La Lettre du Sénologue • n° 44 - avril-mai-juin 2009 | 33
DOSSIER THÉMATIQUE
l’image intériorisée du partenaire et la réalité qu’il lui
présente.” De façon générale, nous entendons que
“soit le cancer sépare, soit il rapproche”, “nous sommes
devenus plus forts ensemble, après, nous avons appris
à nous parler autrement, à faire attention à l’autre”. Si
la plupart des couples s’adaptent bien (13), les impacts
des traitements vont concerner les relations au corps,
au temps, à l’autre, et notamment les représentations
que les proches ont eux aussi de la vie, une vie loin
de ce qu’ils avaient pu envisager, rêver ou idéaliser. Il
s’agissait pour l’autre de trouver un compromis entre
une présence souvent ressentie comme pesante ou
infantilisante et une distance qui peut être interprétée
comme de l’indifférence, faire face aussi avec ses propres
angoisses d’abandon, à l’effroi d’une menace de mort,
consciente ou inconsciente, exprimable ou non, à la
crainte du lendemain, de la récidive ou des métastases
ou à la fragilité d’une vie à deux à poursuivre, maintenir
un équilibre familial et relationnel, s’il existait, devant la
nécessité d’une nouvelle distribution des rôles.
Peuvent persister la crainte de toucher un corps blessé,
la peur de mal faire ou de faire mal, l’induction de
l’impuissance sexuelle ou simplement celle de pouvoir
rassurer. Comment s’autoriser encore la jouissance
sexuelle quand la mort est venue s’immiscer dans
l’intimité du couple ?
– Il lui a fallu continuer à vivre avec cette femme affaiblie,
qui ne se ressemblait plus, qui n’avait plus envie de rien,
dont toute l’énergie était tournée vers elle-même, qu’il ne
pouvait plus désirer ou simplement même lui dire qu’il la
désirait. Mais était-elle encore désirable, dé-sublimée de
la sorte ? Presque morte, sans ses cheveux, ses sourcils,
pâle et amaigrie, toujours épuisée… Il a probablement
même envisagé la vie sans elle, avec les enfants ou les
petits-enfants à recevoir encore. La même peut aussi
devenir encore plus belle, de courage, de ténacité, dans sa
capacité à en faire autre chose de cette maladie, dans sa
quête de sens de vie, toujours séduisante parce que son
regard à lui sur elle n’a pas changé, qu’il la désire encore,
malgré ses résistances, sa culpabilité, ses craintes.
Que deviennent ces pulsions agressives lorsque l’autre
est de fait affaibli, dépendant, réclamant soins et vigi-
lance, lorsqu’il n’est pas en mesure de recevoir et de se
confronter au remaniement parfois profond que connaît
un couple dans son histoire ? Là encore, l’après aussi
pour lui dépend de l’avant, de la relation et du lien de
couple qui les signifiaient.
Chez les enfants
Selon l’âge des enfants, leur niveau de langage, d’ap-
prentissage, d’expression et de compréhension, les
séquelles psychoaffectives induites par la maladie
de la mère seront différentes. Elles dépendront
évidemment des dynamiques familiales, du type
de lien qui unit parents et enfants, des investisse-
ments narcissiques et objectaux dont ils font l’objet,
des étayages affectifs et matériels possibles pour
chacun d’eux, de la liberté ou du verrouillage de la
circulation de la parole au sein de la famille.
Il aura fallu pour les enfants supporter, s’adapter à la
vie quotidienne avec une mère malade, à se confronter
aux désillusions précoces d’une mère bonne et dispo-
nible, non parce qu’elle ne l’a pas voulu, mais parce
qu’elle n’a pas pu. On peut émettre l’hypothèse que
plus les enfants sont jeunes, en très bas âge, moins ils
sont autonomes, plus ils ont besoin du regard et du
désir maternel pour se structurer et grandir, plus la
confrontation avec les angoisses de leurs mères sera
délétère et fournira d’autant plus de points d’enkyste-
ment. Les incertitudes, les menaces d’abandon fantas-
mées et les multiples séparations pourront induire
entre autres insécurité narcissique pour les plus petits
avec des défaillances identitaires, des fonctionne-
ments en pensée magique, des besoins de réparation
ou la culpabilité chez les plus grands et il n’est pas
rare de le rencontrer dans notre pratique clinique, des
déséquilibres dans la gestion des conflits internes et
des possibilités d’identification chez certains adoles-
cents. Il ne s’agit donc pas tant de parler à l’enfant
que de parler avec lui (14), de lui, de soi, des autres,
de ce qui se passe. La phase de rémission va nécessiter
cette reformulation des objectifs, des désirs et des
désillusions de chacun vis-à-vis des autres acteurs
familiaux, cela sous peine de résurgences à la période
adulte d’effets pathogènes de ce qui aura pu consti-
tuer des traumatismes infantiles.
Conclusion
L’incidence élevée du cancer du sein mais aussi l’amé-
lioration du pronostic pour les femmes atteintes nous
obligent à considérer pour leur prise en charge l’en-
semble des impacts organiques, sociaux et psychoaf-
fectifs. L’écoute, la disponibilité psychique permet une
mise en pensée, parfois une élaboration, au moins
une circulation de la parole entre la patiente et son
médecin, dans son couple et dans sa famille. Cela ne
peut se faire sans la prise de conscience de toutes
les séquelles possibles de la part de l’ensemble des
intervenants pour permettre d’envisager et de désirer
un au-delà des traitements avec nos patientes, un
après-bouleversement existentiel. ■
Références
bibliographiques
1. Mathelin C, Annane K, Dufour P,
Liegeois P, Bergerat JP. Chemo-
therapy for breast cancer during
pregnancy. Eur J Obstet Gynecol
Reprod Biol 2005;123(2):260-2.
2. Razavi D, Delvaux N. La prise
en charge médico-psychologique
du patient cancéreux. Masson,
coll. Médecine et psychothé-
rapie, 1998.
3. Winnicott DW. La crainte
de l’effondrement et d’autres
situations cliniques. Gallimard,
2000.
4. Schag CA, Ganz PA, Polinsky
ML, Fred C, Hirji K, Petersen L.
Characteristics of women at risk
for psychosocial distress in the
year after breast cancer. J Clin
Oncol 1993;11(4):783-93.
5. Northouse LL. Breast cancer
in younger women: effects on
interpersonal and family rela-
tions. J Natl Cancer Inst Monogr
1994;(16):183-90.
6. Freud S. Deuil et mélancolie.
Œuvres complètes, psychanalyse,
XIII, 1914-1915, PUF, 1988.
7. Chabert C, Kaes R, Lanouzière
J., Schniewind A. Figures de la
dépression. Dunod, 2005.
8. Aristote, L’Homme de génie et
la mélancolie, trad., prés et notes
de J.Pigeaud, Paris, Rivages, coll.
Poche, 1988.
9. Dhomont T. La guérison : fin du
combat ? Le syndrome de Lazare
et autres difficultés. Le cancer,
approche psychodynamique chez
l’adulte, Erès, 2004.
10. Gros D. Comment aimer avec
un sein en moins et un cancer en
plus ? In: Revue francophone de
psycho-oncologie, Sexualité et
cancer, septembre 2005.
11. Taquet A. Cancer du sein et
sexualité. In: Revue francophone
de psycho-oncologie. Sexualité
et cancer, septembre 2005.
12. Lemaire JG. Le couple : sa vie,
sa mort. LA structure du couple
humain. Sciences de L’Homme,
Payot, 1979.
13. Anllo LM. Cancer du sein et
sexualité. Springer, 2000:171.
14. Ben Soussan P. Le cancer est
un combat. Erès, 2004.