La méta-analyse

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La méta-analyse
des essais thérapeutiques
M. Cucherat*
La méta-analyse est une synthèse systématique et quantifiée de tous les essais thérapeutiques concernant la
même question. Elle est systématique, car elle implique une
recherche exhaustive de tous les essais, favorables ou non au traitement
étudié, publiés et non publiés. Elle est quantifiée, car elle permet d’estimer
la taille de l’effet traitement. L’utilisation de techniques statistiques permet
de prendre en compte le fait que les résultats obtenus dans plusieurs essais
peuvent être différents uniquement du fait du hasard. La méta-analyse peut
être utilisée pour rechercher l’efficacité d’un traitement et pour synthétiser
et représenter les résultats des essais.
L’essentiel
fenseurs de l’existence de l’efficacité argumenteront à partir des résultats concluants, les
résultats non significatifs étant expliqués par
un manque de puissance. Les tenants de l’absence de l’efficacité mettront en avant les résultats non significatifs et expliqueront les résultats positifs par le fait du hasard (risque
statistique de première espèce).
Effectuée de manière narrative, la synthèse
de plusieurs résultats est en général subjective. Traditionnellement, ce type de synthèse
s’effectue dans des revues générales de la littérature. À l’impossibilité de gérer les fluctuations aléatoires s’ajoutent des risques de
biais introduits par la sélection des essais.
L’absence de méthode et de critères définis a
priori laisse la possibilité que les essais pris
en considération soient sélectionnés. Par
exemple, Ravnskov a montré que, dans les
revues de la littérature concernant les traitements abaissant la cholestérolémie, les essais
positifs étaient cinq fois plus cités que les négatifs (1). Les revues de la littérature s’apparentent souvent à de simples opinions argumentées par quelques résultats d’essais bien
sélectionnés. C’est principalement pour
contourner ces différents écueils que la métaanalyse a été développée (tableau I).
Définition de la méta–analyse
Quels problèmes
la synthèse des résultats
de plusieurs essais
thérapeutiques pose-t-elle ?
de l’efficacité) coexistent avec des résultats
non concluants. Ces discordances apparentes
donnent la possibilité de soutenir les deux
conclusions opposées : celle de l’existence de
l’efficacité et celle de son absence. Les dé-
En pratique, on se trouve presque constamment confronté à plusieurs essais à prendre en
compte simultanément avant de se prononcer
sur l’efficacité d’un traitement. La multiplicité des essais s’accompagne souvent de résultats apparemment discordants, et tirer une
conclusion globale n’est pas toujours évident.
En général, des essais concluants (donnant un
résultat statistiquement significatif en faveur
Tableau I. Problèmes posés par la synthèse de plusieurs essais et solutions apportées par la
méta-analyse.
* Service de pharmacologie clinique, EA 643,
faculté R.T.H.-Laennec, Lyon.
La méta-analyse permet de synthétiser les
résultats des essais thérapeutiques répondant
à une question thérapeutique donnée. La
synthèse suit une méthode rigoureuse qui a
Problèmes posés
par la synthèse de plusieurs essais
Solutions apportées
par la méta-analyse
Existence d’un risque d’erreur statistique
au niveau des résultats des essais
Calcul d’un effet traitement commun
à partir des données de chaque essai
Possibilité d’une sélection arbitraire
des essais en fonction de leurs résultats
Prise en compte de tous les essais
quelle que soit la nature de leurs résultats
Prise en compte d’un essai biaisé
qui fausse le résultat de la synthèse
Sélection des essais dont la qualité méthodologique
garantit suffisamment l’absence de biais
Biais lié à la non-publication
des résultats négatifs
Recherche exhaustive des essais publiés
et non publiés
Le Courrier de l’Arcol et de la SFA (2), n° 4, oct./nov./déc. 2000
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pour but d’assurer son impartialité et sa
reproductibilité.
La méta-analyse est une synthèse systématique et quantifiée (2, 3). Elle est systématique, car elle implique une recherche de tous
les essais, favorables ou non au traitement
étudié, publiés et non publiés. Elle est quantifiée, car elle est fondée sur des calculs statistiques permettant, d’une part, une estimation précise de la taille de l’effet du traitement
et, d’autre part, la prise en compte du fait que
les conclusions d’un essai thérapeutique se
fondent sur des tests statistiques et que les résultats obtenus dans plusieurs essais peuvent
être différents uniquement du fait du hasard.
Qu’apporte la méta-analyse ?
Par rapport à l’analyse séparée de plusieurs
essais, la méta-analyse permet :
– d’augmenter la puissance statistique de la
recherche d’un effet traitement ; la méta-analyse est ainsi utilisable pour objectiver l’effet
du traitement quand les essais déjà réalisés pris
individuellement s’avèrent de trop petite taille
et tous non statistiquement significatifs ;
– de réconcilier des résultats apparemment
discordants ;
– de préciser l’estimation de la taille de l’effet thérapeutique, en la fondant sur une plus
grande quantité d’informations, consécutive
à l’augmentation du nombre de sujets prenant
part à la comparaison ;
– de synthétiser une somme d’informations
parfois très importante ;
– de tester et d’augmenter la généralisation
d’un résultat à un large éventail de patients.
L’estimation issue d’une méta-analyse est
ainsi plus proche de l’effet qui sera vraisemblablement obtenu avec l’utilisation courante du médicament. Pris individuellement,
chaque essai a sélectionné avec beaucoup de
soin les sujets inclus ; en regroupant des essais portant sur des groupes de sujets ayant
des caractéristiques différentes, la métaanalyse procure un moyen d’approcher le
“patient moyen tout venant” ;
– d’expliquer la variabilité des résultats entre
essais (notamment par suite de biais dans certains d’entre eux), de mettre un essai en perspective en le confrontant aux autres essais du
domaine ;
– de réaliser des analyses en sous-groupes ;
la prise en compte simultanée de plusieurs
essais apporte des effectifs accrus dans les
sous-groupes (selon l’âge, le sexe, les maladies associées, etc.) et permet de vérifier
qu’un résultat obtenu dans l’un d’entre eux
se retrouve sur l’ensemble des essais ;
– de constater le manque de données fiables
dans un domaine pour concevoir et lancer un
nouvel essai adapté à la question posée ;
– d’explorer une question qui n’était pas initialement posée par les essais et éventuellement d’y répondre.
Les méta-analyses sont particulièrement
utiles : quand les essais sont de trop petite
taille pour donner des résultats fiables ; quand
la réalisation d’un essai de grande taille est
impossible ou très difficile ; quand les essais
ont produit des résultats discordants ou non
concluants ; quand les résultats d’un essai définitif sont attendus (4).
Les analyses en sous-groupes, avec recherche
de différences dans l’effet du traitement entre
les sous-groupes (hétérogénéité), évitent une
synthèse réductrice qui pourrait faire disparaître dans la masse des essais des effets spécifiques observés seulement dans certains
d’entre eux.
Sources de données
Un point important de la méta-analyse est l’exhaustivité. Celle-ci nécessite un effort important. La seule utilisation de Medline est insuffisante pour garantir l’exhaustivité de la
recherche des essais (5-7). En pratique, l’ensemble des sources d’information disponibles
doit être utilisé : les bases bibliographiques informatisées (Medline, Embase™, etc.) ; les références des articles, et les références de ces
dernières pour obtenir un effet “boule de
neige” ; les résumés des congrès ; les registres
d’essais ; la recherche des essais non publiés
auprès des laboratoires pharmaceutiques ou des
institutions concernés, des meneurs d’opinion
du domaine ou des investigateurs potentiels.
Quels sont les résultats
produits par
une méta-analyse ?
Principe et résultats numériques
Un indice d’efficacité est calculé pour chaque
essai, quantifiant l’intensité de l’effet (8). Plusieurs sont utilisables : le risque relatif, l’odds
ratio, qui est une approximation du risque re-
199
latif, la différence des risques. Les indices
d’efficacité de chaque essai sont ensuite combinés entre eux afin de produire un seul indice, résumant l’ensemble des essais.
Les calculs de méta-analyse produisent les
résultats suivants :
– l’estimation de l’effet du traitement commun accompagnée de son intervalle de
confiance ;
– le test d’association, qui cherche l’existence d’un effet traitement non nul ; si le test
est significatif, il est possible de conclure à
l’existence d’un effet traitement ;
– le test d’hétérogénéité qui évalue si les résultats de tous les essais peuvent être considérés comme similaires (hypothèse d’homogénéité) ; le regroupement des essais est alors
possible. Si le test d’hétérogénéité est significatif, il existe au moins un essai dont le résultat ne peut pas être considéré comme identique aux autres, et le regroupement de ces
essais n’a pas de sens ; il convient alors de
recourir à des techniques spéciales (modèle
d’effet aléatoire).
Représentation graphique
Les résultats d’une méta-analyse sont fréquemment représentés sous forme graphique
(figure 1). Les risques relatifs obtenus au niveau de chaque essai et globalement par la
méta-analyse y sont représentés, encadrés par
leur intervalle de confiance. Un trait vertical
correspondant à la valeur 1 du risque relatif
matérialise le seuil de non-efficacité. Si l’intervalle de confiance coupe ce trait, le résultat n’est pas statistiquement significatif. Les
risques relatifs supérieurs à 1 témoignent
d’un risque supérieur dans le groupe traité
par rapport au groupe témoin.
L’existence d’un ou de plusieurs essais dont
l’intervalle de confiance ne recouvre pas celui des autres témoigne d’une hétérogénéité
entre les essais.
Biais potentiels
d’une méta-analyse
Biais des essais
Les biais des essais eux-mêmes sont la première source de biais en méta-analyse. Si les
informations sources sont potentiellement
biaisées, le résultat de la méta-analyse l’est
aussi. Seule une sélection adéquate des essais garantit une bonne qualité méthodologique du résultat.
Le Courrier de l’Arcol et de la SFA (2), n° 4, oct./nov./déc. 2000
Figure 1. Graphique typique de méta-analyse représentant les risques relatifs de chaque
essai et de la méta-analyse entourés de leur intervalle de confiance à 95 %. Les deux
colonnes numériques de droite rapportent le nombre d’événements et la taille des deux
groupes (traité, T+, et témoin,T-). Le résultat du test d’hétérogénéité est aussi présenté
(Het. Cochran Q).
ÉVÉNEMENTS CORONARIENS
Risque relatif, modèle fixe
Références
T
T
+
Colestipol
–
54/1 149
74/1 129
WHO clofibrate
185/5 331
222/5 296
LRCCPPT
155/1 906
187/1 900
56/2 051
84/2 030
174/3 302
248/3 293
HHS
West of Scotland
AFCAPS/TexCAPS
Total
0,761, p < 0,001
163/3 304
215/3 301
787/17 043
1 030/16 949
Het. Cohran Q p = 0,70
Risque relatif
0,4
Cas/effectifs
0,5
0,6
0,8
sur lesquelles doivent maintenant se fonder
les choix thérapeutiques croît sans cesse.
Les médecins ont de plus en plus besoin
de données synthétiques fiables intégrant
l’ensemble des informations existantes
pour assurer une base rationnelle à leur
●
décision.
1,0
1. Ravnskov U. Cholesterol lowering trials in coronary heart disease : frequency of citation and outcome. Br Med J 1992 ;305 : 15-9.
2. Pignon JP, Poynard T. La méta-analyse des essais
thérapeutiques. Principes, méthodes et lecture critique. Rev Prat 1993 ; 43 : 2383-6.
3. Cucherat M, Boissel JP, Leizorovicz A. La métaanalyse des essais thérapeutiques. Paris : Masson,
1997.
4. Fagard RH, Staessen JA, Thijs L. Advantages
and disadvantages of the meta-analysis approach.
J Hypertension 1996 ; 14 (S2) : S9-13.
5. Dickersin K, Hewitt P, Mutch L, Chalmers I,
Chalmers TC. Perusing the literature : comparison of
MEDLINE searching with a perinatal trials database.
Control Clin Trials 1985 ; 6 : 306-17.
Cependant, le biais introduit par un ou
quelques essais biaisés est “dilué” par les essais non biaisés si ces derniers sont prépondérants. La conclusion de la méta-analyse
sera moins erronée que celle fondée uniquement sur l’essai biaisé.
La qualité méthodologique d’un essai est
difficile à évaluer. De nombreuses échelles
de qualité ont été publiées mais des études
empiriques montrent qu’il est possible
d’écarter la possibilité de biais avec suffisamment de certitude en utilisant seulement
trois critères (9, 10) :
– le caractère aléatoire de la répartition des
patients entre les groupes, et plus particulièrement son imprévisibilité, qui garantit
que les investigateurs n’ont pas pu déterminer à l’avance quel traitement allait recevoir le prochain patient qu’ils souhaitaient
inclure ;
– le suivi en double insu, quand il était éthiquement possible ;
– l’absence ou un taux négligeable de patients randomisés non inclus dans l’analyse
(perdus de vue).
Biais de publication
À côté de la répercussion des biais des essais, toute synthèse d’information, non seu-
lement la méta-analyse, est sujette au biais
de publication. Certains travaux ne font jamais l’objet d’une publication. Cela est particulièrement fréquent avec les essais négatifs. Les raisons de cette censure sont
diverses et peuvent provenir soit des comités de lecture des journaux, soit des sponsors de l’étude, mais aussi d’une autocensure que s’infligent spontanément les
investigateurs (11-13).
Dans une méta-analyse, comme dans toute
synthèse, si aucune recherche poussée des essais non publiés n’est entreprise, le risque encouru est de ne travailler qu’avec les essais
positifs, ce qui conduit à une surestimation
de l’efficacité du traitement.
Conclusion
La méta-analyse est devenue un outil de
routine. Comme tous les outils très performants, elle peut conduire à des aberrations
si les conditions d’application ne sont pas
respectées. Mais le succès acquis par cette
technique provient surtout du fait que la
méta-analyse répond à un besoin ressenti du
médecin prescripteur au décideur de santé
publique. La somme des connaissances
Le Courrier de l’Arcol et de la SFA (2), n° 4, oct./nov./déc. 2000
200
6. Dickersin K, Scherer R, Lefebvre C. Identifying relevant studies for systematic reviews. Br Med J 1994 ;
309 : 1286-91.
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8. Boissel JP, Cucherat M, Gueyffier F et al. Aperçu
sur la problématique des indices d’efficacité thérapeutique. 1. Éléments de la problématique. Therapie
1999 ; 54 : 203-7.
9. Moher D, Jadad AR, Nichol G et al. Assessing the
quality of randomized controlled trials : an annotated bibliography of scales and checklists. Control Clin
Trials 1995 ; 16 : 62-73.
10. Moher D, Ba’Pham, Jones A et al. Does quality
of reports of randomised trials affect estimates of
intervention efficacy reported in meta-analyses ?
Lancet 1998 ; 352 : 609-13.
11. Dickersin K. The existence of publication bias
and risk factors for its occurrence. JAMA 1990 ; 263 :
1385-9.
12. Dickersin K, Min Y, Meinert CL. Factors influencing publication of research results : follow-up of application submitted to two institutional reviews
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13. Begg CB, Berlin JA. Publication bias and dissemination of clinical research. J Natl Cancer Inst
1989 ; 81 : 107-15.
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