AC T U A L I T É T H É R A P E U T I Q U E
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VII - mai-juin 2004 161
* Service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Vandœuvre-lès-Nancy.
Traitement des MICI par infliximab : acquis et perspectives
Francophones 2004, atelier du lundi 5 avril
M.A. Bigard*
B
ien que programmé à une heure matinale,cet atelier
portant sur les données récentes du traitement de la
maladie de Crohn par l’infliximab a été suivi par une
assistance nombreuse et intéressée.
Une pre m i è re présentation a été faite par le Pr J. F. Colombel ( L i l l e ) .
Un rappel des essais pivotaux ACCENT 1 et ACCENT 2, qui ont
p e rmis la déliv rance des autori s ations de mise sur le marché (AMM)
de l’infliximab dans la maladie de Crohn luminale ou fistulisée, a
tout d’abord été fait. L’étude ACCENT 1 a montré qu’avec la poso-
logie de 5 mg/kg les taux de rémission étaient de 28,3 % à un an
( ve rsu s 13,6 % avec le placeb o ) , tandis que les taux de
r é p o n s e
étaient respectivement de 43 % et 17 %. L’étude ACCENT 2
a mon-
tré une fermeture complète des fistules dans 36 % des cas à un an
avec l’infliximab 5 mg/kg toutes les 8 semaines versus 19 % dans
le groupe trois injections initiales d’infl i x i m ab puis placebo. Le
t raitement d’entretien a ainsi été enregi s t r é , le texte de l’AMM
offrant les alternatives d’un traitement d’entretien (5 mg/kg toutes
les 8 semaines) et d’un traitement à la demande (réadministration
si les signes et les symptômes de la maladie réapparaissent).
Quand l’indication d’un traitement par infliximab a été retenue,
J.F. Colombel a détaillé ce qu’il faut faire avant, pendant et après
les perfusions.
QUE FAIRE AVANT DE COMMENCER LE TRAITEMENT
D’INDUCTION PAR INFLIXIMAB ?
Il faut réfléchir à une stratégie à long terme et envisager toutes les
options, y compris les options chirurgicales. Par exemple, une sté-
nose courte isolée de l’iléon terminal doit être traitée chirurgica-
lement si elle entraîne un syndrome de Koenig. Il faut ensuite
v é
ri fier l’absence de contre - i n d i c at i o n , c ’ e s t - à - d i r e l’absence d’in-
fection évo l u t ive, notamment tuberc u l e u s e ,d ’ i n s u ffisance car-
d i a q u e,d ’ ab c è s , de maladie neuro l ogi que my é l i n i s a n t e. Le
p atient doit être info rdes bénéfices et des risques du tra i t e m e n t .
En ce qui concerne la tuberc u l o s e , les cas recensés étaient au
nombre de 350 en février 2003 sur environ 500 000 patients trai-
tés dans le monde,la majeure partie étant diagnostiquée précoce-
ment lors des trois ou quatre premières perfusions. Le risque est
actuellement bien contrôlé grâce aux précautions d’emploi, qui doi-
vent être respectées (anamnèse, i n t ra d e rmoréaction [IDR] à la tuber-
culine, radiographie pulmonaire à la recherche de calcifications).
Une tuberculose latente doit recevoir une bithérapie rifampicine-
isoniazide pendant 3 mois,le traitement par infl i x i m ab pouvant être
instau3 semaines après la mise en route de la ch i m i o t h é r apie anti-
tuberculeuse. En cas de tuberculose active, il faut traiter le patient
par tri t h é rapie pendant 2 mois et par bithérapie pendant 2 mois
avant de commencer le traitement par infliximab.
Le développement d’anticorps anti-infl i x i m ab es t fquent et doit
ê t r e minimisé en respectant les précautions suiva n t e s : pas de dose
unique d’infl i x i m ab sans traitement immu n o s u p p re s s e u r,p o u rs u i t e
du traitement immu n o s u p p resseur me s’il est ineffi c a c e. Il a éga-
lement été proposé de remplacer l’azat h i o p rine par le méthotrex a t e
en cas d’inefficacité. Il semble que le schéma d’induction par tro i s
doses à S0, S2 et S6 soit moins immu n og è n e. Il est prudent de don-
ner une prémédication par 200 mg d’hy d ro c o rtisone i.v. dès la pre-
m i è r e perfusion. Le pourc e n t age de patients ayant des anticorp s
a n t i - i n f l i x i m a b augmente gèrement avec le nombre de perfusions,
mais il est déjà d’env i ron 40 % après la pre m i è re perfusion, p o u r
at t e i n d r e 61 % après la cinqume perfusion en cas de tra i t e m e n t
é p i s o d i q u e . Ces anticorps ont un rôle néfaste sur la durée diane
de réponse à l’infl i x i m a b, qui est de 71 jours si la concentrat i o n
d ’ a n t i c o r ps est inféri e u re à 8 µ g / m l , et de 35 j o u r s si elle est supé-
ri e u re à ce taux. Cette durée de réponse est en effet fonction des
c o n c e n t r ations d’infl i x i m ab. En cas de traitement épisodique, l a
durée diane de réponse est de 68,5 j o u rs , avec une infl i x i m ab é-
mie inféri e u re à 12 µg/ml et de 81,5 j o u r s avec une infl i x i m ab é m i e
s u p é r i e u r e à 12 µg/ml. L’ existence d’un traitement immu n o s u p-
p r esseur concomitant diminue l’incidence de surve nue des anti-
c o r ps anti-infl i x i m ab (75 % d’anticorps sans immu n o s u p p re s s e u r
et 43 % avec un traitement immu n o s u p p re s s e u r ) .
QUE FAIRE PENDANT LE TRAITEMENT PAR INFLIXIMAB ?
Des actions immédiates ou re t a res à la perfusion sont possibl e s .
Dans l’ex p é rience de la Mayo Clinic,sur 500 malades trais de manière
r é g u l i è r e ou épisodique, une réaction imdiate a été observée dans
3 , 8 % des cas, ayant entr un art définitif de la perfusion dans 47 %
de ces cas, et une action sévère dans 0,4 %. Les manife s t ations sont
s u r ve nues dans 74 % des cas lors de la deuxme perfusion, et malgr é
le traitement par immu n o s u p p resseur et corticdes dans 89 % des cas.
La tolérance ulri e u r e a é mauvaise (3 cas sur 11).
Les réactions re t a res ont touc2,8 % des malades, avec une réaction
s é v è r e dans 0,4 % des cas. La tolérance ultéri e u r e a été mauva i s e .
En cas de réaction pendant la perfusion, il faut arrêter ou ralentir celle-
c i , a d m i n i s t r er 25 à 50 mg d’hy d r oxyzine per os ou par voie intrave i -
neuse et 100 mg de méthy l p rednisolone i.v. On peut alors rep r e n d r e la
perfusion à 10 ml/h avec un scma de perfusion progre s s ive. Si la ac-
tion dispara î t , on peut finir la perfusion. Si la action persiste ou s’ag-
grave, la perfusion doit être are et une deuxme dose de cort i c o ï d e s
est injectée.
QUE FAIRE ENSUITE, C’EST-À-DIRE COMMENT
MAINTENIR LA RÉPONSE ?
L’essai AC C E N T 1 avait pour ambition de comparer le tra i t e-
ment d’entretien au traitement symptomatique aussi bien ch e z
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les répondeurs précoces à une perfusion unique d’infl i x i m ab
5 mg/kg que chez les non-répondeurs (re s p e c t ive ment 335 et
238 patients sur un total de 573 malades inclus).
Ceci ne correspond pas vraiment à la pratique pour trois raisons :
les malades du premier bras ne pouvaient pas être traités avant la
1 4
e
s e m a i n e, chez ces mêmes malades on ne pouvait pas aug-
menter la dose au-delà de 5 mg/kg et, surtout, tous les malades
n’étaient pas sous immunosuppresseurs.
L’ a n a l yse de l’essai est rendue complexe par les possibilités d’aug-
menter la dose d’infliximab de 5 mg/kg dans tous les groupes à
partir de la 14
e
semaine et par la possibilité pour les patients en
perte de réponse d’être éligibles pour un traitement à la demande.
À la 54
e
semaine, le pourcentage de malades en réponse clinique
était voisin de 60 %, identique dans le bras traitement régulier par
5mg/kg toutes les 8 semaines (posologie de l’AMM) et le bras
traitement épisodique.
Dans un petit sous-groupe étudié en Belgique par coloscopie sys-
t é m a tique à la 54
e
s e m a i n e, la cicat ri s a tion endoscopique était
significativement plus fréquente dans le groupe traitement régu-
lier (16 sur 36) que dans le groupe traitement épisodique (4 sur
22). En ce qui concerne les effets indésirables, il y avait moins de
développement d’anticorps anti-infliximab dans le groupe traite-
ment régulier, mais plus de réactions à la perfusion (23 % ave c
5mg/kg versus 9 % avec le traitement épisodique). Le traitement
régulier ap p o rtait un gain en nombre d’hospitalisations nécessaire s
et d’interventions chirurgicales, mais l’exposition à l’infliximab
était évidemment supéri e u re, avec 8 perfusions dans le groupe tra i-
tement systématique versus 2,2 en cas de traitement épisodique.
La strat é g ie thérapeutique au long cours doit donc être discutée
pour chaque patient, en mettant en balance les avantages du traite-
ment systématique – c’est-à-dire la réduction des hospitalisations
et des interventions chirurgicales, la qualité de vie supérieure, la
cicatrisation endoscopique plus fréquente et la moindre formation
d’anticorps anti-infliximab – et ses inconvénients – à savoir le coût
des perfusions, l’exposition cumulée à l’infliximab supérieure et
un risque cumulé actuellement mal connu.
La deuxième présentat i o n , faite par M. Lemann ( P a r i s ) , é t a i t
intitulée “L’infliximab doit-il être utilisé en fonction de l’évolu-
tion de la maladie ou peut-il modifier son cours ?”
Trois questions ont été formulées.
FAUT-IL ASSOCIER INFLIXIMAB
ET IMMUNOSUPPRESSEUR ?
Les arguments en faveur de cette association sont la réduction de
l ’ i m mu n i s ati on contre l’infl i x i m abi m mu n i s ation générat ri c e
d’une perte d’efficacité et de réaction lors des perfusions – et un
e ffet synergique dans les fo rmes luminales de la maladie de
Crohn. Un essai GETAID a évalué l’infliximab chez les malades
corticodépendants traités par azathioprine ou 6-mercaptopurine.
La corticodépendance était définie par une dose supéri e u re à
10 mg par jour depuis plus de 6 mois.
La strate 1 comportait les malades en échec de traitement immu-
nosuppresseur, et ce traitement était poursuivi.
La strat e 2 comportait les malades naïfs pour l’azat h i o p ri n e,p o u r
lesquels ce traitement était instauré.
Les patients re c evaient 3 perfusions d’infl i x i m ab (5 mg/kg) à S0,
S2 et S6 ou un placebo. L’objectif principal était la rémission
(CDAI < 150) sans corticoïdes à la 24
e
semaine. Ce qui repré-
sentait un double critère particulièrement exigeant. Cette rémis-
sion était obtenue dans 57 % des cas avec l’infl i x i m ab ve r s u s
29 % avec le placebo, et cette différence existait aussi bien pour
les patients naïfs pour l’azat h i o p rine (63 % ve rsus 32 %) que pour
les patients en échec de l’azathioprine (50 % versus 26 %).
En ce qui concerne le méthotrexate,on dispose des résultats obtenus
dans la polya rt h r ite rhumat o ï d e,qui montrent que l’association infl i x i-
mab-méthotrexate est supérieure à l’infliximab employé seul et très
s u p é ri e u re à la monothérapie par méthotrex at e. Une étude ouve rt e
effectuée chez 50 malades intolérants à l’azathioprine dans la mala-
die de Crohn a montré que l’association méthotrex ate (25 mg puis
15 mg par semaine) et infliximab entraînait une réponse chez 96 %
des patients. Ces données vont dans le sens des études in vitro qui
montrent qu’il existe un effet proapoptotique du méthotrexate sur les
lymphocytes, avec un effet additif du méthotrexate et de l’infliximab.
QUEL EST L’EFFET DE L’INFLIXIMAB SUR LES LÉSIONS
INTESTINALES ?
Dans l’essai ACCENT 1, chez les répondeurs à la 2
e
semaine après
perfusion initiale d’infliximab 5 mg/kg, une cicatrisation endosco-
pique était obtenue à la 54
e
semaine dans 46 % des cas chez les
p a tients re c e vant la même dose toutes les 8 s e m a i n e s , c o n t r e 7 %
dans le groupe placebo. En revanche, si l’on prend en compte tous
les patients (répondeurs initiaux ou non-répondeurs ) , les taux de cica-
t r i s a tion sont de 42 % avec l’infl i x i m ab 5 mg/kg toutes les 8 s e m a i n e s
et de 18 % dans le groupe traitement épisodique. Il s’agit de petits
groupes correspondant aux patients inclus en Belgique. Dans l’essai
ACCENT 1, il y a moins d’hospitalisations ou d’interventions chi-
rurgicales dans le groupe traitement régulier que dans le groupe trai-
tement épisodique,et une corrélation existe entre cicatrisation endo-
scopique et risque d’hospitalisation ou d’intervention. Au c u n e
hospitalisation ou nécessité d’intervention n’a été enregistrée dans
le petit sous-groupe de 9 patients cicatrisés aux semaines 10 et 54.
QUELLES INDICATIONS FUTURES POUR L’INFLIXIMAB
DANS LA MALADIE DE CROHN ?
A c t u e l l e m e n t , dans les fo r mes luminales, après le diag n o s t i c,l e s
poussées de maladie de Crohn sont traitées par corticothérapie et,
en cas d’éch e c,par immu n o s u p p resseur et infl i x i m ab. En cas de suc-
cès des cort i c o ï d e s , le traitement immu n o s u p p resseur est indiqué
s e u l , l ’ i n f l i x i m ab étant associé en cas d’échec ainsi qu’en cas d’éch e c
d’un traitement immu n o s u p p r esseur isolé propoaprès mise en
rémission par l’association infliximab-immunosuppresseur.
À l’avenir, il est probable que les indications seront modifiées. La cor-
ticothérapie initiale sera peut-être remplacée par l’infliximab, et il reste
à déterminer la place du traitement régulier par infl i x i m ab en mono-
thérapie, qui pourrait concurrencer la mise sous immunosuppresseur en
cas de corticodépendance ou après mise en rémission par l’association
infliximab-immunosuppresseur chez les patients corticorésistants.
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