
antérieures. Depuis les années 1960, le traitement des hémorragies
méningées (outre la prise en charge en service de soins intensifs
neurochirugical spécialisé) repose sur l’exclusion chirugicale de
l’anévrysme par mise en place d’un clip. Ce traitement met le
patient à l’abri d’un resaignement dont la fréquence est très
élevée et qui est très souvent mortel. Des études prospectives,
randomisées, ont montré dans les années 1960 (2-4) que les
risques liés au resaignement étaient supérieurs aux risques chirurgicaux (qui étaient cependant élevés). Du fait de l’importance
des complications liées à la chirurgie “à chaud” des anévrysmes,
des alternatives thérapeutiques non invasives ont été recherchées.
Le traitement par des techniques de neuroradiologie interventionnelle s’est développé dans ce but, s’adressant, au début,
surtout aux anévrysmes pour lesquels les risques chirurgicaux
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* Service de neuroradiologie, groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
La Lettre du Neurologue - n° 9 - vol. VI - novembre 2002
étaient particulièrement élevés (anévrysmes de la circulation postérieure en particulier). Ce traitement a d’abord été tenté en utilisant des ballonnets mais n’a pris vraiment son essor que dans
les années 1990 avec l’apparition des bobines de platines détachables (Guglielmi Detachable Coil [GDC]) imaginées par
Guido Guglielmi (un neuroradiologue italien qui n’a trouvé un
financement pour son projet qu’aux États-Unis après l’avoir proposé en Europe !) et mises au point en collaboration avec la firme
Target Therapeutics. À partir de 1995, le traitement par GDC est
devenu une alternative thérapeutique au traitement chirurgical des
anévrysmes rompus. D’autres types de coils détachables sont
apparus dans la fin des années 1990. Le traitement endovasculaire semble moins agressif que le traitement chirurgical mais est
aussi grevé d’un pourcentage non nul de complications, et certains
ont également mis en avant le fait que le traitement endovasculaire semble moins définitif que le traitement chirurgical avec des
risques de reperméabilisation des anévrysmes traités par voie
endovasculaire pouvant conduire à un resaignement. De ce fait,
il existe dans le monde une hétérogénéité extrême dans le mode
de prise en charge (chirurgicale ou endovasculaire) des anévrysmes rompus. Pour des raisons historiques ou d’organisation
différente de la santé, certains pays ont une attitude plus ou moins
chirurgicale ou endovasculaire. La neuroradiologie interventionnelle
est en France très active depuis de nombreuses années. De ce fait,
la bascule vers le traitement endovasculaire a été importante dans
notre pays. Il existe cependant sur le plan national une très grande
hétérogénéité avec certains centres (relativement peu nombreux)
qui traitent presque tous les anévrysmes ayant saigné par voie
endovasculaire, d’autres qui ont une attitude mixte, modulant les
indications en fonction de la localisation de la lésion et de l’état
clinique du patient, et enfin certains dans lesquels le traitement
endovasculaire n’est pas possible ou pas envisagé ! La nécessité
d’études prospectives randomisées et contrôlées sur un grand
nombre de patients était donc criante afin de permettre de fonder
les indications respectives des traitements chirurgicaux ou endovasculaires sur des données scientifiquement prouvées et non sur
des habitudes locales, des impressions ou des prises de position
dogmatiques. Seule une étude prospective sur un nombre très
limité de patients (109) (5) a été publiée à l’heure actuelle.
ISAT est une étude prospective, multicentrique randomisée. Le
protocole a commencé en Angleterre par une étude pilote en
1994. Le protocole lui-même a commencé en 1997. Les deux
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investigateurs principaux du protocole en Angleterre sont un
neuroradiologue, Andy Molyneux, et un neurochirurgien, Richard
Kerr. Les centres ayant participé sont anglais, allemands, australiens, suédois, irlandais, suisses, canadiens, américains et français.
La participation française s’est faite grâce à un financement
obtenu par un PHRC et une promotion de la délégation à la
recherche clinique d’Île-de-France, cinq centres ont participé en
France au protocole. Le principe d’ISAT (extrêmement pragmatique) a été de proposer la randomisation entre chirurgie et traitement endovasculaire aux patients ayant présenté une hémorragie
méningée liée à la rupture d’un anévrysme sous-arachnoïdien
pour lesquels le neurochirurgien et le neuroradiologue prenant en
charge le patient n’avaient pas de certitude quant au meilleur
traitement à proposer. Selon les centres, le pourcentage des
anévrysmes randomisés allait de 44 à 1 % (moyenne 21,2 %).
Certains ont (déjà !) attaqué le protocole en arguant qu’il existe
donc de ce fait un “biais” de sélection. Il ne s’agit pas d’un biais,
puisque les patients ont été ensuite randomisés, mais d’une réalisation du protocole sur une population sélectionnée. Les résultats du protocole ne peuvent donc s’appliquer qu’à une population similaire. Il s’agit principalement de patients en relativement
bon état clinique (grades WFNS de 1 à 3), ayant des anévrysmes
de petite taille, plutôt de la circulation antérieure (peu d’anévrysmes sylviens et très peu d’anévrysmes de la circulation postérieure). La “sélection” des patients s’explique facilement. Les
patients en mauvais grades cliniques sont rarement considérés
comme pouvant être traités rapidement par la chirurgie, de même
les anévrysmes de la circulation postérieure sont considérés
comme devant être traités par voie endovasculaire dans la plupart
des centres. Les anévrysmes sylviens sont en revanche souvent
considérés comme plus “chirurgicaux”.
Sur cette population cible, qui représente un pourcentage élevé
des hémorragies méningées, les résultats du protocole ISAT sont
nettement en faveur du traitement endovasculaire si on se fonde
sur l’état clinique des patients à un an. Ces résultats à un an intègrent un risque de resaignement dans le mois suivant la randomisation un peu plus élevé pour le bras traité par voie endovas-
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culaire. Une sous-étude de l’état neuropsychologique des patients
est en outre en cours en Angleterre. Le suivi à plus long terme de
ces patients est évidemment fondamental pour être sûr que les
avantages à 1 an du traitement endovasculaire ne sont pas supprimés par un risque éventuel de resaignement tardif supérieur
pour les patients embolisés.
Il est encore trop tôt maintenant pour prévoir les conséquences
qu’aura la publication des résultats de ce protocole en termes
d’organisation de la santé en France. Cependant, on peut avancer
les hypothèses suivantes : 1) Il deviendra très difficile de traiter
une hémorragie méningée dans un centre qui ne dispose pas de
la possibilité de traiter le patient par voie endovasculaire, c’est-àdire où il n’y a pas d’équipe de neuroradiologie thérapeutique
expérimentée. 2) Les patients (si leur état clinique le permet) ou
leur famille devront être systématiquement informés des deux
possibilités de traitement. 3) La proportion de patients traités par
voie endovasculaire va très probablement augmenter dans les
années qui viennent, cela suppose donc une augmentation parallèle du nombre de neuroradiologues interventionnels.
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1. International Subarachnoid Aneurysm Trial Collaborative Group. The International Subarachnoid Aneurysm Trial (ISAT). Interim results of a prospective multicentre randomised trial comparing neurosurgical clipping with endovascular coiling
in 2 143 patients with ruptured intracranial aneurysms. Lancet 2002 : sous presse.
2. McKissock W, Richardson A, Walsh L. Posterior communicating aneurysms : a
controlled trial of conservative and surgical treatment of ruptured aneurysms of the
internal carotid artery at or near the point of origin of the posterior communicating
artery. Lancet 1960 : 1203-6.
3. McKissock W, Richardson A, Walsh L. Middle cerebral aneurysms : further
results of controlled trial of conservative and surgical treatment of ruptured intracranial aneurysms. Lancet 1962 : 417-21.
4. McKissock W, Richardson A, Walsh L. Anterior communicating aneurysms : a
trial of conservative and surgical treatment. Lancet 1965 : 873-6.
5. Vanninen R, Koivisto T, Saari T. Ruptured intracranial aneurysms : acute endovascular treatment with electrolytically detachable coils – a prospective randomized
study. Radiology 1999 ; 211 : 325-36.
Grand Prix éditorial 2002 du SNPM*
Lors de la remise des prix, le 8 octobre dernier, notre groupe de presse
a été cité et primé dans plusieurs catégories de prix.
La Lettre du Neurologue a remporté le prix
de la meilleure initiative éditoriale pour la qualité et l’originalité
de la présentation du numéro consacré au congrès
de l’American Academy of Neurology.
Un grand bravo et merci aux auteurs pour cette distinction.
* Syndicat National de la Presse Médicale et des professions de santé
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