M I S E A U P O I N T Traitements d’induction et adjuvants dans les cancers bronchiques non à petites cellules : efficacité et indication ! M.C. Pailler* L e cancer bronchique non à petites cellules est la tumeur maligne la plus fréquente dans le monde. Son pronostic reste sombre malgré une survie à 5 ans qui a été améliorée, passant de 6 % en 1960 à 15 % dans les années 90. Le traitement de référence des tumeurs localisées reste la chirurgie mais ne concerne que 25 % des patients. Après chirurgie, 70 % des patients atteints de tumeurs localisées (stades I et II) sont vivants à 5 ans mais seulement 25 à 30 % des patients atteints de tumeurs localement avancées (stades IIIa). Soixante à 75 % des rechutes sont métastatiques et environ un tiers sont locorégionales. Afin d’améliorer le pronostic de ces tumeurs opérables, plusieurs stratégies thérapeutiques néoadjuvantes et adjuvantes ont été associées au traitement chirurgical depuis ces dix dernières années. TRAITEMENTS D’INDUCTION La chimiothérapie néoadjuvante Une chimiothérapie administrée avant l’acte chirurgical a un double objectif : améliorer le contrôle local en diminuant le volume tumoral initial mais surtout diminuer le taux de rechutes à distance en détruisant les micrométastases non détectables au moment du diagnostic et ainsi allonger la survie. Ces deux objectifs sont soutenus par la théorie de Goldie et Coldman, qui stipule que le risque de voir apparaître des clones résistants est d’autant plus grand que la tumeur est volumineuse et le nombre de micrométastases supérieur à 106. L’ensemble des essais de phase II de chimiothérapie préopératoire (1-6), bien qu’hétérogènes par leur population et la chimiothérapie utilisée, ont permis de tirer un certain nombre de conclusions. La chimiothérapie préopératoire est faisable, la toxicité péri-opératoire est acceptable, la fibrose médiastinale, lorsqu’elle existe, peut être disséquée. Des taux de réponse complète histologique ont été observés dans 10 % des cas, les taux de réponse objective sont élevés, de l’ordre de 70 %, et le taux de progression pendant la chimiothérapie semble faible. Trois essais randomisés ont évalué l’intérêt d’une chimiothérapie préopératoire pour des CBNPC potentiellement opérables. Rosell et al. (7) ont randomisé 60 patients atteints de CBNPC de stades IIIa entre un bras chimiothérapie néoadjuvante par 3 cures de MIP (mitomycine 6 mg/m2, ifosfamide 3 g/m2 et cisplatine 50 mg/m 2 à J1) et un bras chirurgie seule. Tous les patients ont reçu une radiothérapie postopératoire (50 Gy). Les taux de résection étaient comparables dans les deux bras. L’avantage en termes de survie médiane (26 mois dans le bras chimiothérapie contre 8 mois dans le bras chirurgie seule) et de médiane de survie sans récidive (20 mois versus 5 mois) était tel que l’essai a été interrompu au bout de 18 mois (tableau I). Les conclusions de l’auteur, qui affirmait que la chimiothérapie néoadjuvante améliorait la survie, ont été remises en question en raison de la durée de la survie médiane du groupe chirurgie seule dans cet essai. Roth et al. (8) ont randomisé 60 patients de stade IIIa dont la moitié a reçu une chimiothérapie première avec 3 cycles de cisplatine 100 mg/m 2, étoposide 100 mg/m 2 et cyclophosphamide 500 mg/m2 à J1 suivie d’une chirurgie avec 3 cycles complémentaires en cas de réponse objective. L’autre moitié a subi une chirurgie seule. Les taux de résécabilité étaient identiques. La différence très significative en termes d’allongement de la survie est bien due à l’augmentation de la survie dans le bras chimiothérapie (64 mois versus 11 mois ; p < 0,008). Cet effet se prolonge à 3 ans (56 mois versus 15 mois) (tableau II). Le Tableau I. Essai de phase III de Rosell et al. N Non opérés % Résécabilité Médiane survie (mois) Médiane SSR (mois) Taux de rechute (%) CT + chirurgie 30 7 85 26 20 56 Chirurgie seule 30 0 90 8 5 74 P – – NS < 0,001 < 0,001 0,65 Tableau II. Essai de phase III de Roth et al. N Non opérés % RO % Résécabilité Médiane survie (mois) % Survie à 3 ans CT + chirurgie 28 78 35 61 64 56 Chirurgie seule 32 0 – 66 11 15 P – – – NS 0,008 0,008 * Service d’oncologie médicale, CHU Avicenne, Bobigny. La Lettre du Cancérologue - volume IX - n° 4 - septembre 2000 155 M I S E A U troisième essai randomisé est l’essai français coordonné par A. Depierre (9), qui a évalué l’impact d’une chimiothérapie néoadjuvante dans les stades I (sauf T1 N0) à IIIa. Trois cent soixante-treize patients ont été randomisés entre un bras A (chirurgie seule) et un bras B (2 MIP suivis d’une chirurgie). En cas de réponse objective, les patients recevaient 2 cycles de cette même chimiothérapie en postopératoire. En cas d’envahissement ganglionnaire de type N2 ou d’extension locorégionale T3, ils recevaient une radiothérapie adjuvante. Les taux de réponse objective étaient de 64 %. Les taux de résécabilité étaient identiques dans les deux bras et la survie médiane était augmentée dans le bras chimiothérapie, mais de façon non significative (p < 0,09). Une analyse par sous-groupes avait mis en évidence une augmentation significative de la survie non pas dans les stades IIIa comme on l’attendait mais dans les stades I et II (tableau III). Pour confirmer l’avantage en termes de survie d’une chimiothérapie néoadjuvante dans les stades opérables, plusieurs essais sont en cours avec de nouvelles associations. Tableau III. Essai de phase III de Depierre et al : efficacité. Inclus Éligibles RO Progression Chirurgie RT Bras A Bras B 186 187 176 179 – 64 % 5/179 174 169 Survie Médiane (mois) 72 26 41 36 Radio-chimiothérapie néoadjuvante Quarante pour cent des rechutes sont locorégionales lorsqu’il existe un envahissement ganglionnaire médiastinal homolatéral ou sous-carénaire. La radiothérapie externe néoadjuvante seule n’a montré aucun bénéfice en termes de survie (10-13). En revanche, elle a récemment démontré un intérêt en association avec la chimiothérapie. Elle présente un intérêt d’autant plus grand que la radiothérapie adjuvante des tumeurs localisées semble délétère (14). Plusieurs modalités d’associations de radio-chimiothérapie ont été testées, et l’association concomitante semble la plus efficace. En 1993, Fleck et al. (15) ont été les premiers à comparer une radio-chimiothérapie concomitante néoadjuvante (cisplatine 100 mg/m2 à J1 et J29, 5-FU continu de J1 à J4 et de J29 à J32 + RT 30 Gy) à une chimiothérapie néoadjuvante seule (cisplatine 100 mg/m2 et mitomycine 8 mg/m2 à J1, J29, J71, et vinblastine 4 mg/m2/15 j) chez 96 patients atteints de CBNPC de stades IIIa et IIIb. Ils rapportent un bénéfice en faveur de l’association concomitante avec une augmentation du taux de réponse, du taux de résécabilité et de la survie sans progression. Cependant, cet essai reste critiquable parce que la chimiothérapie utilisée n’est pas la même dans les deux bras. Afin d’améliorer la tolérance de l’association radio-chimiothérapie, la radiothérapie peut être administrée de façon bifractionnée. Elle présente alors un double avantage, celui d’épargner les tissus sains grâce à l’utilisation de doses < 2 Gy/fraction et d’augmenter l’efficacité de la radiothérapie en limitant le risque de repopulation tumorale entre deux fractions. Les résultats de quatre études de phase II dans les stades IIIa et IIIb sont résumés dans le tableau IV (16-19). 156 P O I N T Tableau IV. Chimio-radiothérapie bifractionnée néoadjuvante, stades IIIa et IIIb. CT RT PFVIb x 2 42 Gy/28 f/4 s 81 % 9,5 % 25 mois 37 % Grunenwald PFVlb x 2 1997 (17) 42 Gy/28 f/4 s 57 % 10 % 15 mois 25 % Eberhardt 1998 (18) 45 Gy/30 f/3 s 53 % 24 % 19 mois 32 % 52 % – – 54 % Choi 1997 (16) Choi 1997 (19) PE x 3 PFVlb x 2 54-60 Gy/ 30 f/5 s Taux de RC Survie Survie résécabilité histologique médiane à 3 ans Ces études de faisabilité montrent des résultats encourageants avec des taux de résécabilité élevés et des taux de survie à 3 ans de 25 à 50 %. Cependant, ces chiffres très intéressants doivent être pondérés par l’augmentation de la toxicité observée, en particulier digestive, qui est un facteur limitant d’augmentation des doses. TRAITEMENTS ADJUVANTS Radiothérapie postopératoire La radiothérapie postopératoire après résection complète d’un CBNPC était de pratique courante jusqu’en 1998 et a été remise en cause par la méta-analyse PORT (14). Son bénéfice principal est une amélioration du contrôle local mais il n’a jamais été mis en évidence de bénéfice sur la survie. La métaanalyse PORT regroupe les données individuelles de 2 128 patients de stades I à III provenant de neuf essais randomisés. La radiothérapie externe adjuvante exerce globalement un effet négatif sur la survie avec une diminution de la survie à 2 ans de 55 % à 48 % (p < 0,0003). L’analyse par sousgroupes suggère que l’impact négatif de la radiothérapie postopératoire concerne surtout les stades I et II et les atteintes ganglionnaires N0 et N1. En revanche, il semble que cet effet délétère ne soit pas aussi évident pour les stades IIIa et en cas d’envahissement ganglionnaire N2. Cependant, plusieurs critiques ont été faites concernant cette méta-analyse. La métaanalyse regroupe des études anciennes datant de 1990 à 1996, utilisant du cobalt 60, qui est un agent fibrosant. L’irradiation se faisait selon un schéma bidirectionnel et entraînait une répartition sous-optimale de la dose. Les doses totales étaient très élevées, supérieures à 60-65 Gy, ainsi que les doses par fractions, supérieures à 2 Gy, rendant compte d’une majoration de la toxicité due à la radiothérapie. Le poumon irradié n’était pas évalué d’un point de vue fonctionnel avant irradiation. De grands volumes de poumon sain étaient irradiés. Enfin, il n’y a pas eu de contrôle de qualité des études. Chimiothérapie adjuvante On distingue deux périodes : tout d’abord celle qui a précédé l’utilisation du cisplatine, où il n’a pas été mis en évidence d’amélioration de la survie dans les essais randomisés compaLa Lettre du Cancérologue - volume IX - n° 4 - septembre 2000 rant une chimiothérapie à base d’alkylants à l’abstention (tableau V) (20). La deuxième période correspond aux années 80, où apparaît l’utilisation du cisplatine dans le traitement du CBNPC. Différents essais de phase III, dont certains sont regroupés dans le tableau VI (21-24), ont fait apparaître une augmentation significative de la survie en faveur de la chimiothérapie à base de cisplatine, non seulement par rapport à une abstention thérapeutique mais aussi par rapport à la radiothérapie adjuvante seule. En 1995, le Non Small Cell Lung Cancer Collaborative Group a publié une méta-analyse regroupant 9 001 patients provenant de 54 essais randomisés (25). Parmi ces essais, 14 comparaient une chirurgie seule à une chirurgie avec une chimiothérapie adjuvante. Sept essais comportaient du cisplatine (1 062 patients) et 5 essais des agents alkylants (2 145 patients). Tableau V. Chimiothérapie adjuvante : protocoles anciens sans sels de platine, d’après Holmes (20). Auteurs Agent Résultats Cyclophosphamide négatif Moutarde négatif Shields et al. Cyclophosphamide + méthotrexate négatif Shields et al. Lomustine + hydroxyurée négatif Brunner et al. Slack Tableau VI. Chimiothérapie adjuvante avec sels de platine. Une autre voie d’étude pour améliorer les résultats des traitements adjuvants et néoadjuvants à la chirurgie est la recherche de la meilleure association de chimiothérapie. L’ECOG (27) a présenté cette année au congrès de l’ASCO une étude comparant quatre associations à base de sels de platine dans des CBNPC de stades avancés : gemcitabine-cisplatine (288 patients), paclitaxel-cisplatine (292 patients), paclitaxel-carboplatine (290 patients) et docétaxel-cisplatine (293 patients). Les quatre associations sont équivalentes en termes de réponse (15,3 % à 21,3 %) et de survie. Seule l’association gemcitabinecisplatine améliore sensiblement la survie sans progression (4,5 mois contre 3,3-3,5 mois pour les autres associations). CONCLUSION Auteurs N Stades Randomisation LSCG 1986 (21) 141 II, IIIa CAP BCG intrapleural + lévamisole 23 16 positif Lad et al. 1988 (22) 164 III Radiothérapie Radiothérapie + CAP 13 20 positif Feld et al. 1993 (23) 188 I, II Radiothérapie à 5 ans : 56 % négatif Radiothérapie + CAP à 5 ans : 53 % Niiranen et al. 1992 (24) 110 I CAP Abstention pourrait permettre de mieux cerner, parmi les tumeurs opérables, celles qui sont de bon ou de mauvais pronostic, ce qui constituerait un argument en faveur d’un traitement adjuvant ou néoadjuvant à la chirurgie. G. Cox a présenté à l’ASCO 2000 une étude rétrospective de 168 patients présentant un stade I à IIIa opéré (26). Trois marqueurs biologiques ont été dosés : l’angiogenèse (compte de Chalkley), l’expression de HER2 (immunohistochimie) et l’expression des métalloprotéinases MMP2 et MMP9 (immunohistochimie). La présence d’un compte de Chalkley élevé et l’expression de MMP9 seraient de mauvais pronostic. Cependant, il s’agit d’une étude rétrospective et ces résultats nécessitent une confirmation par des études prospectives. Médiane de Résultats survie (mois) à 5 ans : 67 % positif à 5 ans : 56 % La méta-analyse a abouti aux observations suivantes. Les agents alkylants exerçaient un effet délétère sur la survie avec un déficit relatif en survie estimé à 16 % et une diminution de la durée de survie de 6 % à 5 ans. En revanche, les chimiothérapies à base de cisplatine avaient un effet marginalement significatif sur la survie avec un bénéfice en survie estimé à 13 % et un bénéfice absolu en durée de survie de 5 % à 5 ans. Actuellement, plusieurs essais randomisés évaluent l’intérêt en termes de survie d’une chimiothérapie adjuvante à base de cisplatine, dont l’essai européen IALT coordonné par T. Le Chevalier. La classification clinique et radiologique des tumeurs est un élément fondamental pour le choix thérapeutique. La biologie La Lettre du Cancérologue - volume IX - n° 4 - septembre 2000 La chimiothérapie a sa place en situation néoadjuvante puisqu’elle améliore la survie des stades localisés, les stades IIIa d’après les essais de Roth et Rosell et probablement les stades I et II d’après l’essai de Depierre. La meilleure association reste à trouver. L’intérêt d’une chimiothérapie postopératoire n’est toujours pas démontré en termes de survie et les résultats des essais prospectifs randomisés sont en attente. La radiothérapie adjuvante semble avoir un effet délétère pour les stades I et II. Elle garde probablement un intérêt en termes de survie dans les stades IIIa N2. " R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Johnson DH, Strupp J, Greco FA et al. Neoadjuvant cisplatin plus vinblastine chemotherapy in locally advanced non small cell lung cancer. Cancer 1991 ; 68 : 1216-20. 2. Burkes RL, Shepherd FA, Ginsberg RJ et al. 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