L a prise en charge de patients souffrant de troubles dépressifs, comprend actuellement de nouvelles priorités : • tenir compte des impératifs en santé publique ; • optimiser la reconnaissance et le diagnostic de ces troubles ; • ne négliger aucun moyen thérapeutique ; • suivre au long cours ces patients. Troubles dépressifs : problématiques actuelles de prise en charge P. Martin*, H. Lôo** Troubles dépressifs et indicateurs de santé publique Les troubles dépressifs paraissent, au vu des études épidémiologiques, être parmi les troubles mentaux les plus fréquents. Bien qu’il soit difficile de trouver des chiffres de prévalence consensuels, probablement du fait de l’utilisation d’outils et de situations d’évaluation différents, il peut être admis qu’elle se situe dans les pays européens aux alentours de 10 % ; ce chiffre est relativement important. La dépression est une entité pathologique à part entière, qui n’a rien à voir avec la tristesse ordinaire et/ou passagère consécutive à la survenue d’un événement négatif. Elle ne peut ou ne doit pas être confondue avec un malêtre transitoire, qui peut être éprouvé par chacun. Il est important de faire la part entre le trouble dépressif authentique et invalidant, générateur de souffrance psychique et physique, nécessitant une démarche thérapeutique, et l’appropriation sociologique du terme “dépression” utilisé au quotidien par un grand nombre de sujets comme un vocable pratique pour définir bon nombre d’ennuis personnels et de difficultés intimes. Plusieurs données suggèrent que la prise en charge des troubles dépressifs * Département de psychiatrie et de psychologie médicale, unité de recherche, hôpital Saint-Antoine et AMC, Paris. ** Chef de service, SHU-CH SainteAnne, Paris. n’est pas optimale et qu’il convient de rechercher, dans une optique de santé publique, les moyens nécessaires à son amélioration. Dans cette perspective, il est important de savoir que les troubles dépressifs sont la quatrième cause mondiale génératrice de handicap, au sens anglo-saxon du terme, se situant même avant les cardiopathies ischémiques. Les simulations prospectives réalisées sur les vingt prochaines années prédisent qu’en 2020, les troubles dépressifs pourront devenir la deuxième cause mondiale de handicap (OMS, 2000). Reconnaître et diagnostiquer les troubles dépressifs Premièrement, l’identification de la symptomatologie dépressive peut parfois, pour ne pas dire souvent, s’avérer malaisée pour différentes raisons, que 90 % 81 ce soit pour le médecin généraliste qui est amené à voir un patient souffrant de symptomatologie dépressive dans deux tiers des cas, ou pour le psychiatre, comme l’avait montré l’étude du CREDES en 1996. Toutefois, il faut reconnaître qu’à l’heure actuelle, compte tenu des actions de formation ou communication de plus en plus nombreuses, le médecin généraliste identifie de mieux en mieux, sur le plan catégoriel, la dépression. Ainsi, une étude menée avec 891 médecins généralistes français, en population générale, chez 2 414 patients, a pu montrer qu’entre le diagnostic déclaratif du médecin et le diagnostic recueilli en aveugle avec l’aide du MINI (Mini International Neuropsychiatric Interview), il n’y a peu ou pas de différence concernant la reconnaissance de la “dépression” (figure). MINI 84 Déclaratif 66 23 21 15 0 2 EDM- Dépression (anxio dépression) Phobie sociale 6 Panique spasmophilie 6 TAG Anxiété Angoisse (symptômes dépressifs Figure. Critères diagnostiques (MINI) et diagnostic déclaratif des médecins généralistes (n = 891). D’après Martin P, Richard-Berthe C, Lepine JP. Disability and mental disorder among primary care patients : a french perspective. American Psychiatric Association, Chicago, May 13-18, 2000. 242 Mise au point Mise au point Établir le diagnostic des troubles dépressifs nécessite une attention particulière du fait de la nécessité de prendre en compte que : – dans de très nombreuses formes de dépression, la symptomatologie paraît fruste ou trompeuse ; – les circonstances de l’examen ne sont pas toujours propices ; par exemple, chez les médecins généralistes, le temps imparti pour une consultation est souvent peu compatible avec une démarche diagnostique adaptée à l’investigation psychopathologique ; – souvent, la plainte du patient est surtout somatique et peut masquer de réels symptômes psychiques. Ainsi, la seule prise en compte de ces symptômes peut empêcher de porter le diagnostic de dépression. Deuxièmement, dans une démarche d’identification des troubles dépressifs, plusieurs niveaux peuvent être pris en compte. Annexe. Critères d’un épisode dépressif majeur (selon le DSM IV)* ▲ Au moins cinq des symptômes suivants doivent avoir été présents pendant une même période d’une durée de deux semaines et avoir représenté un changement par rapport au fonctionnement antérieur ; au moins un des symptômes est soit 1◗ une humeur dépressive, soit 2◗ une perte d’intérêt ou de plaisir. NB : ne pas inclure des symptômes qui sont manifestement imputables à une affection médicale générale, à des idées délirantes ou à des hallucinations non congruentes à l’humeur. 1◗ Humeur dépressive présente pratiquement toute la journée, presque tous les jours, signalée par le sujet (par ex. se sent triste ou vide) ou observée par les autres (par ex. : pleurer). NB : Éventuellement irritabilité chez l’enfant et l’adolescent. 2◗ Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités pratiquement toute la journée, presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres). 3◗ Perte ou gain de poids significatif en l’absence de régime (par ex. : modification du poids corporel en un mois excédant 5 %), ou diminution ou augmentation de l’appétit presque tous les jours. NB : Chez l’enfant, prendre en compte l’absence de l’augmentation de poids attendue. 4◗ Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours. 5◗ Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours (constaté par les autres, non limité à un sentiment subjectif de fébrilité ou de ralentissement intérieur). 6◗ Fatigue ou perte d’énergie presque tous les jours. 7◗ Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée (qui peut être délirante) presque tous les jours (pas seulement se faire grief ou se sentir coupable d’être malade). 8◗ Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer, ou indécision presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres). 9◗ Pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis pour se suicider. ▲ Les symptômes ne répondent pas aux critères d’épisode mixte. ▲ Les symptômes induisent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants. ▲ Les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques directs d’une substance (par ex : une substance donnant lieu à abus, un médicament) ou d’une affection médicale générale (par ex : hyperthyroïdie). ▲ Les symptômes ne sont pas mieux expliqués par un deuil, c’est-à-dire, après la mort d’un être cher, les symptômes persistent pendant plus de deux mois ou s’accompagnent d’une altération marquée du fonctionnement, de préoccupations morbides, de dévalorisation, d’idées suicidaires, de symptômes psychotiques ou d’un ralentissement psychomoteur. La symptomatologie dépressive Elle est multiple et variée mais, surtout, elle n’est pas appréciée de la même façon par le médecin et par le patient. De nombreuses études épidémiologiques ont mis en évidence la fréquence des symptômes prédominants tels l’insomnie, la fatigue, la perte d’intérêt et les difficultés de concentration. * American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (4th edition) : DSM IV, Washington DC, American Psychiatric Press, 1994. Traduction française par J.D. Guelfi et al. Paris : éditions Masson, 1996. Les démarches du diagnostic de dépression Le diagnostic de la dépression repose sur l’existence persistante et stable dans le temps (≥ 15 jours) d’un nombre suffisant de manifestations cliniques qui induisent une souffrance importante de l’individu. Dans une démarche d’utilisation de critères diagnostiques, les plus fréquents sont, d’une part, la nomenclature américaine du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) et, d’autre part, les critères diagnostiques de la Classification internationale des maladies selon l’OMS (CIM/ICD). En ce qui concerne le DSM, la version actuelle française utilisée est la quatrième (DSM IV), avec prochainement l’arrivée d’une version révisée (DSM IV-R). Pour la CIM, la version actuelle est la dixième (ICD 10). L’intérêt de l’utilisation de ces critères réside dans une meilleure reconnaissance de la symptomatologie dépressive, ce qui permet, par exemple, d’éliminer des diagnostics de dépression secondaire ou de troubles bipolaires. Le diagnostic le plus fréquemment identifié est l’épisode dépressif majeur (EDM) (annexe). Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 9, novembre 2002 Une fois le diagnostic établi, intervient également la notion d’ancienneté du trouble. Il peut s’agir de recrudescence symptomatique, c’est-à-dire de rechutes dépressives. Lorsqu’un épisode dépressif antérieur est complètement guéri, la survenue d’un nouvel épisode au-delà de quatre mois sera qualifiée de récidive dépressive. Par ailleurs, pour le patient chez lequel le trouble est ancien, présent depuis au moins deux ans avec une symptomatologie modérée, le diagnostic est celui de dysthymie. 243 Mise au point Mise au point Les diagnostics différentiels Diagnostiquer les troubles dépressifs peut également présenter des difficultés non seulement dans les cas où la symptomatologie est pauvre, mais également dans les cas où la symptomatologie la plus marquée n’est pas de nature “dépressive”, notamment en présence de comorbidité(s) anxieuse(s). La difficulté est d’autant plus grande que la symptomatologie anxieuse est moins “silencieuse” et plus souvent mise en avant par les patients et, ainsi, elle est plus facilement reconnue par le médecin. Enfin, l’association “dépression/anxiété” concerne quasiment la moitié des patients atteints de troubles de l’humeur. L’alliance entre le patient et le médecin Pour assurer une meilleure réussite de la prise en charge, il est nécessaire de créer une alliance entre le patient et le médecin, qui dépend de plusieurs facteurs : – la capacité du médecin à rassurer son patient ; – la confiance du patient vis-à-vis de son médecin ; – la représentation qu’a le patient de sa maladie et l’explication qu’il en donne ; – l’acceptation du traitement par le patient ; – la capacité qu’a le médecin à définir son rôle et l’évaluation de ses limites ; – la possibilité d’établir un relais entre généraliste et spécialiste. Prendre en charge des troubles dépressifs L’implication de la famille La famille doit être considérée comme un entourage actif, bien que son rôle ne s’inscrive pas toujours dans une dynamique positive. Elle peut cependant aider le patient et assurer sa sécurité. Elle doit être, en fonction de la volonté du malade, informée de son état de santé, mais également des risques liés aux troubles dépressifs, notamment du risque de passage à l’acte suicidaire. Dans la mesure du possible, elle doit, en fonction des moyens ou des informations qui lui sont donnés, participer aux soins et à l’amélioration de l’état de santé du malade. Les premières étapes de la prise en charge La prise en charge des troubles dépressifs doit tenir compte de deux grands facteurs potentiellement impliqués dans l’étiopathologie. L’un est la composante “biologique” des troubles dépressifs, où les événements de la vie auraient un rôle mineur, l’autre est la composante “psycho-sociale” où existerait un déficit d’adaptation face à une situation difficile, quelle qu’en soit la nature réelle ou symbolique. Dans cette démarche, plusieurs éléments sont à prendre en compte par le médecin, qui déterminent in fine la prise en charge thérapeutique. La personnalité du patient Elle joue un rôle important dans les rapports qui s’installent entre soigné et soignant. Le rôle du médecin est d’informer le mieux possible son patient sur sa maladie et ses traitements, tout en tenant compte de sa vulnérabilité individuelle et de son niveau d’anxiété. Les moyens thérapeutiques La prise en charge médicamenteuse L’évidence est qu’il faut traiter un trouble dépressif à partir du moment où le diagnostic est établi. Le traitement a pour objectif immédiat de soulager la souffrance psychique et physique du malade, et de limiter le risque suicidaire. Différents points sont à prendre en compte avant de choisir un antidépresseur. ◗ La notion de délai d’action repose essentiellement sur la composante cli- nique. En termes pharmacologiques, les antidépresseurs, comme tous xénobiotiques introduits dans un organisme vivant, agissent immédiatement ; en revanche, en termes cliniques, il existe un délai d’action quel que soit l’antidépresseur, il est au minimum de deux à trois semaines, voire plus au niveau de l’humeur. D’où la nécessité d’informer le patient de ce délai afin d’obtenir une bonne observance du traitement, en l’absence de résultats concrets immédiats. ◗ La notion de spécificité individuelle ou de “terrain particulier” : tous les patients ne répondront pas de la même manière à un traitement. Les antécédents de réponse ou de nonréponse à une molécule sont à prendre en considération. ◗ La présence d’une ou de comorbidités psychiatriques et/ou somatiques, qui sous-tendent la difficulté du choix du traitement. Si deux traitements s’avèrent nécessaires, il faut définir la temporalité de ces traitements : en même temps, l’un après l’autre et, s’ils sont associés, déterminer les moments de leurs arrêts, simultanés ou non, et leurs éventuelles interactions. ◗ Le choix de l’antidépresseur. Il est actuellement difficile de proposer une classification indiscutable. Plusieurs sont proposées, tenant compte soit d’activités neurobiochimiques, soit de l’impact clinique. La plus usitée est la classification neurobiochimique qui, paradoxalement, fait référence soit à leur structure chimique (antidépresseurs imipraminiques), soit au mécanisme d’action (inhibiteur de la monoamine-oxydase [IMAO], inhibiteur de la recapture de sérotonine [IRS]), sans compter les nouvelles molécules qui apparaissent sur le marché et prétendent représenter une nouvelle classe. L’étiopathologie des troubles dépressifs, dans leur approche neurobiologique, fait référence principalement à des déficits ou à des dysfonctionnements des principaux systèmes aminergiques. Il est probable que la dépression ne soit pas un déficit en 244 Mise au point Mise au point d’appréhender la classification biochimique en termes d’impact sur les systèmes neuronaux (tableau). ◗ Le choix de la posologie. L’adaptation de la posologie est une étape primordiale dans la prise en charge des troubles dépressifs. Elle ne peut être optimale qu’après un certain laps de temps, un à deux mois en général. Souvent, les problèmes de tolérance sont responsables d’un sousdosage de la posologie. La recherche d’une efficacité optimale nécessite le plus souvent une augmentation de la posologie, tout en tenant compte du rapport bénéfice/risque. En revanche, une diminution de la posologie peut amener une meilleure réponse, comme c’est le cas parfois avec les antidépresseurs IRS. Enfin, la recherche d’une efficacité maximale de ces molécules nécessite probablement un ajustement de leur posologie en fonction du temps et ce, pendant toute la durée du traitement. ◗ La durée de traitement. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas de données suffisamment robustes sur la durée de traitement pour définir, en fonction des cas, la durée nécessaire qui garantirait une guérison définitive. Pendant longtemps, la comparaison avec la pratique anglo-saxonne concluait qu’en France, les patients souffrant de troubles dépressifs étaient traités à trop faible dose et pas assez longtemps. Les recommandations actuelles (ANAES, 5 décembre 1998) indiquent : – une durée moyenne de traitement de 6 mois à l’issue d’un premier épisode dépressif ; – une durée de traitement de 12 mois en cas d’antécédent d’un épisode semblable ; – une durée moyenne de traitement d’environ deux à trois ans, voire cinq ans, si le patient a souffert de plusieurs épisodes dépressifs consécutifs, en tenant compte également de différents facteurs comme la sévérité, les antécédents familiaux, sociaux, l’âge, etc. Tableau. Classification des antidépresseurs* en fonction de leur tropisme et leur(s) mécanisme(s) d’action putatif(s). D’après Martin P. In : Les psychotropes. Paris : éditions Vigot, 2001. Les critères de choix d’un antidépresseur En termes d’impact sur l’humeur, tous les antidépresseurs ont une efficacité sensiblement comparable. Le choix de la molécule dépend essentiellement : ✔ des relations entre les propriétés pharmacologiques des molécules et les symptômes apparents ; ✔ du rapport bénéfice/risque ; ✔ de la sensibilité intrinsèque de l’individu à un xénobiotique ; ✔ de la présence de comorbidités psychiatriques ou somatiques ; ✔ de la réponse à d’éventuels traitements antérieurs. noradrénaline ou en sérotonine exclusivement, mais probablement une modification de l’équilibre entre ces différents systèmes. À l’heure actuelle, il semble évident que d’autres systèmes centraux (peptidergiques, facteurs de croissance, etc.) sont impliqués dans la rupture de l’homéostasie centrale observée par cette pathologie. En revanche, il peut être possible d’envisager que certains patients puissent présenter de manière prépondérante soit un déficit en noradrénaline, soit en sérotonine, par exemple. D’où l’hypothèse que certains patients, du moins dans un premier temps, pourraient répondre mieux à un antidépresseur à tropisme monoaminergique plus spécifique. Pendant longtemps, un consensus plus ou moins satisfaisant permettait de classer les antidépresseurs en quatre catégories : les antidépresseurs imipraminiques, les IMAO, les IRS et les autres ; il semble maintenant que la prolifération des “autres” nécessite Tropismes principaux des molécules Systèmes 5-HTa, NADb, DAc Famille Mécanisme(s) d’action putatif(s) • Enzymatique(s) • Multiple * IMAO réversibles * Imipraminiques - • Inhibiteur de la capture de neuro- * IRS médiateur Systèmes 5-HT et NAD • Multiple * Imipraminiques • Multiple • Inhibiteur de la capture de 2 neuromédiateurs • Inhibiteur de la capture de neuro- * IRS médiateurs - Systèmes NAD et DA • Inhibiteur de la capture de 2 neuromédiateurs - Systèmes 5-HT • Inhibiteur de la capture de neuromédiateur • Favorise et inhibe la capture de neuromédiateur • Inhibiteur de la capture de 5-HT et antagoniste 5-HT2 * IRS • Inhibiteur de la capture de neuromédiateur * Imipraminiques Systèmes NAD Nom de spécialité • Moclamine®, Humoryl® • Clédial®, Prothiaden® • Extrait d’hypericum (pas d’AMM en France) • Prozac®, Zoloft® • Tofranil®, Anafranil®, Pertofran®, Laroxyl®, Elavil®, Defanyl® • Athymil®, Norset® • Effexor®, Ixel® • Deroxat® • Bupropion (Welbutrin®USA) (non commercialisé en France) • Floxyfral®, Seropram® - • Stablon® - • Nefazodone (Serzone®USA) (non commercialisé en France) - • Ludiomil® • Reboxetine (Rebox®USA) (non commercialisé en France) * Seuls les antidépresseurs commercialisés en France ou susceptibles de l’être dans un délai plus ou moins court sont mentionnés. a : sérotoninergique ; b : noradrénergique ; c : dopaminergique. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 9, novembre 2002 Les techniques psychothérapeutiques Le traitement médicamenteux (même s’il occupe une place prépondérante) n’est qu’un aspect de la prise en charge, qui exige aussi la prise en charge psychothérapeutique. Les techniques psychothérapeutiques sont nombreuses et diversifiées et ne font pas toujours l’objet d’études contrôlées permettant d’évaluer de 245 Mise au point Mise au point façon objective leur efficacité chez ces patients. Seules les psychothérapies cognitives ou comportementales ont évalué leur efficacité au cours de la phase aiguë d’un épisode dépressif. Leur efficacité semble plus importante lorsqu’elles sont associées à une chimiothérapie antidépressive au cours des phases aiguës. Les thérapies interpersonnelles pourraient également aider le patient dépressif à gérer son isolement et ses problèmes affectifs et relationnels, familiaux et sociaux. D’une manière générale, les données actuelles permettent de conclure à l’intérêt des psychothérapies dans les phases aiguës, qui sembleraient posséder une action synergique en association avec la thérapie médicamenteuse. Suivi du patient au long cours Les différentes étapes Le traitement d’un épisode dépressif peut être décomposé en trois étapes. ◗ Le traitement de la phase aiguë : il doit permettre une guérison ou tout au moins une rémission de l’épisode, en 6 à 8 semaines. En termes de rémission, il faut distinguer : – la rémission partielle, qui fait référence à une période de temps pendant laquelle le patient ne présente plus suffisamment de symptômes pour répondre aux critères d’un trouble dépressif, mais dans laquelle un certain nombre de symptômes persistent ; – la rémission totale, qui fait référence à une période pendant laquelle le patient ne présente pas de symptôme majeur ou mineur caractérisant le trouble dépressif. ◗ Le traitement de consolidation : il est défini par une période d’au moins six mois après la diminution ou la disparition des symptômes. C’est au cours de cette période que la réapparition des symptômes dépressifs fait référence au terme de “rechute”. ◗ Le traitement d’entretien : il serait initialement d’une durée d’au moins six à douze mois supplémentaires, en cas d’épisode dépressif majeur caractérisé récurrent et/ou rapproché. C’est la réapparition des symptômes au-delà des six premiers mois suivant la rémission symptomatique qui est appelée “récidive”. La guérison d’un état dépressif est admise lorsque le patient n’a pas de symptomatologie dépressive pendant les douze mois qui suivent la rémission. En cas d’apparition d’un nouvel épisode, le terme de “dépression récurrente” sera employé, elle concerne 50 à 85 % des sujets. Facteurs favorisant la prise en charge au long cours Différents facteurs sont essentiels dans un suivi au long cours : – l’information du patient, afin qu’il n’arrête pas son traitement quotidien, bien qu’il ne souffre plus d’aucun symptôme dépressif ; – une bonne tolérance du traitement pendant et, surtout, après la phase aiguë ; – une bonne observance pour un maintien de l’efficacité thérapeutique ; – un rythme de consultation planifié, permettant d’assurer également un soutien psychologique ; – savoir dépister les signes avant-coureurs de la réapparition des troubles dépressifs (rechute et récidive). L’arrêt du traitement Les causes de l’arrêt Avant d’envisager les conséquences bonnes ou mauvaises de la décision d’arrêt d’un traitement antidépresseur, il est nécessaire de distinguer la notion d’arrêt momentané de celle d’abandon d’un traitement, c’est-à-dire d’un arrêt prématuré, qu’il soit justifié ou non. L’arrêt momentané Il fait le plus souvent référence à une mauvaise observance thérapeutique et les différentes causes peuvent être : – les effets secondaires, qui peuvent devenir difficilement acceptables en fonction des conditions de vie du patient ; – des difficultés ou des oublis de prises liés à des situations particulières comme les vacances, les weekends ou les déplacements ; – l’influence de l’entourage familial ou professionnel ; – la négligence reconnue de la part du patient ; – le manque d’informations suffisantes de la part du médecin, voire du pharmacien, etc. L’abandon du traitement : arrêt prématuré Plusieurs situations peuvent justifier l’arrêt d’un traitement, qu’il soit immédiat ou “progressif ” : – parce que les effets secondaires sont jugés insupportables par le patient ; – parce que le patient estime qu’il va mieux et devient moins observant, alors qu’il devrait poursuivre son traitement ; – parce que le patient considère que son traitement est inefficace, etc. À l’inverse, il existe des situations où il paraît très difficile, pour ne pas dire “impossible” de faire arrêter un traitement antidépresseur. Sans avoir été documenté par une ou des études contrôlées, l’exemple type peut être la continuité de prise de clomipramine, parfois à des doses infracliniques, pendant plusieurs années. À l’heure actuelle, il n’existe pas de données françaises débouchant sur des recommandations officielles pour l’arrêt d’un traitement antidépresseur s’appuyant sur des études fiables. Les conséquences de l’arrêt Un certain nombre de données ont été publiées pour tenter d’objectiver l’éventuelle existence d’un syndrome de sevrage, c’est-à-dire l’apparition de nouveaux symptômes qui refléteraient une dépendance psychique ou physique, c’est-à-dire un syndrome se révélant à l’arrêt brutal, voire progressif, d’un traitement antidépresseur. 246 Mise au point Mise au point Bien que des cas plus ou moins isolés d’apparition de symptômes délétères à l’arrêt du traitement aient été rapportés, ils ne peuvent en aucun cas être érigés en entité pathologique spécifique. En effet dans l’éventualité de l’existence d’une telle entité, elle ne serait fondée sur aucune preuve tangible s’appuyant sur des faits cliniques recueillis au travers d’études contrôlées (evidence-based medicine). Demeure donc la nécessité de démontrer qu’il s’agit d’une véritable réalité pathologique. Les arguments avancés à l’heure actuelle ne paraissent pas suffisamment convaincants pour déterminer, sur ce critère, soit le choix d’un antidépresseur, soit l’imputabilité d’effets secondaires supplémentaires spécifiques à un antidépresseur plus qu’à un autre. En analysant les différents points, il serait intéressant de préciser que : – l’éventuelle apparition d’une symptomatologie à l’arrêt d’un traitement n’est pas l’apanage des antidépresseurs, mais de tous les psychotropes, pour peu que ceux-ci – et c’est souvent le cas – soient prescrits et consommés de manière prolongée ; – les données retrouvées dans la littérature se réfèrent le plus souvent à des cas uniques, voire essentiellement à des études en ouvert ou à des études contrôlées comportant des biais ; – compte tenu du profil des patients, notamment en termes de comorbidité, la résurgence de symptômes à l’arrêt pourrait aussi être liée à des problèmes psychologiques de prise en charge plus qu’à un retentissement pharmacologique de l’arrêt ; – on ne peut pas exclure systématiquement non plus l’aggravation des symptômes liés aux troubles dépressifs antérieurs à la mise en œuvre du traitement, ou, simplement, une rechute, avec la réapparition de symptômes, notamment quand l’arrêt est prématuré ; – dans la majorité des cas, les symp- tômes sont sans gravité et d’intensité modérée ; – dans les observations rapportées, le délai de survenue des symptômes après l’arrêt est de moins d’une semaine et, d’une manière générale, ils évoluent favorablement en une quinzaine de jours ; – l’ensemble des données disponibles paraît confirmer l’absence de dépendance physique et psychique, excluant la réalité d’un syndrome de sevrage comme celui qui peut être constaté avec les benzodiazépines ; – l’influence de paramètres pharmacocinétiques, comme la demi-vie, ne repose sur aucun fait scientifique démontré, mais paraît plus du domaine théorique : demi-vie d’élimination plus longue ne veut pas dire systématiquement efficacité plus longue. La présence qualitative de la molécule et/ou de ses métabolites dans l’organisme ne signifie pas non plus que, quantitativement, la molécule et/ou ses métabolites exercent une action pharmacologique qui soit suffisante ; – en revanche, la présence plus durable dans l’organisme d’un ou de métabolites actifs ayant des propriétés différentes de la molécule mère pourrait éventuellement constituer un inconvénient. En effet, la présence simultanée, pendant une période relativement longue, de la molécule mère à tropisme sérotoninergique, par exemple, et de celle de métabolite(s) à tropisme différent, pourrait être passagèrement préjudiciable, au moment où il ne resterait que le seul impact du métabolite. Ainsi, on peut supposer que la présence des deux types de molécules permettait de maintenir un équilibre entre deux systèmes monoaminergiques différents. Lors de la disparition de l’une des substances, cet équilibre pourrait être rompu et entraîner des effets délétères. Dans l’éventualité de la survenue de symptômes à l’arrêt d’un traitement, il est également nécessaire de considérer Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 9, novembre 2002 le profil psychologique du patient et la façon dont il a investi le médicament. Conclusion La prise en charge des troubles dépressifs justifie pleinement, mais peut-être pas systématiquement, le recours à une chimiothérapie, voire à certaines psychothérapies concomitantes, sans méconnaître l’importance des conditions de vie. Toutefois, un certain nombre d’étapes dans le traitement de la dépression sont relativement bien codifiées ; elles permettent une qualité des soins et une prise en charge optimale de ces troubles, qui demeurent une pathologie importante en termes de santé publique. L’enseignement et les formations ont largement contribué à mieux prendre en charge les déprimés, dont le diagnostic demeure, selon les cas, tantôt évident, tantôt difficile, d’autant qu’il se complique la plupart du temps de la présence de comorbidité(s) psychiatrique(s). En ce qui concerne l’apparition de symptômes à l’arrêt d’un traitement antidépresseur, l’absence de données robustes amène à considérer que cette problématique est : – peu fréquente ; – bénigne ; – transitoire ; – observée, a priori, avec un grand nombre d’antidépresseurs ; – doit faire l’objet d’une information concernant son éventuelle survenue et justifie le conseil d’un arrêt progressif, par exemple. Enfin, il faut bien admettre que les connaissances sur l’étiopathologie des troubles dépressifs ne sont pas toujours à la hauteur de l’importance des investigations fournies, quels que soient les axes considérés. Il est donc important de bien repérer les réelles priorités et de ne tenir compte que des données établies et fiables. 247 Mise au point Mise au point