Le Courrier des addictions (15) – n ° 3 – Juillet-août-septembre 2013
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(21,22). Il propose une refonte totale de la
relation médecin-malade, et vise à éradiquer
le paternalisme médical, ou selon l’expression
de l’OMS, l’aspect “doctor-knows-best” (“le
médecin sait mieux”) que l’on peut parfois
retrouver dans l’interaction entre un médecin
et son patient(23).
La notion d’empowerment paraît s’intégrer
parfaitement dans la culture de réduction
des dommages qui s’est progressivement
imposée en addictologie, suite aux nombreux
succès de santé publique que cette politique
de santé a pu obtenir dans le champ des toxi-
comanies(24). La réduction des dommages
est, elle aussi, une approche pragmatique
qui vise d’abord à ne pas fermer la porte
au patient, pour faire avec ce que celui-ci
apporte comme projet initial, et prendre
le temps ensuite de retravailler avec lui ce
projet une fois qu’un lien de confiance a pu
se construire(25). Chez les usagers d’héroïne,
la mise en place de soins orientés vers un
objectif de réduction des dommages a permis
de passer d’un système prônant et organisant
uniquement l’arrêt de la drogue à un dispo-
sitif beaucoup plus diversifié, qui essaie de se
calquer au maximum sur la demande initiale
de l’usager(24). Ce nouveau type d’approche
ne remet absolument pas en question le fait
que l’arrêt définitif du produit est l’objectif
idéal à atteindre, mais part du principe que
cet objectif ne pourra pas être atteint ni
même visé par tous les patients, et qu’il faut
fixer dans ce cas des objectifs intermédiaires
pour ne pas exclure ces patients des prises
en charge(25). L’application des principes
de réduction des dommages aux problèmes
d’alcool a déjà fait l’objet de travaux théo-
riques dans le cadre desquels les approches
de consommation contrôlée ont été propo-
sées(26). C’est d’ailleurs, comme on l’a vu,
l’optique retenue dans de nombreuses recom-
mandations internationales pour justifier des
stratégies de consommation contrôlée.
Conclusion
Le modèle néphaliste (du grec ancien
νηφάλιος, “sobre”, soit abstinence absolue de
tout alcool, liquide, nourriture où il y a de
l’alcool) a permis à l’alcoologie d’après-guerre
de se construire comme une discipline à part
entière. Toutefois, fondé sur une représenta-
tion monolithique du patient alcoolodépen-
dant, il ne correspond pas aux données épidé-
miologiques réelles. Ces données suggèrent en
effet qu’il existe manifestement des profils très
variés de patients alcoolodépendants, avec des
trajectoires évolutives et un pronostic parfois
radicalement opposés. Le modèle historique
de prise en charge semble donc trop rigide
pour répondre au mieux à un panel de situa-
tions aussi différentes.
Le débat actuel ne se situe en aucun cas autour
de la question “abstinence pour tous” ou “modé-
ration pour tous”. Les questions qui se posent
sont plutôt “abstinence pour qui ?” et “modéra-
tion pour qui ?” Dans la plupart des pays étran-
gers, l’entrée de programmes de réduction de
consommation dans les soins s’est faite par la
porte de la réduction des dommages, c’est-à-dire
comme une stratégie de moindre mal privilé-
giant le souci de ne pas exclure des soins les
patients récalcitrants à l’arrêt de l’alcool. D’autres
choix existent, comme l’illustrent les recomman-
dations australiennes proposant une prise en
charge au plus près des souhaits du patient, avec
la possibilité de revoir la stratégie avec lui en cas
d’échec des objectifs initialement fixés.
Il serait non seulement intéressant mais éga-
lement indispensable que la communauté
addictologique française débate de ces ques-
tions aussi actuelles que fondamentales, et qu’un
positionnement soit clairement argumenté dans
un texte officiel de consensus. Ce texte devra
tenir compte des exigences actuelles en matière
de justification scientifique, et devra prendre
en compte les recommandations de l’OMS
qui insistent désormais sur la nécessité que
les projets de soins soient définis par le patient
lui-même, à partir d’une information éclairée
prodiguée par son médecin.
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Remerciements
Les auteurs souhaitent remercier le Pr Henri-
Jean Aubin pour ses conseils bibliographiques
sur le sujet.
B.Roland déclare avoir des liens d'intérêts avec Ethypharm
et Lundbeck.
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