Traitement du cancer du rectum : “la fin de l’histoire” ? É D I

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Traitement du cancer du rectum : “la fin de l’histoire” ?
● Y. Panis*
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l y a maintenant un peu plus de trente ans, l’opinion largement
partagée par les chirurgiens à propos du cancer du rectum souspéritonéal tenait en trois “vérités”:
– l’amputation abdomino-périnéale avec colostomie définitive est quasi
obligatoire ;
– l’impuissance sexuelle est “le prix à payer” pour le traitement ;
– la récidive locale est très fréquente (supérieure à 30 % des cas).
Aujourd’hui, les progrès chirurgicaux ont permis de préserver la fonction sphinctérienne dans la grande majorité des cas. Ainsi, grâce aux
anastomoses colorectales basses mécaniques et colo-anales manuelles
(1), avec adjonction d’un réservoir colique en J (2), voire pour certains,
à la dissection inter-sphinctérienne qui permet de repousser plus encore
les limites de la conservation sphinctérienne (3), on peut considérer
aujourd’hui que l’amputation abdomino-périnéale est indiquée dans
moins de 20 % des cas. Les vérités 2 et 3 ont été, elles, totalement battues en brèche dès 1982 par Heald, qui a clairement démontré la nécessité d’enlever la totalité du mésorectum en cas de cancer rectal sous-péritonéal (4). Ainsi, les séries récentes utilisant cette technique rapportent
des taux de récidives locales à cinq ans, allant de 3 à 11 %, ce qui
démontre à l’évidence la supériorité de cette technique par rapport aux
techniques classiques. Parallèlement, le taux de complication sexuelle a
beaucoup diminué et est, avec cette technique, inférieur à 20 %.
Pendant que les chirurgiens digestifs mettaient environ dix ans pour se
familiariser avec l’exérèse totale du mésorectum (TME), les radiothérapeutes démontraient clairement le bénéfice qu’il pouvait y avoir à
associer la chirurgie à la radiothérapie : le taux de récidive locale à
cinq ans était ainsi réduit significativement de 27 à 11 % dans l’essai
suédois (5) (radiothérapie préopératoire) et de 25 à 13,5 % dans l’essai
américain (radio-chimiothérapie postopératoire) (6). Mais les chirurgiens ont fait observer que les taux de récidive locale obtenus dans les
groupes traités (respectivement 11 et 13,5 %) étaient supérieurs à ceux
observés dans les séries récentes avec exérèse totale du mésorectum
seul. Enfin, les taux très élevés de récidive locale observés dans les
groupes contrôles (respectivement 25 et 27 %) faisaient largement douter de la qualité de l’éxérèse chirurgicale. Fallait-il alors, comme certains, affirmer qu’une bonne exérèse totale du mésorectum était suffisante et que la radiothérapie préopératoire ne conservait qu’une toute
petite place dans le traitement du cancer du rectum (volumineuses
tumeurs fixées, bas situées, à développement antérieur) ? Au contraire,
fallait-il, comme d’autres, continuer à faire de la radiothérapie préopératoire suivie d’exérèse totale du mésorectum, et ce jusqu’à obtention d’un
bon essai contrôlé évaluant TME seule contre TME + radiothérapie préopératoire ?
* Service de chirurgie digestive, hôpital Lariboisière, Paris.
Le 30 août 2001, les résultats de l’essai hollandais ont répondu à cette
question (7). Les partisans de la radiothérapie préopératoire semblent
franchement confortés : parmi 1 748 patients traités de manière curative, le taux de récidive locale à deux ans passait de 8,2 % dans le groupe
avec TME seule à 2,4 % dans le groupe radiothérapie, puis TME
(p < 0,001). Une analyse multivariée démontrait que trois critères indépendants étaient associés à un risque significativement plus élevé de
récidive locale : l’absence de radiothérapie, une tumeur située à moins
de 10 cm de la marge anale et, enfin, une lésion stade 2 ou 3 dans la
classification TNM. Ces deux derniers critères peuvent être, ainsi, les
indications très claires de la radiothérapie préopératoire avant TME. À
l’inverse, une tumeur haut située (sur la charnière) ou stade 1, non infiltrante, doit pouvoir être traitée efficacement avec une TME seule.
Sommes-nous, grâce à cette publication arrivés à la “fin de l’histoire” ?
Le traitement définitif du cancer du rectum sous-péritonéal est-il établi ? Certains répondent que non. En fait, ils soulignent que la survie
était, dans cet essai, identique dans les deux groupes. Cela est exact.
Mais, sur la courbe actuarielle présentée dans l’article, le taux de récidive locale à quatre ans est supérieur à 10 % après TME seule, alors
qu’il reste inférieur à 5 % avec la radiothérapie. On peut donc raisonnablement penser qu’une différence de survie devrait apparaître au bout
de quatre à cinq ans. Ils ajoutent que la radiothérapie préopératoire
altère le résultat fonctionnel des anastomoses basses (8). Là encore, cet
argument est tout à fait recevable. Néanmoins, l’objectif principal ne
doit-il pas être l’obtention du meilleur résultat carcinologique possible ?
Si c’est le cas, la diminution de plus de moitié du taux de récidive locale
obtenue dans cette étude plaide très clairement en faveur de la radiothérapie préopératoire suivie d’exérèse totale du mésorectum, et ce pour
tout cancer infiltrant du rectum sous-péritonéal.
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É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Benoist S, Panis Y, Boleslawski E et al. Functional outcome after coloanal versus low
colorectal anastomosis for rectal carcinoma. J Am Coll Surg 1997 ; 185 : 114-9.
2. Lazorthes F, Gamagami R, Chiotasso P et al. Prospective, randomized study comparing
clinical results between small and large colonic j-pouch following coloanal anastomosis. Dis
Colon rectum 1997 ; 40 : 1409-13.
3. Rullier E, Zerbib F, Laurent C et al. Intersphincteric resection with excision of internal
anal sphincter for conservative treatment of very low rectal cancer. Dis Colon rectum 1999 ;
42 : 1168-75.
4. Heald RJ, Husband EM, Ryall RDH. The mesorectum in rectal cancer surgery : the clue
for pelvic recurrence ? Br J Surg 1982 ; 69 : 613-6.
5. Swedish Rectal Cancer Trial. Improved survival with preoperative radiotherapy in resectable cancer. N Engl J Med 1997 ; 336: 980-7.
6. Krook JE, Moertel CG, Gunderson LL et al. Effective surgical adjuvant therapy for highrisk rectal carcinoma. N Engl J Med 1991 ; 324 : 709-15.
7. Kapiteijn E, Marijnen CAM, Nagtegaal ID et al. Preoperative radiotherapy combined with
total mesorectal excision for resectable rectal cancer. N Engl J Med 2001 ; 345: 638-46.
8. Dahlberg M, Glimelius B, Graf W, Pahlman L. Preoperative irradiation affects functional results
after surgery for rectal cancer. Dis Colon Rectum 1998 ; 41: 543-51.
La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 6 - vol. IV - novembre-décembre 2001
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