ONCO-PNEUMOLOGIE Impact des délais de prise en charge dans le traitement du cancer bronchique Delays for diagnosis and treatment of lung cancers C. Chouaïd*, K. Hamidi** L e cancer bronchique, et plus particulièrement le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC), qui représente 80 % des cancers bronchiques est un problème de santé publique (1). C’est un important fardeau en termes de morbimortalité. Sa prise en charge est un processus complexe et le temps écoulé entre les premiers symptômes, l’évocation du diagnostic, le diagnostic lui-même, la réalisation du bilan d’extension et le début du traitement est une séquence impliquant de nombreux professionnels de spécialités différentes. Le pronostic des CBNPC est lié à de nombreux facteurs. Sur le plan clinique, on retient le performans status (PS) et la perte de poids ; sur le plan biologique, l’albumine, les facteurs d’inflammation et, depuis peu, des facteurs de biologie moléculaire comme l’existence d’une mutation EGFR ou d’une mutation Kras. En revanche, le lien entre l’accroissement des délais de diagnostic et de prise en charge thérapeutique et le résultat de cette prise en charge, bien que de plus en plus étudié, est mal connu. L’objectif de cet article est de faire une synthèse des articles publiés à ce sujet. Analyse des délais (tableau) * Service de pneumologie, hôpital Saint-Antoine, Paris. ** Lilly France, Suresnes. Une étude récemment publiée (2) réalisée au Canada et portant sur des patients pris en charge pour CBNPC entre janvier 2005 et mai 2007 (analyse des registres de cancers) examine le temps entre l’observation de la première anomalie radiologique faisant suspecter un cancer du poumon et le diagnostic définitif. Sur les 665 patients, seuls sont retenus ceux ayant un diagnostic définitif de CBNPC et non perdus de vue. L’analyse finale porte sur 495 patients : 64 % ont reçu un traitement standard, 17 % des soins de support et 184 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XV - n° 6 - novembre-décembre 2012 19 % des traitements non standard (patients traités par chimiothérapie malgré un PS altéré ou des comorbidités importantes). Le délai médian avant traitement variait de 29 jours pour les patients recevant des soins de support à 73 jours pour les patients ayant un traitement standard. En analyse multivariée, le délai avant traitement est significativement associé à la survie (p = 0,005). Pour chaque semaine de plus s’étant écoulée avant le traitement, le hazard-ratio (HR) d’une amélioration de survie est de 0,97 (IC95 : 0,96-0,99), et pour chaque mois de plus, il est de 0,89 (IC95 : 0,82-0,97). Lorsque l’analyse est restreinte aux 319 patients qui ont reçu un traitement standard, le délai médian de prise en charge varie de 50 jours pour les patients ayant une maladie de stade IIIB-IV à 94 jours pour ceux ayant une forme localement avancée et à 85 jours pour ceux ayant une forme localisée. En analyse multivariée, les facteurs significativement liés à une meilleure survie sont l’âge pour les formes localement avancées et le délai de traitement pour les formes disséminées (HR = 0,94 ; IC95 : 0,91-0,98, pour chaque semaine d’augmentation de ce délai). Les patients pris en charge dans un délai inférieur à la médiane ont une survie médiane de 6,8 mois versus 11,6 mois pour les autres. Dans la discussion, les auteurs soulignent que l’importance de certains délais n’a pas une seule cause. Ces délais peuvent être liés à l’organisation du système de santé mais également aux patients, respectant plus ou moins les dates de rendez-vous et d’examens. Ces résultats sont comparables à ceux d’études plus anciennes et parfois moins complètes. En Suède (3), le délai médian est de 4,6 mois entre l’apparition des symptômes et l’instauration du traitement, les stades disséminés bénéficiant du délai de prise en charge le moins long. En analyse multivariée, un délai court de Résumé L’effet des retards de prise en charge pour le diagnostic et le traitement des cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC) est mal connu malgré une littérature fournie. Peu d’indicateurs peuvent servir de critère à une prise en charge de qualité. Des études ont analysé, le plus souvent en monocentrique, les délais de prise en charge. Il existe une grande variabilité dans la définition de ces délais, dans les méthodes mises en place pour recueillir les données les concernant et dans les résultats obtenus. Les délais longs sont le plus souvent constatés chez des patients peu symptomatiques, ils s’accompagnent donc d’un meilleur pronostic. Néanmoins, il va devenir nécessaire de développer des indicateurs et des référentiels pour améliorer les délais de prise en charge et de traitement des CBNPC. Tableau. Délais médians de prise en charge thérapeutique après l’apparition des symptômes. Pays Canada (2) Suède (3) Finlande (4) France (5) Espagne (6) Norvège (7) Année(s) d’étude Nombre de patients 2005-2007 1995-1999 2005 1997-2003 1997-1999 1990-1996 495 466 132 355 415 271 prise en charge est associé à une survie plus brève, y compris lorsque l’on corrige en fonction des stades. Les résultats sont plus contrastés dans une autre étude, rétrospective, réalisée en Finlande et portant sur 132 patients (4). Le délai médian est de 14 jours entre le premier symptôme et la première consultation chez un médecin généraliste, et, ensuite, de 24 jours avant la consultation d’un spécialiste. Treize pour cent des patients reçoivent un traitement dans le mois qui suit leur première consultation à l’hôpital, 61 % dans les 2 mois. Au total, le délai médian entre le premier symptôme et le traitement est de 4 mois. Il est plus court pour les patients ayant une maladie de stade IV et pour les cancers à petites cellules (CPC). Sans que cela soit significatif, un délai long est corrélé à une meilleure survie. Une équipe française a étudié l’épidémiologie et les délais de prise en charge de 355 patients atteints de cancer bronchique (5). L’analyse, rétrospective, porte sur l’ensemble des cas diagnostiqués entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 2003 dans un territoire autour du centre hospitalier Robert-Ballanger en Seine-SaintDenis. Le délai avant la prise en charge hospitalière est de 45 jours en moyenne (médiane de 30 jours) ; celui s’écoulant entre la prise en charge hospitalière et le diagnostic est de 19,8 jours en moyenne (10 jours en médiane). Le délai entre le diagnostic et le traitement est de 17,6 jours (médiane à 9 jours). Aucun facteur ne semble influencer le délai avant hospitalisation. Le délai diagnostique est plus long dans les cas d’adénocarcinome que dans les autres histologies (15 jours versus 9 ; p = 0,013) ; le délai hospitalier avant le traitement est plus court pour les CPC que pour les CBNPC (13 jours versus 27 ; p < 0,001). Il est par ailleurs augmenté de 20 jours en cas de traitement chirurgical initial par rapport aux autres traitements (40 jours versus 21 ; p < 0,001). Délais médians de prise en charge entre l’apparition des symptômes et le traitement 29-73 jours (environ 1 à 2 mois) 4,6 mois 4 mois 49 jours (environ 1,6 mois) 123,6 jours (environ 4,1 mois) 66 jours (environ 2,2 mois) En Espagne (6), sur 415 patients (75,4 % de stades IIIB-IV), le délai entre les premiers symptômes et l’instauration du traitement était de 123,6 jours (82,1 jours avant de consulter un spécialiste, 41,4 jours avant le début d’un traitement). Les patients ayant une maladie plus évoluée sont traités dans 80 % des cas dans le mois suivant la première consultation. Un délai allongé est associé à une meilleure survie. En Norvège (7), une étude rétrospective portant sur tous les nouveaux cas de cancers diagnostiqués entre 1990 et 1996 (registre national) a inclus 271 patients. Les survies à 1, 5 et 10 ans étaient respectivement de 29,2 %, 8,5 % et 5,5 %. Les facteurs en rapport avec une survie prolongée sont l’absence de perte de poids au moment du diagnostic, un jeune âge, le stade de la maladie, un bon PS et la réalisation d’un traitement chirurgical à visée curative. Les auteurs ne retrouvent pas de lien significatif entre les délais de prise en charge et la survie. En Irlande (8), le délai médian entre le diagnostic radiologique et le diagnostic histologique est de 31 jours ; il est ensuite de 56 jours avant l’instauration d’un traitement chirurgical et de 61 jours pour les patients traités par chimioradiothérapie. Dans les pays du Sud, les délais sont plus longs. Une étude réalisée en Inde concernant 65 patients nouvellement diagnostiqués relève en moyenne 143 jours (4 à 721) entre les symptômes et le diagnostic puis 20 jours (1 à 380) avant le traitement. Ces délais sont en partie liés à l’instauration de traitements antituberculeux empiriques spécifique à ces régions à forte endémie de tuberculose (9). Une équipe turque a analysé les délais de prise en charge de 119 patients parmi lesquels 26 % de cas de CPC (10). Le premier consultant est un pneumologue dans 54 % des cas, la lésion est endobronchique et centrale radiologiquement dans respectivement Mots-clés Cancer du poumon Diagnostic Prise en charge Évaluation Summary The impact of diagnosis and treatments delays for nonsmall-cell lung cancer (NSCLC) management is poorly studied. We only have a few indicators which can serve as reference for quality assurance actions. Several studies analyzed, mostly in monocentric setting, these delays. There is an important variability in the definition of these delays, in the assessment methods and in the obtained results. Long delays are associated with paucisymptomatic patients and better outcomes. It seems necessary to develop indicators and reference tables in order to improve the delays for diagnosis and treatment of NSCLC. Keywords Lung cancer Diagnosis Management Assessment La Lettre du Pneumologue • Vol. XV - n° 6 - novembre-décembre 2012 | 185 ONCO-PNEUMOLOGIE Impact des délais de prise en charge dans le traitement du cancer bronchique 50 % et 59 % des cas. Le délai médian entre le début des symptômes et la première consultation était de 35 jours (1 à 387) ; ensuite, le temps avant diagnostic était de 49 jours (12 à 396) et le temps avant traitement de 37 jours (9 à 37). La présence de lésions endobronchiques, le type de localisation radiologique (centrale versus périphérique), la classification TNM et le PS ne sont pas associés de manière significative aux différents délais étudiés. L’effet du délai avant la chirurgie semble être également un élément important pour la qualité des soins (11). Une analyse portant sur 24 patients de stade I-II fait état d’un temps médian d’attente avant l’intervention de 82 jours (1 à 641). Avec un suivi médian de 3,3 ans, la médiane de survie est de 3,7 ans, la survie à 5 ans de 40 % et la survie sans maladie à 5 ans de 63 %. Sur ce petit échantillon, il n’y a pas d’association significative entre les délais avant la chirurgie et la survie. L’importance de l’organisation des soins Références bibliographiques Les analyses des délais de prise en charge en fonction de la nature du système de santé sont peu nombreuses. Une étude réalisée aux États-Unis compare les patients pris en charge dans une même région par le système public et par un système privé (12). Le système public prend en charge des patients plus jeunes, plus souvent de race noire ou hispanique, plus souvent sans assurance et de statut socio-économique faible. Il n’y a pas de différence entre les 2 systèmes en termes de survie. Il existe une différence de plus de 40 % entre les délais de prise en charge dans le public et ceux qui sont pratiqués par les assurances privées. En analyse multivariée, l’âge, le sexe, l’origine ethnique, le type de couverture assurantielle ne sont pas significativement associés à un temps plus long avant traitement. Le seul facteur significatif est le fait d’être pris en charge par le système public. Aucune étude spécifique ne porte sur les facteurs susceptibles d’expliquer ces différences. Parmi les hypothèses discutées, les facteurs liés aux patients pris en charge par le système public, mais également les moyens et les organisations du système public, en particulier une coordination insuffisante, peuvent expliquer ces différences. Comment optimiser la prise en charge Les solutions pour optimiser la prise en charge des cancers du poumon sont de plusieurs ordres. Une prise en charge multidisciplinaire et organisée permet de diminuer les temps avant le diagnostic et avant le traitement. Le programme Time To Treat, mis en place au Canada, est un exemple de ces prises en charge améliorées (13). Ce programme repose sur un guichet unique d’entrée dans un département médico­ chirurgical de pneumologie pour tout patient susceptible d’être atteint de cancer bronchopulmonaire. Un coordinateur (“navigateur”) est chargé d’organiser l’ensemble des rendez-vous et d’harmoniser la filière diagnostique ; il existe des rendez-vous dédiés pour le scanner, la bronchoscopie et les consultations de spécialistes. Ce programme a fait passer de 128 à 20 jours le délai pour l’ensemble de la prise en charge, réduisant de manière significative l’ensemble des temps d’accès à une consultation spécialisée, un scanner, une fibroscopie ou un PET scan. Ce programme s’est accompagné d’une satisfaction accrue tant des patients que des professionnels. Des recommandations spécifiques ont été mises en place. Conclusion Malgré le caractère souvent rétrospectif, non parfaitement exhaustif, et monocentrique de la plupart des études, il est quand même assez clairement démontré que les délais longs de prises en charge sont le plus souvent constatés chez des patients peu symptomatiques et s’accompagnent donc d’un meilleur pronostic. Il est nécessaire de développer assez rapidement en France des indicateurs et des référentiels pour améliorer les délais de prise en charge et de traitement des CBNPC. ■ 1. Valdés S, García E. Pérez H. Hernández M. Length of cancer du poumon. Rev Mal Respir 2006;23:43-8. diagnostic delay in patients with non-small-cell lung cancer. 6. González-Barcala FJ, García-Prim JM, Alvarez-Dobaño MEDICC Review 2010;12:29-32. JM et al. Effect of delays on survival in patients with lung 2. Diaconescu R, Lafond C, Whittom R. Treatment delays in cancer. Clin Transl Oncol 2010;12:836-42. non-small-cell lung cancer and their prognostic implications. 7. Skaug K, Eide GE, Gulsvik A. Predictors of long-term J Thorac Oncol 2011;6(7):1254-9. survival of lung cancer patients in a Norwegian commu3. Myrdal G, Lambe M, Hillerdal G, Lamberg K, Agustsson T, nity. Clin Respir J 2011;5:50-8. Ståhle E. Effect of delays on prognosis in patients with non8. 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