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Gérer l’accès direct au dossier médical :
le laboratoire de la confiance
● G. Devers*
“Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues par les professionnels de santé.” L’accès
direct au dossier médical est, à n’en pas douter, l’un des points phares de la loi nouvelle sur les droits des malades. Cette réforme
était demandée avec insistance par les patients, ou par ceux qui s’expriment en leur nom. Elle l’était aussi par certains acteurs
de santé, médecins ou administrateurs, sur le thème : nous n’avons rien à cacher, jouons la transparence.
ans doute le temps des mystères ou de l’ignorance
entretenue doit-il prendre fin. Mais, pour l’essentiel, la page était – heureusement – tournée. La loi
ancienne, à savoir l’accès au dossier médical par l’intermédiaire d’un médecin librement choisi, avait fait la preuve de sa
pertinence. Le patient pouvait disposer de toute l’information,
mais celle-ci n’était pas donnée à l’état brut. Elle était nécessairement accompagnée du commentaire médical, de l’explication rendant le fait compréhensible… et, ainsi, l’information
utile. Le système fonctionnait très bien pour peu qu’il fût mis
en œuvre avec un minimum de bonne volonté. Bref, était-il
vraiment nécessaire de changer la loi ? On peut en douter, et
ce d’autant plus que, en réalité, ce qui semblait en cause était
moins l’accès au dossier médical que l’existence, au jour le
jour, d’une relation confiante et respectueuse, de nature à gérer
l’anxiété, si ce n’est l’angoisse devant la maladie. Il s’agissait
moins de pouvoir lire des mots ou des chiffres que d’entendre
une parole.
Cela étant, la loi nouvelle est là, et la question est désormais
de l’appliquer avec intelligence. Le texte est explicite, mais
laisse une large place à l’interprétation. Ainsi, la loi sera
d’abord ce que l’on en fera. Quelques points de repère peuvent
être proposés.
● Si le patient peut accéder directement à son dossier, le système ancien – soit l’accès par l’intermédiaire d’un médecin –
est maintenu. Les médecins sont, auprès des patients, les premiers dispensateurs de l’information juridique sur leurs
droits et ils doivent veiller à en défendre une vue équilibrée.
Conforter la place centrale du médecin dans la relation de soin
ne constitue pas exactement une atteinte aux droits de
l’homme.
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* Avocat au Barreau de Lyon.
La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. VI - avril 2002
● La loi retient pour exception les soins en santé mentale lorsqu’il s’avérerait qu’une consultation du dossier sans accompagnement ferait courir un risque au patient. Solution pleine de
bon sens, mais dont il sera difficile de définir le champ d’application. Quid face à un état dépressif dû à la confrontation avec
une maladie somatique grave ?
● La déontologie fait obligation au médecin de différer l’annonce d’un diagnostic ou d’un pronostic grave si cette annonce
est de nature à nuire aux intérêts du patient. Cette règle, dont le
bien-fondé a récemment été rappelé par la Cour de cassation,
peut-elle être remise en cause par l’accès direct au dossier ?
Rien n’est acquis. Une lecture juridique stricte donne primauté
à la loi sur le Code de déontologie, mais un tribunal pourrait-il
sanctionner le souci de protéger l’intérêt du patient ? Et que
faire face à un diagnostic incertain ?
Ce que chacun redoute, c’est que, pour éviter ce type de difficultés, on en vienne à la pratique de dossiers réduits au strict
minimum : plutôt ne pas écrire que prendre le risque d’être
démenti ou mis en contradiction ; plutôt ne rien écrire que faire
état d’éléments incertains. Ce serait une dérive et une régression. Alors, tentons quelques idées.
● La loi définit un cap, mais laisse une large marge dans la
mise en œuvre. Les professionnels de santé doivent – et très
rapidement – proposer par des travaux, des publications, des
conférences de consensus un contenu pour les pratiques nouvelles. Ce travail de réflexion et d’élaboration est le meilleur
moyen de se prémunir contre des réglementations tatillonnes
ou des jurisprudences imprévisibles. C’est le moyen de défendre
une déontologie praticienne.
● La démarche doit reposer sur un principe clair, à savoir que
la confiance doit l’emporter sur la transparence. Or, à trop
mettre l’accent sur la transparence, on risque d’induire l’idée
d’une méfiance.
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● La question devient alors de définir le contenu du dossier
directement accessible. L’énumération des documents par la loi
ne règle pas la question. Passé un certain seuil, l’information
est suffisamment établie sur le plan scientifique pour être affirmée : elle doit figurer dans le dossier. Mais avant d’atteindre ce
seuil, il ne s’agit que d’une hypothèse, d’une piste de travail. Il
est nécessaire que le médecin, dans le cadre de sa démarche et
de celle de l’équipe, puisse garder la trace de ces pistes, sans
que ces éléments, non vérifiés, soient directement accessibles
au patient, car ils seraient déstabilisateurs. La loi est respectée :
le patient a accès aux informations concernant sa santé et non
pas aux interrogations du médecin.
réflexion et préparer sa décision. Défendre l’intérêt du malade,
mais aussi respecter sa personnalité, c’est lui dire qu’il n’a pas
accès à ce laboratoire. La porte peut d’autant mieux rester fermée que les informations scientifiquement établies lui seront
données rapidement et en toute franchise, et moins en réclamant son dossier par voie d’huissier que par la voix confiante
de ce confident qu’est le médecin, les yeux dans les yeux.
L’art médical est fait de technique et d’humanité. Il comporte
sa part d’interrogation, et le médecin doit défendre sa gestion
du doute. C’est bien parce qu’il est capable d’analyse qu’il est
digne de confiance. Le médecin a besoin d’un laboratoire, d’un
lieu hors d’accès où il puisse, dans la sérénité, nourrir sa
Le débat s’ouvre. Il revient aux médecins de s’en saisir pour
baliser ce domaine qu’ils connaissent si bien.
■
Quelle place, alors, pour la loi nouvelle ? Pour le patient, une
garantie : en définitive, il pourra tout savoir. Pour le médecin,
une occasion de rappeler l’humilité qu’impose la maladie ; que
s’il doit combattre les mystères, il peut avoir à défendre le
secret.
© La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervicofaciale - n° 272 - avril 2002.
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La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. VI - avril 2002
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