CP/décembre 10/12/02 15:18 Page 92 D o s s i e r t h é m a t i q u e Les traitements adjuvants ou néoadjuvants peuvent-ils être un complément utile à l'exérèse locale des petits cancers du rectum ? ● É. Rullier* Points forts Points Points forts forts ◆ Les traitements adjuvants n’apportent aucun bénéfice après exérèse locale des tumeurs rectales de stade T1 à faible risque. ◆ La radiothérapie postopératoire doit être proposée après exérèse locale des tumeurs T2 et T1 à haut risque car elles sont exposées à 20 % de récidive locale. ◆ Chez les sujets jeunes et capables de supporter une chirurgie majeure, l’exérèse rectale complémentaire doit être proposée plutôt que la radiothérapie postopératoire L e traitement local des petits cancers du rectum (stade T1 ou T2) bénéficie des progrès thérapeutiques non chirurgicaux des cancers avancés du rectum (stade T3 ou T4), c’est-à-dire de la radiothérapie, voire de la chimiothérapie. Ainsi, l’efficacité de la radiothérapie postopératoire (diminution du taux de récidive locale par deux) après exérèse rectale pour tumeurs avancées a incité à proposer ce traitement comme complément à l’exérèse locale pour les petits cancers T2 (1). Plus récemment, la possibilité d’obtenir une régression tumorale après radiothérapie préopératoire a fait naître de nouvelles stratégies dans le traitement conservateur des petits cancers du rectum (2). Ces traitements combinés pré- ou postopératoires restent en compétition avec le traitement * Service de chirurgie digestive, hôpital Saint-André, Bordeaux. en raison des meilleurs résultats oncologiques de la chirurgie. ◆ La radiochimiothérapie préopératoire suivie de l’exérèse locale chez les bons répondeurs en cas de tumeur rectale T2 ou T3 pourrait être une alternative à l’exérèse rectale systématique. ◆ Dans tous les cas, le choix thérapeutique doit être discuté avec le patient, après l’avoir informé des avantages et inconvénients de chaque traitement et de la nécessité d’une surveillance rapprochée. chirurgical radical moderne (exérèse totale du mésorectum) qui offre désormais un résultat oncologique optimal avec une morbidité de plus en plus faible (3). JUSTIFICATIONS DES TRAITEMENTS COMPLÉMENTAIRES Un taux de récidive locale non négligeable Le taux de récidive locale après exérèse locale seule pour petits cancers du rectum est d’environ 20 % à 5 ans ; il est de 10 % pour les lésions T1 et de 20 à 30 % pour les T2 (4). Pour les rares lésions T3 traitées par exérèse locale seule, le taux de récidive locale est de 30 à 50 %. Ces résultats sont à comparer avec les 4 % de récidive locale après résection rectale avec (5) ou sans conservation sphinctérienne (6) pour 92 stades T1 T2 confondus. L’insuffisance du contrôle local après exérèse locale seule est donc un argument suffisant pour contreindiquer les tumeurs T3 pour ce type de chirurgie et proposer un traitement complémentaire pour les tumeurs T2 et probablement les T1 à haut risque. Une technique chirurgicale insuffisante Les raisons de l’échec local après exérèse locale des petits cancers du rectum ne sont pas claires. On les attribue volontiers au risque de métastase ganglionnaire associée, qui constitue l’impasse thérapeutique incontournable du traitement exclusivement local. En fait, le mode de récidive locale, évalué à partir de 18 récidives après 99 tumorectomies pour tumeurs T1 T2, a été rapporté comme étant muqueux dans 17 cas et ganglionnaire dans 1 cas (7). Cela est la preuve directe de l’insuffisance de la technique chirurgicale. En effet, les difficultés d’exposition de la chirurgie transanale entraînent des risques de manipulations et de fragmentation tumorale, voire de dissection transtumorale. De plus, la réalisation d’une plaie dans la paroi rectale majore le risque d’ensemencement du lit d’exérèse. Les preuves indirectes de l’absence de fiabilité et de reproductibilité de la technique d’exérèse transanale, outre l’absence habituelle de description détaillée de la technique opératoire dans la littérature, sont les grandes variations de taux de récidives locales allant de 0 à 18 % pour les T1 (6, 8). Les très faibles taux de récidive après exérèse locale par microchirurgie endoscopique, technique qui permet une exposition optimale sans manipulation tumorale, vont dans ce sens. Tant que la technique d’exérèse transanale ne sera pas standardisée, comme vient de l’être par Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 4 - oct. nov. déc 2002 CP/décembre 10/12/02 15:18 Page 93 D o s s i e r t h é m a t i q u e Tableau I. Résultats après exérèse locale et radiothérapie postopératoire pour cancer T2 du bas rectum. Auteur n Traitement adjuvant Récidive locale (%) Survie sans récidive (%) Suivi (ans) Russel (9) Steele (1) Bouvet (10) 25 51 27 50-56 Gy + 5-FU 54 Gy + 5-FU 53 Gy 16 14 20 71 80 6 4 4 Tableau II. Résultats à 5 ans pour cancers T1T2 du rectum en fonction des facteurs histopronostiques et du traitement (7). Contrôle local Type de tumeur Exérèse locale Exérèse locale + radiothérapie Survie Faible risque (%) Haut risque (%) Faible risque (%) Haut risque (%) 97 91 37 85 87 87 37 58 exemple la technique d’exérèse totale du mésorectum, la radiothérapie postopératoire aura une large place comme complément à une chirurgie potentiellement imparfaite. APPORT DE LA RADIOTHÉRAPIE POSTOPÉRATOIRE Amélioration partielle du contrôle local La radiothérapie pelvienne est réalisée un mois après l’exérèse locale afin d’attendre la cicatrisation des tissus et s’étale sur environ 6 semaines. Le champ d’irradiation comporte le pelvis (45 Gy) associé à un surdosage tumoral (10 à 15 Gy). La chimiothérapie est souvent utilisée pour potentialiser l’effet de la radiothérapie. Après exérèse transanale d’un cancer rectal stade T2, la radiothérapie postopératoire améliore le contrôle local, le taux de récidive locale devenant inférieur à 20 % (tableau I). Par ailleurs, elle retarde l’apparition des récidives locales : 14 mois après exérèse tumorale seule contre 55 mois en cas de radiothérapie complémentaire (7). Après exérèse locale d’une tumeur à faible risque (lésion bien différenciée et sans emboles lymphovasculaires), la radiothérapie postopératoire n’améliore ni le contrôle local ni la survie (tableau II) (7). En revanche, en cas de tumeur à haut risque (facteurs histopronostiques défavorables), le traitement adjuvant améliore le contrôle local et, à un moindre degré, la survie (tableau II). Toutefois, les résultats de l’exérèse locale avec radiothérapie postopératoire restent décevants comparés à ceux de la chirurgie d’exérèse rectale. Le contrôle local et la survie sans récidive sont respectivement de 85 % et 70 % après traitement local combiné (tableau I) contre plus de 95 % et plus de 90 % après exérèse rectale (3, 5, 6). En cas de stade T1-2 N0, le taux de récidive locale après 244 exérèses totales du mésorectum était de 0,7 % dans l’étude récente multicentrique hollandaise (3). Le choix thérapeutique raisonnable La pratique va consister à adapter la prise en charge à la diversité des petits cancers et aux patients. Schématiquement, on peut distinguer deux types de petits cancers du rectum : • les bons petits cancers ou petits cancers à faible risque qui sont associés à un risque de métastase ganglionnaire et de récidive locale en général inférieur à 5 % : T1 de type sm1 et sm2 (limité aux deux tiers superficiels de la couche sous-muqueuse), bien différenciés, sans emboles vasculo- Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 4 - oct. nov. déc 2002 93 lymphatiques et avec des marges chirurgicales saines ; • les mauvais petits cancers ou petits cancers à haut risque qui sont associés à un risque de métastase ganglionnaire ou de récidive locale supérieur à 15-20 % : T2 ou T1 de type sm3 (envahissant le tiers profond de la couche sous-muqueuse), mal différenciés, avec emboles vasculolymphatiques ou avec marges chirurgicales envahies. En cas de bon petit cancer (T1 à faible risque) : pour tous les patients, l’exérèse locale est suffisante. En cas de mauvais petit cancer (T1 à haut risque ou T2) : – une chirurgie radicale d’exérèse rectale avec ou sans conservation sphinctérienne doit être proposée en complément à l’exérèse locale ; – une radiothérapie (± chimiothérapie) postopératoire est recommandée chez les sujets dont l’espérance de vie est courte ou dont le risque opératoire pour chirurgie majeure est important ; – chez des patients en bon état, le traitement adjuvant ne devrait réalisé après exérèse d’une tumeur à haut risque qu’après avoir informé le patient des avantages et inconvénients de chaque traitement, à savoir privilégier la survie en cas d’exé- CP/décembre 10/12/02 15:18 Page 94 D o s s i e r t h é m a t i q u e rèse radicale ou la qualité de vie en cas de traitement local. Tumeur T2 T3 du rectum INTÉRÊT DE LA RADIOTHÉRAPIE PRÉOPÉRATOIRE Sélection des patients pour l’exérèse locale Les traitements néoadjuvants, en particulier la radiochimiothérapie préopératoire, ont montré leur efficacité dans les cancers avancés du rectum par l’effet downstaging qui facilite la résécabilité des tumeurs volumineuses et la conservation sphinctérienne pour les tumeurs basses (11). Par ailleurs, les patients bons répondeurs auraient une meilleure survie que les nonrépondeurs (12). Ainsi, après radiochimiothérapie préopératoire pour cancer T3 du rectum, une réponse partielle peut être obtenue dans 40 à 50 % des cas et une réponse totale (“stérilisation tumorale” sur pièce de résection rectale) dans 10 à 20 % des cas. Ces constatations ont incité certaines équipes à proposer un traitement conservateur par exérèse locale chez les bons répondeurs après traitement néoadjuvant. Une équipe américaine vient d’évaluer les résultats de cette stratégie originale. Sur une période de 8 ans, 74 cancers du rectum évalués T3 ont été traités par radiothérapie (45 Gy) et chimiothérapie (5-FU) préopératoires (2). Après traitement, le premier critère de sélection pour l’exérèse locale était l’obtention d’une régression tumorale clinique et endoscopique en faveur d’un stade T0 ou T1, associée à une cicatrice tumorale de petite taille (inférieure à 2 cm). Le deuxième critère de sélection était la confirmation par examen histologique extemporané du stade tumoral résiduel pT0-1 et du caractère complet de l’exérèse lors de la tumorectomie transanale. Le cas échéant, une résection rectale radicale était réalisée au cours de la même anesthésie, le patient ayant été prévenu de cette éventualité. La stratégie thérapeutique est représentée sur la figure. Onze patients sur 74 (15%) ont eu une exérèse locale, sans mortalité opératoire et avec une faible morbidité (une sphinctéroplastie pour incontinence). Après Radiochimiothérapie préopératoire Réévaluation Pas de downstating Downstating T0 ou T1 Résection rectale Exérèse locale Marges saines Marges envahies ou pT2 Surveillance Figure. Algorithme thérapeutique pour l'exérèse locale des tumeurs du rectum après radiochimiothérapie néoadjuvante, selon Schell S.R. et al. (2). un suivi médian de 48 mois, il n’y a pas eu de récidive locale, un patient a présenté des métastases pulmonaires 9 mois après le traitement local. Une approche similaire, mais avec une seule étape décisionnelle (réponse clinique complète), a été réalisée chez 26 patients sur 95 (28%), porteurs de lésions T2 et T3 du bas rectum traités par radiochimiothérapie première (13). Aucune récidive n’est survenue chez les patients qui avaient une réponse à la fois clinique et anatomopathologique complète (pT0, n = 17). Ces stratégies combinées laissant la porte ouverte à un traitement local moins agressif pour le patient émettent l’hypothèse que la réponse thérapeutique dans le pelvis (ganglions du mésorectum) est similaire à la réponse tumorale. En fait, le risque de métastase ganglionnaire en cas de régression tumorale complète ou subcomplète (pT0 ou pT1) vient d’être estimé 94 entre 0 et 15 % (2, 14), ce qui incite à l’extrême prudence avant de s’engager vers de telles stratégies. Surveillance Après exérèse locale d’un cancer du rectum, le risque de récidive est surtout local. La rechute pouvant être muqueuse ou ganglionnaire, la surveillance doit associer rectoscopie et échographie endorectale. Les insuffisances de l’échographie endorectale pour caractériser le statut ganglionnaire du patient doivent être palliées par des examens répétés et effectués par le même opérateur, où seule l’apparition d’un ganglion, ou l’augmentation de sa taille, aura une valeur informative. Les résultats moyens de la chirurgie de rattrapage suggèrent que la fréquence et les moyens habituels de surveillance sont insuffisants pour traiter avec efficacité les récidives. Chez les patients à Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 4 - oct. nov. déc 2002 CP/décembre 10/12/02 15:18 Page 95 D o s s i e r haut risque de récidive, la surveillance devrait inclure tous les 3 mois la première année, puis tous les 4 mois la seconde : un toucher rectal, une rectoscopie, une échographie endorectale et une échographie abdominale. Chez les patients à très faible risque, une surveillance clinique et endoscopique semble suffisante. ■ Mots clés. Cancer du rectum - Exérèse locale Radiothérapie postopératoire - Radiochimiothérapie préopératoire. R É F É R E N C E S 1. Steele GD, Herndon JE, Bleday R et al. Sphinctersparing treatment for distal rectal carcinoma. Ann Surg Oncol 1999 ; 6 : 433-41. 2. Schell SR, Zlotecki R, Mendenhall WM et al. Transanal excision of locally advanced rectal cancers downstaged using neoadjuvant chemoradiotherapy. J Am Coll Surg 2002 ; 194 : 584-91. t h é m a t i q u e noma of the distal rectum : long term results of radiation therapy oncology group protocol 89-02. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2000 ; 46 : 313-22. 3. Kapiteijn E, Marijnen C, Nagtegaal I et al, for the Dutch Colorectal Cancer Group. Preoperative radiotherapy combined with total mesorectal excision for resectable rectal cancer. N Engl J Med 2001 ; 345 : 638-646. 10. Bouvet M, Milas M, Giacco GG et al. Predictors tion therapy for distal rectal carcinoma : a review. Cancer 1997 ; 79 : 671-83. of recurrence after local excision and postoperative chemoradiation therapy for adenocarcinoma of the rectum. Ann Surg Oncol 1999 ; 6 : 26-32. 5. Gamagami RA, Liagre A, Istvan G et al. Rectal 11. Rullier E, Goffre B, Bonnel C et al. Preoperative excision with coloanal anastomosis for superficial distal rectal cancer : survival and local recurrence. Colorectal Disease 2001 ; 3 : 304-7. radiochemotherapy and sphincter-saving resection for T3 carcinomas of the lower third of the rectum. Ann Surg 2001 ; 234 : 633-40. 6. Mellgren A, Sirivongs P, Rothenberger DA et al. Is local excision adequate therapy for early rectal cancer ? Dis Colon Rectum 2000 ; 43 : 1064-74. 12. Ruo L, Tickoo S, Klimstra DS et al. Long-term prognostic significance of extent of rectal cancer response to preoperative radiation and chemotherapy. Ann Surg 2002 ; 236 : 75-81. 4. Ng AK, Recht A, Busse PM. Sphincter preserva- 7. Chakravarti A, Compton CC, Shellito PC et al. Long-term follow-up of patients with rectal cancer managed by local excision with and without adjuvant irradiation. Ann Surg 1999 ; 230 : 49-54. 13. Kim CJ, Yeatman TJ, Coppola D et al. Local excision of T2 and T3 rectal cancers after downstaging chemoradiation. Ann Surg 2001 ; 234 : 352-9. 8. Coco C, Magistrelli P, Granone P et al. Conservative surgery for early cancer of the distal rectum. Dis Colon Rectum 1992 ; 35 : 131-6. 14. Hiotis SP, Weber SM, Cohen AM et al. Assessing the predictive value of clinical complete response to neoadjuvant therapy for rectal cancer : an analysis of 488 patients. J Am Coll Surg 2002 ; 194 : 131-6. 9. Russell AH, Harris J, Rosenberg PJ et al. Anal sphincter conservation for patients with adenocarci- ✁ O UI, À découper ou à photocopier JE M’ABONNE AU TRIMESTRIEL Courrier de Colo-proctologie Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules ❏ Collectivité ................................................................................. ABONNEMENT : 1 an ÉTRANGER (AUTRE FRANCE/DOM-TOM/EUROPE ❐ ❐ ❐ à l’attention de .............................................................................. 60 € collectivités 48 € particuliers 30 € étudiants* Pratique : ❏ hospitalière ❏ libérale *joindre la photocopie de la carte + M., Mme, Mlle ................................................................................ Prénom .......................................................................................... ET POUR 10 € DE PLUS ! 10 €, accès illimité aux 26 revues de notre groupe de presse disponibles sur notre ❐ site vivactis-media.com (adresse e-mail gratuite) ❏ autre........................... Adresse e-mail ............................................................................... 80 € collectivités 68 € particuliers 50 € étudiants* ❐ ❐ ❐ *joindre la photocopie de la carte ❏ Particulier ou étudiant QU’EUROPE) + RELIURE ❐ 10 € avec un abonnement ou un réabonnement Adresse postale ............................................................................. Total à régler ...................................................................................................... MODE Code postal ........................Ville …………………………………… ❐ carte Visa, Eurocard Mastercard Pays................................................................................................ Signature : Tél.................................................................................................. ❐ chèque (à établir à l’ordre de Courrier de Colo-proctologie) ❐ virement bancaire à réception de facture (réservé aux collectivités) Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 4 - oct. nov. déc 2002 .......... € À remplir par le souscripteur N° Date d’expiration DaTeBe - 62-64, rue Jean-Jaurès - 92800 Puteaux Tél. : 01 41 45 80 00 - Fax : 01 41 45 80 25 - E-mail : [email protected] 95 CP - No 4 déc 2002 Merci de joindre votre dernière étiquette-adresse en cas de réabonnement, changement d’adresse ou demande de renseignements. DE PAIEMENT