VOCABULAIRE
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La Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 2 - mars-avril 1998
n peut porter la méta-analyse aux nues ou la
vouer aux gémonies. On peut y être indifférent,
mais on ne peut l’ignorer, tant il est devenu
impossible de se plonger dans une revue médicale sans y être
confronté (Sackett, 1997). Une série récente d’éditoriaux et de
lettres à l’éditeur témoigne de l’intérêt porté à la méta-analyse
(Lancet 1997 ; 350 : 675), ainsi que des critiques qu’elle conti-
nue de susciter (N Engl J Med 1998 ; 338 : 59-62).
QU’EST-CE QU’UNE MÉTA-ANALYSE ?
Étymologiquement, le préfixe “méta” se réfère à ce qui
englobe, dépasse, se situe au-delà (comme, par exemple, la
métaphysique par rapport à la physique). De là vient sans
doute un malentendu fondamental à propos de la méta-analyse,
qui n’est, somme toute, qu’une simple réanalyse de données
déjà connues. Ce qui ne signifie nullement, comme nous le
verrons ci-dessous, que la méta-analyse de plusieurs essais cli-
niques ne puisse pas apporter d’information nouvelle par rap-
port à l’analyse de chacun de ces essais, principalement grâce
au plus grand nombre d’observations disponibles. Ainsi la
méta-analyse répond-elle à l’un des souhaits les plus pressants
des statisticiens : entrer dans les essais cliniques plus de
malades que ceux dont on peut raisonnablement disposer... En
jargon technique, la puissance statistique de la méta-analyse
(c’est-à-dire la probabilité de déceler une différence qui existe
réellement entre deux bras de traitement) est bien plus élevée
que celle des essais individuels, et, par conséquent, la probabi-
lité de rejeter par erreur des traitements efficaces est bien
moindre. Il y a une dizaine d’années, nous avions utilisé cet
argument pour contrer l’idée (bien ancrée à cette époque déjà
lointaine !) que la chimiothérapie adjuvante des tumeurs colo-
rectales était sans intérêt thérapeutique (Buyse et coll ; 1989).
Nos résultats n’apportaient pas la preuve formelle que la chi-
miothérapie permettait de prolonger la survie des malades,
mais nous avions conclu que l’incertitude dans laquelle se
trouvaient les cliniciens justifiait d’autres essais cliniques
plutôt que l’attentisme thérapeutique qui prévalait alors. Nous
avions constaté également que le bénéfice d’un traitement
adjuvant du cancer colorectal par chimiothérapie au long cours
était quantitativement du même ordre que le bénéfice des chi-
miothérapies adjuvantes utilisées pour le cancer du sein : le
risque relatif de décès était, dans les deux cas, d’environ 0,85
en faveur du traitement (Early Breast Cancer Trialists’ Colla-
borative Group, 1990). Cette réduction de risque est loin d’être
négligeable, même si elle se traduit par le bénéfice d’un faible
pourcentage seulement sur les courbes de survie.
Y A-T-IL PLUSIEURS TYPES DE MÉTA-ANALYSE ?
Il existe au moins deux manières d’effectuer une méta-analyse.
C’est, à coup sûr, l’une des causes de désaccord entre les parti-
sans de la méta-analyse et ses opposants. La première manière
d’effectuer une méta-analyse est celle que les sociologues et
les psychologues proposèrent dans les années 70 : il s’agit sim-
plement de reprendre tous les résultats publiés sur une question
et de les combiner en utilisant des méthodes statistiques appro-
priées. Inutile de dire les énormes limitations d’une telle
approche : les données publiées ne sont quasiment jamais com-
plètes ni fiables, et tous ceux qui ont participé à un seul essai
clinique savent que la probabilité de le voir publié est directe-
ment liée à la valeur de “p” (c’est-à-dire au seuil de significa-
tion statistique) de son résultat ! Autrement dit, les essais cli-
niques qui concluent sur un résultat très significatif sont plus
vite et mieux publiés que ceux qui n’ont pas cette bonne for-
tune. Il en résulte un biais de publication qui tend à exagérer
favorablement les résultats des méta-analyses basées sur les
données de la littérature.
La seconde manière d’effectuer une méta-analyse est de
retourner aux données individuelles des malades de tous les
essais, publiés ou non, menés pour répondre à une question
particulière. Il s’agit là d’un processus long et pénible, car il
implique de contacter les investigateurs principaux de tous les
essais et d’obtenir leurs données. Moyennant cet (important)
effort, les données dont on dispose sont complètes et fiables et
les analyses peuvent être conduites sous la direction et le
contrôle des investigateurs qui avaient effectué les essais indi-
viduels. Comme il est dit plus haut, le nombre d’observations
disponibles est alors tellement grand que la puissance statis-
tique cesse de poser problème. Nous avons ainsi confirmé que
les traitements des cancers colorectaux métastatiques basés sur
la modulation et le mode d’administration du 5 fluoro-uracile
permettaient non seulement d’augmenter significativement le
taux de réponses tumorales, mais aussi de prolonger, quoique
de peu, l’espérance de survie des malades (Meta-Analysis
Group In Cancer, 1998).
Qu’attendre d’une méta-analyse ?
●
M. Buyse*
* International Institute for Drug Development (ID2), Bruxelles, et Limburgs
Universitair Centrum, Diepenbeek, Belgique.
O
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