vol VII/n°2 avr. 23/04/04 V O 10:04 C Page 68 A B U L A I R E Qu’attendre d’une méta-analyse ? ● M. Buyse* O n peut porter la méta-analyse aux nues ou la vouer aux gémonies. On peut y être indifférent, mais on ne peut l’ignorer, tant il est devenu impossible de se plonger dans une revue médicale sans y être confronté (Sackett, 1997). Une série récente d’éditoriaux et de lettres à l’éditeur témoigne de l’intérêt porté à la méta-analyse (Lancet 1997 ; 350 : 675), ainsi que des critiques qu’elle continue de susciter (N Engl J Med 1998 ; 338 : 59-62). miothérapies adjuvantes utilisées pour le cancer du sein : le risque relatif de décès était, dans les deux cas, d’environ 0,85 en faveur du traitement (Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group, 1990). Cette réduction de risque est loin d’être négligeable, même si elle se traduit par le bénéfice d’un faible pourcentage seulement sur les courbes de survie. QU’EST-CE QU’UNE MÉTA-ANALYSE ? Il existe au moins deux manières d’effectuer une méta-analyse. C’est, à coup sûr, l’une des causes de désaccord entre les partisans de la méta-analyse et ses opposants. La première manière d’effectuer une méta-analyse est celle que les sociologues et les psychologues proposèrent dans les années 70 : il s’agit simplement de reprendre tous les résultats publiés sur une question et de les combiner en utilisant des méthodes statistiques appropriées. Inutile de dire les énormes limitations d’une telle approche : les données publiées ne sont quasiment jamais complètes ni fiables, et tous ceux qui ont participé à un seul essai clinique savent que la probabilité de le voir publié est directement liée à la valeur de “p” (c’est-à-dire au seuil de signification statistique) de son résultat ! Autrement dit, les essais cliniques qui concluent sur un résultat très significatif sont plus vite et mieux publiés que ceux qui n’ont pas cette bonne fortune. Il en résulte un biais de publication qui tend à exagérer favorablement les résultats des méta-analyses basées sur les données de la littérature. Étymologiquement, le préfixe “méta” se réfère à ce qui englobe, dépasse, se situe au-delà (comme, par exemple, la métaphysique par rapport à la physique). De là vient sans doute un malentendu fondamental à propos de la méta-analyse, qui n’est, somme toute, qu’une simple réanalyse de données déjà connues. Ce qui ne signifie nullement, comme nous le verrons ci-dessous, que la méta-analyse de plusieurs essais cliniques ne puisse pas apporter d’information nouvelle par rapport à l’analyse de chacun de ces essais, principalement grâce au plus grand nombre d’observations disponibles. Ainsi la méta-analyse répond-elle à l’un des souhaits les plus pressants des statisticiens : entrer dans les essais cliniques plus de malades que ceux dont on peut raisonnablement disposer... En jargon technique, la puissance statistique de la méta-analyse (c’est-à-dire la probabilité de déceler une différence qui existe réellement entre deux bras de traitement) est bien plus élevée que celle des essais individuels, et, par conséquent, la probabilité de rejeter par erreur des traitements efficaces est bien moindre. Il y a une dizaine d’années, nous avions utilisé cet argument pour contrer l’idée (bien ancrée à cette époque déjà lointaine !) que la chimiothérapie adjuvante des tumeurs colorectales était sans intérêt thérapeutique (Buyse et coll ; 1989). Nos résultats n’apportaient pas la preuve formelle que la chimiothérapie permettait de prolonger la survie des malades, mais nous avions conclu que l’incertitude dans laquelle se trouvaient les cliniciens justifiait d’autres essais cliniques plutôt que l’attentisme thérapeutique qui prévalait alors. Nous avions constaté également que le bénéfice d’un traitement adjuvant du cancer colorectal par chimiothérapie au long cours était quantitativement du même ordre que le bénéfice des chi- * International Institute for Drug Development (ID2), Bruxelles, et Limburgs Universitair Centrum, Diepenbeek, Belgique. 68 Y A-T-IL PLUSIEURS TYPES DE MÉTA-ANALYSE ? La seconde manière d’effectuer une méta-analyse est de retourner aux données individuelles des malades de tous les essais, publiés ou non, menés pour répondre à une question particulière. Il s’agit là d’un processus long et pénible, car il implique de contacter les investigateurs principaux de tous les essais et d’obtenir leurs données. Moyennant cet (important) effort, les données dont on dispose sont complètes et fiables et les analyses peuvent être conduites sous la direction et le contrôle des investigateurs qui avaient effectué les essais individuels. Comme il est dit plus haut, le nombre d’observations disponibles est alors tellement grand que la puissance statistique cesse de poser problème. Nous avons ainsi confirmé que les traitements des cancers colorectaux métastatiques basés sur la modulation et le mode d’administration du 5 fluoro-uracile permettaient non seulement d’augmenter significativement le taux de réponses tumorales, mais aussi de prolonger, quoique de peu, l’espérance de survie des malades (Meta-Analysis Group In Cancer, 1998). La Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 2 - mars-avril 1998 vol VII/n°2 avr. 23/04/04 10:04 Page 69 QU’ATTENDRE D’UNE “BONNE” MÉTA-ANALYSE ? Une “bonne” méta-analyse, c’est-à-dire, selon nous, une métaanalyse basée sur les données individuelles des malades rentrés dans tous les essais randomisés abordant une même question, permet généralement de répondre de manière fiable à la question principale qui justifiait ces essais : y a-t-il un effet thérapeutique ? Et si oui, quelle est l’amplitude de cet effet ? La réduction du risque est-elle de 5 %, de 10 %, de 15 %, voire davantage ? L’estimation de cette réduction du risque est plus précise dans une méta-analyse que dans un essai individuel, si bien mené soit-il. La méta-analyse peut toutefois aller plus loin : lorsque le nombre d’observations est suffisant, elle permet également d’aborder le lancinant problème des sous-groupes (tous les sous-groupes de malades, ou certains seulement, bénéficient-ils du traitement ?). Y a-t-il, en jargon statistique, interaction entre certains facteurs pronostiques et l’effet du traitement ? Et si les résultats des essais cliniques diffèrent beaucoup les uns des autres, peut-on identifier les causes possibles de cette hétérogénéité ? Mieux encore : une bonne méta-analyse permet de répondre à de nouvelles questions que les essais ne sauraient aborder du fait de leur taille trop limitée. Nous avons ainsi étudié les facteurs prédictifs de toxicité des traitements en administration continue chez des malades porteurs de cancers colorectaux métastatiques, ainsi que la relation entre la réponse tumorale et la survie chez ces malades. La méta-analyse, loin d’être un simple exercice arithmétique, devient alors une voie d’investi- La Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 2 - mars-avril 1998 gation autonome, qui permet d’aller plus loin dans l’analyse et la compréhension des données collectées au cours des essais cliniques. ■ P O U R E N S A V O I R P L U S . . . Un livre paru récemment peut être recommandé à ceux qui souhaitent approfondir le sujet. La méta-analyse des essais thérapeutiques, publié par une équipe lyonnaise, contient une somme des connaissances actuelles sur la métaanalyse dont même la littérature anglo-saxonne ne dispose pas encore sous une forme aussi claire, à la fois résumée et exhaustive, rigoureuse et accessible (Cucherat, 1997). Une avance qui mérite d’être soulignée... R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S ❐ Buyse M., Zeleniuch-Jacquotte A., Chalmers T.C. Chimiothérapie adjuvante du cancer colorectal : qu’attendre d’une méta-analyse ? Bull Cancer 1989 ; 76 : 1021-8. ❐ Correspondance. Meta-analyses and large randomized, controlled trials. N Engl J Med 1998 ; 338 : 59-62. ❐ Cucherat M. (avec la participation de Boissel J.P. et Leizorovicz A.). La méta-analyse des essais thérapeutiques. Masson, Paris, 1997. ❐ Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group. Treatment of early breast cancer. Oxford University Press, Oxford, 1990. ❐ Editorial. Meta-analysis under scrutiny. Lancet 1997 ; 350 : 675. ❐ Meta-Analysis Group In Cancer. Efficacy of intravenous continuous infusion of fluorouracil compared with bolus administration in advanced colorectal cancer. J Clin Oncol 1998 ; 16 : 301-8. ❐ Sackett D.L. A science for the art of consensus. J Nat Cancer Inst 1997 ; 89 : 1003-5. 69