Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 4, avril 2002 68
Vie professionnelle
Sans doute le temps des mystères ou de
l’ignorance entretenue doit-il prendre
fin. Mais, pour l’essentiel, la page était
– heureusement – tournée. La loi
ancienne, à savoir l’accès au dossier
médical par l’intermédiaire d’un méde-
cin librement choisi, avait fait la preuve
de sa pertinence. Le patient pouvait dis-
poser de toute l’information, mais celle-
ci n’était pas donnée à l’état brut. Elle
était nécessairement accompagnée du
commentaire médical, de l’explication
rendant le fait compréhensible… et
ainsi l’information utile. Le système
fonctionnait très bien, pour peu qu’il fût
mis en œuvre avec un minimum de
bonne volonté. Bref, était-il vraiment
nécessaire de changer la loi ? On peut
en douter, ce d’autant plus qu’en réa-
lité, ce qui semblait en cause était moins
l’accès au dossier médical que l’exis-
tence, au jour le jour, d’une relation
confiante et respectueuse de nature à
gérer l’anxiété, si ce n’est l’angoisse,
devant la maladie. Il s’agissait moins de
pouvoir lire des mots ou des chiffres que
d’entendre une parole.
Cela étant, la loi nouvelle est là, et la
question est désormais de l’appliquer
avec intelligence. Le texte est explicite
mais laisse une large place à l’interpré-
tation. Ainsi, la loi sera d’abord ce que
l’on en fera. Quelques points de repère
peuvent être proposés.
Si le patient peut accéder directement
à son dossier, le système ancien, soit
l’accès par l’intermédiaire d’un méde-
cin, est maintenu. Les médecins sont,
auprès des patients, les premiers dis-
pensateurs… de l’information juridique
sur leurs droits, et ils doivent veiller à
en défendre une vision équilibrée.
Conforter la place centrale du médecin
dans la relation de soin ne constitue pas
exactement une atteinte aux droits de
l’homme…
La loi retient pour exception les soins
en santé mentale, lorsqu’il s’avérerait
qu’une consultation du dossier sans
accompagnement ferait courir un risque
au patient. Solution pleine de bon sens,
mais dont il sera difficile de définir le
champ d’application. Quid face à un état
dépressif dû à la confrontation avec une
maladie somatique grave ?
La déontologie fait obligation au
médecin de différer l’annonce d’un dia-
gnostic ou d’un pronostic grave, si cette
annonce est de nature à nuire aux inté-
rêts du patient. Cette règle, dont le bien-
fondé a récemment été rappelé par la
Cour de cassation, peut-elle être remise
en cause par l’accès direct au dossier ?
Rien n’est acquis. Une lecture juridique
stricte donne prévalence à la loi sur le
code de déontologie, mais un tribunal
pourrait-il sanctionner le souci de pro-
téger l’intérêt du patient ? Et que faire
face à un diagnostic incertain ?
Ce que chacun redoute, c’est que, pour
éviter ce type de difficultés, on en
vienne à la pratique de dossiers réduits
au strict minimum : plutôt ne pas écrire
que prendre le risque d’être démenti ou
mis en contradiction ; plutôt ne rien
écrire que faire état d’éléments incer-
tains. Ce serait une dérive et une régres-
sion. Alors, tentons quelques idées.
La loi définit un cap, mais laisse une
large marge dans la mise en œuvre. Les
professionnels de santé doivent – et très
rapidement – proposer par des travaux,
des publications, des conférences de
consensus, un contenu pour les pra-
tiques nouvelles. Ce travail de réflexion
et d’élaboration est le meilleur moyen
de se prémunir de réglementations
tâtillonnes ou de jurisprudences impré-
visibles. C’est le moyen de défendre une
déontologie praticienne.
La démarche doit reposer sur un prin-
cipe clair, à savoir que la confiance doit
l’emporter sur la transparence. Or, à
trop mettre l’accent sur la transparence,
on risque d’induire l’idée d’une
méfiance.
La question devient alors de définir
le contenu du dossier directement
accessible. Passé un certain seuil, l’in-
formation est suffisamment établie sur
le plan scientifique pour être affirmée :
elle doit figurer dans le dossier. Mais,
avant d’atteindre ce seuil, il ne s’agit
que d’une hypothèse, d’une piste de tra-
vail. Il est nécessaire que le médecin,
dans le cadre de sa démarche et de celle
de l’équipe, puisse garder la trace de ces
pistes, sans que ces éléments, non véri-
fiés, soient directement accessibles au
patient, car ils seraient déstabilisateurs.
La loi est respectée : le patient a accès
aux informations concernant sa santé et
Gérer l’accès direct
au dossier médical :
le laboratoire de la confiance
G. Devers*
oute personne a
accès à l’ensemble
des informations
concernant sa santé détenues
par les professionnels de
santé.” L’accès direct au dos-
sier médical est à n’en pas
douter un des points phares
de la loi nouvelle sur les droits
des malades. Cette réforme
était demandée avec insistance
par les patients, ou ceux qui
s’expriment en leur nom. Elle
l’était aussi par certains
acteurs de santé, médecins ou
administrateurs, sur le thème :
nous n’avons rien à cacher,
jouons la transparence.
“T
* Avocat au Barreau de Lyon.
Chronique du droit
Progresser suppose puiser
dans les leçons du passé et
savoir tirer la substantifique
moelle des expériences
qui ont fait leur preuve.
S’agissant de la lutte contre
les infections nosoco-
miales, le CLIN s’est révélé
un outil pertinent. Face au
phénomène nouveau et
inquiétant qu’est l’inflation
des circulaires, le temps est
venu de répliquer par la
création d’un CLIC : comité
de lutte contre l’inflation
des circulaires.
La vigilance est d’autant
plus nécessaire que l’enne-
mi est un faux-ami, et qu’il
avance masqué. Faux-ami,
car les circulaires sont
lisibles, alors que les textes
de droit ont trop souvent
besoin d’être traduits en
français. Ennemi masqué,
parce que la circulaire, qui
ne devrait être qu’explica-
tive du droit, se révèle
créatrice de droits : per-
dues au sein des explica-
tions, certaines données
nouvelles peuvent devenir
normatives si elles relèvent
de la compétence de l’au-
torité signataire.La circu-
laire interprétative devient
réglementaire. Traçabilité
douteuse…
Mais les circulaires souf-
frent aussi d’une perver-
sité structurelle, patholo-
gie lourde et invalidante.
Opposées aux sujets non
préparés que sont les
acteurs de santé, elles
génèrent des effets confu-
sionnels : les circulaires
sont prises pour la loi, et le
faux-ami/ennemi masqué
encourage à des pratiques
morcelées qui ignorent ce
qu’est l’esprit de la loi. Le
droit n’est pas un amoncel-
lement de textes, mais un
raisonnement fondé sur
des principes, ces principes
reposant sur des valeurs
identifiables, défendues, car
elles sont les clés de la
cohésion sociale. Les vic-
times des circulaires souf-
frent alors de désorienta-
tion juridico-spatiale et
finissent par avoir peur de
tout… jusqu’à leur ombre.
Le traitement ? Rigoureux,
accompagné d’une prise
en charge de la douleur :
une fine analyse clinique,
un rapide retour à une
bonne hygiène de vie juri-
dique, sans doute quelques
gestes chirurgicaux, avec
une anesthésie qui ne sera
pas que locale… et un
soutien psychologique pour
permettre un travail d’éla-
boration. Mais il faudra
aussi une action concertée
et inscrite dans la durée,
fédérant les compétences,
capable de conduire une
politique de vigilance : ce
sera l’objet du CLIC.
Le CLIC aura une double
mission : prévention et
prophylaxie ; et un impéra-
tif : lutter contre l’inflation
avant qu’elle ne devienne
une infection. Un travail
considérable attend le
CLIC, mais ce travail
repose sur une conviction :
le droit est insupportable
quand il est réduit aux
fonctions d’utilité. Ce qui
est attendu, c’est un droit
de repères et non de
recettes. L’écran des circu-
laires conduit à oublier l’es-
sentiel. Le droit – le vrai
droit – et la médecine
répondent à des logiques
convergentes car centrées
sur le respect de la per-
sonne. Les formalités doi-
vent céder devant la sincé-
rité : le droit est d’abord un
phénomène culturel.
Nous sommes nombreux
à attendre, avec impatien-
ce, la première réunion du
CLIC.
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Vie professionnelle
Chronique du droit
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 4, avril 2002
non aux interrogations du médecin.
L’art médical est fait de technique et
d’humanité. Il comporte sa part d’in-
terrogation, et le médecin doit défendre
sa gestion du doute. C’est bien parce
qu’il est capable d’analyse qu’il est
digne de confiance. Le médecin a
besoin d’un laboratoire, d’un lieu hors
d’accès où il puisse, dans la sérénité,
nourrir sa réflexion et préparer sa déci-
sion. Et défendre l’intérêt du malade,
mais aussi respecter sa personnalité,
c’est lui dire qu’il n’a pas accès à ce
laboratoire. La porte peut d’autant
mieux rester fermée que les informa-
tions scientifiquement établies lui
seront données rapidement et en toute
franchise. Et moins en réclamant son
dossier par voie d’huissier que par la
voix confiante de ce confident qu’est le
médecin, les yeux dans les yeux.
Quelle place, alors, pour la loi nou-
velle ? Pour le patient, une garantie : en
définitive, il pourra tout savoir. Pour le
médecin, une occasion de rappeler l’hu-
milité qu’impose la maladie ; que, s’il
doit combattre les mystères, il peut
avoir à défendre le secret.
Le débat s’ouvre. Il revient aux méde-
cins de s’en saisir pour baliser ce
domaine qu’ils connaissent si bien.
Après le CLIN, le CLIC
Conseil d’État, Assemblée,
29 janvier 1954, Institution
Notre-Dame du Kreisker, Les Grands
Arrêts de la jurisprudence
administrative, 11eédition, 1996,
85, p. 503. G. Devers
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