CP/décembre 10/12/02 15:17 Page 88 D o s s i e r t h é m a t i q u e Quels sont les résultats carcinologiques de l’exérèse locale (sans traitement adjuvant) ? Peut-on les comparer à ceux de la chirurgie d’exérèse classique ? ● F. Pigot* Points forts Points Points forts forts ◆ L’exérèse locale des cancers du rectum doit s’intégrer dans une démarche globale incluant une évaluation préopératoire de bonne qualité, la résection d’une pièce complète et non fragmentée, une recherche histologique des critères de bonne qualité de la résection et des critères histologiques défavorables. L a publication en 1996 des résultats à long terme du traitement par exérèse locale de 126 cancers du rectum de stade T1 et T2 opérés entre 1983 et 1990 dans notre service, nous a amenés à réévaluer cette technique. N’ayant retenu que les interventions considérées comme curatives (marges saines), la survie spécifique globale à 5 ans était de 85 % et la survie spécifique sans récidive de 71 %. Si l’on individualisait les malades ayant un cancer de stade T1 ou T2, les survies spécifiques sans récidive à 5 ans étaient respectivement de 84 et 65 %. Il faut noter d’emblée que les mauvais résultats obtenus après traitement local des tumeurs de stade T3 avaient très rapidement fait exclure cette indication (1). À l’époque, ces données étaient favorables comparées aux principales séries historiques donnant des survies après exérèse rectale ou amputation abdomino-périnéale à peu près équivalentes. Compte tenu de la survenue exceptionnelle de complications * Hôpital Bagatelle, Talence. ◆ Si les conditions optimum ne sont pas réunies, le risque de récidive est supérieur à celui pris après chirurgie radicale. ◆ Si l’indication d'une chirurgie de rattrapage est posée, elle ne doit pas être réservée aux seules récidives confirmées, mais elle doit être pratiquée d'emblée après le geste local. et de séquelles après exérèse locale, la pratique de cette technique était ainsi justifiée. De plus, grâce à la surveillance aisée de la zone opérée par un simple toucher rectal et une rectoscopie, l’éventuelle récidive locale était diagnostiquée précocement. Cela permettait une chirurgie de rattrapage rapide, jugée à l’époque d’aussi bon pronostic que la chirurgie première. NOUVELLES DONNÉES Ces dernières années, l’amélioration des résultats carcinologiques et fonctionnels de la chirurgie radicale a fait diminuer les avantages de la chirurgie d’exérèse locale. La technique d’exérèse du mésorectum a significativement amélioré le pronostic du cancer du rectum. Les résultats très favorables des séries initiales ont été confirmés par toutes les études ultérieures. Ainsi, d’après les récents travaux colligés dans le tableau I, la survie à 2 ans sans récidive locale, après chirurgie avec exérèse du mésorectum d’un cancer du rectum sans diffusion ganglionnaire, est comprise entre 88 89 et 99%. Les séquelles de la chirurgie carcinologique rectale ont diminué, car le taux d’amputation a baissé et la confection d’un réservoir colique a amélioré le confort des malades opérés de tumeurs très bas situées ; enfin la technique d’exérèse du mésorectum respecte l’innervation génito-urinaire. De plus, certaines techniques d’exérèse rectale par voie intersphinctérienne pourraient repousser encore les indications de l’amputation abdomino-périnéale. Par ailleurs, les progrès de la chirurgie d’exérèse locale ont été modestes. L’invention de la microchirurgie endoscopique transanale n’a pas révolutionné le traitement local. Il est vrai qu’elle permet une excellente vision peropératoire de la tumeur et de ses limites. Son atout principal est de standardiser le traitement chirurgical local. Globalement d’après une récente revue de la littérature, la survie moyenne à 5 ans sans récidive (quel que soit le siège) après exérèse locale est de 90 % pour un cancer du rectum stade T1 et 75 % pour le stade T2. Bien sûr, il faut comparer ces résultats à ceux de la chirurgie classique. COMPARAISONS Pour comparer les résultats de la chirurgie locale à ceux de la chirurgie radicale, nous ne disposons malheureusement que d’une seule série contrôlée. Elle ne concerne que des malades avec cancer de stade T1, le groupe traitement local ayant été opéré par microchirurgie transanale. La survie sans récidive à 5 ans était de 96 % dans les deux groupes (5). Il existe une autre étude, mais de niveau de preuve bien inférieur. Elle décrit deux cohortes non contemporaines de malades opérés par voie locale ou par chirurgie radi- Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 4 - oct. nov. déc 2002 CP/décembre 10/12/02 15:17 Page 89 D o s s i e r t h é m a t i q u e Tableau I. Résultats après chirurgie radicale du cancer du rectum avec exérèse totale du mésorectum, sans traitement adjuvant. Référence (2)* (3)* (4)** n Stade Absence de récidive locale Absence de récidive 88 122 244 T3N0M0 T1-3N0M0 T1-2N0M0 95 % à 5 ans 94 % à 2 ans 99,3 % à 2 ans 85 % à 5 ans *** 91 % à 2 ans 79 % à 2 ans * : études de cohortes ; ** : résultat du bras sans radiothérapie d’une étude contrôlée “sans” versus “avec radiothérapie préopératoire” ; *** : survie sans récidive. Tableau II. Résultats des séries comparant l’exérèse locale des cancers du rectum à la chirurgie radicale, sans traitement adjuvant. Stade T1 Référence Technique n (5)* 24 96 % 25 96 % (ns) 69 79 % 30 91 % (p = 0,54) (6)** TEM versus chir. radicale ETA versus chir. radicale ETA versus chir. radicale Stade T2 Survie sans récidive*** n Survie sans récidive*** 39 53 % 123 84 % (p < 0,001) * : étude randomisée ; ** : étude de cohortes ; *** : survie à 5 ans ; TEM : microchirurgie endoscopique transanale ; ETA : exérèse transanale. Tableau III. Résultats après exérèse locale des cancers du rectum, sans traitement adjuvant (études de cohortes non comparatives). Stade T1 Stade T2 Référence n Survie sans récidive à 5 ans (%) n Survie sans récidive à 5 ans (%) (1) (7) (8) (9) (10) (11) (12) (13) (14) (15) 44 55 44 39 21 15 14 59 91 42 84 82 80 90 95 87 86 83* 99 86 82 27 8 20 11 8 51 9 34 65 63 33 58 54 75 71* 78 89 * : résultat à 6 ans. Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 4 - oct. nov. déc 2002 89 cale. Bien qu’inférieure dans le groupe exérèse locale (79 versus 89 %), la survie sans récidive à 5 ans n’était pas significativement différente. Mais si l’on étudie uniquement les malades avec un cancer de stade T2, leur survie était bien inférieure dans la cohorte ayant bénéficié d’un traitement local (53 versus 84 %, p < 0,001) ; seuls les malades avec un stade T1 avaient une survie comparable (79 versus 91 %, p = 0,54) (6). Ensuite, nous pouvons comparer les séries ouvertes de malades traités par voie locale (tableau II) aux séries ouvertes et contrôlées, et faisant référence sur l’exérèse du mésorectum (tableau I). Malheureusement, les caractéristiques des malades inclus ne sont pas identiques (sous-groupes favorables ou malades inclus en intention de traiter), les données exprimées ne sont pas toujours les mêmes : récidive locale ou générale, taux ou survie… À l’ère de la médecine factuelle, ce type de comparaison est donc très discutable. Après chirurgie locale des cancers de stade T1, les séries ouvertes montrent des survies à 5 ans sans récidive comprises entre 83 et 95 % (tableau III). Aucune comparaison avec les résultats de la chirurgie radicale avec exérèse du mésorectum n’est possible, car ce sous-groupe de malades n’est pas individualisé dans les séries récentes. Toutefois, l’étude contrôlée de Winde et al. fait supposer qu’elle serait comparable (tableau II). À l’opposé, un simple coup d’œil aux tableaux I, II et III permet de se rendre compte qu’un malade porteur d’un cancer de stade T2N0 semble avoir moins de chances de guérison après exérèse locale qu’après chirurgie radicale. Logiquement, les séries sur la chirurgie locale (incluant a priori les formes les plus favorables) devraient donner des résultats au moins aussi bons que les séries de chirurgie radicale (incluant les cancers de stade avancé). Seule la localisation très basse serait un facteur de mauvais pronostic plus souvent rencontré dans les séries de chirurgie locale par rapport aux séries de chirurgie radicale. Il est vrai que le risque individuel est impossible à apprécier, et que le risque de séquelle fonction- CP/décembre 10/12/02 15:17 Page 90 D o s s i e r t h é m a t i q u e Standards options et recommandations établies par les comités techniques médicaux des centres régionaux de lutte contre le cancer en 1999 (20) Le traitement local ne doit concerner que les tumeurs : ● inférieures à 3 cm, ● mobiles, ● uT1 ou uT2 en échoendoscopie, ● histologiquement bien différenciées. Conférence de consensus 1994 (document ANDEM) L’exérèse par voie transanale… est indiquée pour les tumeurs du tiers inférieur du rectum, siégeant sur les faces latérales et postérieure, de taille inférieure ou égale à 3 cm, de stade T1 et de bas grade. Pour les tumeurs de stade T2, même bien différenciées, il n’y a pas de consensus… Le malade doit être bien informé de la possibilité d’avoir à subir une exérèse large secondaire…, du risque de récidive… Photo 1. Exérèse par voie transanale, avec la technique du lambeau tracteur de J. Faivre, d’une tumeur du tiers inférieur du rectum. Temps d’exposition et de dissection en amont de la tumeur. Photo 2. Tumeur du tiers moyen du rectum, envahissant la couche musculaire, avec son lambeau de traction. Indications conseillées par l’auteur pour le traitement local ● uT1N0 (échoendoscopique), ● pT1 (histologique) confirmé par examen de la pièce de résection, pour certains uniquement sm1 et sm2, ● avec marges saines (> 2mm), ● et avec absence de critères histologiques défavorables, ● malade informé. nelle est bien supérieur après chirurgie radicale. Certains ont proposé l’association à un traitement adjuvant pour améliorer les résultats de la chirurgie locale (voir article de E. Rullier). PRONOSTIC DES RÉCIDIVES APRÈS TRAITEMENT LOCAL Les défenseurs de la chirurgie locale arguaient de la facilité à diagnostiquer précocement une récidive locale et ainsi à proposer rapidement une chirurgie de rattra90 page. Or la chirurgie pour récidive après geste d’exérèse locale semble donner de mauvais résultats. Deux séries rapportent 24 et 29 malades opérés d’une récidive après chirurgie locale. Trois ans après chirurgie de rattrapage, on observait dans ces deux travaux une récidive pour 41-50 % et une mortalité de 24-33 % (6, 16). Une autre étude non contrôlée suggère que la chirurgie de rattrapage obtiendrait des résultats inférieurs à ceux de la chirurgie radicale secondaire immédiate. En cas de chirurgie de rattrapage pour récidive après traitement local, la survie à 5 ans était de 55 %, alors qu’elle était de 94 % après chirurgie radicale secondaire immédiate (15). Bien sûr, ce résultat est biaisé, car le groupe opéré d’emblée de façon radicale incluait des malades qui n’auraient peut-être pas récidivé après simple exérèse locale, mais la différence de survie reste nette. COMMENT INTÉGRER LA CHIRURGIE LOCALE DANS UNE STRATÉGIE SÛRE ? Il semble raisonnable de réserver la chirurgie d’exérèse locale aux seuls cancers de stade T1 avec un risque de récidive le plus bas possible. Mais ces exigences sont contrariées par l’impossibilité qu’a le bilan préopératoire d’affirmer à 100 % le stade local d’un cancer, donc de donner le niveau du risque de récidive. Même dans les séries les plus récentes le risque de sous-évaluer la profondeur d’extension est de 8 à 17 % que ce soit par échographie endorectale, IRM ou scanner (17). D’ailleurs, l’examen digital reste encore à peu près aussi performant que les techniques modernes d’imagerie pour apprécier l’envahissement pariétal (18). Le diagnostic d’extension ganglionnaire n’est fait qu’avec une sensibilité d’environ 50 % par l’échographie endorectale et les autres techniques actuellement disponibles ne lui sont pas supérieures (17). À l’heure actuelle, seul l’examen histologique de la pièce dans son intégralité permet de confirmer le bienfondé d’un simple geste d’exérèse locale : qualité de l’exérèse, extension en profondeur, caractéristiques histologiques de la Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 4 - oct. nov. déc 2002 CP/décembre 10/12/02 15:17 Page 91 D o s s i e r tumeur, etc. (voir article de Ph. Lasser). L’exérèse locale doit tout d’abord être considérée comme une macrobiopsie. En présence de critères défavorables à l’examen de la pièce de résection, il n’est pas raisonnable d’attendre une récidive pour proposer une chirurgie radicale. Le malade doit donc être informé, dès le début de la prise en charge, de la possibilité d’un geste secondaire immédiatement après l’exérèse locale si l’examen microscopique prédit un risque de récidive trop élevé. Toutefois on peut rassurer le malade, car dans les séries de cancers bien sélectionnés par l’examen préopératoire, ce taux de seconde intervention est peu élevé : 14 et 17% dans deux séries (14, 19). CONCLUSION Pour les cancers sous-muqueux, il semble que la chirurgie d’exérèse locale soit aussi efficace que la chirurgie radicale au prix d’une morbidité certainement moindre. Néanmoins, comme il est souligné dans l’article de Ph. Lasser, il faut éliminer du traitement local les tumeurs ayant un risque d’extension à distance. On considérera l’exérèse locale comme une macrobiopsie suivie d’une chirurgie de rattrapage secondaire immédiate si des critères histologiques défavorables sont présents. La place des traitements adjuvants n’est pas encore bien déterminée ; ils permettraient peut-être d’éviter une chirurgie mutilante pour certaines tumeurs limitées à la sousmuqueuse présentant des facteurs histologiques défavorables. L’insuffisance des résultats de la chirurgie d’exérèse locale concerne certainement les tumeurs envahissant la paroi musculaire du rectum. L’option d’une chirurgie locale t h é m a t i q u e pour une tumeur aussi évoluée doit être mûrement réfléchie et discutée avec le malade. Pour mémoire, les conférences de consensus de l’AFC et des centres anticancéreux admettaient la possibilité de traiter par voie locale des cancers de stade T2. Il est raisonnable de réserver cette option à certains cas exceptionnellement favorables. ■ Mots clés. Cancer du rectum - Exérèse locale. R É F É R E N C E S 1. Faivre J, Chaume JC, Pigot F et al. Transanal electroresection of small rectal cancer : a sole treatment ? Dis Colon Rectum 1996 ; 39 : 270-8. 2. 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