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Le Courrier de l’Arcol et de la SFA (2), n° 4, oct./nov./déc. 2000
La méta-analyse est une synthèse systématique et quanti-
fiée de tous les essais thérapeutiques concernant la
même question. Elle est systématique, car elle implique une
recherche exhaustive de tous les essais, favorables ou non au traitement
étudié, publiés et non publiés. Elle est quantifiée, car elle permet d’estimer
la taille de l’effet traitement. L’utilisation de techniques statistiques permet
de prendre en compte le fait que les résultats obtenus dans plusieurs essais
peuvent être différents uniquement du fait du hasard. La méta-analyse peut
être utilisée pour rechercher l’efficacité d’un traitement et pour synthétiser
et représenter les résultats des essais.
de l’efficacité) coexistent avec des résultats
non concluants. Ces discordances apparentes
donnent la possibilité de soutenir les deux
conclusions opposées : celle de l’existence de
l’efficacité et celle de son absence. Les dé-
fenseurs de l’existence de l’efficacité argu-
menteront à partir des résultats concluants, les
résultats non significatifs étant expliqués par
un manque de puissance. Les tenants de l’ab-
sence de l’efficacité mettront en avant les ré-
sultats non significatifs et expliqueront les ré-
sultats positifs par le fait du hasard (risque
statistique de première espèce).
Effectuée de manière narrative, la synthèse
de plusieurs résultats est en général subjec-
tive. Traditionnellement, ce type de synthèse
s’effectue dans des revues générales de la lit-
térature. À l’impossibilité de gérer les fluc-
tuations aléatoires s’ajoutent des risques de
biais introduits par la sélection des essais.
L’absence de méthode et de critères définis a
priori laisse la possibilité que les essais pris
en considération soient sélectionnés. Par
exemple, Ravnskov a montré que, dans les
revues de la littérature concernant les traite-
ments abaissant la cholestérolémie, les essais
positifs étaient cinq fois plus cités que les né-
gatifs (1). Les revues de la littérature s’appa-
rentent souvent à de simples opinions argu-
mentées par quelques résultats d’essais bien
sélectionnés. C’est principalement pour
contourner ces différents écueils que la méta-
analyse a été développée (tableau I).
Définition de la métaanalyse
La méta-analyse permet de synthétiser les
résultats des essais thérapeutiques répondant
à une question thérapeutique donnée. La
synthèse suit une méthode rigoureuse qui a
* Service de pharmacologie clinique, EA 643,
faculté R.T.H.-Laennec, Lyon.
La méta-analyse
des essais thérapeutiques
M. Cucherat*
L’essentiel
Quels problèmes
la synthèse des résultats
de plusieurs essais
thérapeutiques pose-t-elle ?
En pratique, on se trouve presque constam-
ment confronté à plusieurs essais à prendre en
compte simultanément avant de se prononcer
sur l’efficacité d’un traitement. La multipli-
cité des essais s’accompagne souvent de ré-
sultats apparemment discordants, et tirer une
conclusion globale n’est pas toujours évident.
En général, des essais concluants (donnant un
résultat statistiquement significatif en faveur
Tableau I. Problèmes posés par la synthèse de plusieurs essais et solutions apportées par la
méta-analyse.
Problèmes posés
par la synthèse de plusieurs essais
Existence d’un risque d’erreur statistique
au niveau des résultats des essais
Possibilité d’une sélection arbitraire
des essais en fonction de leurs résultats
Prise en compte d’un essai biaisé
qui fausse le résultat de la synthèse
Biais lié à la non-publication
des résultats négatifs
Solutions apportées
par la méta-analyse
Calcul d’un effet traitement commun
à partir des données de chaque essai
Prise en compte de tous les essais
quelle que soit la nature de leurs résultats
Sélection des essais dont la qualité méthodologique
garantit suffisamment l’absence de biais
Recherche exhaustive des essais publiés
et non publiés
pour but d’assurer son impartialité et sa
reproductibilité.
La méta-analyse est une synthèse systéma-
tique et quantifiée (2, 3). Elle est systéma-
tique, car elle implique une recherche de tous
les essais, favorables ou non au traitement
étudié, publiés et non publiés. Elle est quan-
tifiée, car elle est fondée sur des calculs sta-
tistiques permettant, d’une part, une estima-
tion précise de la taille de l’effet du traitement
et, d’autre part, la prise en compte du fait que
les conclusions d’un essai thérapeutique se
fondent sur des tests statistiques et que les ré-
sultats obtenus dans plusieurs essais peuvent
être différents uniquement du fait du hasard.
Qu’apporte la méta-analyse ?
Par rapport à l’analyse séparée de plusieurs
essais, la méta-analyse permet :
d’augmenter la puissance statistique de la
recherche d’un effet traitement ; la méta-ana-
lyse est ainsi utilisable pour objectiver l’effet
du traitement quand les essais déjà réalisés pris
individuellement s’avèrent de trop petite taille
et tous non statistiquement significatifs ;
de réconcilier des résultats apparemment
discordants ;
de préciser l’estimation de la taille de l’ef-
fet thérapeutique, en la fondant sur une plus
grande quantité d’informations, consécutive
à l’augmentation du nombre de sujets prenant
part à la comparaison ;
de synthétiser une somme d’informations
parfois très importante ;
de tester et d’augmenter la généralisation
d’un résultat à un large éventail de patients.
L’estimation issue d’une méta-analyse est
ainsi plus proche de l’effet qui sera vrai-
semblablement obtenu avec l’utilisation cou-
rante du médicament. Pris individuellement,
chaque essai a sélectionné avec beaucoup de
soin les sujets inclus ; en regroupant des es-
sais portant sur des groupes de sujets ayant
des caractéristiques différentes, la méta-
analyse procure un moyen d’approcher le
“patient moyen tout venant” ;
d’expliquer la variabilité des résultats entre
essais (notamment par suite de biais dans cer-
tains d’entre eux), de mettre un essai en pers-
pective en le confrontant aux autres essais du
domaine ;
de réaliser des analyses en sous-groupes ;
la prise en compte simultanée de plusieurs
essais apporte des effectifs accrus dans les
sous-groupes (selon l’âge, le sexe, les mala-
dies associées, etc.) et permet de vérifier
qu’un résultat obtenu dans l’un d’entre eux
se retrouve sur l’ensemble des essais ;
de constater le manque de données fiables
dans un domaine pour concevoir et lancer un
nouvel essai adapté à la question posée ;
d’explorer une question qui n’était pas ini-
tialement posée par les essais et éventuelle-
ment d’y répondre.
Les méta-analyses sont particulièrement
utiles : quand les essais sont de trop petite
taille pour donner des résultats fiables ; quand
la réalisation d’un essai de grande taille est
impossible ou très difficile ; quand les essais
ont produit des résultats discordants ou non
concluants ; quand les résultats d’un essai dé-
finitif sont attendus (4).
Les analyses en sous-groupes, avec recherche
de différences dans l’effet du traitement entre
les sous-groupes (hétérogénéité), évitent une
synthèse réductrice qui pourrait faire dispa-
raître dans la masse des essais des effets spé-
cifiques observés seulement dans certains
d’entre eux.
Sources de données
Un point important de la méta-analyse est l’ex-
haustivité. Celle-ci nécessite un effort impor-
tant. La seule utilisation de Medline est insuf-
fisante pour garantir l’exhaustivité de la
recherche des essais (5-7). En pratique, l’en-
semble des sources d’information disponibles
doit être utilisé : les bases bibliographiques in-
formatisées (Medline, Embase
,etc.) ; les ré-
férences des articles, et les références de ces
dernières pour obtenir un effet “boule de
neige” ; les résumés des congrès ; les registres
d’essais ; la recherche des essais non publiés
auprès des laboratoires pharmaceutiques ou des
institutions concernés, des meneurs d’opinion
du domaine ou des investigateurs potentiels.
Quels sont les résultats
produits par
une méta-analyse ?
Principe et résultats numériques
Un indice d’efficacité est calculé pour chaque
essai, quantifiant l’intensité de l’effet (8). Plu-
sieurs sont utilisables : le risque relatif, l’odds
ratio,qui est une approximation du risque re-
latif, la différence des risques. Les indices
d’efficacité de chaque essai sont ensuite com-
binés entre eux afin de produire un seul in-
dice, résumant l’ensemble des essais.
Les calculs de méta-analyse produisent les
résultats suivants :
l’estimation de l’effet du traitement com-
mun accompagnée de son intervalle de
confiance ;
le test d’association, qui cherche l’exis-
tence d’un effet traitement non nul ; si le test
est significatif, il est possible de conclure à
l’existence d’un effet traitement ;
le test d’hétérogénéité qui évalue si les ré-
sultats de tous les essais peuvent être consi-
dérés comme similaires (hypothèse d’homo-
généité) ; le regroupement des essais est alors
possible. Si le test d’hétérogénéité est signi-
ficatif, il existe au moins un essai dont le ré-
sultat ne peut pas être considéré comme iden-
tique aux autres, et le regroupement de ces
essais n’a pas de sens ; il convient alors de
recourir à des techniques spéciales (modèle
d’effet aléatoire).
Représentation graphique
Les résultats d’une méta-analyse sont fré-
quemment représentés sous forme graphique
(figure 1). Les risques relatifs obtenus au ni-
veau de chaque essai et globalement par la
méta-analyse y sont représentés, encadrés par
leur intervalle de confiance. Un trait vertical
correspondant à la valeur 1 du risque relatif
matérialise le seuil de non-efficacité. Si l’in-
tervalle de confiance coupe ce trait, le résul-
tat n’est pas statistiquement significatif. Les
risques relatifs supérieurs à 1 témoignent
d’un risque supérieur dans le groupe traité
par rapport au groupe témoin.
L’existence d’un ou de plusieurs essais dont
l’intervalle de confiance ne recouvre pas ce-
lui des autres témoigne d’une hétérogénéité
entre les essais.
Biais potentiels
d’une méta-analyse
Biais des essais
Les biais des essais eux-mêmes sont la pre-
mière source de biais en méta-analyse. Si les
informations sources sont potentiellement
biaisées, le résultat de la méta-analyse l’est
aussi. Seule une sélection adéquate des es-
sais garantit une bonne qualité méthodolo-
gique du résultat.
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Le Courrier de l’Arcol et de la SFA (2), n° 4, oct./nov./déc. 2000
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Le Courrier de l’Arcol et de la SFA (2), n° 4, oct./nov./déc. 2000
Cependant, le biais introduit par un ou
quelques essais biaisés est “dilué” par les es-
sais non biaisés si ces derniers sont prépon-
dérants. La conclusion de la méta-analyse
sera moins erronée que celle fondée unique-
ment sur l’essai biaisé.
La qualité méthodologique d’un essai est
difficile à évaluer. De nombreuses échelles
de qualité ont été publiées mais des études
empiriques montrent qu’il est possible
d’écarter la possibilité de biais avec suffi-
samment de certitude en utilisant seulement
trois critères (9, 10) :
le caractère aléatoire de la répartition des
patients entre les groupes, et plus particu-
lièrement son imprévisibilité, qui garantit
que les investigateurs n’ont pas pu déter-
miner à l’avance quel traitement allait rece-
voir le prochain patient qu’ils souhaitaient
inclure ;
le suivi en double insu, quand il était éthi-
quement possible ;
l’absence ou un taux négligeable de pa-
tients randomisés non inclus dans l’analyse
(perdus de vue).
Biais de publication
À côté de la répercussion des biais des es-
sais, toute synthèse d’information, non seu-
lement la méta-analyse, est sujette au biais
de publication. Certains travaux ne font ja-
mais l’objet d’une publication. Cela est par-
ticulièrement fréquent avec les essais néga-
tifs. Les raisons de cette censure sont
diverses et peuvent provenir soit des comi-
tés de lecture des journaux, soit des spon-
sors de l’étude, mais aussi d’une autocen-
sure que s’infligent spontanément les
investigateurs (11-13).
Dans une méta-analyse, comme dans toute
synthèse, si aucune recherche poussée des es-
sais non publiés n’est entreprise, le risque en-
couru est de ne travailler qu’avec les essais
positifs, ce qui conduit à une surestimation
de l’efficacité du traitement.
Conclusion
La méta-analyse est devenue un outil de
routine. Comme tous les outils très perfor-
mants, elle peut conduire à des aberrations
si les conditions d’application ne sont pas
respectées. Mais le succès acquis par cette
technique provient surtout du fait que la
méta-analyse répond à un besoin ressenti du
médecin prescripteur au décideur de santé
publique. La somme des connaissances
sur lesquelles doivent maintenant se fonder
les choix thérapeutiques croît sans cesse.
Les médecins ont de plus en plus besoin
de données synthétiques fiables intégrant
l’ensemble des informations existantes
pour assurer une base rationnelle à leur
décision.
Références
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Figure 1. Graphique typique de méta-analyse représentant les risques relatifs de chaque
essai et de la méta-analyse entourés de leur intervalle de confiance à 95 %. Les deux
colonnes numériques de droite rapportent le nombre d’événements et la taille des deux
groupes (traité, T+, et témoin,T-). Le résultat du test d’hétérogénéité est aussi présenté
(Het. Cochran Q).
Colestipol
WHO clofibrate
LRCCPPT
HHS
West of Scotland
AFCAPS/TexCAPS
Total 0,761, p < 0,001
Het. Cohran Q p = 0,70
Risque relatif 0,4 0,5 0,6 0,8 1,0
T+T
54/1 149 74/1 129
185/5 331 222/5 296
155/1 906 187/1 900
56/2 051 84/2 030
174/3 302 248/3 293
163/3 304 215/3 301
787/17 043 1 030/16 949
Cas/effectifs
ÉVÉNEMENTS CORONARIENS
Risque relatif, modèle fixe
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