CAS CLINIQUE
La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010 | 471
inhibiteur fort (environ 40 % de patientes sans récidive versus
plus de 80 % pour les patientes à activité enzymatique normale
ou sans coprescription d’inhibiteurs) [22]. Les inhibiteurs forts
à prendre en compte chez notre patiente sont la fluoxétine,
la paroxétine et, dans une moindre mesure, la sertraline et la
duloxétine (tableau) [23].
Une étude portant sur 80 femmes traitées pour un cancer du
sein par tamoxifène en adjuvant a rapporté prospectivement
les taux plasmatiques des différents métabolites du tamoxifène
en fonction de différents génotypes et inhibiteurs coprescrits
(24). Les patientes traitées par paroxétine (n = 6) et à activité
enzymatique normale (wt/wt) ont présenté des taux nettement
diminués, comparables à ceux des patientes à activité enzyma-
tique nulle (*4/*4).
Une étude, en cours de recrutement aux États-Unis, cherche à
préciser l’influence d’ISRS faiblement inhibiteurs du CYP2D6
(comme la venlafaxine, le citalopram, l’escitalopram et la
sertraline) sur les taux plasmatiques d’endoxifène (NCT00667121).
En attendant, il existe des données suggérant un risque de toxicité
accrue chez les patients traités par venlafaxine et à activité
enzymatique nulle pour le CYP2D6 (25). Ainsi, il n’est pas exclu
qu’une perte d’efficacité du tamoxifène puisse exister en cas de
coadministration de la venlafaxine, en particulier chez les patientes
à activité enzymatique nulle.
Points à connaître
avant la prescription
d’un antidépresseur
Les derniers points à aborder sont les principaux effets secondaires
des antidépresseurs de type ISRS ou IRSNa afin d’en informer
les patients, de manière à favoriser une bonne observance de
la thérapeutique (2). Les effets indésirables mineurs les plus
fréquents, comme les nausées, surviennent généralement en
début de traitement, sont transitoires et régressent après une
à deux semaines de traitement. Les autres effets indésirables
sont une prise de poids, des troubles sexuels, une diarrhée, des
céphalées, une somnolence, des vertiges, une asthénie, des
tremblements… Même si la liste est longue, le risque de survenue
hypothétique et imprévisible, qui, généralement, n’excède pas un
grade 2 de toxicité, ne doit aucunement être un prétexte au refus
de prescription des antidépresseurs dont le rapport bénéfice/
risque reste largement en leur faveur en cas de trouble dépressif
caractérisé.
Les imipraminiques sont actuellement utilisés en seconde intention
en raison des effets anticholinergiques, antihistaminiques et
cardiaques (effet quinidine-like) qui sont absents des autres classes.
Toutes les classes d’antidépresseurs comportent un risque de
syndrome sérotoninergique, lequel est augmenté en cas d’asso-
ciation avec certaines molécules. Ainsi, on évitera, répétons-le,
toute spécialité à base de tramadol chez un patient douloureux
sous ISRS.
Enfin, certains effets indésirables bien connus sont liés à la nature
même de la maladie dépressive : levée de l’inhibition psycho motrice
(avec risque suicidaire), inversion de l’humeur avec apparition
d’épisodes maniaques, réactivation d’un délire chez les psycho-
tiques, manifestations paroxystiques d’angoisse. Un traitement
de courte durée par anxiolytique pourra être coprescrit utilement
selon le terrain, notamment lorsque la composante anxieuse est
au premier plan. Toutefois, les anxiolytiques ne protègent pas
forcément de la levée de l’inhibition, bien qu’il n’existe aucun
cas retrouvé dans la littérature faisant état d’un passage à l’acte
suicidaire après prescription d’un antidépresseur en cancérologie.
Sur le plan biologique, on surveillera tout particulièrement la
natrémie, notamment chez le sujet âgé ou chez un patient sous
diurétique, en raison du risque accru d’hyponatrémie sous ISRS par
sécrétion inappropriée d’hormones antidiurétiques pouvant être
prises à tort pour un syndrome paranéoplasique. En cas d’insuf-
fisance rénale ou hépatique modérée, on débutera par des doses
diminuées, généralement réduites de moitié. En cas d’insuffisance
hépatique sévère, la perscription de tianeptine ou de milnacipran
reste possible.
Comment traiter
la patiente ?
Alors que le choix d’une molécule comme la venlafaxine pouvait
s’imposer dans un premier temps compte tenu de son efficacité
prouvée dans la prise en charge des bouffées de chaleur, l’absence
de détermination du profil enzymatique pour le CYP2D6 en pratique
courante doit nous faire préférentiellement utiliser une autre
molécule au profil d’inihibition nul pour le CYP2D6, au risque de
ne pas être efficace sur les bouffées de chaleur (ex : milnacipran [26] ;
réboxétine [27], ce dernier n’étant pas commercialisé en France), en
attendant les résultats d’études de pharmacocinétique en cours. Une
nouvelle molécule récemment approuvée par la FDA, pas encore
disponible en France, la desvenlafaxine, qui est le métabolite actif
O-déméthylé de la venlafaxine, ne semble pas présenter d’inter-
actions avec le CYP2D6 et pourrait alors bientôt se révéler être une
alternative de choix (27). Dans le cas où le syndrome dépressif et/ou
les bouffées de chaleur représentent un risque de non-observance
de l’hormonothérapie, un antidépresseur faiblement inhibiteur du
CYP2D6 avec une efficacité retrouvée dans un essai comparatif sur
le traitement des symptômes climatériques, tels que le citalopram
ou son dérivé, l’escitalopram, peut selon nous représenter une
option. Une étude récente cas-témoins de 184 patientes ayant
présenté un cancer du sein localisé ou localement avancé traitées
par tamoxifène et ayant récidivé, comparé à 184 patientes n’ayant
pas récidivé a retrouvé 17 cas (9 %) de patientes ayant utilisé le
citalopram et 21 cas (11 %), dans le groupe contrôle (différence
non significative) [28]. Ces résultats suggèrent que l’utilisation
concomitante du citalopram (et par extension l’escitalopram) ne
réduirait pas l’efficacité du tamoxifène pour la prévention de la
récidive d’un cancer du sein et rend licite, selon nous, son utilisation.
Dans tous les cas, la patiente devra être orientée rapidement vers un
psychiatre afin de vérifier les profils de tolérance et d’efficacité du
traitement instauré et commencer une psychothérapie de soutien
avec un psychologue. L’oncologue pourra la revoir de manière plus
rapprochée (3 mois plus tard) afin de vérifier la bonne observance
du tamoxifène. ■