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La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998
a chimiothérapie est proposée de plus en plus fréquem-
ment aux patientes présentant un cancer du sein. La
récente conférence de consensus de Saint-Gall et le der-
nier congrès de l’American Society of Clinical Oncology ont fait
état de conclusions la proposant chez les femmes préménopausées
en l’absence d’envahissement ganglionnaire pour tout cancer
infiltrant de plus d’un centimètre. Une ménopause précoce peut
survenir en cas de chimiothérapie de type CMF (dans 40 % des
cas avant 40 ans et dans 76 % des cas après 40 ans), et en cas de
chimiothérapie avec anthracyclines (dans 33 % des cas avant
40 ans et dans 96 % des cas après). Cette ménopause chimio-
induite est donc liée à l’âge de la patiente, mais aussi à la dose et
au type de la chimiothérapie prescrite. Il subsiste un grand flou
cependant concernant sa définition, tenant essentiellement au
moment où on l’apprécie. Chez la femme jeune, elle peut être
réversible, et l’on constate des cas de spanioménorrhées.
Les femmes ménopausées par la chimiothérapie vont donc être
soumises précocement aux effets délétères de la ménopause. En
l’absence d’envahissement ganglionnaire, 70 à 80 % d’entre elles
ne rechuteront pas. Chez ces femmes, aux États-Unis, les maladies
cardiovasculaires sont la première cause de mortalité. Outre cet
effet sur l’athérosclérose et les accidents ischémiques, la ménopause
précoce va augmenter le risque d’ostéoporose et induire une symp-
tomatologie grevant la qualité de vie de ces patientes : bouffées
vasomotrices, sueurs nocturnes, troubles de l’humeur et insomnie,
sécheresse vaginale, dyspareunie et diminution de la libido, altéra-
tion de la peau et des phanères, dysurie et incontinence urinaire.
C’est pourquoi il nous a semblé nécessaire de reposer le problème
de l’interdiction absolue du THS chez ces patientes.
Quatre-vingt-dix-neuf patientes ont été traitées à Saint-Louis par
un traitement hormonal substitutif de la ménopause après avoir
présenté un cancer du sein. L’âge moyen à l’instauration du traite-
ment était de 44,5 ans (30-70) ; il s’agissait majoritairement de
patientes présentant, au diagnostic, des tumeurs classées T1-T2
(48 %), et 60 % étaient N-. Trois pour cent de ces tumeurs étaient
classées PEV 2. Histologiquement, 55 % d’entre elles ne présen-
taient pas d’envahissement ganglionnaire. Il s’agissait, dans 82 %
des cas, de carcinome canalaire infiltrant. Neuf pour cent des
tumeurs correspondaient à des carcinomes lobulaires et 8 % à des
carcinomes canalaires in situ. La majorité des tumeurs étaient de
grade 2 (60 %), avec en outre 11 % de grades 1 et 29 % de grades
3. Pour les tumeurs analysées, 66 % étaient RE+ et 78 % RP+. Le
traitement local initial avait été conservateur dans 54,6 % des cas et
radical dans 45,4 % des cas. Le délai minimal entre le diagnostic et
l’instauration du traitement a été de 16 mois, le maximum étant de
22,2 ans, avec une médiane de 8,9 ans. Le motif de prescription à
la demande des patientes a été, dans 27 % des cas, des bouffées
vasomotrices rebelles aux thérapeutiques non hormonales et, dans
28 % des cas, une ostéoporose très importante, souvent avec frac-
tures et tassements vertébraux. Dans 35 % des cas, la prescription
a été réclamée par les patientes en raison d’une dégradation de
leur qualité de vie (libido) ou de troubles de l’humeur (état
dépressif).
Le traitement a débuté après l’arrêt de la chimiothérapie et de
l’hormonothérapie. Toutes les patientes étaient sans maladie évo-
lutive. La médiane de durée de traitement était de 15 mois. Le
recul minimal au moment de cette analyse est de 3,5 mois, le
maximum étant de 9,6 ans. Le traitement consistait majoritaire-
ment en une association estroprogestative simultanée
(88 %). Dans 12 % des cas, le traitement a été administré en
séquentiel.
À ce jour, nous avons observé trois événements : le diagnostic
d’un cancer du sein controlatéral à 5 mois, d’une rechute locale
à 2 ans et d’une rechute ganglionnaire à 4,33 ans. L’immense
majorité des patientes est satisfaite du traitement et signale une
amélioration très importante des symptômes initialement décrits.
Le tableau ci-dessous résume l’expérience internationale sur le
sujet. Aucune étude publiée à ce jour ne montre d’effets délétères.
Certes, il s’agit de petites séries avec un faible recul, de diverses
modalités et durées de traitement. Au Texas, Vassilopoulou et
coll. ont débuté un essai randomisé dont les résultats sont attendus
avec impatience. En Europe, les Suédois ont également débuté
une étude randomisée, et les Britanniques envisagent de le faire.
En France, il est temps d’y réfléchir. ■
POUR EN SAVOIR PLUS...
❒Powles T.J. Treatment of menopausal symptoms in breast cancer patients.
Lancet 1988 ; 2 : 344-5.
❒Disaïa P.J., Grosen E.A., Kurosaki T. et coll. Hormone replacement therapy in
breast cancer survivors : a cohort study. Am J Obstet Gynecol 1996 ; 174 : 1494-8.
❒Eden J., Bush T., Nand S. et coll. A case control study of combined
continuous estrogen-progestin therapy among women with a personal history of
breast cancer. Menopause 1995 ; 2 : 67-72.
❒Vassilopoulou-Sellin R., Theriault R., Klein M.J. Estrogen replacement
therapy in women with a prior diagnosis and treatment for breast cancer.
Gynecol Oncol 1997 ; 65 : 89-93.
❒Peters G.N., Jones S.E. Estrogen replacement therapy in breast cancer
patients : a time for change ? Proc ASCO 1996 ; 15 : 121 (148).
❒Bluming A.Z., Walsman J.R., Dosik G.M. Hormone replacement therapy
(HRT) in women with previously treated primary breast cancer. Update IV.
Proc ASCO 1998 ; 17 : 130a (496).
❒Decker D., Pettinga J.E., Cox T., Burdakin J. Hormone replacement therapy
in breast cancer survivors. The Breast Journal 1997 ; 3 (2) : 63-8.
Traitement hormonal substitutif de la ménopause après cancer du sein.
L’expérience de l’hôpital Saint-Louis
●
Marc Espié*, A. Gorins*, M. Marty*
*Centre des maladies du sein-oncologie médicale, Hôpital Saint-Louis, Paris.
L
Patientes Durée THS Suivi THS Rechutes
Powles 35 15 mois 43 mois 2/35
Disaïa 77 27 mois 59 mois 7/77
Eden 90 18 mois 84 mois 7/90
Vassilopoulou 43 31 mois 31 mois 1/43
Peters 56 ? 37 mois 0/56
Bluming 171 33 mois 33 mois 8/171
Decker 114 30 mois 30 mois 7/61