La Lettre du Sénologue • n° 45 - juillet-août-septembre 2009 | 13
DOSSIER THÉMATIQUE
dix fois supérieure à la concentration périphérique
d’estrogènes, et des rapports estradiol/estrone dans
le tissu tumoral deux à trois fois supérieurs chez les
femmes ménopausées que non ménopausées (15).
L’aromatase est l’enzyme clé unique de l’aromatisa-
tion des androgènes en estrogènes et constitue une
cible idéale de blocage périphérique et in situ de la
synthèse des estrogènes chez la femme ménopausée.
Les inhibiteurs de l’aromatase (IA) peuvent être
classés en deux groupes selon leur structure
chimique : les IA de type 1, stéroïdiens, et de type 2,
non stéroïdiens. Les IA de type 1 sont des analogues
du substrat, c’est-à-dire avec une structure andro-
génique, et se lient à l’enzyme de façon covalente.
Ils sont reconnus par le site actif de l’aromatase et
entrent en compétition avec son substrat naturel. Ils
se lient de façon irréversible à l’aromatase, et sont
ensuite convertis en substrats intermédiaires qui,
à leur tour, se lient de façon covalente au site de
liaison de l’enzyme, inactivant ainsi l’enzyme (16).
Il s’agit de l’exémestane. Les IA de type 2 se lient
de façon non covalente à l’enzyme – avec la partie
hème de l’enzyme – et occupent le site de liaison
du substrat, empêchant l’androgène de se lier à son
site catalytique. Cet antagonisme est réversible. Il
s’agit de dérivés triazoles : l’anastrozole et le létro-
zole (tableau).
Ces différences de structure chimique et de méca-
nisme d’action conduisent à quelques différences
d’effet dans les modèles expérimentaux. Il a été
montré dans des modèles de lignées de cellules
mammaires hormonodépendantes MCF7 transfec-
tées par le gène de l’aromatase, que l’exémestane
induisait une déstabilisation de la structure de l’aro-
matase et une augmentation de la dégradation de
l’enzyme par rapport aux cellules non traitées (17). En
revanche, les IA non stéroïdiens stabilisent l’aroma-
tase en entraînant une augmentation de l’expression
de ses ARN messagers (18-20). Cependant, dans
les études cliniques, il a été rapporté que les IA de
types 1 et 2 entraînaient une profonde inhibition de
la sécrétion d’estrogènes chez les patientes méno-
pausées. Les effets à long terme sont cependant peu
évalués. La puissance des différents IA en termes de
blocage de la synthèse d’estrogènes a été évaluée
in vitro. Certaines études rapportent une meilleure
efficacité du létrozole par rapport à l’anastrozole
et l’exémestane (21). Ces données sont supportées
par des dosages d’estrogènes circulants chez des
patientes ménopausées montrant la persistance
de bas niveaux d’estrone et d’estradiol chez les
patientes traitées par anastrozole, mais inférieurs
chez les patientes traitées par létrozole (22). Les
IA de troisième génération sont très spécifiques et
induisent une privation estrogénique profonde sur
les tissus cibles, induisant une inhibition de l’activité
aromatase de plus de 95 % et de plus de 99 % pour
le létrozole (23).
La structure androgénique de l’exémestane et de
son dérivé, le 17-hydroexémestane, pourrait faire
évoquer un effet bénéfique androgénique dans le
cancer du sein. En effet, le dérivé de l’exémestane
correspond à 15 % de la totalité de l’exémestane
circulant, et il se lie avec une haute affinité au niveau
des récepteurs des androgènes (24). Ces récepteurs
sont présents dans environ 60 % des cancers du sein
(25). Les androgènes exercent un modeste effet anti-
prolifératif dans les cancers du sein, cet effet est
médié par ses récepteurs spécifiques. Cependant,
il n’existe pas de preuve de ce concept en clinique
chez des patientes traitée par exémestane.
Autres effets
des inhibiteurs de l’aromatase
Les IA de troisième génération (anastrozole, létrozole
et exémestane) sont de puissants inhibiteurs de la
synthèse des estrogènes, entraînant une diminu-
tion d’environ 96 à 99 % de l’activité de l’enzyme
(26-28). Leurs effets liés à la privation estrogénique
se manifestent aussi au niveau de tissus cibles autres
que le sein, pouvant induire des effets secondaires
indésirables, en particulier au niveau osseux et du
métabolisme des lipides. Les estrogènes induisent
l’expression de l’ostéoprotégérine qui elle-même
inhibe la différenciation ostéoclastique induite par
rank ligand (29, 30). Par ailleurs, les estrogènes
inhibent l’apoptose des ostéoclastes (31). La priva-
tion estrogénique entraîne une disparition de ces
effets protecteurs sur l’os. La privation estrogénique
entraîne aussi la production de cytokines (IL1, IL6
et TNF) qui induisent une différenciation ostéoclas-
tique. Tous ces effets concourent à une augmen-
tation majeure de la résorption osseuse (32). Les
effets ostéoarticulaires des IA sont également liés à
la privation estrogénique induite par les IA, mais leur
mécanisme n’est qu’en partie élucidé. On retrouve
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Tableau. Inhibiteurs de l’aromatase.
DCI Nom
commercial
Structure Type
Exémestane Aromasine®Stéroïdienne 1
Anastrozole Arimidex®Non stéroïdienne 2
Létrozole Fémara®Non stéroïdienne 2
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