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Les cancers du sein N+ : quelle chimiothérapie ?
Les cancers du sein N– : la chimiothérapie pour qui ?
● Henri Roché*
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a place de la chimiothérapie adjuvante s’affine au
rythme des essais cliniques randomisés et des métaanalyses successives. Pourtant, si des questions fondamentales concernant son utilité sont résolues, de nombreux
autres problèmes restent encore non élucidés. Deux questions
importantes vont être ici développées :
– Existe-t-il une ou plusieurs chimiothérapies de référence
dans l’indication la moins contestée, le stade II ?
– Quelles sont les patientes chez lesquelles une chimiothérapie
adjuvante peut être évitée dans les stades I ?
LES CANCERS DU SEIN N+ : QUELLE CHIMIOTHÉRAPIE ?
Sur la base de la séance de consensus du NIH (1) et de la
4e méta-analyse de l’EBCTCG (2), nous envisagerons successivement les critères de choix, les modalités d’administration,
les raisons de notre choix et les exceptions.
Les critères de choix
• Efficacité
– Activité versus abstention thérapeutique
Bien que les études soient forcément anciennes, il est clair que
les polychimiothérapies sont plus actives que les monochimiothérapies. Notons que les taxanes seuls n’ayant fait l’objet
d’aucun essai, cette question sur une population N+ risque de
rester sans réponse. La conclusion du NIH est limpide : “La
polychimiothérapie ( 2 agents) est supérieure à la monochimiothérapie.” (1). La méta-analyse va dans le même sens (2).
– Comparaison de protocoles entre eux
La discussion principale porte sur des schémas avec ou sans
anthracyclines. Si plusieurs revues des essais publiés comparant AC, FAC ou FEC à CMF ont été réalisées, seule la
4e méta-analyse (2) apporte des garanties : la réduction des
risques de rechute et de décès est respectivement de 11 ± 3 et
16 ± 3 % en faveur des anthracyclines. Cet écart concernant
les décès est aussi grand que celui obtenu en comparant la chimiothérapie contre rien (15 ± 2 %). Si l’on se restreint à la
population N+, la réduction du risque de rechute est de 11 %
(12 % pour les N–) et de 15 % (18 % pour les N–) pour les
décès. Enfin, il faut noter que la même efficacité est observée
* Institut Claudius-Regaud, 20, rue du Pont-Saint-Pierre, 31052 Toulouse.
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quel que soit l’état des récepteurs hormonaux et, surtout, quel
que soit l’âge. Cela constitue une différence majeure avec les
effets du CMF.
– L’intensité de dose modifie-t-elle l’efficacité ?
En deçà de certaines doses seuil, une moindre efficacité est
observée pour les anthracyclines : doxorubicine : 50 mg/m2
toutes les 3 semaines, épirubicine : 50 ou 100 mg/m2. Pour le
cyclophosphamide, l’augmentation de dose au-delà de
600 mg/m2 dans des protocoles standard ne semble pas modifier les résultats. Le support de cellules souches hématopoïétiques permet d’augmenter considérablement les doses délivrées par une intensification unique ou séquentielle. Seuls des
schémas “dose unique” ont été publiés et, pour l’instant, les
résultats ne montrent pas de supériorité des schémas intensifs.
En dehors d’essais thérapeutiques, de telles stratégies ne doivent pas être proposées (1).
– Faut-il utiliser les taxanes ?
Les premiers essais, dont la plupart sont maintenant terminés,
ont un schéma basé sur l’adjonction de paclitaxel après chimiothérapie conventionnelle par AC. Les premiers résultats
communiqués, souvent avec un recul encore insuffisant, semblent dégager un avantage en faveur du paclitaxel, mais ce
bénéfice pourrait ne concerner que la population RE–. Seul un
plus grand recul permettra de conclure définitivement ; on ne
peut, pour l’instant, recommander en pratique quotidienne
l’utilisation des taxanes (1).
• Toxicité
La toxicité immédiate paraît contrôlée avec un taux de mortalité inférieur à 1 % dans les essais cliniques dont la plupart
n’incluent pas de femmes âgées de plus de 65 ans. Seuls les
essais d’intensification dépassent ce seuil pour atteindre un
extrême de 8 %. Les toxicités tardives ne peuvent pas être
encore totalement évaluées.
– Cardiotoxicité
Les atteintes cardiaques cliniques précoces sont de 0,5 à 1 %
aux doses standard d’anthracyclines chez des patientes sans
comorbidité cardiaque préexistante. Il est plus difficile d’interpréter les variations post-thérapeutiques immédiates de la FEV
et de connaître leur valeur prédictive à long terme. Les études
manquent également sur l’incidence réelle des séquelles cardiaques, 5 et 10 ans après des doses cumulées importantes.
La Lettre du Sénologue - nos 13-14 - 3e-4e trimestres 2001
– Risque de leucémie et myélodysplasies induites
Ce risque a été soulevé par les études d’intensification du
cyclophosphamide et a fait l’objet de publications spécifiques
récentes (3). Il s’agit essentiellement de leucémies aiguës myéloblastiques (LAM) induites, soit par les alkylants, soit par les
antitopoisomérases II, de survenue plus précoce. Le problème
posé par les anthracyclines tient à une alerte portée sur la
mitoxantrone (3) et à une fréquence anormalement élevée dans
les essais utilisant de fortes doses d’épirubicine. Il est possible
qu’un terrain prédispose à ce phénomène, auquel cas on pourrait envisager de renoncer aux anthracyclines chez les individus porteurs de risques biologiques établis.
• Prédictibilité
La valeur prédictive positive d’une sensibilité aux anthracyclines de HER 2/neu fait l’objet de débats animés, mais insatisfaisants. Toutes les analyses en situation métastatique et
néoadjuvante ont été négatives, la transfection de HER 2 sur
des lignées cellulaires n’a pas modifié la chimiosensibilité à la
doxorubicine. À ce jour, son utilisation n’est donc pas justifiée
en pratique quotidienne (1).
Les modalités d’administration
• Durée du traitement
Une partie de la méta-analyse (2) s’est intéressée à la comparaison des durées des chimiothérapies. Les protocoles comportant moins de 6 cycles sont moins efficaces, mais de façon non
significative (7 % ± 5 pour les rechutes, 7 % ± 6 pour les
décès). Aucune tendance ni aucun essai ne va dans le sens
d’une prolongation de la même thérapeutique au-delà de
6 cycles.
• Doses unitaires
En situation métastatique, le CMF avec cyclophosphamide per
os pendant 14 jours est supérieur au protocole “tout” i.v., mais
cette comparaison n’existe pas en adjuvant.
Concernant le FAC, le schéma européen (500, 50, 500) est
supérieur aux schémas plus courts ou sous-dosés. Concernant
le FEC, le problème est moins simple : le FEC 100 est supérieur au FEC 50 dans les formes de mauvais pronostic, mais
cela n’a pas été envisagé pour les situations moins péjoratives.
• Début de la chimiothérapie
Si le consensus est quasiment acquis pour débuter le traitement
avant la radiothérapie (4), le délai optimal de début par rapport
à la chirurgie reste incertain. Une étude rétrospective récente
montre une amélioration de la survie à 10 ans pour les patientes
N+, RE– dont le traitement est initié avant 21 jours (5).
• Traitements combinés ou séquentiels
Certaines équipes ont envisagé des chimiothérapies séquentielles avec anthracyclines. Dans leur expérience, les schémas
séquentiels seraient supérieurs dans certaines formes de mauvais pronostic (> 3 ou 4 N+).
Les raisons du choix
Le choix est relativement facile pour la population générale
des patientes N+ : les protocoles avec anthracyclines sont à
La Lettre du Sénologue - nos 13-14 - 3e-4e trimestres 2001
privilégier. Il paraît souhaitable d’associer du tamoxifène quels
que soient l’âge et le statut ménopausique si au moins l’un des
récepteurs est positif (1). Reste le choix du schéma optimal
avec anthracyclines :
– AC ou FAC/FEC ? Une extrapolation hasardeuse indirecte se
basant sur l’équivalence 4 AC versus 6 CMF et la supériorité
6 FEC versus 6 CMF n’est pas suffisante. Une meilleure qualité de vie après 4 cycles de traitement au lieu de 6 n’a pas non
plus été démontrée. Une synthèse de toutes nos observations
va en faveur de la trithérapie.
– 6 FAC ou 6 FEC ? Aucune comparaison directe ou indirecte
n’est établie, le choix est donc libre entre ces deux protocoles.
– Quel FEC ? Six FEC 100 paraissent un choix raisonnable
(avec une réserve pour les maladies N+ < 4). Avec ce protocole, la SSR et la SG à 5 ans sont respectivement de 70 et
80 % pour une population de pronostic défavorable (essai
GFEA 05).
Les exceptions
Les contre-indications aux anthracyclines : si elles sont formelles, 6 CMF s’imposent. Si elles sont relatives, l’utilisation
des cardioprotecteurs peut s’envisager.
Chez les femmes jeunes, le rôle de l’aménorrhée chimioinduite semble important en cas de tumeurs RE+. Le CMF
génère 40 % d’aménorrhées avant 40 ans contre moins de
20 % après traitement avec anthracyclines aux doses conventionnelles. Ce différentiel, s’il est en partie compensé par
l’adjonction systématique de tamoxifène en cas de RE+, mériterait de faire envisager l’utilisation d’agonistes LH-RH si le
FAC/FEC n’entraînait pas de castration.
Chez les femmes âgées, la cardiotoxicité des anthracyclines
pose un problème. Les cardioprotecteurs peuvent se justifier si
la gravité du pronostic fait choisir une chimiothérapie adjuvante.
LES CANCERS DU SEIN N– :
LA CHIMIOTHÉRAPIE POUR QUI ?
La littérature est beaucoup moins formelle sur l’utilité des
chimiothérapies adjuvantes en l’absence d’envahissement
ganglionnaire axillaire. Pourtant, la distribution actuelle des
nouveaux cas de cancer du sein (70 % de N–) rend cette situation et le problème du choix thérapeutique très fréquents. La
dernière méta-analyse (2) retient un bénéfice en termes de
SSR et de SG dans la population générale N– à peu près équivalent à celui observé chez les N+. En valeur absolue, toutefois, le gain à 10 ans est de 9,7 % pour la SSR (N+ : 13 %) et
de 4,5 % pour la SG (N+ : 11,3 %) chez les femmes de moins
de 50 ans. Dans la tranche 50-69 ans, ce bénéfice est strictement comparable entre N+ et N– : 4,3 % pour la SSR et 3 %
pour la SG.
Le traitement de choix des cancers RE+ est le tamoxifène. La
comparaison tamoxifène versus chimiothérapie + tamoxifène
laisse apparaître une différence en faveur de l’association, quel
que soit l’âge, sur la SSR et la SG. Enfin, la supériorité des
anthracyclines s’exerce également sur la population N–
(5 473 patientes).
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Les indications de chimiothérapie passent obligatoirement par
3 étapes successives : établissement du risque individuel
approximatif de rechute, évaluation du bénéfice escompté du
traitement proposé et évaluation de la toxicité prévisible. Ce
n’est qu’au terme de cette analyse qu’une discussion s’engage
avec la patiente, que les avantages et inconvénients sont exprimés et qu’une décision réfléchie est prise.
Le pronostic des cancers N–
Il est couramment admis que le risque de rechute est globalement de 25 % à 5 ans. En fait, des situations très différentes
justifient la recherche de critères pronostiques permettant un
classement en groupes pronostiques pour lesquels seront
ensuite proposées des recommandations thérapeutiques (6). La
taille, le grade histologique, le jeune âge, l’état des récepteurs
hormonaux, voire un envahissement vasculaire ou lymphatique, sont classiquement pris en compte.
Les indications de chimiothérapie indiscutables
Le risque de récidive dans cette catégorie est d’au moins 20 %
à 10 ans. La taille tumorale à considérer varie de 20 à 30 mm.
Au-delà de 1 cm, le grade 3 et/ou la négativité des récepteurs,
de même que l’âge inférieur à 35 ans, justifient une chimiothérapie adjuvante.
Le bénéfice escompté de réduction du risque de rechute est de
l’ordre de 35 % et de 31 % pour les décès. Cela représente au
moins 6 à 7 “bénéficiaires” pour 100 patientes traitées.
Les indications de chimiothérapie discutables
Dans cette classe figurent les situations de pronostic intermédiaire et de doute sur le coût-bénéfice. Sont considérées
comme étant de pronostic intermédiaire les maladies à risque
de rechute de 10 à 20 % à 10 ans. Comme toujours, ces
groupes ont des limites floues, témoins d’une littérature incertaine. Les combinaisons entre taille, grade et état des récepteurs sont nombreuses ; le bénéfice escompté intéresse 4 à
6 individus sur 100.
De nouveaux critères, en particulier de prédictibilité d’efficacité chimiothérapique, sont indispensables. Par exemple, l’évaluation du taux de prolifération pourrait être discriminant.
Pour les tumeurs RE+, s’il ne fait pas de doute que la chimiothérapie associée au tamoxifène améliore le pronostic, il faut
également tenir compte des inconvénients par rapport à un traitement hormonal seul. Pour les femmes non ménopausées, aux
risques de ménopause immédiate ou anticipée, et donc d’ostéoporose, s’ajoutent les troubles sexuels accentués significativement en cas de chimiothérapie. Pour les femmes ménopausées,
les risques toxiques immédiats et retardés ne sont pas négligeables. On peut donc considérer que le tamoxifène est le traitement de référence dans cette population et que la chimiothérapie doit être proposée et discutée au cas par cas.
Concernant les femmes de plus de 70 ans, les problèmes déjà
évoqués pour les patientes N+ se posent ici de façon encore
plus accrue, en admettant que le bénéfice de la chimiothérapie
soit identique à celui observé dans la tranche immédiatement
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inférieure, ce qui n’est pas démontré. Le bénéfice thérapeutique doit se limiter à celui qui laisse espérer la même survie
que les personnes de même âge non atteintes de l’affection en
cause. Il est clair que la chimiothérapie, dans ces conditions,
doit rester un traitement d’exception.
Les indications de chimiothérapie douteuses
On est ici en présence des tumeurs à faible risque de rechute
(< 10 % à 10 ans). Il est pratique de ne retenir que le critère de
taille < 1 cm. Toutefois, certaines tumeurs de plus de 1 cm partagent ce même pronostic : médullaires typiques, mucineuses,
papillaires et adénokystiques. La question du grade pour les
lésions de moins de 1 cm a également été soulevée, mais il ne
semble pas y avoir de différence. Il est probable que l’efficacité d’une chimiothérapie est de même importance pour ces
petites lésions, mais le bénéfice, vu le nombre d’événements,
n’est pas apparent.
Quelle chimiothérapie pour les tumeurs N– ?
La logique d’efficacité plaide pour utiliser dans toutes les indications la même chimiothérapie. Les anthracyclines sont à privilégier dans cette indication comme pour les N+. La comparaison entre les différents dosages du FEC manque. Le
différentiel de toxicité et le bénéfice pour une moindre partie
de la population fait encore hésiter à l’usage du FEC 100. Une
alternative peut être trouvée dans le protocole FAC. Enfin, un
essai comparant 4 AC à 6 FEC 100 pourrait trouver ici une
double utilité.
Les progrès de la biologie vont mettre à notre disposition des
arguments scientifiques incontournables qui vont modifier fondamentalement notre stratégie thérapeutique. Ainsi l’établissement des portraits moléculaires des tumeurs peut-il conduire à
des traitements “à la carte” tenant compte de facteurs pronostiques et prédictifs individuels susceptibles de nous faire choisir au cas pas cas dans un arsenal thérapeutique élargi à des
molécules non cytotoxiques.
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La Lettre du Sénologue - nos 13-14 - 3e-4e trimestres 2001
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