Actualités Historique Toxine botulique et douleur

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Actualités
T. Debaisse*
Historique
Toxine botulique et douleur
Fin du XVIIIe siècle : le botulisme
estconnu comme une affection
mortelle.
◗ 1897 : le Clostridium botulinium est
l’agent bactérien responsable par sa
toxine.
◗ 1946 : purification et cristallisation
de neurotoxine A (TB).
◗ 1949 : la TB bloque la conduction
neuromusculaire.
◗ 1950 : la TB réduit l’activité des
fibres musculaires hyperactives.
◗ 1973 : usage de TB pour le strabisme
chez l’animal.
◗ 1977 : usage de TB pour le strabisme
chez l’enfant.
◗ 1984 : première commercialisation
de la TB aux États-Unis.
◗ 1986 : essai en double aveugle dans
la dystonie cervicale.
◗ 1987 : essai en double aveugle dans
la dystonie focale.
◗ 1991 : essai en double aveugle dans
la dysphonie spasmodique.
◗ 1993 : TB dans les céphalées de
tension.
◗ 1998 : TB dans la migraine.
La TB peut être utile lorsque la
douleur est associée à d’autres phénomènes pathologiques (dystonie) ou en
est la conséquence (spasticité). On
découvre toutefois son utilité même
dans le cas de douleur isolée, où elle
constitue la plainte principale
(céphalée de tension). Voici quelques
phénomènes douloureux accessibles à
la TB (même s’ils n’ont pas tous reçu
l’AMM) :
◗ dystonie et douleur ;
◗ spasticité et douleur ;
◗ céphalée de tension ;
◗ migraine ;
◗ douleur faciale ou oro-faciale ;
◗
céphalée projetée (d’origine
cervicale) ;
◗ lombalgie d’origine musculaire
(lumbago) ;
◗ douleur et troubles sphinctériens
(fissure anale) ;
◗ douleur liée à une hypercontraction
musculaire.
◗
* Après avoir présenté une thèse sur
l’association de SEP et de polyradiculonévrite chronique, Tayssir Debaisse a été
assistant des hôpitaux dans le service de
neurologie de l’hôpital intercommunal
de Créteil. Ses principaux pôles d’activité concernent la SEP, les traitements
par la toxine botulique (indications
conventionnelles et innovatrices, spasticité), les céphalées de tension et certains
phénomènes douloureux d’origine
musculaire. Depuis janvier 2002, il
partage son temps entre une activité
libérale et hospitalière.
Douleur associée
à d’autres phénomènes
Douleur et dystonie
Définies comme des contractions
musculaires involontaires soutenues et
responsables de postures particulières,
les dystonies peuvent être plus ou
moins focales ou généralisées. Il s’agit
d’affections singulièrement handicapantes par leur aspect physique et
social. Souvent sous-estimée, la
douleur ajoute une souffrance qui
compromet sévèrement la prise en
charge. Elle est fréquemment associée
à des dystonies focales, comme le
C
onsidérée autrefois comme
la substance la plus
toxique au monde, la
toxine botulique (TB) se présente
actuellement sous un jour plus
engageant. Depuis environ deux
décennies, son usage médical a
gagné une extension importante
qui aurait révolutionné certains
domaines médicaux comme le
traitement de la dystonie et, plus
récemment, de la spasticité.
D’autres domaines attendent
encore la validation de quelques
essais cliniques, c’est le cas de la
douleur.
bruxisme et le torticolis cervical
(tableau I). Décrite souvent sous forme
de crampes musculaires concomitantes
des phénomènes dystoniques, cette
douleur est particulièrement gênante et
mal soulagée par les antalgiques
habituels. Le recours aux injections de
TB est parfois indispensable ; il permet
d’améliorer aussi bien la composante
douloureuse que la dystonie (figure 1).
Tableau I. Phénomènes douloureux qui
pourraient bénéficier des injections de TB.
Pathologie
Dystonies
– bruxisme
– torticolis cervical
– crampe de l’écrivain
– blépharospasme
– hémispasme facial
Spasticité
– pathologique
– contraction néfaste
Céphalée
– migraine
– céphalée de tension
– projetée (cervicale)
Douleur
Liée
Associée
+++
++
++
+/+
+
++
++
++
+
+
++
++
++
+
+
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Actualités
Toxine botulique et douleur
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Dans une étude sur le traitement de la
dystonie cervicale par injections de
TB, Brind et al. (1987) rapportent une
amélioration des troubles moteurs chez
64 % des patients et une diminution de
la douleur chez 74 % des mêmes
patients. Jedynack, dans une série de 36
patients traités par TB pour un torticolis
cervical, rapporte des résultats proches
de ceux de l’étude de Brind.
Actualités
Actualités
106 patients injectés
102 patients sélectionnés
Baseline : 1re évaluation
16 migraines
probables selon IHS
77 migraines
vraies selon IHS
9 patients non
migraineux exclus
Période de 6 semaines
Réévaluation de la migraine : intensité et fréquence
Composante
douloureuse
Composante
psychologique
Dystonie
TB
Composante
dystonique
Figure 1. Efficacité de la TB sur le cercle
vicieux de la dystonie : une action
antidystonique et antidouloureuse.
Douleur et spasticité
Les injections de TB peuvent soulager
certains phénomènes douloureux liés
(ou associés) à la spasticité quelle que
soit son origine, pathologique
(pyramidale ou extrapyramidale) ou
tout simplement une hypercontraction
musculaire néfaste et non souhaitable.
L’amélioration de ces douleurs
permet, en cas de spasticité pathologique séquellaire, un meilleur gain
fonctionnel. Dans ce registre, la TB
améliore les contractions parasites et
irrépressibles, survenant souvent au
repos et même lors des stimulations
externes légères. Ces contractions
désagréables, voire douloureuses,
peuvent
réveiller
le
patient
lorsqu’elles surviennent pendant le
sommeil.
Act. Méd. Int. - Neurologie (3) n° 4, avril 2002
30 %
amélioration partielle*
46 %
amélioration complète**
23 %
sans amélioration
Figure 2. Résumé de l’étude rétrospective de Binder et al. sur les injections de la TB
chez les migraineux.
* Amélioration supérieure à 50 % de l’intensité et de la fréquence des crises de migraine.
** Disparition des crises céphalalgiques.
Toxine botulique et céphalées :
un nouvel espoir
Début de l’histoire, en rétroscope
C’est à W. Binder, un ORL, que nous
devons cette nouvelle méthode thérapeutique dans le traitement de
certaines formes de céphalées.
Incidemment, au début de cette
dernière décennie, il a constaté que les
patients migraineux, injectés à la TB
dans les muscles péricrâniens pour des
raisons cosmétiques, ont remarqué
une nette amélioration de leur
migraine. Cette constatation d’apparence anodine a provoqué la curiosité
de W. Binder, qui n’a pas manqué d’en
faire part à ses collègues et même de
Tableau II. Historique de quelques études concernant l’application de la TB dans la
douleur.
Auteurs
Année
Type de douleur
Clark et al.
Zwart et al.
Krack et al.
Hobson et Gladish
Relja
Binder et al.
Johnstone et Adler
Wheeler
Relja
Thomas
Leslie et al.
1993
1994
1995
1997
1997
1998
1998
1998
1999
2000
2000
Céphalée projetée d’origine oro-faciale
Céphalée de tension
Céphalée de tension
Céphalée projetée d’origine cervicale
Céphalée de tension
Migraine
Céphalée associée de blépharospasme
Céphalée de tension
Céphalée de tension, étude en double aveugle
Prévention de la migraine, étude en double aveugle
Douleur du bas du dos d’origine musculaire
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mener une étude rétrospective à ce
propos. Ainsi, parmi 106 patients
injectés, 102 (dont 13 avaient reçu un
traitement antimigraineux) ont été
suivis pour étudier l’effet préventif de
la TB sur leur migraine (figure 2).
Bien qu’il s’agît d’une étude rétrospective dont la crédibilité méthodologique reste limitée, ces résultats
n’étaient pas inintéressants. Elle a
ouvert un nouvel horizon dans le
traitement des céphalées et suscité
d’autres essais en double aveugle
(tableau II). En conclusion, selon cette
étude, les injections de TB peuvent
avoir un rôle préventif – et non curatif –
dans certaines formes de migraine.
TB et migraine : prévenir sans
guérir
Reposant sur plusieurs travaux récents
comme les essais de Binder et al.
(1998), et Thomas (2000), l’usage de
la TB peut avoir un effet préventif sur
les crises migraineuses. Le plus
souvent, il s’agit de crises épisodiques, avec ou sans aura, de
fréquence moyenne (2 à 5 par mois) et
d’intensité souvent sévère. Les sites et
la dose optimale des injections sont
variables selon la topographie de la
migraine. Dans la plupart des cas, ce
sont les muscles frontaux, temporaux,
occipitaux et même périorbitaux qui
sont sollicités. Selon les résultats de
ces essais, les injections de TB
peuvent améliorer le schéma évolutif
de la migraine en quantité et en
qualité. Ainsi, après injection de TB
dans le bon endroit, certaines crises
peuvent être décapitées et celles qui
surviennent seront moins sévères.
Cette amélioration est transitoire, sur
2 à 3 mois, ce qui nécessite une prise
en charge séquentielle à long terme.
Quoi qu’il en soit, cette nouvelle
méthode thérapeutique, peu contraignante et sans danger, ouvre un
horizon prometteur devant la prise en
charge de la migraine. Il va sans dire
que cette méthode a besoin d’une
validation scientifique pour l’avenir.
Cela va libérer les migraineux des
prises quotidiennes de médicaments.
TB et céphalée de tension : effet
presque garanti quand c’est
nouveau
Sans être pour autant de diagnostic
facile à confirmer, la céphalée de
tension est parfois diagnostiquée, à
tort, en tant que crise de migraine. Or,
ce type de céphalée est peu sensible
aux antalgiques habituels et l’usage
abusif des antimigraineux peut avoir
des conséquences fâcheuses. Les
myorelaxants habituels semblent
répondre, par principe de mécanisme,
à ce genre de céphalée, mais leurs
effets secondaires généraux en
limitent largement la prescription.
Que faire, alors ? Prendre son mal en
patience et gâcher son week-end ?
Surtout pas ! En effet, le recours aux
injections de TB peut apporter une
bonne solution. Sans être contraignantes ni dangereuses, ces injections
soulagent le patient pour une période
de 2 à 4 mois environ, ce qui constitue
déjà un bon compromis.
On suppose que, par son action
myorelaxante, la TB entraîne un
relâchement musculaire local qui
empêche toute contraction néfaste à
l’origine de maux de tête par projection.
La technique d’injection employée, la
dose optimale injectée et la fréquence
des injections sont proches de celles
pratiquées dans la migraine, et à
préciser au cas par cas (figure 3).
Malheureusement, lorsqu’il s’agit de
céphalée
chronique
prolongée
(évoluant depuis plus de 5 ans), cette
technique peut échouer en raison de
l’existence d’une origine multifactorielle de cette céphalée (voir “Les
échecs thérapeutiques”).
TB et céphalée projetée
On définit comme céphalée projetée
celle qui résulte d’une origine extracrânienne. Dans l’immense majorité
des cas, il s’agit de céphalée secondaire à des contractions des muscles
cervicaux ou faciaux, cette contraction
pouvant être pathologique, liée à une
Céphalée
de tension
Muscles
frontaux+++
6
Actualités
Actualités
7
2
12
3
Muscles temporaux
Migraine++
5
13
1
4
11
Splénium+
8
9
10
Figure 3. Sites à injecter en cas de
migraine ou céphalée de tension.
affection précise : post-traumatique,
dystonie ou, tout simplement, une
contraction bénigne essentielle (torticolis). Ainsi, certains auteurs n’hésitent pas à employer des termes ésotériques, comme céphalée cervicogénique
ou algie orofaciale, pour déterminer ce
type de céphalée.
Les injections de TB dans les muscles
contractés améliorent sensiblement ce
type de céphalée. Le recours à des
moyens électrophysiologiques (EMG)
est parfois nécessaire afin de préciser
les muscles hyperactifs.
Toxine botulique et mal du
siècle (lumbago) : c’est
délicat
L’application des injections de TB
semble être rentable dans certains cas
de lumbago chronique lié à une
contraction excessive non souhaitée
des muscles paravertébraux. Cette
hyperactivité musculaire peut être
associée à d’autres pathologies du
rachis vertébral. Quoi qu’il en soit, un
bilan étiologique exhaustif s’impose.
Plusieurs essais thérapeutiques ont
tenté délicatement de prouver l’efficacité de la TB dans la prise en charge de
la lombalgie chronique d’origine
musculaire. Le dernier était le travail de
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Leslie, présenté à l’AAN à San Diego.
Il a pu démontrer un soulagement
significatif de la douleur, associé à un
gain fonctionnel important chez
certains patients souffrant de lumbago
et traités par les injections de TB.
libération
d’autres
substances
neuroactives impliquées secondairement dans la migraine. Il s’agit
vraisemblablement des agents qui
participent à la composante inflammatoire extracrânienne de la migraine.
Mécanisme d’action de la
toxine botulique dans
la douleur et la migraine
Les échecs thérapeutiques
Outre son impact neuromusculaire, la
TB possède d’autres sites d’action.
Dans la migraine, les choses semblent
plus compliquées, mais, de la même
façon, la TB peut inhiber certains
signaux afférents, conduisant ainsi à
une diminution des stimulations des
récepteurs nociceptifs du trijumeau au
tronc cérébral.
La TB peut également exercer un effet
direct sur les nerfs sensitifs transportant des stimuli douloureux. Ainsi, en
bloquant la sécrétion de l’acétylcholine (Ach), la TB peut inhiber la
Leurs causes sont nombreuses :
◗ causes techniques liées à l’injection
ou à la dose : sélection erronée du site
de l’injection, dose de toxine insuffisante ;
◗ formation des anticorps rendant le
produit inefficace ;
◗ en cas de contraction musculaire
excessive, chronique et douloureuse,
les injections de TB risquent d’être
inefficaces. L’existence des substances
toxiques et des phénomènes ischémiques à l’intérieur des muscles
hyperactifs, liée à la chronicité de la
douleur, joue un rôle favorisant dans
l’entretien de cette douleur. Ainsi, un
circuit vicieux peut alors se former,
compromettant la prise en charge.
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EPITOMAX
Références
◗ Brin MF. Botulinum Toxin for headache :
data and review. The use of Botulinum
Toxin type A for headache management.
New York, 1999.
◗ Binder W, Brin MF, Blitzer A et al.
Botulinum Toxin type A (BTX-A) for
migraine : an open label assessment. Mov
Disord 1998 ; 13(suppl. 2) : 241.
◗ Maja Relja MD. Botulinum Toxin type A
in the treatment of tension-type headache.
Department of Neurology, University of
Zagreb, Croatia.
◗ Brin MF. Botulinum Toxin : new and
expanded indications. Eur J Neurol 1997 ;
4 : 59-66.
◗ Hobson DE, Gladish DF. Botulinum
Toxin injection for cervicogenic headache.
Headache 1997 ; 37 : 253-5.
◗ Zwart JA, Bovin G, Sand T, Sjaastad O.
Tension headache : Botulinum Toxin
paralysis of temporal muscles. Headache
1994 ; 34 : 458-62.
◗ Leslie F, Larry C, Marleigh E et al.
Botulinum Toxin A and mechanical low
back pain. (P03.053) 2000, San Diego,
États-Unis.
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