é c h o d e s c o n g r è s Congrès de l’American Heart Association (AHA) (1re partie) Dallas, 13-16 novembre 2005 Consultable sur notre site Internet : http://www.vivactis-media.com/congres2/aha2005 ■ J.P. Kevorkian* CAFE B. Williams et al. * Hôpital Lariboisière, Paris 156 Dans l’étude ASCOT (19 257 patients), les patients hypertendus à risque élevé (avec au moins trois facteurs de risque associés) traités par l’association amlodipine + périndopril avaient un meilleur pronostic que ceux traités par l’association aténolol + diurétique thiazidique. Tous les événements cardiovasculaires étaient significativement plus faibles dans le groupe amlodipine + périndopril, avec notamment une diminution de 24 % de la mortalité cardiovasculaire. La constatation de ces bénéfices avait conduit à l’arrêt prématuré de l’étude. De tels résultats étaient d’autant plus surprenants que les deux stratégies thérapeutiques avaient un effet similaire sur la baisse de la pression artérielle, évaluée par la classique mesure au bras. Il est possible que les deux modalités thérapeutiques exercent des effets différents sur la pression aortique centrale, ce qui expliquerait ce paradoxe. Cette hypothèse est testée dans CAFE (Conduit Artery Functional Evaluation) (2 199 patients), étude ancillaire d’ASCOT. Dans cette étude, la pression aortique centrale et l’onde de pouls aortique sont mesurées à partir de la forme de l’onde de pouls radial. Le traitement par aténolol s’accompagne d’une augmentation significative de la pression artérielle centrale par comparaison avec l’association amlodipine + périndopril. Cette différence est observée alors même que les chiffres de pression artérielle mesurée au bras sont identiques dans les deux groupes de traitement. Ce qui est suggéré, au travers de ces résultats, est que le bénéfice clinique de l’association amlodipine + périndopril observé dans l’étude ASCOT pourrait être lié à l’abaissement de la pression aortique centrale et de l’onde de pouls aortique. Cette étude remet potentiellement en question la mesure de la pression artérielle au bras pour juger du bénéfice éventuel d’un traitement antihypertenseur sur le pronostic cardiovasculaire. L’estimation de la pression aortique centrale pourrait être un critère de jugement (et de substitution) beaucoup plus précis que la pression artérielle au bras. Avec l’étude CAFE s’ouvre peut-être une nouvelle ère d’évaluation des traitements antihypertenseurs. JELIS M. Yokoyama et al. JELIS (the Japan Eicosapentaenoic Acid Lipid Intervention Study) est la première grande étude, prospective, randomisée, de prévention primaire et secondaire cardiovasculaire dans laquelle une statine seule est comparée à l’association d’une statine et d’un acide gras polyinsaturé de type oméga-3 (huile de poisson), l’acide eicosapentaénoïque (EPA). 18 645 patients japonais ont été traités par 1 800 mg/j d’EPA, dose utilisée au Japon depuis 1990 en prévention secondaire chez les artéritiques. L’âge moyen des patients est de 61 ans ; 31 % sont des hommes, 20 % sont fumeurs, 35 % sont hypertendus, 20 % ont des antécédents coronariens et 16 % sont diabétiques. Le taux plasmatique moyen de LDL-cholestérol (LDL-c) est de 1,8 g/l (7,2 mmol/l). Le critère principal de jugement est un critère composite associant mort subite, syndrome coronarien aigu et revascularisation myocardique. Après un suivi de plus de 4,5 ans, l’association statine + EPA est significativement plus efficace Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2005 que la statine seule pour réduire les événements cardiaques graves (2,8 % contre 3,5 %, – 19 % ; p < 0,05) (figure 1). Cet effet bénéfique repose principalement sur une réduction significative des syndromes coronariens aigus (1,6 % contre 2,1 %). L’analyse des sous-groupes de patients selon le niveau de risque (14 981 patients en prévention primaire, 3 664 patients en prévention secondaire) permet de montrer que ce sont les patients les plus à risque (prévention secondaire) qui tirent le plus de bénéfice de l’association statine + EPA. En prévention secondaire, l’association réduit significativement les événements du critère principal (8,7 % contre 10,7 %, – 19 %). En prévention primaire, l’association statine + EPA, malgré une tendance favorable, n’exerce pas d’effet significatif (1,4 % contre 1,7 %, – 18 % ; p = NS). Les taux plasmatiques de LDL -c, identiques en fin d’étude dans les deux groupes de traitement (– 26 %), ne permettent pas d’expliquer ces résultats. Il faut noter que l’effet de l’EPA est indépendant du niveau de LDL. Les hypothèses formulées par les auteurs font appel aux propriétés hypotriglycéridémiantes, antithrombotiques ou encore anti-inflammatoires de l’EPA. Lors de la discussion, l’existence d’un rôle protecteur important des EPA chez les fumeurs a été évoqué. En effet, on sait que le Japon est un pays où la consom- mation tabagique est importante. Un bon régime créto-japonais et ne pas fumer, tel est le secret de la longévité ! Poissons crus, fruits, légumes, pourpier et une bonne rasade d’huile d’olive première pression à froid pour tout le monde ! Mmm, on en salive déjà... FIELD A. Keech et al. L’étude FIELD était probablement l’une des études les plus attendues de ce congrès de l’AHA 2005. Les recherches sur les statines se sont largement intéressées à la population des diabétiques, et il paraissait important qu’une étude prospective de morbimortalité à grande échelle concernant l’utilisation des fibrates chez les diabétiques soit réalisée. Soixante-trois centres en Australie, NouvelleZélande et Finlande ont participé à cet essai (tableau I). Après une période de sélection, 9 795 diabétiques en prévention primaire ou secondaire ont été randomisés entre un traitement par fénofibrate 200 mg/j ou un placebo. La durée du suivi a été fixée à 5 à 7 ans, de façon à atteindre plus de 500 événements. Le critère primaire de l’étude était très exigeant, puisqu’il s’agissait d’un critère composite Tableau I. Étude FIELD : caractéristiques de la population. Placebo Fénofibrate n = 4 900 n = 4 895 62 ans 62 ans Âge ≥ 65 ans 41 % 40 % Femmes 37 % 37 % Tabagisme actif 9% 9% Durée moyenne du diabète 5 ans 5 ans HbAIc 6,9 % 6,9 % Hypertension 56 % 57 % Événements coronariens majeurs (%) 4 Âge au screening – 19 % 3 Statine Statine + EPA 2 1 Risque relatif : 0,81 (0,69-0,95) p = 0,011 0 0 1 2 3 4 5 Années Figure 1. Étude JELIS : événements coronariens majeurs. Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2005 Pression artérielle systolique 141 mmHg 140 mmHg Pression artérielle diastolique 82 mmHg 82 mmHg 157 Changement par rapport à l'inclusion (%) é c h o d e s 10 HDL-c 5 0 -5 LDL-c Cholestérol total -10 -15 -20 -25 TG -30 HDL-c LDL-c -35 0 1 2 Années Cholestérol total TG Fin d’étude Figure 2. Évolution des paramètres lipidiques dans l’étude FIELD. Événements (%) 15 Risque relatif : 0,89 IC95 = 0,75-1,05 p = 0,16 Placebo Fénofibrate 10 5 0 0 1 2 3 Années 4 5 6 Figure 3. Étude FIELD : événements coronariens (IDM non mortels, décès d’origine coronaire). 15 Événements (%) Placebo Fénofibrate 10 IDM non mortels Risque relatif : 0,76 p = 0,2 5 Mortalité d'origine coronaire Risque relatif : 1,19 p = 0,2 0 0 1 2 3 Années 4 Figure 4. Étude FIELD : événements coronariens. 158 5 6 c o n g r è s associant décès et infarctus non fatal. Des critères secondaires ont également été étudiés, notamment les événements cardiovasculaires globaux, l’évolution de la fonction rénale, etc. Les caractéristiques de la population sont détaillées dans le tableau I. Le traitement par fénofibrate a permis de diminuer de façon importante les triglycérides TG et le LDL-c et d’augmenter le HDL-c, lequel ne reste toutefois pas stable tout au long de l’étude (figure 2). Après un suivi de 6 ans, il existe une différence non significative concernant l’objectif primaire de l’étude - RR : 0,89 (0,75-1,05) (p = 0,16) (figure 3). L’analyse séparée de chacun des événements du critère primaire montre (figure 4) : – une diminution significative de la survenue des infarctus sous fénofibrate (RR : 0,76 ; p = 0,01) ; – une absence de différence significative concernant la mortalité (RR : 1,19 ; p = 0,20). Le niveau de triglycérides n’influence pas le bénéfice alors que le traitement est plus efficace chez les patients ayant un HDL -c inférieur à 0,4 g/l. Le traitement par fénofibrate est plus efficace en prévention primaire qu’en prévention secondaire, chez les patients de moins de 65 ans par rapport aux patients plus âgés, et il diminue significativement la fréquence des revascularisations coronaires. En outre, il a diminué de façon significative les hospitalisations pour angor instable et les amputations. Enfin, concernant la microangiopathie, le fénofibrate a un effet favorable sur la microalbuminurie et sur la nécessité de réaliser un traitement par laser rétinien. Alors qu’aucun patient n’était traité par statine au début de l’étude, le traitement par placebo s’est accompagné d’une prescription beaucoup plus importante de statines (8 % dans le groupe fénofibrate, contre 17 % dans le groupe placebo). La tolérance du traitement a été excellente, puisque le pourcentage d’arrêt a été similaire dans le groupe fénofibrate et dans le groupe placebo. Des taux de créatinine phosphokinase (CPK) de 5 à 10 fois la normale ont été répertoriés dans 0,1 % des cas dans le groupe placebo et dans 0,2 % des cas dans le groupe fénofibrate. Des CPK 10 fois supérieurs à la normale ont été retrouvés dans moins de 0,1 % des cas dans les deux groupes. Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2005 En conclusion, le traitement par fénofibrate chez les patients diabétiques permet clairement de diminuer la survenue d’infarctus du myocarde, mais pas celle des décès. Pour les auteurs, l’absence de positivité du critère combiné pourrait s’expliquer par la prescription beaucoup plus large de statines dans le groupe placebo (plus de deux fois plus de statines dans le groupe placebo), qui aurait pu masquer une réduction du risque de 17 à 20 %. Une analyse tenant compte de ce biais est détaillée dans le tableau II. Si les statines ont fait la preuve de leur efficacité chez les diabétiques, l’association à un fibrate pourrait permettre potentiellement une diminution encore plus importante de la survenue de nouveaux cas d’infarctus. Dès lors que l’association statine + fibrate a été bien tolérée dans cette étude (probablement en raison de la pharmacocinétique propre du fénofibrate), une association fénofibrate + statine doit être étudiée chez les diabétiques et fait l’objet d’une étude qui sera présentée en 2009 (bras lipidique de l’étude ACCORD). Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2005 159 Tableau II. Analyse du bénéfice du traitement par fénofibrate intégrant le biais de la mise sous statine. Effet du traitement par fénofibrate Réduction du risque relatif (IC 95) p Événements cardiovasculaires – non ajustés – ajustés à l’utilisation de statines 11 % (5-25) 19 % (4-32) 0,16 0,01 Événements cardiovasculaires totaux – non ajustés – ajustés à l’utilisation de statines 11 % (1-20) 15 % (5-24) 0,035 0,004