C A S C L I N I Q U E Wolff-Parkinson-White et échocardiographie doppler : mieux vaut tard que jamais ● C. Adams*, B. Cauchemez**, O. Thomas** OBSERVATION M. Yann B., 32 ans, consulte en raison de la sensation récente d’un ralentissement brutal de son rythme cardiaque à l’effort. Cela paraît d’autant plus inhabituel à ce jeune patient qu’il est suivi depuis l’âge de 12 jours pour un rythme réciproque sur un faisceau de Kent et est plus coutumier d’épisodes de tachycardie. Initialement patent, postérieur gauche, le Kent est rapidement devenu latent. Plusieurs traitements antiarythmiques ont été proposés jusqu’en 1996, où la prescription de flécaïnide a provoqué un passage en bloc auriculoventriculaire (BAV) 2/1 régressif à l’arrêt du traitement ; depuis cette période, le patient ne prend plus aucun traitement à visée cardiologique et ne ressent plus d’accès de tachycardie. L’examen clinique cardiovasculaire est sans grande particularité : on note uniquement un discret souffle systolique endapexien. L’électrocardiogramme actuel est sinusal à 70/mn, avec un espace PR normal (20 centièmes de seconde ) et des complexes QRS fins sans anomalie notable. À l’issue de la consultation, un électrocardiogramme d’effort et une échocardiographie doppler sont proposés au patient : – L’électrocardiogramme d’effort authentifie un BAV de type Mobitz II en phase III survenant brutalement pour une puissance de 120 watts et une fréquence cardiaque à 160/mn (figure 1). – L’échocardiographie doppler, examen réalisé pour la première fois chez ce jeune patient, diagnostique une transposition corrigée des gros vaisseaux sans autre anomalie associée : absence de communication interventriculaire, de sténose pulmonaire, d’Ebstein... (figures 2 et 3). La fonction du ventricule systémique (anatomiquement, ventricule droit) est satisfaisante, avec absence de dilatation cavitaire et pourcentage de raccourcissement à 30 %. Il existe une fuite auriculoventriculaire systémique modérée avec une surface du jet mesurée à 3 cm2 en doppler couleur (anatomiquement, sur valve tricuspide). * Service de cardiologie, C.H. Victor-Dupouy, Argenteuil. ** Rythmologie-Stimulation cardiaque, Centre médico-chirurgical Ambroise-Paré, Neuilly-sur-Seine. 14 Figure 1. Tracé de l’électrocardiogramme d’effort à 120 watts : survenue brutale d’un bloc auriculoventriculaire de type Mobitz II responsable du brusque ralentissement de la fréquence cardiaque de 160/mn à 80/mn (flèche). Figure 2. Échocardiographie transthoracique coupe apicale 4 cavités. Transposition corrigée des gros vaisseaux : le ventricule systémique est un ventricule droit anatomique (VD) communiquant avec l’oreillette gauche (OG) par l’intermédiaire d’une valve auriculoventriculaire systémique anatomiquement tricuspide. L’oreillette droite (OD) est connectée au ventricule gauche anatomique (VG) par l’intermédiaire d’une valve mitrale. La Lettre du Cardiologue - n° 325 - février 2000 C A S C L I N I Q U E ventricule droit éjecte son contenu vers l’aorte. L’artère pulmonaire transposée est en situation basse en continuité mitrale et tricuspide et l’aorte est haute habituellement en avant et à gauche. L’échocardiographie doppler participe également au diagnostic d’anomalies cardiaques associées : le plus souvent, communication interventriculaire, sténose pulmonaire, malformation d’Ebstein. Figure 3. Échocardiographie transthoracique : tracé TM de la valve auriculoventriculaire systémique, correspondant à un enregistrement de valve morphologiquement tricuspide. La pose d’un pacemaker DDD est retenue, précédée d’une exploration électrophysiologique pour évaluer préalablement l’interférence possible du Kent sur ce mode de stimulation et discuter la nécessité d’une ablation par radiofréquence du faisceau accessoire. L’examen confirme le bloc de siège intrahissien, avec un His en position atrioventriculaire très antérieure, et constate l’involution complète du faisceau de Kent, en rétrograde en particulier, prévenant ainsi toute complication potentielle avec la stimulation double chambre, notamment de type réentrée électronique. Un pacemaker double chambre est mis en place. À un an, le patient mène une vie normale, pratiquant occasionnellement le jogging et le ski sans gêne fonctionnelle. En échocardiographie doppler, la fonction du ventricule systémique et la fuite auriculoventriculaire systémique sont stables. DISCUSSION L’observation de ce patient suscite plusieurs commentaires. ✔ Ce cas clinique souligne l’intérêt de l’échocardiographie doppler en cas de syndrome de Wolff-Parkinson-White. Si, dans 60 % à 80 % des cas, il n’existe pas d’anomalie cardiaque sous-jacente, une étiologie, en particulier congénitale, doit être recherchée : en premier lieu, malformation d’Ebstein, puis, à l’instar de notre observation, transposition corrigée des gros vaisseaux, mais aussi cardiomyopathie hypertrophique obstructive ou non, prolapsus valvulaire mitral, atrésie tricuspide ou mitrale, communication interventriculaire ou interauriculaire, persistance du canal artériel, coarctation de l’aorte, diverticule du sinus coronaire, etc. (1). La grande majorité de ces pathologies est aisément diagnostiquée de manière non invasive par l’échocardiographie doppler transthoracique. La transposition corrigée des gros vaisseaux connecte l’oreillette droite au ventricule gauche par l’intermédiaire d’une valve mitrale, puis le ventricule gauche à l’artère pulmonaire ; l’oreillette gauche communique avec le ventricule droit par l’intermédiaire d’une valve tricuspide, et le La Lettre du Cardiologue - n° 325 - février 2000 ✔ Le diagnostic de la cardiopathie congénitale sous-jacente a été effectué ici lors de la survenue de troubles conductifs : déjà, en 1996, une tentative de traitement antiarythmique par la flécaïnide avait dû être interrompue en raison de l’apparition d’un BAV du deuxième degré, régressif à l’arrêt ; l’électrocardiogramme d’effort a objectivé un Mobitz II en phase III sur des complexes QRS fins, très caractéristique du siège intrahissien du bloc. L’apparition d’un BAV est une complication habituelle de la transposition corrigée des gros vaisseaux, mise sur le compte d’une position anormale du nœud auriculoventriculaire et du faisceau de His, ainsi que cela a été constaté lors de l’exploration électrophysiologique de notre patient ; on estime sa fréquence à 2 % par an. Sur une série de 17 patients, Daliento (2) évalue la fréquence des BAV du premier degré à 12 % et celle des BAV complets à 29 %, les cas apparaissant à un âge moyen de 15,8 ans. Pour deux patients, on observe une évolution du BAV des premier et second degrés au BAV complet évoquant une altération progressive des voies de conduction auriculoventriculaires. Parmi 52 patients âgés de plus de 18 ans suivis à Toronto (3), 18 ont été appareillés par pacemakers permanents, dans la moitié des cas pour BAV d’aggravation progressive ou BAV complet diagnostiqué d’emblée, et dans l’autre moitié des cas pour BAV complet postopératoire en dépit d’une attention particulière pour éviter de léser les voies de conduction pendant le geste chirurgical. ✔ La survenue de troubles conductifs dans le contexte d’un syndrome de Wolff-Parkinson-White est peu fréquente. Elle peut, comme dans la présente observation, constituer un mode de “guérison” des accès de rythme réciproque, le blocage antérograde de la conduction dans le faisceau de His, dès l’accélération du rythme, prévenant la pérennisation de la tachycardie. Dans le cadre d’une stimulation double chambre, l’existence d’une conduction rétrograde fiable en 1/1 dans le faisceau de Kent complique la stimulation, car elle peut faciliter la survenue de rythmes réciproques électroniques. En fait, dans le cas présent, ce problème potentiel ne se posait pas, le faisceau de Kent ayant spontanément involué. Ce phénomène d’involution spontanée des faisceaux accessoires est bien connu chez l’enfant, durant la première année de vie. Il est beaucoup plus rare chez l’adulte, pour la conduction rétrograde en particulier (4). ✔ La transposition corrigée des gros vaisseaux est une pathologie rare correspondant à environ 1 % des cardiopathies congénitales. Son pronostic est loin d’être aussi favorable que pourrait le laisser penser notre observation : la série de Connelly (3) objective 13 décès sur 52 patients (25 %), et, pour ces patients âgés de plus de 18 ans à leur inclusion dans l’étude, l’âge moyen lors du décès est de 38,5 ± 12,5 ans. Favorisée par l’absence d’anomalie cardiaque associée, la méconnaissance du diagnostic pour 15 C A S C L I N I Q U E notre patient est sans doute le fait d’une excellente tolérance jusqu’à l’apparition des troubles conductifs. La découverte tardive, à l’âge adulte, de la transposition corrigée des gros vaisseaux est la conséquence d’une capacité d’adaptation du ventricule droit au régime de pressions systémiques pour certains patients : Ikeda (5) a ainsi colligé quatre observations pour lesquelles le diagnostic a été posé entre 54 et 67 ans, avec, pour deux d’entre elles, la seule constatation d’anomalies électrocardiographiques conduisant à un bilan cardiologique permettant d’authentifier la pathologie congénitale sous-jacente. Habituellement, l’évolution est plus péjorative, surtout en raison de la défaillance du ventricule droit en position systémique et de la régurgitation valvulaire auriculoventriculaire systémique tricuspide (IT). Ces deux complications sont intriquées et il est difficile d’individualiser la cause et la conséquence, mais une publication récente de Prieto (6) portant sur le suivi de 40 patients implique en premier lieu l’IT : en analyse multivariée, seule l’IT est un facteur de risque indépendant de mortalité (p = 0,01), et seules des anomalies morphologiques de la valve, présentes chez 70 % des patients examinés – aspect de type Ebstein, dysplasie, hypoplasie – prédisent l’IT (p = 0,03). La survie à 20 ans est de 93 % en l’absence d’IT et de 49 % en présence d’une IT. Il en est de même si l’on distingue les sujets opérés ou non (chiffres respectifs pour les sujets opérés : 90 % et 34 %, et pour les non opérés : 100 % et 60 %). La défaillance ventriculaire droite serait donc plus souvent la conséquence de l’IT que le processus primaire, le ventricule droit en position systémique apparaissant moins tolérant à la régurgitation auriculoventriculaire qu’un ventricule gauche normal à une fuite mitrale. Notre patient, indemne de défaillance ventriculaire systémique et présentant une IT actuellement modérée, nécessitera un suivi annuel clinique et échocardiographique pour évaluer le devenir de ces deux données essentielles au pronostic ultérieur. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Gallay P., Grolleau R., Nicolai P. Les préexcitations ventriculaires. Les troubles du rythme cardiaque ; acquisitions actuelles, par le Groupe de Rythmique de la Société Française de Cardiologie. Ed. Maloine 1993 ; 141-54. 2. Daliento L., Corrado D., Buja G., John N., Nava A., Thiene G. Rhythm and conduction disturbances in isolated, congenitally corrected transposition of the great arteries. Am J Cardiol 1986 ; 58 : 314-8. 3. Connelly M.S., Liu P.P., Williams W.G., Webb G.D., Robertson P., McLaughlin P.R. Congenitally corrected transposition of the great arteries in the adult : functional status and complications. J Am Coll Cardiol 1996 ; 27 : 1238-43. 4. Chen S.A., Chiang C.E., Tai C.T. et coll. Longitudinal clinical and electrophysiological assessment of patients with symptomatic Wolff-Parkinson-White syndrome and atrioventricular node reentrant tachycardia. Circulation 1996 ; 93 : 2023-32. 5. Ikeda U., Furuse M., Suzuki O., Kimura K., Sekiguchi H., Shimada K. Longterm survival in aged patients with corrected transposition of the great arteries. Chest 1992 ; 101 : 1382-5. 6. Prieto L.R., Hordof A.J., Secic M., Rosenbaum M.S., Gersony W.M. Progressive tricuspid valve disease in patients with congenitally corrected transposition of the great arteries. Circulation 1998 ; 98 : 997-1005. A nnon ce urs BRISTO L-MYERS SQUIBB/S A NO FI∼SYN T HELABO (CoA p rovel), p. 12-13 ; GLAXO WELLCOME (Prito r), p. 28 ; KNO LL FR A N CE (Isoptin e LP), p. 17 ; S A NO FI∼SYN T HELABO (Trinipatc h), p. 2. 16 La Lettre du Cardiologue - n° 325 - février 2000