DOSSIER
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Les indications de chimiothérapie passent obligatoirement par
3 étapes successives : établissement du risque individuel
approximatif de rechute, évaluation du bénéfice escompté du
traitement proposé et évaluation de la toxicité prévisible. Ce
n’est qu’au terme de cette analyse qu’une discussion s’engage
avec la patiente, que les avantages et inconvénients sont expri-
més et qu’une décision réfléchie est prise.
Le pronostic des cancers N–
Il est couramment admis que le risque de rechute est globale-
ment de 25 % à 5 ans. En fait, des situations très différentes
justifient la recherche de critères pronostiques permettant un
classement en groupes pronostiques pour lesquels seront
ensuite proposées des recommandations thérapeutiques (6). La
taille, le grade histologique, le jeune âge, l’état des récepteurs
hormonaux, voire un envahissement vasculaire ou lympha-
tique, sont classiquement pris en compte.
Les indications de chimiothérapie indiscutables
Le risque de récidive dans cette catégorie est d’au moins 20 %
à 10 ans. La taille tumorale à considérer varie de 20 à 30 mm.
Au-delà de 1 cm, le grade 3 et/ou la négativité des récepteurs,
de même que l’âge inférieur à 35 ans, justifient une chimiothé-
rapie adjuvante.
Le bénéfice escompté de réduction du risque de rechute est de
l’ordre de 35 % et de 31 % pour les décès. Cela représente au
moins 6 à 7 “bénéficiaires” pour 100 patientes traitées.
Les indications de chimiothérapie discutables
Dans cette classe figurent les situations de pronostic intermé-
diaire et de doute sur le coût-bénéfice. Sont considérées
comme étant de pronostic intermédiaire les maladies à risque
de rechute de 10 à 20 % à 10 ans. Comme toujours, ces
groupes ont des limites floues, témoins d’une littérature incer-
taine. Les combinaisons entre taille, grade et état des récep-
teurs sont nombreuses ; le bénéfice escompté intéresse 4 à
6individus sur 100.
De nouveaux critères, en particulier de prédictibilité d’effica-
cité chimiothérapique, sont indispensables. Par exemple, l’éva-
luation du taux de prolifération pourrait être discriminant.
Pour les tumeurs RE+, s’il ne fait pas de doute que la chimio-
thérapie associée au tamoxifène améliore le pronostic, il faut
également tenir compte des inconvénients par rapport à un trai-
tement hormonal seul. Pour les femmes non ménopausées, aux
risques de ménopause immédiate ou anticipée, et donc d’ostéo-
porose, s’ajoutent les troubles sexuels accentués significative-
ment en cas de chimiothérapie. Pour les femmes ménopausées,
les risques toxiques immédiats et retardés ne sont pas négli-
geables. On peut donc considérer que le tamoxifène est le trai-
tement de référence dans cette population et que la chimiothé-
rapie doit être proposée et discutée au cas par cas.
Concernant les femmes de plus de 70 ans, les problèmes déjà
évoqués pour les patientes N+ se posent ici de façon encore
plus accrue, en admettant que le bénéfice de la chimiothérapie
soit identique à celui observé dans la tranche immédiatement
inférieure, ce qui n’est pas démontré. Le bénéfice thérapeu-
tique doit se limiter à celui qui laisse espérer la même survie
que les personnes de même âge non atteintes de l’affection en
cause. Il est clair que la chimiothérapie, dans ces conditions,
doit rester un traitement d’exception.
Les indications de chimiothérapie douteuses
On est ici en présence des tumeurs à faible risque de rechute
(< 10 % à 10 ans). Il est pratique de ne retenir que le critère de
taille < 1 cm. Toutefois, certaines tumeurs de plus de 1 cm par-
tagent ce même pronostic : médullaires typiques, mucineuses,
papillaires et adénokystiques. La question du grade pour les
lésions de moins de 1 cm a également été soulevée, mais il ne
semble pas y avoir de différence. Il est probable que l’effica-
cité d’une chimiothérapie est de même importance pour ces
petites lésions, mais le bénéfice, vu le nombre d’événements,
n’est pas apparent.
Quelle chimiothérapie pour les tumeurs N– ?
La logique d’efficacité plaide pour utiliser dans toutes les indi-
cations la même chimiothérapie. Les anthracyclines sont à pri-
vilégier dans cette indication comme pour les N+. La compa-
raison entre les différents dosages du FEC manque. Le
différentiel de toxicité et le bénéfice pour une moindre partie
de la population fait encore hésiter à l’usage du FEC 100. Une
alternative peut être trouvée dans le protocole FAC. Enfin, un
essai comparant 4 AC à 6 FEC 100 pourrait trouver ici une
double utilité.
Les progrès de la biologie vont mettre à notre disposition des
arguments scientifiques incontournables qui vont modifier fon-
damentalement notre stratégie thérapeutique. Ainsi l’établisse-
ment des portraits moléculaires des tumeurs peut-il conduire à
des traitements “à la carte” tenant compte de facteurs pronos-
tiques et prédictifs individuels susceptibles de nous faire choi-
sir au cas pas cas dans un arsenal thérapeutique élargi à des
molécules non cytotoxiques. ■
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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La Lettre du Sénologue - nos 13-14 - 3e-4etrimestres 2001