Maq avril 04/06/02 10:03 Page 147 VI E P R O F E S S I O N N E L L E Gérer l’accès direct au dossier médical : le laboratoire de la confiance ● G. Devers* “Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues par les professionnels de santé.” L’accès direct au dossier médical est, à n’en pas douter, l’un des points phares de la loi nouvelle sur les droits des malades. Cette réforme était demandée avec insistance par les patients, ou par ceux qui s’expriment en leur nom. Elle l’était aussi par certains acteurs de santé, médecins ou administrateurs, sur le thème : nous n’avons rien à cacher, jouons la transparence. ans doute le temps des mystères ou de l’ignorance entretenue doit-il prendre fin. Mais, pour l’essentiel, la page était – heureusement – tournée. La loi ancienne, à savoir l’accès au dossier médical par l’intermédiaire d’un médecin librement choisi, avait fait la preuve de sa pertinence. Le patient pouvait disposer de toute l’information, mais celle-ci n’était pas donnée à l’état brut. Elle était nécessairement accompagnée du commentaire médical, de l’explication rendant le fait compréhensible… et, ainsi, l’information utile. Le système fonctionnait très bien pour peu qu’il fût mis en œuvre avec un minimum de bonne volonté. Bref, était-il vraiment nécessaire de changer la loi ? On peut en douter, et ce d’autant plus que, en réalité, ce qui semblait en cause était moins l’accès au dossier médical que l’existence, au jour le jour, d’une relation confiante et respectueuse, de nature à gérer l’anxiété, si ce n’est l’angoisse devant la maladie. Il s’agissait moins de pouvoir lire des mots ou des chiffres que d’entendre une parole. Cela étant, la loi nouvelle est là, et la question est désormais de l’appliquer avec intelligence. Le texte est explicite, mais laisse une large place à l’interprétation. Ainsi, la loi sera d’abord ce que l’on en fera. Quelques points de repère peuvent être proposés. ● Si le patient peut accéder directement à son dossier, le système ancien – soit l’accès par l’intermédiaire d’un médecin – est maintenu. Les médecins sont, auprès des patients, les premiers dispensateurs de l’information juridique sur leurs droits et ils doivent veiller à en défendre une vue équilibrée. Conforter la place centrale du médecin dans la relation de soin ne constitue pas exactement une atteinte aux droits de l’homme. S * Avocat au Barreau de Lyon. La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. VI - avril 2002 ● La loi retient pour exception les soins en santé mentale lorsqu’il s’avérerait qu’une consultation du dossier sans accompagnement ferait courir un risque au patient. Solution pleine de bon sens, mais dont il sera difficile de définir le champ d’application. Quid face à un état dépressif dû à la confrontation avec une maladie somatique grave ? ● La déontologie fait obligation au médecin de différer l’annonce d’un diagnostic ou d’un pronostic grave si cette annonce est de nature à nuire aux intérêts du patient. Cette règle, dont le bien-fondé a récemment été rappelé par la Cour de cassation, peut-elle être remise en cause par l’accès direct au dossier ? Rien n’est acquis. Une lecture juridique stricte donne primauté à la loi sur le Code de déontologie, mais un tribunal pourrait-il sanctionner le souci de protéger l’intérêt du patient ? Et que faire face à un diagnostic incertain ? Ce que chacun redoute, c’est que, pour éviter ce type de difficultés, on en vienne à la pratique de dossiers réduits au strict minimum : plutôt ne pas écrire que prendre le risque d’être démenti ou mis en contradiction ; plutôt ne rien écrire que faire état d’éléments incertains. Ce serait une dérive et une régression. Alors, tentons quelques idées. ● La loi définit un cap, mais laisse une large marge dans la mise en œuvre. Les professionnels de santé doivent – et très rapidement – proposer par des travaux, des publications, des conférences de consensus un contenu pour les pratiques nouvelles. Ce travail de réflexion et d’élaboration est le meilleur moyen de se prémunir contre des réglementations tatillonnes ou des jurisprudences imprévisibles. C’est le moyen de défendre une déontologie praticienne. ● La démarche doit reposer sur un principe clair, à savoir que la confiance doit l’emporter sur la transparence. Or, à trop mettre l’accent sur la transparence, on risque d’induire l’idée d’une méfiance. 147 Maq avril 04/06/02 10:03 Page 148 ● La question devient alors de définir le contenu du dossier directement accessible. L’énumération des documents par la loi ne règle pas la question. Passé un certain seuil, l’information est suffisamment établie sur le plan scientifique pour être affirmée : elle doit figurer dans le dossier. Mais avant d’atteindre ce seuil, il ne s’agit que d’une hypothèse, d’une piste de travail. Il est nécessaire que le médecin, dans le cadre de sa démarche et de celle de l’équipe, puisse garder la trace de ces pistes, sans que ces éléments, non vérifiés, soient directement accessibles au patient, car ils seraient déstabilisateurs. La loi est respectée : le patient a accès aux informations concernant sa santé et non pas aux interrogations du médecin. réflexion et préparer sa décision. Défendre l’intérêt du malade, mais aussi respecter sa personnalité, c’est lui dire qu’il n’a pas accès à ce laboratoire. La porte peut d’autant mieux rester fermée que les informations scientifiquement établies lui seront données rapidement et en toute franchise, et moins en réclamant son dossier par voie d’huissier que par la voix confiante de ce confident qu’est le médecin, les yeux dans les yeux. L’art médical est fait de technique et d’humanité. Il comporte sa part d’interrogation, et le médecin doit défendre sa gestion du doute. C’est bien parce qu’il est capable d’analyse qu’il est digne de confiance. Le médecin a besoin d’un laboratoire, d’un lieu hors d’accès où il puisse, dans la sérénité, nourrir sa Le débat s’ouvre. Il revient aux médecins de s’en saisir pour baliser ce domaine qu’ils connaissent si bien. ■ Quelle place, alors, pour la loi nouvelle ? Pour le patient, une garantie : en définitive, il pourra tout savoir. Pour le médecin, une occasion de rappeler l’humilité qu’impose la maladie ; que s’il doit combattre les mystères, il peut avoir à défendre le secret. © La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervicofaciale - n° 272 - avril 2002. epitomax 148 La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. VI - avril 2002