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Traitement d’entretien par infliximab
au cours de la maladie de Crohn
QUELQUES RAPPELS PHYSIOPATHOLOGIQUES
La maladie de Crohn (MC) est une maladie inflammatoire chronique de l’intestin d’étiologie inconnue. La contribution de facteurs génétiques dans la pathogenèse de cette maladie a été suggérée par plusieurs études qui ont montré une concordance dans
l’apparition de cette maladie parmi les jumeaux monozygotes
(1). Un locus de susceptibilité de la MC sur le chromosome 16
a tout d’abord été identifié grâce aux méthodes de screening
de l’ADN en 1996 (2). Plus récemment, l’obtention d’une carte
détaillée du chromosome 16 a permis d’isoler un gène impliqué dans la MC. En 2001, Hugot et al. (3) ont rapporté l’existence du gène IBD1 grâce aux méthodes de clonage positionnel. Dans le même temps, deux autres études indépendantes (4,
5) ont confirmé l’importance de ce gène, désormais appelé
NOD2, dans la MC. Ce gène code pour une protéine cytoplasmique, CARD 15, qui est exprimée dans les macrophages et qui
servirait de récepteur aux lipopolysaccharides (LPS) bactériens. CARD 15 a une activité antibactérienne en induisant une
apoptose macrophagique par la voie du NF-κB et participe donc
à l’immunité innée, non spécifique, médiée par la lignée monocyte-macrophage. Trois mutations principales indépendantes
du gène NOD2 ont été associées à la MC : une mutation tronquante (changement du cadre de lecture) et deux mutations faux
sens (Arg702Trp et Gly908Arg) (3, 4). La fréquence cumulée
de ces trois mutations est estimée à 7 % des chromosomes chez
les sujets sains et à 29 % dans la MC. Ces variants génotypiques
entraînent un défaut d’apoptose des macrophages, qui persisteraient alors dans les tissus sous forme de cellules géantes et
épithélioïdes. La corrélation entre génotype et phénotype fait
encore l’objet de nombreux débats à l’heure actuelle, même si
CARD 15 semblerait être un marqueur d’atteinte iléale.
Le développement de la MC dépend également de facteurs environnementaux, puisque le taux de concordance de la maladie chez
les jumeaux monozygotes est inférieur à 100 %. Il a été montré
que la notion de tabagisme chronique augmentait le risque d’apparition de la MC (6). La flore de la lumière intestinale pourrait,
quant à elle, représenter un élément central dans la survenue de
la MC (7).
D’autres études sont nécessaires afin de préciser l’importance des relations entre gènes et environnement dans la MC.
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IMPLICATIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES DE LA PRISE EN
CHARGE DE LA MC
La MC est une maladie chronique qui peut toucher n’importe quel
segment du tube digestif et qui peut être associée à des manifestations extradigestives. L’atteinte digestive est caractérisée
par une inflammation segmentaire transmurale discontinue
et, parfois, des granulomes épithélio-gigantocellulaires de la
muqueuse intestinale.
Il a été montré que seule une augmentation modeste de la mortalité était observée chez les personnes atteintes de MC.
La qualité de vie des patients peut cependant être fortement altérée par l’évolution de la maladie faite de poussées entrecoupées
de périodes de rémission, avec des conséquences sur le bien-être
physique et moral, et d’autres au niveau social.
La morbidité associée à cette maladie est également en rapport
avec les effets secondaires des différents traitements actifs dans
la MC (corticothérapie notamment) et le fait que plus de 80 %
des patients devront être opérés pour des complications telles que
des sténoses, des abcès et des fistules.
La prise en charge des patients atteints de MC implique des coûts
non négligeables pour la société. Pour un patient typique, le coût
total des dépenses de santé engendrées par le traitement de la MC
pourrait s’élever à environ 125 000 dollars.
Les résections chirurgicales et les hospitalisations (coûts directs)
représentent 80 % du total de ces dépenses de santé (8, 9).
Les traitements de la MC doivent aussi permettre de réduire les
coûts indirects, comprenant notamment le coût moyen par patient
salarié ayant eu ou non un arrêt de travail pour une MC. Seuls
20 % des patients avec une maladie réfractaire absorbent 50 %
des dépenses de santé, avec un coût direct annuel estimé à
37 135 dollars pour chacun de ces patients présentant une forme
sévère de la maladie (10).
TRAITEMENT ÉPISODIQUE CONTRE TRAITEMENT
D’ENTRETIEN : LEÇONS À TIRER DES RÉSULTATS
DÉFINITIFS DE L’ÉTUDE ACCENT I
Les agents immunosuppresseurs que sont l’azathioprine, le
6-mercaptopurine et le méthotrexate étaient les seuls traitements
connus pour être à la fois actifs dans la MC et capables de maintenir des taux de rémission clinique autour de 40 %.
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VI - juillet-août 2003
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En effet, les glucocorticoïdes, le budésonide, les dérivés salicylés et les antibiotiques se sont révélés inefficaces pour prévenir
les rechutes de la maladie ou les récidives après un traitement
médical ou chirurgical.
Depuis 1997 et l’étude de Van Deventer et al. (11), l’intérêt de
l’infliximab, anticorps chimérique monoclonal IgG1, dans la prise
en charge de la MC allait en grandissant, et sa place dans l’arsenal thérapeutique de la MC est maintenant largement admise.
L’infliximab neutralise l’action du TNFα en se liant spécifiquement à lui avec une forte affinité. Le TNFα est une cytokine proinflammatoire synthétisée principalement par les monocytes et
les macrophages après stimulation par les LPS, et qui joue un
rôle clé dans l’inflammation muqueuse intestinale observée dans
la MC.
L’infliximab s’est révélé efficace dans le traitement des formes
réfractaires et fistulisées de la MC (12, 13). L’expérience clinique
ayant montré qu’une rechute est fréquemment notée après une
seule perfusion d’infliximab (12, 14), l’étude ACCENT I (15) s’est
attachée à démontrer l’efficacité et la bonne tolérance du traitement d’entretien par infliximab dans les formes actives de MC.
Au cours d’un essai multicentrique international, randomisé, en
double aveugle, 573 patients présentant une maladie active avec
un score de Best (CDAI) supérieur ou égal à 220 points ont ainsi
été suivis pendant 54 semaines. Parmi les 573 patients inclus,
58 % (334) étaient des femmes et l’âge moyen était de 35 ans.
Tous les patients inclus ont bénéficié d’une première perfusion
d’infliximab de 5 mg/kg à J0. Les patients ayant une réponse clinique 2 semaines après cette première perfusion (S2) ont été randomisés en trois groupes.
Les patients des trois groupes ont reçu une perfusion aux
semaines 2 et 6, puis toutes les 8 semaines jusqu’à la semaine 46 ;
un placebo était administré aux patients du groupe I (n = 110),
une perfusion de 5 mg/kg d’infliximab à ceux du groupe II
(n = 113), et une perfusion de 5 mg/kg d’infliximab aux
semaines 2 et 6, puis de 10 mg/kg toutes les 8 semaines aux
patients du groupe III (n = 112).
Les patients initialement répondeurs à la semaine 2, et pour lesquels une aggravation de la maladie (augmentation ≥ 70 points
du score de Best avec un score ≥ 175 points, augmentation ≥ 35 %
du score de Best, ou nécessité d’introduire un nouveau traitement
actif dans la MC) était observée après 14 semaines de suivi, pouvaient bénéficier de perfusions d’infliximab à la demande avec
une augmentation de dose de 5 mg/kg (perfusions de 5 mg/kg
pour le groupe I, de 10 mg/kg pour le groupe II, etc.), jusqu’à
une posologie maximale de 15 mg/kg.
L’échec du traitement pouvait être en rapport avec une aggravation de la maladie, le recours à une intervention chirurgicale, ou
la perte d’efficacité ayant poussé le patient à arrêter les perfusions de placebo ou d’infliximab.
La réponse clinique était définie par une diminution supérieure ou
égale à 70 points et supérieure ou égale à 25 % du score de Best.
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La rémission clinique évaluée aux semaines 30 et 54 correspondait, quant à elle, à un score de Best inférieur à 150 points.
Sur les 573 patients ayant bénéficié d’une perfusion d’infliximab
de 5 mg/kg à la semaine 0, 335 (58 %) étaient considérés comme
répondeurs à la semaine 2. À noter que les seules différences
entre les répondeurs et les non-répondeurs à la semaine 2 étaient
l’ancienneté de la maladie, le taux de protéine C réactive et les
antécédents de résections chirurgicales intestinales segmentaires.
À la semaine 30, 39 % des patients du groupe II et 45 % de ceux
du groupe III étaient en rémission clinique, contre 21 % pour le
groupe I. En combinant les résultats des groupes II et III, la différence avec le groupe I était statistiquement significative (OR =
2,7 ; IC 95 % : 1,60-4,60).
Des résultats similaires ont été rapportés aux semaines 10 et 54.
En revanche, aucune différence significative dans les taux de
rémission à la semaine 30 (OR = 1,3 ; IC 95 % : 0,74-2,20)
et à S54 (OR = 1,58 ; IC 95 % : 0,90-2,80) n’a pu être mise en
évidence en comparant le groupe II au groupe III.
Le maintien de la rémission clinique à chaque visite des semaines
14 à 54 était nettement plus important parmi les patients des
groupes II et III (25 et 33 %) par rapport au groupe I (11 %). Ces
constatations étaient valables pour le score de Best et l’indice
IBDQ (questionnaire de qualité de vie).
La perte de réponse existait après une durée moyenne de traitement par infliximab de 38 semaines pour le groupe II, une durée
supérieure à 54 semaines pour le groupe III et de 19 semaines
pour les patients du groupe I (= groupe placebo avec traitement
épisodique par infliximab à partir de la semaine 14), avec des
différences significatives entre les groupes II (p = 0,002) et III
(p = 0,00002) par rapport au groupe I.
La durée moyenne de traitement après laquelle les patients des
groupes II et III arrêtaient leur corticothérapie orale était respectivement de 22 et 30 semaines, contre 46 semaines pour ceux
du groupe I.
L’association d’un agent immunosuppresseur au traitement par
infliximab pourrait avoir un effet “synergique” puisque 50% des
patients maintenaient une rémission clinique à la semaine 54 avec
cette combinaison thérapeutique, contre 41% avec le traitement par
infliximab seul, peut-être parce que l’agent immunosuppresseur
diminuerait le risque d’apparition des anticorps anti-infliximab.
Le nombre d’hospitalisations chez les patients des groupes II et
III était également moins important (respectivement 23 et 24 %)
que chez ceux du groupe I (38 %). En revanche, le recours à une
intervention chirurgicale n’était pas significativement moins
fréquent pour les groupes II et III par rapport au groupe I.
La corrélation qui pourrait exister entre le pourcentage de guérison macroscopique de la muqueuse intestinale et l’activité clinique de la maladie reste incertaine. L’étude française du
GETAID (Groupe d’étude thérapeutique des affections inflammatoires digestives) (16) a rapporté des taux de cicatrisation
muqueuse de seulement 29 % chez les patients présentant une
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réponse clinique sous corticothérapie. L’étude ACCENT I est, à
ce jour, l’étude la plus large ayant pris en compte des critères
endoscopiques (ulcérations muqueuses) et non plus seulement
cliniques de l’efficacité du traitement par infliximab. Sur les
99 patients qui ont accepté des évaluations endoscopiques à J0
et aux semaines 10 et 54, 66 étaient des répondeurs à la semaine
2 selon des critères cliniques, et ont donc été aussi randomisés
en trois groupes. À la semaine 10, les taux de cicatrisation
muqueuse étaient significativement plus élevés dans les groupes
II et III (29 %) que dans le groupe I (3 %). Les mêmes constatations ont pu être faites à la semaine 54 (44 contre 18 %). Le
nombre d’hospitalisations le plus faible était noté chez les
patients avec les taux de cicatrisation muqueuse les plus élevés
aux semaines 10 et 54. Le faible nombre de patients constituant
ce sous-groupe limite cependant la puissance statistique de ces
résultats.
Le dernier élément mis en avant dans cette étude était que le
nombre de sténoses intestinales à un an n’augmentait pas avec le
nombre de perfusions d’infliximab, contrairement à ce qui avait
été suspecté dans une précédente étude (17).
L’efficacité du traitement d’entretien (J0, à la semaine 2 puis
toutes les 8 semaines) par infliximab des formes actives de MC
paraît donc supérieure à celle du traitement épisodique, d’autant
que le nombre d’effets secondaires enregistrés et les cas d’infections sévères n’étaient pas plus nombreux dans les groupes II et III
que dans le groupe I. L’influence sur l’immunogénicité (apparition des anticorps) et les effets indésirables potentiels doivent
cependant être considérés au même titre que l’amélioration de la
qualité de vie notée avec ce traitement (voir ci-après). De plus,
la durée du traitement (> 46 semaines ?) reste encore à définir.
EFFICACITÉ DE L’INFLIXIMAB
DANS LES FORMES FISTULISANTES DE LA MC :
RÉSULTATS DE L’ÉTUDE ACCENT II
Plus de 25 % des patients atteints de MC présenteront des fistules
au cours de l’évolution de leur maladie. Les fistules compliquant
la MC peuvent être externes (entéro-cutanées) ou internes (entéroentériques, entéro-vésicales, entéro-vaginales).
L’étude ACCENT II a inclus 306 patients (24 patients sont sortis
de l’étude après la première phase de traitement) présentant au
moins une fistule entéro-cutanée drainée et évoluant depuis plus
de 3 mois. Les fistules internes autres que les fistules recto-vaginales étaient exclues de l’étude. Les 282 patients représentaient
un ensemble de 584 fistules, dont 83% de localisations péri-anales,
4,6 % de fistules recto-vaginales et 13 % de fistules abdominales.
La prise concomitante d’un autre traitement actif dans la MC était
retrouvée chez 82 % des patients (agents immunosuppresseurs :
34 %, corticostéroïdes : 29 %, antibiotiques : 29 %, dérivés salicylés : 47 %).
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Cet essai multicentrique, international, en double aveugle, contre
placebo, avait pour but de déterminer l’efficacité du traitement
d’entretien par infliximab sur la réduction du nombre de fistules,
ainsi que sa tolérance.
Tous les patients ont d’abord bénéficié de trois perfusions
d’infliximab de 5 mg/kg à J0 et aux semaines 2 et 6, selon un
schéma classique. Puis les répondeurs, après cette première phase
de traitement (n = 195, soit 69 %), étaient randomisés en deux
groupes à la quatorzième semaine et suivis pendant 54 semaines :
les patients du groupe I ont reçu des perfusions de placebo toutes
les 8 semaines, alors que ceux du groupe II ont reçu des perfusions d’infliximab de 5 mg/kg également toutes les 8 semaines.
Comme pour l’étude ACCENT I, les patients initialement répondeurs pouvaient recevoir des perfusions d’infliximab à la demande
après 22 semaines de suivi, avec une augmentation de dose de
5 mg/kg (perfusions de 5 mg/kg pour le groupe I et de 10 mg/kg
pour le groupe II).
La réponse clinique était définie par une réduction supérieure ou
égale à 50 % du nombre de fistules et la réponse complète par
l’absence de fistule.
La perte de réponse pouvait être due à une réduction inférieure à
50 % du nombre de fistules 4 semaines après une perfusion d’infliximab, une majoration ou l’introduction d’un autre traitement
actif dans la MC, le recours à une intervention chirurgicale (en
dehors des drainages des abcès, de la mise en place d’un séton et
des dilatations des sténoses), ou la sortie de l’étude en raison de
l’inefficacité du traitement.
Le premier élément étudié était le temps nécessaire avant
d’observer la perte de réponse. Dans le groupe I (placebo), il
fallait 14 semaines avant de noter une perte de réponse contre
plus de 40 semaines dans le groupe II. À la semaine 54, 58 % des
patients étaient encore répondeurs, contre seulement 38 % dans
le groupe II, avec une différence statistiquement significative
(p < 0,001) déjà présente à la semaine 30. Mais aucun des patients
du groupe I avec une perte de réponse n’a eu besoin de recourir
à la chirurgie, la perte de réponse étant liée soit à la nécessité
de changer le traitement médical (introduction d’une corticothérapie par exemple), soit à une réduction < 50 % du nombre
de fistules.
La réponse clinique à la semaine 54 était de 23,5 % dans le groupe
placebo et de 46 % avec le traitement d’entretien (p = 0,001). Une
réponse complète était présente chez 19 % des patients du groupe I
et chez 36 % de ceux du groupe II (p = 0,009).
Le traitement d’entretien par des perfusions d’infliximab toutes
les 8 semaines permettait aussi d’augmenter la durée pendant
laquelle les fistules restaient fermées (40 semaines contre 23 pour
le groupe I).
Un autre résultat, peut-être plus inattendu, est le fait qu’environ
60 % des patients des groupes I et II non répondeurs initialement
étaient à nouveau répondeurs grâce à une simple augmentation
de dose de 5 mg/kg.
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Concernant l’évolution des indices de qualité de vie (score de
Best et IBDQ) au cours de cette étude, 36 % des patients avec
un score de Best supérieur ou égal à 220 points au moment de
l’inclusion avaient une réponse clinique à la semaine 54 dans
le groupe II, contre seulement 6 % dans le groupe placebo
(p = 0,004). Le pourcentage de rémission était, quant à lui, de
30 % dans le groupe II et de 10,5 % dans le groupe I (p = 0,01).
À la semaine 54, l’indice IBDQ était également plus bas dans le
groupe traité par des perfusions toutes les 8 semaines (groupe II)
que dans le groupe placebo (groupe I).
Le nombre d’hospitalisations et le nombre de patients devant
recourir à la chirurgie étaient aussi moins importants dans le
groupe II.
Étant donné la relativement bonne tolérance du traitement
d’entretien par infliximab (13,8 % d’effets indésirables graves
versus 22,9 % dans le groupe placebo), la réalisation de perfusions toutes les 8 semaines pourrait donc représenter un nouveau
schéma thérapeutique dans la prise en charge des fistules compliquant l’évolution de la MC.
Cependant, un des problèmes rencontrés avec le traitement des
formes fistulisantes de MC par infliximab est la persistance de
trajets fistuleux non détectés par l’examen clinique et à l’origine
de rechutes.
Récemment, Van Assche et al. (18) ont étudié l’efficacité des perfusions d’infliximab de 5 mg/kg à J0 et aux semaines 2 et 6 par
rapport à des perfusions de 5 mg/kg toutes les 8 semaines (traitement d’entretien) sur dix-huit fistules compliquant une MC.
L’efficacité du traitement était jugée selon des critères radiologiques (IRM) et cliniques. Sur les 18 patients inclus, 11 ont
répondu cliniquement au premier schéma thérapeutique et 6 au
traitement d’entretien. La persistance de trajets fistuleux à l’IRM
a été retrouvée chez 8 des 11 patients traités selon un schéma
classique (J0, semaines 2 et 6) et chez 3 des 6 patients traités par
des perfusions toutes les 8 semaines.
Le traitement d’entretien par infliximab peut-il permettre d’obtenir une fermeture complète et définitive des fistules ? Dans cette
étude, la nécessité de recourir à une intervention chirurgicale ne
diminuait pas significativement avec le nombre de perfusions
d’infliximab. De plus, le faible nombre de patients inclus dans
cette étude (n = 18) ne permet pas de conclure sur ce point, mais
confirme la place de l’IRM dans le suivi des fistules compliquant
la MC. Les prochaines études qui tenteront d’évaluer l’efficacité
de l’infliximab dans les formes fistulisantes de MC devront donc
essayer de prendre à la fois en compte des données radiologiques
et cliniques.
L’infliximab pourrait peut-être également présenter un intérêt
dans la prise en charge des MC qui doivent être opérées pour des
complications telles que des fistules, cela en autorisant un geste
le plus conservateur possible lorsqu’il est administré en préopéLa lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VI - juillet-août 2003
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ratoire, voire en réduisant le risque de récidive postopératoire.
Mais avant d’adopter cette attitude thérapeutique, qui pourrait de
surcroît entraîner une augmentation des complications postopératoires, notamment infectieuses, de larges études doivent venir
confirmer cette hypothèse.
ANTICORPS ANTI-INFLIXIMAB
D’après les données de la littérature, les anticorps anti-infliximab (ATI) apparaissent chez 13 à 18 % des patients traités par
infliximab pour une MC.
Le risque d’apparition des ATI pourrait diminuer en cas d’association à un agent immunosuppresseur (15).
Baert et al. (19) ont donc essayé d’évaluer la corrélation entre les
concentrations sériques d’ATI et d’infliximab, et l’efficacité et
la tolérance des perfusions d’infliximab.
Cette étude a inclus 125 patients présentant une maladie réfractaire ou fistulisante de MC. Les formes fistulisantes recevaient
des perfusions de 5 mg/kg d’infliximab à J0 et aux semaines 2
et 6, alors que les formes réfractaires bénéficiaient d’une perfusion de 5 mg/kg à J0. Ensuite, les patients répondeurs après cette
première phase de traitement étaient retraités par infliximab en
cas de rechute. Les 125 patients ont reçu en moyenne 3,9 perfusions d’infliximab sur une période de 10 mois.
Un prélèvement sanguin servant à mesurer les concentrations
d’ATI et d’infliximab dans le sérum était réalisé avant chaque
perfusion et à chaque visite effectuée 4 ,8 et 12 semaines après
chaque perfusion.
Aucun patient n’avait des taux d’ATI détectables dans le sérum
au moment de l’inclusion.
Après la cinquième perfusion, 61 % d’entre eux avaient des ATI
détectables dans le sang, sachant que l’incidence n’augmentait
plus avec le nombre de perfusions au-delà de cinq perfusions.
Des titres d’ATI supérieurs ou égaux à 8,0 µg/ml étaient retrouvés chez 37 % des patients inclus.
La prise concomitante d’un agent immunosuppresseur (56patients
sur 125) permettait de diminuer significativement (p < 0,01)
l’apparition de ces anticorps : 43% (24 sur 56) contre 75% (52 sur
69) avec le traitement par infliximab seul.
Le risque relatif (RR) pour les patients avec un traitement immunosuppresseur d’avoir des taux d’ATI supérieurs ou égaux à
8,0 µg/ml était de 2,4 dans le groupe sans fistule (IC 95 % : 1,563,65) et de 2,85 dans le groupe avec fistules (IC 95 % : 1,54-5,25).
Les patients prenant un traitement immunosuppresseur en plus
du traitement par infliximab avaient des taux moyens d’ATI de
1,3 µg/ml contre 13,8 µg/ml en l’absence de traitement immunosuppresseur dans le groupe sans fistule, et de 1,5 µg/ml contre
21,4 µg/ml dans le groupe avec fistules.
Sur les 125 patients, 27 % ont présenté des réactions aiguës lors
de la perfusion (réaction pendant la perfusion ou dans les deux
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heures qui suivent : dyspnée, hypotension, urticaire, fièvre, frissons). Ces effets indésirables ont été observés uniquement à
partir de la deuxième perfusion, leur incidence augmentant avec
le nombre de perfusions.
Il existait une relation statistiquement significative entre la
concentration moyenne d’ATI avant la perfusion (≥ 8,0 µg/ml) et
le risque de survenue d’une réaction aiguë allergique lors de la
perfusion (RR = 2,40 ; IC 95 % : 1,65-3,66).
En revanche, le risque d’effets secondaires retardés (syndrome
pseudo-grippal, arthralgies, éruptions cutanées, myalgies et asthénie) n’était pas corrélé au taux d’ATI.
La durée de la réponse clinique à l’infliximab était également
significativement inférieure chez les patients avec des taux d’ATI
supérieurs ou égaux à 8,0 µg/ml (35 jours contre 71 ; p < 0,001).
Concernant les concentrations sériques d’infliximab, celles-ci
étaient en moyenne de 12,0 µg/ml 4 semaines après une perfusion d’infliximab.
Les patients avec un traitement immunosuppresseur avaient des
taux d’infliximab plus fréquemment supérieurs à 12,0 µg/ml
(RR = 1,93 ; IC 95 % : 1,40-2,60).
Les concentrations d’infliximab mesurées 4 semaines (S4) après
une perfusion étaient, quant à elles, significativement plus basses
(p < 0,001) chez les patients ayant déjà présenté une réaction aiguë
allergique lors d’une perfusion (1,2 µg/ml) par rapport à ceux
n’ayant jamais présenté un tel effet indésirable (14,1 µg/ml).
Après la survenue d’une réaction aiguë lors d’une perfusion, la
durée moyenne de la réponse à l’infliximab était plus courte
(38,5 jours) que chez les patients qui n’avaient jamais présenté
cet effet secondaire pendant cette étude (65 jours ; p < 0,001).
Des concentrations d’infliximab supérieures ou égales à
12,0 µg/ml à la semaine 4 étaient associées à une durée de la
réponse clinique à l’infliximab de 81,5 jours contre 68,5 jours
pour des taux inférieurs à 12,0 µg/ml (p < 0,01).
Cependant, en régression logistique, seule la présence d’ATI était
corrélée de manière indépendante à la durée de la réponse clinique à l’infliximab, alors que la prise d’un agent immunosuppresseur et les concentrations d’infliximab ne l’étaient pas.
Les résultats de cette étude semblent donc confirmer l’importance
d’associer un agent immunosuppresseur (azathioprine,
6-mercaptopurine ou méthotrexate) au traitement par infliximab,
voire peut-être la nécessité d’instaurer le traitement immunosuppresseur avant la première perfusion d’infliximab, cela dans le but
de réduire l’incidence des réactions aiguës allergiques pouvant
être observées lors de chaque perfusion et d’augmenter la durée
de la réponse clinique à ce traitement. Les auteurs suggèrent que
le traitement d’entretien par des perfusions d’infliximab toutes les
8 semaines pourrait également prévenir l’apparition des ATI grâce
à une présence continue d’infliximab dans le sang plutôt qu’en
maintenant des concentrations sériques élevées (≥ 12,0 µg/ml).
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TOLÉRANCE DU TRAITEMENT PAR INFLIXIMAB
À l’heure actuelle, plus de 500 000 patients ont été exposés au
traitement par infliximab à travers le monde. Les trois indications
principales de ce traitement sont la MC, la polyarthrite rhumatoïde (PR) et la spondylarthrite ankylosante.
Le problème majeur qui se pose en pratique clinique est d’établir de manière formelle l’imputabilité des maladies intercurrentes rencontrées sous traitement par infliximab à ce dernier. En
effet, il est clairement établi qu’une maladie comme la PR peut
elle-même induire un état d’immunodépression pouvant favoriser l’apparition d’infections opportunistes comme la tuberculose.
Le risque le mieux établi est celui de la réactivation d’une tuberculose latente à l’origine d’une tuberculose maladie.
La majorité des cas de tuberculose rapportés sous infliximab ont
été observés lors des quatre premières perfusions.
Le nombre des cas incidents de tuberculose, après une progression constante depuis la première utilisation de l’infliximab aux
États-Unis en octobre 1998, connaît depuis près de deux ans un
plateau avec une incidence estimée à 0,06 %. Le respect des
recommandations internationales (radiographie pulmonaire et
IDR à la tuberculine systématiques avant chaque perfusion), une
meilleure sélection des patients et l’information des praticiens
susceptibles de prescrire ce traitement devraient permettre de
limiter à l’avenir la survenue de nouveaux cas.
D’autres infections opportunistes comme la pneumocystose, la listériose ou l’aspergillose,quelquefois mortelles,peuvent également être
favorisées par l’état d’immunosuppression induit par l’anti-TNFα.
Les anticorps anti-ADN et antinucléaires pouvant apparaître après
une perfusion d’infliximab sembleraient avoir peu de traduction
clinique, puisque l’incidence des anticorps antinucléaires peut,
par exemple, atteindre 50 % après plusieurs perfusions d’infliximab (20), alors que seuls quelques rares cas de lupus induit ont
été répertoriés sous infliximab.
L’infliximab ne semble pas non plus être associé à une toxicité
cardiovasculaire particulière. La grande majorité des cas d’insuffisance cardiaque notés chez des patients atteints de PR et
bénéficiant d’un traitement par anti-TNFα peut être expliquée
par les comorbidités fréquemment rencontrées avec l’évolution
de la PR (absence d’association significative dans les différentes
études ayant analysé cette relation). Cependant, le principe de
précaution veut que la présence d’une insuffisance cardiaque
sévère (grade 3/4) contre-indique le traitement par infliximab, ce
qui est rarement le cas dans la MC, qui survient chez des patients
relativement jeunes. À noter que le risque d’insuffisance cardiaque, s’il venait à être confirmé par d’autres études, pourrait
dépendre du nombre de perfusions, d’après les données de la
littérature déjà en notre possession.
Sur le plan neurologique, des cas de démyélinisation centrale, de
syndrome de Guillain-Barré et de neuropathies ont notamment
été rapportés sous infliximab, sans qu’aucun décès ait été observé.
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VI - juillet-août 2003
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La notion d’antécédents neurologiques graves doit donc aussi être
prise en compte dans la sélection des patients.
Le dernier risque à prendre à compte, et qui fait encore l’objet de
nombreux débats à ce jour, est celui de lymphomes. Aucune étude
n’a retrouvé d’augmentation significative du risque de lymphomes chez les personnes atteintes d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) par rapport à la population
générale (21, 22). En revanche, la PR a été associée à un risque
plus élevé de lymphomes (23) (OR = 2 à 26 selon les études).
Parmi les 71 cas de lymphomes rapportés chez les patients traités
par infliximab (0,14 cas pour 1 000 patients), 63,4 % survenaient
chez des patients atteints de PR. Dans l’état actuel des connaissances, aucune association entre infliximab et lymphomes n’a pu
être clairement mise en évidence. Seule une surveillance étroite
est donc pour l’instant de mise.
En conclusion, le rapport entre risque et bénéfice paraît actuellement plutôt en faveur de la poursuite du traitement par infliximab chez des patients préalablement sélectionnés selon des critères à présent bien établis.
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Article rédigé par L. Peyrin-Biroulet (CHU de Nancy)
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VI - juillet-août 2003
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