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La dépression : des pratiques aux théories 9
(notion de harcèlement moral)
et les pertes, sont fréquemment
retrouvés dans l’histoire du sujet
souffrant de dépression. Le har-
cèlement à l’âge adulte peut favo-
riser l’émergence de symptômes
dépressifs ou l’allongement de
la période dépressive. Ces fac-
teurs de vulnérabilité « environ-
nementaux » sont en interaction
avec d’éventuels facteurs généti-
ques qui pourraient pour certains
« ampli er » la réactivité des indi-
vidus à ces évènements de vie.
Les comorbidités addictives
(alcool et opiacés) sont associées
à un risque plus élevé de dépres-
sion. La question du rôle du can-
nabis dans l’émergence d’un
trouble dépressif reste ouverte.
Les comorbidités somatiques,
en particulier vasculaires et algi-
ques, sont des facteurs de vulné-
rabilité pour la dépression. Chez
le sujet âgé, la présence d’un épi-
sode dépressif peut être annon-
ciatrice d’un début de processus
démentiel et béné cier d’un bilan
cognitif adapté.
ACUITE ET CHRONICITE
L’épisode dépressif unique existe-
t-il ? L’expérience des psychiatres
tant de ville que du secteur public
tendrait à montrer que cette
situation est rare. La majorité des
patients dépressifs présenteront
plusieurs épisodes dépressifs au
cours de leur vie. Mais on peut aussi
penser qu’aujourd’hui la majorité
des patients présentant un épisode
dépressif unique ne verront jamais
de psychiatre.
En ce qui concerne le traitement
de la dépression, la disctinction
entre acuité et chronicité est dis-
cutable. Les modalités thérapeuti-
ques sont identiques dans les deux
cas. Par exemple, la durée de traite-
ment d’un épisode dépressif majeur
est consensuelle (6 mois au moins)
qu’il s’inscrive dans un processus
unique ou récurrent.
La chronicité se dé nit par la per-
sistance de symptômes résiduels
(cf critères DSM) pendant une
durée de 2 ans. Mais pour le patient
donné, un épisode dépressif peut
être jugé chronique s’il « dure trop
longtemps », au delà d’un an.
Le DSM IV fait la distinction entre
épisodes chroniques et rémissions
partielles dé nies par la persistance
de critères incomplets pendant un
an ou l’existence d’une période de
2 mois ou plus sans symptômes.
La persistance de symptômes rési-
duels entraîne le maintien du trai-
tement antidépresseur. Souvent,
les patients expriment encore des
plaintes alors que les symptômes
dépressifs résiduels ne sont plus
clairement identi és. Une question
restée ouverte : les troubles carac-
tériels, de l’adaptation et cognitifs
doivent-ils être considérés comme
des symptômes résiduels ?
FILIERES DE SOINS
Les sujets présentant un premier
épisode dépressif majeur font rare-
ment appel à un médecin psychia-
tre en première intention mais
plutôt à leur médecin généra-
liste. Les médecins psychiatres
se situent dans la filière de soins
puisqu’ils interviennent géné-
ralement en seconde intention
pour des formes complexes
« décapitées » par un premier
traitement ou « résistantes »
ou délirantes. Mais leur biais de
« recrutement » résulte parado-
xalement en une représentation
déformée de la dépression en
population générale.
En pratique libérale, les psychia-
tres sont soumis aux procédures
d’Affection de Longue Durée
(ALD) qui référent le parcours
de soin au médecin traitant. Le
médecin traitant décrit le proto-
cole à mettre en place concer-
nant le suivi psychiatrique. La
demande de prise en charge à
100% effectuée par un psychia-
tre est valable 6 mois et doit
être confirmée par le méde-
cin traitant pour être pérenne.
La nouvelle législation impose
donc au psychiatre d’adhérer au
parcours de soins.
DISCUSSION ET CONCLUSION
Dans les cas complexes (par
exemple dépression psychoti-
que), la validation du diagnostic
par une « épreuve thérapeuti-
que » est discutable du fait de
l’efficacité croisée des traite-
ments utilisés, notamment cer-
tains antipsychotiques. Il est
important de s’accorder un délai
de réflexion avant de poser un
diagnostic. Les classifications
diagnostiques sont utiles mais
critiquables et ne rendant pas
toujours compte de la com-
plexité singulère du tableau cli-
nique. Cependant, le diagnostic
a aujourd’hui une portée plus
étendue que simplement « médi-
cale » car il est utilisé de façon
administrative pour le recense-
ment de l’activité.
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 663-665, Cahier 2M. O. Krebs