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n dépit des progrès accomplis au cours des quinze
dernières années avec l’introduction des inhibiteurs
de l’enzyme de conversion (IEC) et des bêtabloquants,
la mortalité et la morbidité de l’insuffisance cardiaque chronique
demeurent élevées et l’amélioration de cette situation par de nou-
velles stratégies thérapeutiques constitue une priorité.
Le bénéfice apporté par les statines sur une large population de
patients à haut risque cardiovasculaire n’est plus à démontrer. Il
n’en va pas de même dans la population de patients atteints d’une
insuffisance cardiaque symptomatique et, de fait, les grandes
études pionnières telles que 4S, CARE ou LIPID ont en général
exclu ce type de patients. Ainsi, l’analyse des grands essais
conduits avec les statines ne permet pas de savoir si l’utilisation
de cette classe apporte un bénéfice ou non chez les patients avec
une insuffisance cardiaque à fonction systolique altérée. Cette
explication traduit le silence des recommandations de la Société
européenne de cardiologie sur la prise en charge de l’insuffisance
cardiaque chronique à cet égard.
Les bénéfices potentiels de l’utilisation des statines dans l’in-
suffisance cardiaque sont multiples : en particulier, la réduction
des événements ischémiques aigus, à l’origine de morts subites
ou d’infarctus du myocarde, dont on connaît la sous-évaluation
dans le cours évolutif de l’insuffisance cardiaque, et la réduction
d’autres complications vasculaires telles que la survenue d’acci-
dents vasculaires cérébraux. Si l’on se souvient que l’étiologie
ischémique représente souvent les deux tiers de l’ensemble des
insuffisances cardiaques, il y a donc un intérêt potentiel à béné-
ficier de l’effet de stabilisation de la plaque et de réduction des
lipoprotéines assuré par les statines. En outre, celles-ci, par leur
effet pléiotrope, sont susceptibles d’inhiber les cytokines pro-
inflammatoires, d’améliorer la production endothéliale de N0 et
de favoriser la néoangiogenèse. D’autres travaux suggèrent une
régulation vers le bas des récepteurs AT1, une réduction de l’hy-
pertrophie ventriculaire gauche, une évolution favorable du remo-
delage dans le postinfarctus. Il existe donc un ensemble d’argu-
ments scientifiques en général fondés sur de petites études expé-
rimentales pour penser que l’utilisation d’une statine peut être
bénéfique dans l’insuffisance cardiaque.
À l’inverse, d’autres arguments plaident en faveur d’un effet
potentiellement délétère : la réduction des concentrations de
LDL-cholestérol peut entraîner une diminution de la neutralisa-
tion des cytokines inflammatoires et des endotoxines qui pénè-
trent dans la circulation via l’intestin, notamment au cours de
l’insuffisance cardiaque avancée. De plus, les statines inhibent
la synthèse de mévalonate et dépriment la production d’ubiqui-
none, coenzyme Q10, composant essentiel de la chaîne respira-
toire mitochondriale nécessaire à la production d’ATP. La coen-
zyme Q10 ayant également des propriétés antioxydantes et
stabilisatrices de membrane, l’inhibition de cette voie peut éga-
lement avoir des effets potentiellement défavorables.
Les données objectives sur l’effet des statines dans l’insuffisance
cardiaque demeurent fragmentaires : l’analyse rétrospective de
l’étude 4S a suggéré que la proportion d’apparition de nouveaux
cas d’insuffisance cardiaque et la mortalité en cas de survenue
d’une insuffisance cardiaque étaient réduites chez les patients
traités par statine. De même, dans une étude conduite à partir de
l’étude PRAISE, qui testait, dans l’insuffisance cardiaque sévère,
l’intérêt de l’amlodipine, une réduction de mortalité importante,
de l’ordre de 40 %, a été observée dans le petit groupe traité par
statine lors de la randomisation. Cependant, les effectifs réduits
de cette sous-étude doivent conduire à la plus grande prudence
dans l’interprétation des résultats. Récemment, une analyse de
l’étude ELITE II, qui comparait le losartan au captopril, a mon-
tré que, parmi les facteurs indépendants prédictifs de mortalité,
l’existence d’un traitement par statine réduisait le risque de décès
de 30 %. De même, dans une étude dite “des 5 centres”, S. Anker
a montré que la prescription de statines est un facteur de protec-
tion de la mortalité, avec une réduction du risque de 45 %. La
protection était observée principalement chez les patients ayant
une étiologie ischémique, tandis que, chez les patients ayant une
étiologie non ischémique, il n’y avait pas de réduction de risque
sous simvastatine pour les patients de classe NYHA I et II.
La Lettre du Cardiologue - n° 394 - avril 2006
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ÉDITORIAL
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M. Komajda*
* Département de cardiologie, CHU de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
Traitement de l’insuffisance cardiaque
chronique par les statines : question
clinique pertinente ou curiosité scientifique ?
Statins in heart failure: true clinical question or simple scientific curiosity?