MISE AU POINT
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La Lettre du Cancérologue - volume IX - n° 2 - avril 2000
e nombreux cancers du sein, apparemment locali-
sés et ayant reçu un traitement locorégional opti-
mal, récidivent à distance après plusieurs mois ou
années et sont encore aujourd’hui responsables de décès.
L’hypothèse admise est celle de l’évolution de micrométas-
tases occultes disséminées dans l’organisme et déjà présentes
au moment de la chirurgie initiale : leur destruction constitue
l’enjeu des traitements adjuvants et néoadjuvants. Les traite-
ments adjuvants ont été largement utilisés depuis les années 70
et, bien que le bénéfice absolu en termes de survie soit
modeste (6 à 8 %), on leur attribue, conjointement au dépis-
tage, une responsabilité dans la diminution du taux de morta-
lité par cancer du sein observée au cours des dernières décen-
nies (1).
FACTEURS PRONOSTIQUES ET PRÉDICTIFS
DES TRAITEMENTS SYSTÉMIQUES ADJUVANTS
Jusqu’à récemment, l’indication des traitements systémiques
adjuvants était uniquement fondée sur la reconnaissance des
facteurs de risque de rechute, l’intensité de ces traitements
étant éventuellement proportionnelle à la gravité du risque
encouru. La reconnaissance des caractéristiques biologiques
des tumeurs qui président à l’efficacité probable d’un traite-
ment devrait permettre, dans un avenir proche, d’améliorer les
résultats chez les patientes “répondeuses”.
Principaux facteurs pronostiques
Les traitements adjuvants ont été proposés tout d’abord à des
patientes chez lesquelles un envahissement ganglionnaire était
mis en évidence lors du traitement de la tumeur primitive. Les
indications ont été par la suite étendues aux populations sans
envahissement ganglionnaire pour lesquelles un risque de
rechute était établi de par l’existence d’autres facteurs pronos-
tiques défavorables : taille tumorale importante, grade histo-
pronostique élevé, absence de récepteurs hormonaux d’estro-
gènes et de progestérone dans les cellules malignes, âge
inférieur à 35 ans et existence d’emboles vasculaires péritumo-
raux. La Conférence de consensus qui a clôturé la réunion de
Saint-Gall en mai 1998 (2) a établi des recommandations défi-
nissant les indications des traitements adjuvants et de leurs
principales modalités. La chimiothérapie adjuvante est ainsi
envisagée dans toutes les populations avec envahissement gan-
glionnaire. Une hormonothérapie par tamoxifène y est associée
lorsque les récepteurs hormonaux sont positifs. Dans les popu-
lations ne présentant pas d’envahissement ganglionnaire,
l’existence d’un facteur pronostique défavorable peut faire
envisager un traitement adjuvant. Si les récepteurs hormonaux
sont négatifs, il s’agit alors d’une chimiothérapie. Le tableau I
reproduit la classification des populations N– en trois classes
de risque.
Vers de nouveaux facteurs biologiques prédictifs de la
réponse au traitement adjuvant
Plusieurs facteurs pronostiques biologiques ont été récemment
reconnus, parmi lesquels des marqueurs de prolifération tumo-
rale (phase S par cytométrie en flux, KI 67/MB1 par immuno-
histochimie, cyclines...), des protéases (cathepsine D, UPA,
PAI 1), certaines molécules d’adhésion (intégrines, adhésines),
des oncogènes et anti-oncogènes (c-erb B-2, p53...) (3-6). Ces
facteurs sont confrontés aux facteurs pronostiques classiques
dans des analyses multifactorielles afin de définir leur poids
pronostique et d’affiner leur valeur prédictive. Une voie de
recherche encore plus intéressante est de définir les facteurs
prédictifs de réponse au traitement adjuvant. Le seul facteur
prédictif reconnu à l’heure actuelle est l’existence de récep-
teurs hormonaux dans la tumeur primitive, condition néces-
saire – mais non suffisante – à l’efficacité de l’hormonothéra-
pie par tamoxifène.
Chimiothérapie adjuvante des cancers du sein :
vers une approche séquentielle
M.Tubiana-Hulin*
D
*Centre René-Huguenin, Saint-Cloud.
Facteurs Risque faible Risque Risque élevé
intermédiaire
Taille de la tumeur 1 cm 1-2 cm > 2 cm
Récepteurs hormonaux + +
d’estrogènes et/ou
progestérone
Grade 1 1-2 2-3
Age 35 ans < 35 ans
Tableau I. Classement en risque faible, intermédiaire ou élevé chez
des patientes ne présentant pas d’envahissement ganglionnaire axil-
laire (N–) (2).
Deux autres facteurs prédictifs sont en cours de validation : la
prolifération tumorale et l’oncogène c-erb B-2.
La relation entre chimiosensibilité et prolifération tumorale
a été démontrée dans plusieurs études de protocoles de chimio-
thérapie néoadjuvante. La régression tumorale sous chimiothé-
rapie (dans les tumeurs primitives à phase S élevée) est elle-
même corrélée à une réduction du risque de rechute (7). Ces
éléments rendent probable un surcroît d’efficacité de la chi-
miothérapie adjuvante dans les tumeurs à prolifération élevée,
mais une démonstration claire et définitive n’est pas encore
établie.
La relation entre l’amplification du gène c-erb B-2 (ou la
surexpression de la protéine) et les traitements adjuvants et
néoadjuvants a été étudiée :
– surexpression et résistance au tamoxifène (8),
– surexpression et résistance à la chimiothérapie de type
CMF (9),
– surexpression et sensibilité aux anthracyclines, ou aux
anthracyclines à “fortes doses” (10, 11),
– surexpression et sensibilité aux taxanes (12),
– sensibilité à la radiothérapie.
Cependant, ces résultats ne sont pas tous concordants et
concernent le plus souvent des études rétrospectives. La vali-
dation de la positivité de c-erb B-2 suppose que soit définie la
meilleure méthode de détection (amplification du gène par
Fish ou PCR, surexpression de la protéine par des méthodes
immunohistochimiques comprenant divers anticorps) et qu’un
contrôle de qualité soit établi afin de vérifier la réalisation
technique et les seuils, pour que des études prospectives puis-
sent confirmer les résultats des études rétrospectives.
IMPACT DE LA CHIMIOTHÉRAPIE ADJUVANTE
SUR LE DEVENIR DES PATIENTES
Deux grands essais randomisés adjuvants débutés en 1972 et
1973 ont eu un impact considérable sur la prise en charge des
cancers du sein opérables. Un bénéfice en termes de survie
sans rechute était alors démontré pour les patientes ayant une
tumeur avec envahissement ganglionnaire axillaire avec deux
ans de melphalan dans l’étude du NSABP et un an de la com-
binaison CMF (cyclophosphamide, méthotrexate, 5 fluoro-ura-
cile) dans l’étude de l’Institut du Cancer de Milan (13). L’ana-
lyse des sous-groupes montrait que le bénéfice concernait
essentiellement la population des moins de 50 ans avec un
envahissement ganglionnaire modéré.
De nombreuses études comparant divers protocoles de chimio-
thérapie ont été conduites afin d’établir l’efficacité de la chi-
miothérapie dans différents groupes de patientes (avant ou
après 50 ans, avec ou sans envahissement ganglionnaire), ainsi
que les modalités optimales d’administration.
La méta-analyse internationale des essais adjuvants fait la
somme de 80 % des essais publiés ou réalisés dans le monde.
La publication de septembre 1998 (14) porte sur
30 000 patientes traitées et incluses dans 69 études randomi-
sées. Elle regroupe 18 000 patientes traitées dans 47 études
ayant débuté avant 1990 et comparant une polychimiothérapie
prolongée à une absence de chimiothérapie, 6 000 patientes
dans 11 essais de polychimiothérapie longue comparée à une
chimiothérapie de durée courte et, enfin, 6 000 patientes dans
11 essais comparant une chimiothérapie avec anthracyclines à
une chimiothérapie de type CMF. L’efficacité de la chimiothé-
rapie est ici établie quel que soit l’âge (p < 0,00001), avec un
résultat néanmoins quantitativement plus important avant
50 ans (35 %) que de 50 à 69 ans (20 %). La réduction du taux
annuel de décès est de 27 % (DS 5, p < 0,00001) chez les
moins de 50 ans et de 11 % (DS 3, p < 0,0001) chez les
patientes âgées de 50 à 69 ans au moment de la randomisation
(tableau II). La réduction relative du taux de rechute s’établit
dans les cinq premières années, alors que la survie globale est
améliorée au long des dix premières années de suivi.
Dans les deux groupes, la réduction relative du risque apparaît
indépendante du statut ménopausique, des récepteurs hormo-
naux et de l’association ou non de tamoxifène. De plus, le
bénéfice relatif s’avère identique selon qu’il existe ou non un
envahissement ganglionnaire. En ce qui concerne la durée
optimale du traitement étudiée chez 6 000 patientes, les chi-
miothérapies d’une durée de trois à six mois donnent des résul-
tats équivalents à celles prolongées au-delà. Quant à l’éven-
tuelle supériorité des protocoles comportant des anthracyclines
par rapport au CMF, si celle-ci paraît probable en termes de
réduction du taux de rechute (réduction de 12 %, DS 4,
p=0,006) et de décès (69 % versus 72 % pour la survie à cinq
ans, p = 0,02), la largeur de l’intervalle de confiance ne permet
pas de l’affirmer de façon formelle.
Contrairement aux essais d’hormonothérapie adjuvante par
tamoxifène, dans lesquels le traitement expérimental est une
même molécule à des doses sensiblement identiques, les essais
de chimiothérapie recouvrent des protocoles variés (drogues,
doses, modalités d’administration et durée du traitement). Ces
éléments ont un effet reconnu sur l’efficacité des chimiothéra-
pies, mis en évidence en phase métastatique ou dans certains
essais adjuvants comparant des protocoles différents.
Les conclusions de la méta-analyse établissent la probléma-
tique d’un effet minimal obtenu avec les chimiothérapies de
type CMF. En revanche, elle ne permet pas de conclure sur des
modalités particulières de traitement : nouvelles drogues,
fortes doses, protocoles alternés ou séquentiels.
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La Lettre du Cancérologue - volume IX - n° 2 - avril 2000
Rechute Mortalité
Toutes les patientes 23,8 % sd 2,2 15,2 % sd 2,4
< 40 ans 37 % sd 7 27 % sd 8
40-49 ans 34 % sd 5 27 % sd 8
50-59 ans 22 % sd 4 14 % sd 4
60-69 ans 18 % sd 4 8 % sd 4
Tableau II. Réduction du taux annuel de rechute et de mortalité dans
les diverses tranches d’âge (14).
OPTIMISATION DU TRAITEMENT ADJUVANT
Apport des anthracyclines
Les anthracyclines sont parmi les drogues les plus actives dans
le cancer du sein métastatique. Utilisés à partir de 1974 par le
groupe du MD Anderson au Texas (15, 16), dans des études
non randomisées, les protocoles FAC (5 fluoro-uracile, doxo-
rubicine, cyclophosphamide) paraissaient déjà établir un gain
en termes de survie chez des patientes présentant un envahisse-
ment ganglionnaire (en particulier supérieur à trois ganglions)
et ce quel que soit l’âge. En France, la majorité des protocoles
de chimiothérapie adjuvante administrés depuis une quinzaine
d’années comporte des anthracyclines, et ce malgré le risque
de toxicité cardiaque inhérent aux doses cumulatives de ces
drogues.
Comme il a été dit précédemment, la méta-analyse d’Oxford
établit la supériorité des protocoles de chimiothérapie avec
anthracyclines, mais ceci de façon marginale (14). Tout récem-
ment, une méta-analyse canadienne portant sur 23 essais adju-
vants avec anthracyclines a conclu à leur impact significatif
(17). La revue des essais des grands groupes coopérateurs per-
met quelques conclusions complémentaires.
L’essai du NSABP B-11 a comparé l’association melpha-
lan/5 fluoro-uracile (PF) à l’association melphalan/5 fluoro-
uracile/doxorubicine (PAF) chez des patientes âgées de moins
de 49 ans, ainsi que chez des patientes de 50 à 59 ans ayant des
tumeurs à récepteurs de progestérone négatifs. L’addition de
doxorubicine confère ici un avantage en termes de survie sans
récidive et de survie globale à six ans. En revanche, la même
combinaison à laquelle est adjoint du tamoxifène (NSABP B-
12), soit PFT (melphalan/5 fluoro-uracile/tamoxifène) versus
PAFT (melphalan/5 fluoro-uracile/doxorubicine/tamoxifène),
chez des patientes âgées de plus de 60 ans ou chez des
patientes âgées de 50 à 59 ans avec des tumeurs porteuses de
récepteurs de progestérone, ne met pas en évidence de diffé-
rence significative en termes de survie sans récidive et de sur-
vie globale (18).
Notons que les doses de doxorubicine administrées dans ces
essais (30 mg/m2par cure, pour six cures) apparaissent subop-
timales.
Un essai plus récent du NSABP (B-15) a le mérite d’avoir
posé la question du rôle de l’association doxorubicine/cyclo-
phosphamide par comparaison au classique CMF. Plus de
2000 patientes avec envahissement axillaire ont été randomi-
sées entre quatre cures de chimiothérapie de type AC (doxo-
rubicine 60 mg/m2, cyclophosphamide 600 mg/m2) adminis-
trées sur une période de deux mois versus une chimiothérapie
de type CMF classique en six cures (administrées pour une
durée de six mois). Un troisième bras a évalué la séquence
AC !CMF, avec un intervalle de six mois entre la dernière
cure d’AC et la première cure de CMF. Les résultats de cet
essai montrent une absence de réduction du risque de récidive
ou de différence en termes de survie globale (tableau III),
mais une supériorité de l’association AC par rapport au CMF
en termes de qualité de vie et de réduction de la toxicité (19).
Le groupe de Bonadonna, à l’Institut du Cancer de Milan, a lui
aussi testé l’impact de la doxorubicine dans deux groupes de
patientes :
Dans le groupe de patientes ayant un envahissement gan-
glionnaire limité de un à trois, pour lequel l’apport de six
cycles de CMF apparaît le plus net, la doxorubicine a été
administrée après six cures de CMF et comparée au CMF
seul : les résultats de cette étude publiée par Moliterni en 1991
(20) ne montrent pas de supériorité du bras avec doxorubicine.
Dans le groupe de patientes ayant un envahissement gan-
glionnaire important, pour lequel l’apport de six cures de CMF
adjuvant apparaît plus marginal, la doxorubicine a été intro-
duite dans les deux bras de traitement selon les modalités alter-
nées ou séquentielles. Nous reviendrons en détail sur cette
étude ultérieurement.
L’étude de Misset, du groupe Onco-France (21), a comparé
l’association AVCF (doxorubicine, vincristine, cyclophospha-
mide, 5 fluoro-uracile) à la combinaison CMF, et démontre,
avec un long recul (dix ans de suivi), une supériorité du bras
avec anthracyclines en termes de survie sans récidive et de sur-
vie globale chez des patientes préménopausées.
L’étude de l’International Breast Cancer Cooperative Group
(22) a comporté deux phases. La première partie a effectué une
comparaison CMF versus FEC classique (FEC 1), et les résul-
tats, avec un suivi médian de trois ou cinq ans, sont superpo-
sables entre les deux bras. Dans une deuxième partie, le proto-
cole FEC 1 a été modifié (FEC 2) en majorant les doses de
cyclophosphamide et de 5 fluoro-uracile, sans modifier l’épi-
rubicine. On obtient alors des résultats significativement supé-
rieurs en termes de survie sans récidive et de survie globale par
rapport au protocole comportant le CMF.
MISE AU POINT
62
La Lettre du Cancérologue - volume IX - n° 2 - avril 2000
Références Groupe Chimio- Nombre Follow-up Survie sans Survie
thérapie (années) récidive globale
%%
+A –A p +A –A p
Fischer NSABP B-11 PF 707 5 51 44 0,007 65 59 0,008
1989 (18) vs PAF
Fischer NSABP B-12 PFT 1 106 5 64 63 0,4 77 78 0,9
1989 (18) vs PAFT
Fischer NSABP B-15 CMF 2 194 3 62 63 0,5 83 82 0,8
1990 (19) vs AC
Moliterni Milan CMF 486 5 72 74 0,73 86 89 NS
1991 (20) vs CMF-A
Misset Onco-France CMF 249 10 54 43 0,04 67 61 0,01
1992 (21) vs AVCF 61 43 0,02 76 50 0,001
Préménopause
Coombes ICCG CMF 760 5 61 58 0,26 79 76 0,23
1996 (22) vs FEC
Levine NCI Canada CMF 710 5 63 53 0,009 77 70 0,03
1998 (23) vs FEC
Tableau III. Cancer du sein opérable avec envahissement axillaire.
Principales études randomisées de chimiothérapie adjuvante avec ou
sans anthracyclines.
Plus récemment, l’étude de Levine, du NCI canadien (23),
réactualisée en 1998, a comparé l’impact de six cures de CMF
(cyclophosphamide 100 mg/m2, méthotrexate 40 mg/m2et
5fluoro-uracile 600 mg/m2) versus six cures de FEC (cyclo-
phosphamide 75 mg/m2, épirubicine 60 mg/m2et 5 fluoro-ura-
cile 500 mg/m2) chez des femmes préménopausées avec enva-
hissement axillaire. Avec un suivi de cinq ans, les résultats de
cet essai sont en faveur du CEF, avec une survie sans récidive
de 63 % versus 53 % (p = 0,009) et une survie globale de 77 %
versus 70 % (p = 0,03).
Au total, trois études comparant une chimiothérapie avec
anthracyclines à un CMF “classique” montrent une réduction
significative du risque de rechute et de décès : l’étude Onco-
France, l’étude de l’IBCCG et l’étude du NCI Canada, avec
Levine. Des doses d’anthracyclines suboptimales par cycle ou
au total expliquent peut-être certaines études “négatives”. La
méta-analyse d’Oxford confirme l’apport des anthracyclines
par rapport à des chimiothérapies adjuvantes n’en comportant
pas : réduction de 12 % du risque de rechute (p = 0,006) et de
11 % du risque de décès (p = 0,02).
Durée du traitement
De nombreuses études randomisées ont posé la question de la
durée de la chimiothérapie adjuvante.
La plus importante reste l’étude de Bonadonna, à l’Institut
du Cancer de Milan (24). Avec un recul de cinq ans et sur une
population de 460 patientes, les résultats de cette étude rando-
misée ayant comparé les durées d’une chimiothérapie par
CMF (6 cycles versus 12 cycles) démontrent qu’il n’existe
aucune différence significative : le taux de survie sans rechute
est de 59 % avec 12 cycles de CMF et de 65,6 % avec six
cycles (p = 0,17). De même, la survie globale est identique,
avec un taux médian à cinq ans de 72 % (12 cycles) et 77 %
(6 cycles ; p = 0,20). Dans tous les sous-groupes analysés,
aucun bénéfice n’est trouvé en faveur d’une chimiothérapie
adjuvante comprenant 12 cycles de CMF : pré- ou postméno-
pause, envahissement ganglionnaire de 1 à 3 ou > 3 ganglions.
Des résultats significativement inférieurs sont obtenus avec
une cure unique (25). L’étude comprenait 1 229 patientes
présentant un cancer du sein avec envahissement axillaire.
Trois durées de traitement adjuvant ont été comparées : un seul
cycle de CMF dans les 36 heures suivant la mastectomie ver-
sus six cycles de CMF versus la combinaison des deux précé-
dentes stratégies. Le traitement par un cycle de CMF en post-
opératoire s’avère significativement inférieur en termes de
taux de survie sans rechute à quatre ans (40 % versus 62 %
versus 60 % ; p < 0,0001) et de survie globale (69 % versus
80 % versus 74 %).
L’étude de l’International Breast Cancer Study Group
(IBCSG) a comparé, selon un schéma bifactoriel, quatre
durées de CMF chez 1 554 patientes non ménopausées avec
envahissement ganglionnaire : trois cycles versus six cycles
versus six cycles et réintroduction, après un intervalle libre de
trois mois, de trois cycles supplémentaires versus trois cycles
et réintroduction de trois cycles après une période de repos de
trois mois. Les résultats sont en faveur d’une administration
sur au moins six cycles de CMF : taux de survie sans rechute à
cinq ans de 53 % (trois CMF) versus 58 % (autres bras à six
cycles et plus), p = 0,04.
L’étude française du French Adjuvant Study Group
(FASG), récemment actualisée (ASCO 99), donne les résultats
à huit ans de la comparaison de six cycles de FEC 50 versus
trois cycles de FEC 50 versus trois cycles de FEC 75. La com-
paraison directe des deux bras traités par FEC 50 montre qu’il
existe une différence significative en faveur des six cycles sur
la survie sans rechute (55,5 % versus 46,1 % ; p = 0,018) et la
survie globale (67,4 % versus 60,8 % ; p = 0,047). La diffé-
rence de survie sans récidive entre six cycles de FEC 50 et
trois cycles de FEC 75 (55,5 % versus 47 %) est aussi signifi-
cative (p = 0,04), en faveur des six cycles de FEC 50, mais il
n’y a pas de différence significative en survie globale (26).
Outre la durée du traitement, cet essai permet de poser la ques-
tion de la dose seuil d’anthracyclines.
La méta-analyse des essais de polychimiothérapie prenant en
compte les chimiothérapies CMF ou de type CMF et les chi-
miothérapies par anthracyclines établit la durée optimale pro-
bable de la chimiothérapie adjuvante entre quatre et six mois
(14).
La durée optimale varie suivant le protocole considéré :
l’étude NSABP B-15 (19), montrant la meilleure acceptation
et l’égale efficacité de quatre cures d’AC par rapport à six
CMF en termes de survie sans rechute à trois ans, a fortement
influencé la communauté internationale, quatre cures de chi-
miothérapie avec anthracyclines devenant pour beaucoup
l’unité de base de la chimiothérapie adjuvante efficace. La
brièveté de ce protocole et sa bonne tolérance sont les condi-
tions requises pour l’administration précoce d’autres proto-
coles sans résistance croisée prescrits sur une durée identique,
et dont on pourrait attendre un effet additif sans remettre en
cause le dogme des quatre à six mois de traitement. Cette
démarche a été entreprise par les équipes du Memorial Hospi-
tal, à New York, du NSABP, du CALGB et de la Fédération
des Centres anticancéreux de France.
Dose-intensité
L’augmentation des doses majore les chances de détruire com-
plètement une population tumorale sensible, lorsque la drogue
utilisée a un effet-dose.
La dose-intensité a été définie par Hryniuk (27) comme la
quantité d’un médicament exprimée en milligrammes par
mètre carré de surface corporelle et par unité de temps
(semaine).
Cette définition a eu le mérite de permettre la comparaison de
protocoles thérapeutiques, et de laisser apparaître les modula-
tions possibles :
escalade de doses avec augmentation de la dose unitaire du
ou des médicaments, en maintenant l’intervalle (habituelle-
ment trois ou quatre semaines),
63
La Lettre du Cancérologue - volume IX - n° 2 - avril 2000
réduction de l’intervalle entre l’administration de cycles, en
maintenant des doses “tolérables” de chaque drogue (en limi-
tant ainsi le temps de repopulation cellulaire entre deux
cycles),
augmentation de la dose totale administrée en jouant sur les
deux modalités différentes et/ou la durée totale du traitement.
Les doses-intensités théorique et administrée sont des para-
mètres pris en compte dans la comparaison des différents
régimes de chimiothérapie utilisés actuellement.
Études randomisées testant l’augmentation de la dose totale
ou l’intensité de dose des drogues administrées
Lorsque le facteur multiplicatif a été inférieur ou égal à quatre,
les traitements ont été menés sans greffe de cellules souches
hématopoïétiques.
Deux études montrent une amélioration significative du pro-
nostic pour les groupes recevant les “fortes doses”. Il s’agit de
l’étude du CALGB 8541, publiée avec un recul moyen de neuf
ans par Budman en 1998 (28) : six cures de chimiothérapie
FAC en trois groupes recevant 30, 40 ou 60 mg/m2d’adriamy-
cine, et de l’étude du GFEA, présentée par Bonneterre en 1998
(29) avec cinq ans de recul : six cures de chimiothérapie FEC
en deux groupes recevant 50 ou 100 mg/m2.
Cependant, les doses d’anthracyclines administrées dans les
groupes recevant les faibles doses de ces deux études apparais-
sent actuellement suboptimales, et n’établissent ainsi que
l’effet délétère d’une réduction de dose.
Le schéma de trois études récemment publiées leur permet
d’échapper à cette critique. Les études B-22 (30) et B-25 (31)
du NSABP et l’étude CALGB 9344 (32) comportent un traite-
ment standard identique : quatre séquences de l’association
adriamycine 60 mg/m2+ cyclophosphamide 600 mg/m2.
Les études du NSABP testent l’augmentation des doses de
cyclophosphamide (même dose en deux cures au lieu de quatre
cures ou en dose totale multiplication par deux ou par quatre).
L’étude du CALGB teste une augmentation des doses
d’anthracyclines de 50 %.
Les taux de survie sans rechute et de survie globale n’ont pas
été modifiés. En revanche, les toxicités aiguës ont été considé-
rablement accrues : multiplication par dix du taux de compli-
cations dans le bras “fortes doses” du B-25 par rapport au trai-
tement standard, malgré l’utilisation systématique de facteurs
hématopoïétiques.
Au total, l’augmentation des doses de la chimiothérapie adju-
vante, dans la limite d’une multiplication par quatre, n’a pas
fait la preuve d’un surcroît d’efficacité. Elle montre en
revanche l’effet nocif d’une réduction des doses en deçà de la
dose optimale.
Études randomisées testant les chimiothérapies adjuvantes
intensives avec greffe de cellules souches hématopoïétiques
Les protocoles ont inclus des patientes à haut risque de rechute
ayant habituellement plus de dix ganglions envahis.
Trois études randomisées prospectives portant sur un nombre
élevé de patientes ont été présentées en séance plénière à
l’ASCO en 1999. Les études de Peters (33) et Berg (34) com-
portaient un traitement d’induction de quatre cycles de chimio-
thérapie de type FAC ou FEC et une cure de “consolidation”
intensifiée dans le bras expérimental. Respectivement 874 et
525 patientes ont été randomisées. Avec un recul médian de
trois et deux ans, aucune différence significative en survie
n’est apparue. Ces résultats sont en accord avec ceux de Horto-
bagyi (35) et de Rodenhuis (36), comportant une induction
pré- et postopératoire avec anthracyclines et cyclophospha-
mide, dont les séries incluent un nombre de patientes plus
limité.
DE L’ESCALADE DE DOSE AUX TRAITEMENTS ALTERNÉS
OU SÉQUENTIELS
Rationnel
Les modèles de Goldie, Norton et Skipper (37-39)
Schématiquement, les premiers travaux expérimentaux réalisés
par l’équipe de Skipper sur des lignées cellulaires hématolo-
giques ont établi les effets des drogues cytotoxiques sur des
populations tumorales en croissance exponentielle (37). Skip-
per émettait alors l’hypothèse que la fraction de cellules tumo-
rales détruites par une drogue cytotoxique pouvait être indé-
pendante de l’importance de la masse tumorale.
Selon l’équipe de Goldie et Coldman, la fraction de cellules
tumorales détruites par une drogue cytotoxique croît le plus
souvent avec l’augmentation des doses d’une même drogue,
alors qu’une autre drogue cytotoxique peut également entraî-
ner la destruction supplémentaire d’une autre fraction de la
population tumorale. De plus, des cellules mutantes résis-
tantes, corrélées en nombre à la masse tumorale, vont appa-
raître spontanément au cours de l’évolution de la tumeur.
Ainsi, l’éradication complète d’une tumeur suppose une masse
tumorale résiduelle faible, condition réalisée en situation adju-
vante, ainsi que l’administration précoce de combinaisons de
drogues cytotoxiques aux doses les plus élevées possibles (38).
En pratique, l’absence de démonstration clinique du bien-
fondé du modèle de Skipper a conduit à une nouvelle analyse
du mode de croissance tumorale des cancers du sein expliquant
les échecs observés.
En effet, plutôt qu’une cinétique exponentielle à temps de dou-
blement constant, l’observation clinique des masses tumorales
métastatiques est en faveur d’une cinétique de type gompert-
zien (39), selon laquelle le temps de doublement des cellules,
rapide pour les masses tumorales faibles, augmente progressi-
vement alors que la masse tumorale croît. La théorie de Nor-
ton permet d’expliquer la faible efficacité clinique de certains
traitements. Un cancer du sein est en effet composé de plu-
sieurs lignées cellulaires dont le temps de prolifération et la
sensibilité au traitement varient. La chimiothérapie est alors
susceptible de détruire certaines lignées alors que d’autres ne
sont pas touchées. De plus, les cellules résiduelles de la lignée
sensible peuvent conduire à une repopulation cellulaire rapide
(en raison de leur temps de doublement élevé) et risquent, de
ce fait, d’être moins sensibles au traitement ultérieur.
MISE AU POINT
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La Lettre du Cancérologue - volume IX - n° 2 - avril 2000
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