Synthèse Atelier 2 Trajectoires de déprimés M. O. Krebs

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La dépression : des pratiques aux théories 9
Synthèse Atelier 2
Trajectoires de déprimés
M. O. Krebs
SHU, Hôpital Sainte-Anne, Paris
La trajectoire des déprimés doit s’envisager à plusieurs niveaux : le niveau symptomatique (nature
des symptômes, évolution en fonction du temps, signes d’appels,...), le niveau diachronique (résolution des épisodes, récidives, accélération des cycles...), le niveau des comorbidités (anxiété, consommation de toxiques, troubles de la personnalité sous-jacents..), le niveau des filières de soin (structure
de soins primaires, services spécialisés, ambulatoire ou hospitalier...), le niveau des thérapeutiques
enfin. A part, mais ayant souvent une répercussion majeure à la fois sur les troubles et leur évolution mais aussi sur le mode de prise en charge : l’interférence avec le milieu social et en particulier
professionnel. Chacun de ces niveaux ne sont pas indépendants. Par exemple, l’émergence d’emblée
de symptômes psychotiques précipite généralement le patient dans un circuit de soins spécialisés en
urgence et une décision thérapeutique alliant le plus souvent antipsychotique et antidépresseurs.
A l’inverse, une dépression modérée « simple » est, depuis la mise sur le marché d’antidépresseurs faciles
à manier, le plus souvent soignée par les généralistes. Ainsi, les trajectoires des déprimés ne sont plus en
2007 ce qu’elles étaient il y a quelques dizaines d’années. Du point de vue du psychiatre, paradoxalement, ceci se traduit par un « biais de recrutement » qui lui laisse le soin des patients «plus complexes »
: dépression chronique, récidivante ou comorbide. Ainsi, l’évolution des trajectoires des déprimés est
autant déterminée par des aspects réglementaires, d’organisation des soins ou les critères « sociaux » que
par les avancées de la recherche pré clinique ou clinique dans le domaine pathologique.
FACTEURS DE VULNERABILITE
De nombreux facteurs de vulnérabilité à la dépression ont été
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identifiés. Il peuvent favoriser
l’émergence des troubles comme
celle des récidives, notamment
l’existence de troubles anxieux
ou de troubles de personnalité.
Par ailleurs, le nombre de récurrences dépressives est lui même
un facteur de vulnérabilité.
Les stress aigus et chroniques,
notamment professionnels
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(notion de harcèlement moral)
et les pertes, sont fréquemment
retrouvés dans l’histoire du sujet
souffrant de dépression. Le harcèlement à l’âge adulte peut favoriser l’émergence de symptômes
dépressifs ou l’allongement de
la période dépressive. Ces facteurs de vulnérabilité « environnementaux » sont en interaction
avec d’éventuels facteurs génétiques qui pourraient pour certains
« amplifier » la réactivité des individus à ces évènements de vie.
Les comorbidités addictives
(alcool et opiacés) sont associées
à un risque plus élevé de dépression. La question du rôle du cannabis dans l’émergence d’un
trouble dépressif reste ouverte.
Les comorbidités somatiques,
en particulier vasculaires et algiques, sont des facteurs de vulnérabilité pour la dépression. Chez
le sujet âgé, la présence d’un épisode dépressif peut être annonciatrice d’un début de processus
démentiel et bénéficier d’un bilan
cognitif adapté.
ACUITE ET CHRONICITE
L’épisode dépressif unique existet-il ? L’expérience des psychiatres
tant de ville que du secteur public
tendrait à montrer que cette
situation est rare. La majorité des
patients dépressifs présenteront
plusieurs épisodes dépressifs au
cours de leur vie. Mais on peut aussi
penser qu’aujourd’hui la majorité
des patients présentant un épisode
dépressif unique ne verront jamais
de psychiatre.
En ce qui concerne le traitement
de la dépression, la disctinction
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entre acuité et chronicité est discutable. Les modalités thérapeutiques sont identiques dans les deux
cas. Par exemple, la durée de traitement d’un épisode dépressif majeur
est consensuelle (6 mois au moins)
qu’il s’inscrive dans un processus
unique ou récurrent.
La chronicité se définit par la persistance de symptômes résiduels
(cf critères DSM) pendant une
durée de 2 ans. Mais pour le patient
donné, un épisode dépressif peut
être jugé chronique s’il « dure trop
longtemps », au delà d’un an.
Le DSM IV fait la distinction entre
épisodes chroniques et rémissions
partielles définies par la persistance
de critères incomplets pendant un
an ou l’existence d’une période de
2 mois ou plus sans symptômes.
La persistance de symptômes résiduels entraîne le maintien du traitement antidépresseur. Souvent,
les patients expriment encore des
plaintes alors que les symptômes
dépressifs résiduels ne sont plus
clairement identifiés. Une question
restée ouverte : les troubles caractériels, de l’adaptation et cognitifs
doivent-ils être considérés comme
des symptômes résiduels ?
FILIERES DE SOINS
Les sujets présentant un premier
épisode dépressif majeur font rarement appel à un médecin psychiatre en première intention mais
plutôt à leur médecin généraliste. Les médecins psychiatres
se situent dans la filière de soins
puisqu’ils interviennent généralement en seconde intention
pour des formes complexes
« décapitées » par un premier
traitement ou « résistantes »
ou délirantes. Mais leur biais de
« recrutement » résulte paradoxalement en une représentation
déformée de la dépression en
population générale.
En pratique libérale, les psychiatres sont soumis aux procédures
d’Affection de Longue Durée
(ALD) qui référent le parcours
de soin au médecin traitant. Le
médecin traitant décrit le protocole à mettre en place concernant le suivi psychiatrique. La
demande de prise en charge à
100% effectuée par un psychiatre est valable 6 mois et doit
être confirmée par le médecin traitant pour être pérenne.
La nouvelle législation impose
donc au psychiatre d’adhérer au
parcours de soins.
DISCUSSION ET CONCLUSION
Dans les cas complexes (par
exemple dépression psychotique), la validation du diagnostic
par une « épreuve thérapeutique » est discutable du fait de
l’efficacité croisée des traitements utilisés, notamment certains antipsychotiques. Il est
important de s’accorder un délai
de réflexion avant de poser un
diagnostic. Les classifications
diagnostiques sont utiles mais
critiquables et ne rendant pas
toujours compte de la complexité singulère du tableau clinique. Cependant, le diagnostic
a aujourd’hui une portée plus
étendue que simplement « médicale » car il est utilisé de façon
administrative pour le recensement de l’activité.
Un épisode délirant peut-il
révéler un trouble de l’humeur.
Y a-t-il un continuum entre
les troubles psychotiques et
affectifs ? Faut-il proposer un
traitement antidépresseur en
première intention de manière
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quasi-systématique comme
épreuve thérapeutique ?
Pour résumer le médecin généraliste prend en charge généralement les épisodes dépressifs
majeurs « simples » sans facteurs de vulnérabilité ou dont
la résolution est rapide. Au psychiatre reviennent les épisodes
dépressifs chroniques avec des
facteurs de vulnérabilité persistants (génétique, comorbidités,
stress ou trouble de la personnalité sous jacent).
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