Lire l`article complet

publicité
Aromatase
et estrogènes
en endocrinologie :
vers un nouveau
concept
thérapeutique
L
es estrogènes sont depuis longtemps considérés comme des hormones
sexuelles typiquement femelles ; cependant, la présence d’estrogènes
dans la gonade mâle est très documentée, et la découverte de ces hormones a d’ailleurs été faite dans de l’urine d’étalon par Zondek en 1934.
L’aromatase est l’unique enzyme catalysant de manière irréversible la transformation des androgènes en estrogènes. Elle est impliquée dans le développement, la reproduction, la différenciation sexuelle et le comportement, les métabolismes osseux et lipidique, le fonctionnement du cerveau, mais aussi dans de
nombreux développements tumoraux ; son importance est donc capitale chez
l’homme. Les sources d’estrogènes sont nombreuses chez les mammifères : cerveau, placenta, gonades, tissus adipeux et mammaire, os, foie, intestin, etc.
Au niveau de la gonade mâle, l’aromatase est présente non seulement dans les
cellules de Leydig, mais aussi dans les cellules de Sertoli et, fait nouveau, dans
les cellules germinales (1). Elle peut aussi être exprimée dans les tissus pathologiques, telles les tumeurs féminisantes des surrénales chez l’homme (voir
l’article de B. Lireux et Y. Reznik dans ce numéro).
Comme toutes les hormones, les estrogènes agissent par l’intermédiaire de
récepteurs spécifiques (ER) qui, en tant que facteurs de transcription, vont
moduler l’expression de gènes cibles. Avec la découverte, en 1996, d’un récepteur nucléaire supplémentaire (ERβ), le rôle de ces hormones, notamment au
niveau testiculaire, suscite de nombreux travaux. En effet, ERβ est présent dans
les cellules de Sertoli et les germinales (spermatides rondes), alors que ERα est
principalement localisé dans les cellules de Leydig (2).
Depuis longtemps, on sait que la sécrétion des gonadotrophines est contrôlée
négativement par les hormones femelles ; cependant, de nombreux travaux
plaident aujourd’hui en faveur d’un rôle physiologique direct des estrogènes
dans la spermatogenèse. Shetty et al. ont confirmé ces résultats et montré une
réduction du nombre de spermatides allongées et de leur qualité après l’administration d’antiestrogènes ou d’inhibiteurs de l’aromatase chez le singe (voir
l’article de S. Moslemi et G.É. Séralini dans ce numéro).
Par ailleurs, les modèles expérimentaux de souris déficientes en aromatase
(ArKO) ou en récepteurs aux estrogènes (ERKOα) ont permis de réévaluer le
rôle des estrogènes dans la physiologie générale (1, 3). En outre, des déficits en
aromatase par mutation sur le gène CYP 19 ont été publiés chez l’homme : la
pathologie se traduit par des troubles de la croissance (homme de très grande
taille), un hyperinsulinisme et une perturbation du bilan lipidique associés à
une infertilité, comme cela a été rapporté chez trois patients (voir l’article
de F. Moreau et al. dans ce numéro).
Il est donc aujourd’hui évident que les estrogènes ne participent pas uniquement à la reproduction, mais aussi à la régulation des autres grandes fonctions
de l’organisme, aux niveaux vasculaire et osseux : leur rôle antiapoptotique a
été bien démontré sur les ostéoblastes, par exemple (voir la revue de B. Lireux
et Y. Reznik). En outre, chez l’homme âgé, une corrélation directe a été mise
en évidence entre la survenue des fractures osseuses et le taux d’estradiol biodisponible. Un autre aspect à considérer est celui de la vasculo-protection, assurée
notamment par les estrogènes via la présence de récepteurs membranaires sur
les cellules endothéliales des vaisseaux. Enfin, il apparaît que certains aspects
fonctionnels de la peau (sécrétion des glandes sébacées, croissance du poil) sont
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 4, juillet/août 2003
159
régulés par les estrogènes. De plus, le cerveau représente une cible privilégiée
pour ces hormones femelles, tant au niveau comportemental (observations
rapportées chez les souris ArKO et ERKOα) que par rapport aux pathologies
dégénératives telles que l’Alzheimer (3).
En somme, les outils biochimiques et moléculaires disponibles aujourd’hui ont
ouvert de nouvelles pistes pour réévaluer le rôle des estrogènes en endocrinologie chez l’homme grâce à une meilleure connaissance de l’aromatase et des
récepteurs aux estrogènes.
Si la testostérone est le médiateur principal du développement testiculaire, les
estrogènes produits localement sont sans doute impliqués dans le contrôle de
la stéroïdogenèse et aussi, semble-t-il, dans celui de la spermatogenèse et de la
spermiogenèse à plusieurs niveaux ; ce sujet de recherche suscite un intérêt
croissant. Ainsi, le dogme du “rôle dominant” des androgènes chez le mâle
n’est plus d’actualité, et il est clair que l’évolution finale de la maturité du spermatozoïde, par exemple, est en partie contrôlée par les estrogènes, dont la
source pourrait être le spermatozoïde lui-même (4), grâce à des récepteurs
membranaires (5).
L’aromatase est finalement une enzyme ubiquiste qui reste difficile à étudier
compte tenu de la présence de nombreux promoteurs (6), mais elle permet
la synthèse des estrogènes indispensables, parfois néfastes, à la physiologie
humaine.
À l’aube de ce nouveau millénaire, il est tentant de spéculer sur la part grandissante que vont prendre l’aromatase et les estrogènes (récepteurs) dans l’aide
au diagnostic, et le THS “estrogénique” pourra devenir envisageable chez
l’homme âgé (qualité de l’os et des vaisseaux) ou infertile (qualité du gamète
mâle)… mais les effets secondaires, sur la prostate en particulier, seront à prendre
en compte. Chez la femme, les pathologies liées aux estrogènes (cancers du
sein, endométriose, etc.) sont de mieux en mieux comprises, et l’utilisation des
inhibiteurs sélectifs de l’aromatase (article de S. Moslemi et G.É. Séralini)
semble très prometteuse compte tenu des nombreuses isoformes des récepteurs
aux estrogènes, pour lesquelles des inhibiteurs ne sont pas toujours disponibles.
S. Carreau
UPRES EA 2608-USC INRA “Estrogènes et reproduction”, université de Caen.
Références
1. Carreau S, Lambard S, Delalande C et al. Aromatase expression and role of estrogens in male gonad.
Reprod Biol Endocrinol 2003 ; 1 : 35-47.
2. Saunders PTK, Sierens JE, Groome NP, Miller MP. Récepteurs des œstrogènes dans le testicule et
l’appareil reproducteur du primate et de l’homme. Andrologie 2003 ; 13 (1) : 34-42.
3. Carreau S. Estrogens-male hormones ? Folia Histochem Cytobiol 2003 ; 41 (3) : 107-11.
4. Lambard S, Galeraud-Denis I, Bouraïma H et al. Expression of aromatase in human ejaculated
spermatozoa : a putative marker of motility. Mol Hum Reprod 2003 ; 9 : 117-24.
5. Luconi M, Forti G, Baldi E. Genomic and non-genomic effects of estrogens : molecular mechanism of
action and clinical implications for male reproduction. J Steroid Biochem Mol Biol 2002 ; 80 : 369-81.
6. Bourguiba S, Genissel C, Lambard S et al. Regulation of aromatase gene expression in Leydig cells
and germ cells. J Steroid Biochem Mol Biol 2003 ; 8 (3-5) (sous presse).
160
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 4, juillet/août 2003
Téléchargement