L Souvent, suffisamment, le temps qu’il faut,

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Opiacés et douleurs chroniques non cancéreuses
Souvent, suffisamment, le temps qu’il faut,
mais avec raison… et quelques interrogations
Éric Viel
Centre d’évaluation
et de traitement de la douleur,
CHU de Nîmes.
Rédacteur en chef
Références bibliographiques
1. Perrot S, Bannwarth B, Bertin P et al.
Utilisation de la morphine dans les douleurs non cancéreuses : les recommandations de Limoges. Rev Rhum (ed. f r.) 1999;
66:651-7.
2. Kalso E, Allan L, Dellemijn PLI et al.
R e c o m m a n d ations for using opioids in
chronic non-cancer pain. European Fe d eration of IASP chapters (EFIC), Prague,
sept. 2003.
3. Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé (AFSSAPS). Les
opioïdes forts dans le traitement des doul e u rs ch roniques non cancére u s e s , 19
juillet
2004,
disponible
sur
h t t p : / / a g m e d. s a n t e . go u v. f r / h t m /
10/opioide/indopino.htm
4. Gomas JM. Petite histoire de la douleur et de la morp h i n e. Le Courrier de
l’Algologie 2004;3:59-66.
L
es opiacés dits “forts”, à l’instar des antidépresseurs et des antiépileptiques, ont pris une place centrale dans la prise en charge des douleurs
c h roniques non cancéreuses (DNCC), comme en témoignent nombre de
recommandations et d’arbres décisionnels.
R. Trèves nous rappelle avec force, dans ce numéro (rubrique Vie professionnelle), le rôle des rhumatologues au sein de groupes de travail à l’origine des
Recommandations de Limoges (1) puis, plus récemment, de celles d’Amsterdam (2) tandis que, publiée cet été, la mise au point de l’Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) (3) nous rappelle quelques
règles de pharmacologie, de thérapeutique et… de bon sens. Il faut en effet
retrouver la mémoire (4) : en 1987, un article paru dans la Revue du Praticien
énonçait qu’il ne faut jamais ”...prononcer le mot “morphine” devant un malade”,
“…dépasser 200 mg/24 h de morphine” et “…toujours l’injecter par voie
intramusculaire”, et autres freins à une prise en charge efficace de la douleur.
Mais, 1987, ce sont aussi les paliers de l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) et la commercialisation de la première morphine retard. C’est ensuite
le plan Kouchner avec, notamment, la suppression du carnet à souches et un
effort sans précédent sur la formation médicale continue et sur la formation
continue des professionnels de santé à la prise en charge des douleurs.
Mais il en est allé de la morphine comme de toutes les libérations, et la prescription devait rapidement connaître ses excès même si, au quotidien, l’algologue ne peut que constater les réticences de nombreux omnipraticiens à pre scrire un morphinique. Les Recommandations de Limoges, frappées au coin du
bon sens, rappelaient notamment que l’évaluation précède la prescription et
comprend “…la synthèse de l’histoire de la maladie et des traitements antérieurs […], une évaluation psychiatrique en cas de doutes ou de suspicion de
troubles psychiatriques…“. La sixième recommandation rappelait même que
ne doivent pas être traités par la morphine les patients atteints de troubles caractériels ou psychosociaux dominants, et le quatorzième commandement stipulait que “…à chaque visite, sont recherchés des signes de mésusage, d’abus
ou de dépendance psychique”.
Et pourtant, quelques années plus tard, que dire de l’observation rapportée par
M. Dousse dans ce numéro : un homme de 43 ans, alléguant une plainte lombalgique et consommant quotidiennement 800 à 1 000 mg de tramadol et 3
à 4 patches de fentanyl 100 µg/h ? Plainte non analysée, anamnèse quasi
ignorée, évaluation négligée, prescription renouvelée sans réévaluation,
absence d’évaluation psychiatrique… facilité, légèreté…
Il fallait donc remettre l’ouvrage sur le métier et c’est tout le mérite du groupe
d’experts réuni par l’AFSSAPS et coordonné par G. Cunin, qui nous propose
une mise au point sur l’utilisation des opioïdes forts dans le traitement des DNCC
(disponible dans ce numéro, rubrique Vie professionnelle, et sur le Net : www.
vivactis-media.com) : évaluation, information du patient, contrat d’objectifs
et de moyens, raisons et modalités d’arrêt thérapeutique… Alors, ne revenons
pas en arrière, ne nous privons pas de la morphine, suivons les règles et les
recommandations, fions-nous au travail et à la réflexion de nos collègues. Le
traitement de la douleur et la médecine ne sont ni art, ni poésie mais apprentissage, évaluation, réflexion, humilité et remise en question.
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Le Courrier de l’algologie (3), no 3, juillet/août/septembre 2004
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