Troubles neuropsychologiques dans l`alcoolo

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Article de synthèse
Rev Neuropsychol
2013 ; 5 (3) : 159-65
Troubles neuropsychologiques
dans l’alcoolo-dépendance :
l’origine de la rechute ?
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Alcohol-related neuropsychological
deficits: an explanation of relapse?
Hélène Beaunieux, Ludivine Ritz,
Shailendra Segobin, Anne-Pascale Le
Berre, Coralie Lannuzel, Céline
Boudehent, François Vabret, Francis
Eustache, Anne-Lise Pitel
Inserm,
EPHE,
Université Caen - Basse-Normandie,
CHU de Caen,
GIP Cyceron,
unité U1077,
boulevard Becquerel,
BP 5229,
14074 Caen cedex,
France
<[email protected]>
doi: 10.1684/nrp.2013.0268
Pour citer cet article : Beaunieux H,
Ritz L, Segobin S, Le Berre AP, Lannuzel C, Boudehent C, Vabret F, Eustache
F, Pitel AL. Troubles neuropsychologiques
dans l’alcoolo-dépendance : l’origine de
la rechute ? Rev Neuropsychol 2013 ;
5 (3) : 159-65 doi:10.1684/nrp.2013.0268
Les effets délétères de l’alcoolo-dépendance sur la structure
et le fonctionnement du cerveau sont aujourd’hui clairement démontrés. Lorsqu’elles sont présentes ces atteintes morphologiques et fonctionnelles
touchent particulièrement le circuit fronto-cérébelleux et le circuit de Papez et sont associées à un tableau neuropsychologique caractéristique mais néanmoins variable en termes
de sévérité d’un patient à l’autre. La contribution des troubles neuropsychologiques dans
la difficulté des patients à maintenir l’abstinence à la sortie des services d’addictologie est
une question cruciale qui a été abordée au moyen d’études transversales et longitudinales.
Les données de la littérature suggèrent que les troubles neuropsychologiques contribuent
partiellement à réduire le bénéfice des prises en charge cognitivo-comportementales et à la
rechute. La littérature montre également que des facteurs cliniques, psychiatriques ou socioéconomiques expliquent eux aussi une partie du risque de rechute. Ainsi, il semble qu’une
approche plurifactorielle soit nécessaire pour mieux repérer les patients à risque de rechute
à la sortie des services d’addictologie.
Résumé
Mots clés : alcoolo-dépendance · fonctions exécutives · mémoire épisodique · rechute
Abstract
Chronic and excessive alcohol consumption can result in
structural and functional brain abnormalities mainly affecting the frontocerebellar circuit and the circuit of Papez in alcoholic patients. When
present, those brain damages are associated with graded neuropsychological deficits such
as deficits of executive functions, episodic memory and emotional processes. The contribution of these neuropsychological deficits to relapse has been investigated in cross-sectional
and longitudinal studies. Cross-sectional studies show that impairments of executive functions and episodic memory may reduce the benefit of motivational therapy and behavioral
treatment. Longitudinal studies suggest that, among other factors, several neuropsychological deficits may contribute to relapse. Further longitudinal studies are required to provide
a better understanding of the role of brain damage and neuropsychological deficits in
relapse. Those factors will have to be explored in combination with social or environmental
variables to improve the detection of alcoholics at risk for relapse.
Key words: alcohol-dependence · executive functions · episodic memory · relapse
Correspondance :
H. Beaunieux
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Introduction
La consommation chronique d’alcool peut avoir des
conséquences très variables sur la structure et le fonctionnement du cerveau selon les individus [1]. Lorsqu’elles
sont présentes, les atteintes cérébrales morphologiques
et fonctionnelles concernent particulièrement deux circuits cérébraux : le circuit fronto-cérébelleux et le circuit
de Papez. Ces atteintes cérébrales sont associées à un
tableau neuropsychologique caractéristique mais néanmoins variable en termes de sévérité d’un patient à l’autre
[2]. Ainsi, il a été décrit un tableau sémiologique caractérisé par un dysfonctionnement exécutif, des troubles de
mémoire épisodique, une perturbation des capacités visuospatiales et des habiletés psychomotrices [3], auxquels
s’ajoutent des désordres émotionnels et de la cognition
sociale, plus récemment mise en évidence (voir Maurage
et al. dans ce même dossier). Après une description des
troubles neuropsychologiques liés à l’atteinte des circuits
cérébraux fonctionnels et susceptibles d’entraver le travail
thérapeutique avec certains patients alcoolo-dépendants,
nous considérerons les études qui ont tenté de juger du
caractère prédictif de ces troubles en termes de maintien
de l’abstinence.
Effets de la consommation chronique
d’alcool sur le cerveau
L’exposition chronique du cerveau à l’alcool peut avoir
pour conséquence l’atteinte des régions cérébrales constituant deux réseaux cérébraux : le circuit fronto-cérébelleux
et le circuit de Papez (voir la figure 2 de l’article de Pitel
et al. dans ce même dossier).
Le circuit fronto-cérébelleux [4, 5] est constitué de deux
boucles :
– une boucle motrice, responsable du contrôle de la marche
et de l’équilibre, connectant la partie antérieure du cervelet
(lobules moteurs du vermis cérébelleux), le thalamus et le
cortex moteur ;
– une boucle exécutive, constituée de la partie postérieure
du cervelet (néocortex cérébelleux), du pont et du cortex préfrontal et sous-tendant le fonctionnement exécutif,
notamment la mémoire de travail et la flexibilité mentale
[6].
Le circuit de Papez, aussi appelé le circuit hippocampomamillo-thalamique, est connu pour son rôle dans la
création de souvenirs épisodiques [7]. Ce réseau relie
entre elles différentes structures du système limbique :
l’hippocampe, le fornix, les corps mamillaires, le thalamus
et le gyrus cingulaire.
Les études en neuro-imagerie conduites chez les patients
alcoolo-dépendants ont notamment permis de mettre en
évidence des modifications cérébrales et fonctionnelles au
niveau de certaines structures constituant ces réseaux fonctionnels [1] qui sont au moins en partie réversibles avec
160
l’abstinence [8]. Les atteintes cérébrales concernent majoritairement le lobe frontal [9], plus particulièrement sa région
dorsolatérale [10], même en l’absence de symptômes frontaux cliniquement objectivés [11]. Des études menées en
SPECT ont montré une réduction du débit sanguin cérébral
dans ces régions chez certains patients alcoolo-dépendants,
qui ne serait toutefois pas liée à l’atrophie [12]. Cette hypoperfusion frontale [12, 13] a été mise en lien avec les déficits
exécutifs présentés par certains patients récemment sevrés
[14].
Le cervelet est également une structure particulièrement
sensible aux effets neurotoxiques de l’alcool [15] et son
atteinte a été observée chez de nombreux patients alcoolodépendants en l’absence de complications neurologiques.
Le vermis semble être la région présentant l’atrophie la plus
importante [16].
Des lésions des structures du circuit de Papez concernant particulièrement les corps mamillaires et les noyaux
dorso-médians du thalamus ont été récemment décrites
chez des patients alcoolo-dépendants sans complications
neurologiques [17], suggérant un continuum des atteintes
mamillaires et thalamiques, allant de lésions légères à
modérées chez les patients alcoolo-dépendants à sévères
chez ceux présentant un syndrome de Korsakoff [18]. Par
ailleurs, de nombreuses études font état d’une diminution bilatérale du volume hippocampique chez les patients
alcoolo-dépendants [19, 20] mais pour certains auteurs,
elle serait davantage la conséquence de l’atrophie cérébrale
diffuse [19].
Ces atteintes cérébrales sont principalement observées
chez les patients alcoolo-dépendants en début de sevrage et
sont partiellement réversibles avec l’arrêt de la consommation d’alcool [8]. Une augmentation du volume du cortex
cérébral et cérébelleux, du thalamus et du tronc cérébral a été rapportée chez les patients alcoolo-dépendants
abstinents [9, 21], suggérant une réversibilité de l’atteinte
du circuit fronto-cérébelleux. Par ailleurs, les structures
cérébrales impliquées dans le circuit de Papez semblent
particulièrement sensibles à l’abstinence, avec une amélioration volumétrique du thalamus, de l’hippocampe et du
cortex cingulaire antérieur [9, 21].
Cette récupération liée à l’abstinence ne peut s’opérer
que si le patient a suffisamment bénéficié des prises en
charge qui lui ont été proposées lors de son hospitalisation.
Cependant, les troubles neuropsychologiques de certains
patients en début de sevrage peuvent en réduire le bénéfice
jusqu’à compromettre l’abstinence [22, 23].
Tableau neuropsychologique
La présence en début de sevrage d’anomalies cérébrales
a pour conséquence chez certains patients la présence de
troubles neuropsychologiques dont la nature et la sévérité
peuvent varier (voir [24] pour revue). Selon Ihara et al. [2],
plusieurs profils neuropsychologiques peuvent être observés selon l’atteinte du circuit fronto-cérébelleux et du circuit
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de Papez. Le pattern d’atteintes le plus fréquent (deux
tiers des cas) serait caractérisé par des patients présentant
au premier plan un syndrome dysexécutif (atteinte du circuit fronto-cérébelleux). Le deuxième profil consisterait en
l’altération conjointe du fonctionnement exécutif et mnésique (atteinte des circuits fronto-cérébelleux et de Papez)
alors que le troisième pattern concernerait une détérioration
cognitive et intellectuelle générale. Dans cette étude, seuls
20 % des patients alcoolo-dépendants ne présentaient pas
d’atteinte neuropsychologique.
Lorsqu’il est présent, le syndrome dysexécutif est caractérisé par une altération des capacités de flexibilité [25, 26],
d’inhibition [26, 27], de planification [28, 29], de manipulation en mémoire de travail et de conceptualisation
[28, 30]. Ces déficits exécutifs peuvent notamment expliquer l’altération des capacités de prise de décision décrite
chez certains patients [31] de prise de décision ont été
récemment mises en lien avec les altérations structurales
du gyrus cingulaire antérieur et de l’hippocampe chez
les patients alcoolo-dépendants [32]. D’un point de vue
clinique, ces difficultés de prise de décision peuvent se
traduire par une réalcoolisation rapide ne prenant pas en
compte les conséquences à long terme de cette décision
[31].
Bien que moins fréquents que les déficits exécutifs,
les troubles de la mémoire épisodiques sont décrits chez
un tiers des patients alcoolo-dépendants [2]. Lorsqu’ils
sont présents, ces troubles se traduisent par des difficultés
d’apprentissage des informations verbales [30] et non verbales [30, 33]. Au-delà de ces difficultés d’apprentissage,
certains patients peuvent également présenter des difficultés dans la récupération de la source du souvenir [34] et
dans le rappel du contexte spatio-temporel [30]. Enfin, l’état
de conscience associé à la récupération du souvenir peut
être altéré [30, 35]. La question du lien entre déficits exécutifs et troubles épisodiques chez les alcoolo-dépendants
a été explorée dans quelques études qui montrent que,
même si les déficits de stratégie et de flexibilité expliquent
une partie des difficultés d’apprentissage et de récupération en mémoire épisodique [30, 36], les troubles
d’encodage, de mémoire contextuelle et de recollection
ne semblent pas être expliqués par le dysfonctionnement
exécutif. Ainsi, au-delà des conséquences exécutives
sur le fonctionnement mnésique, l’alcoolo-dépendance
conduirait à des troubles authentiques de la mémoire
épisodique [30].
L’atteinte conjointe des fonctions exécutives et de la
mémoire épisodique semble contribuer au déficit de métamémoire décrit chez certains patients alcoolo-dépendants
par Le Berre et al. [35]. En effet, au moyen d’une tâche
de Feeling of Knowing (FoK), ces auteurs ont décrit chez
certains patients l’existence d’un déficit de métamémoire
lié partiellement aux déficits exécutifs et épisodiques et
se traduisant par une surestimation de leurs compétences mnésiques par ailleurs déficitaires (voir [37] pour
revue).
Les troubles neuropsychologiques
sont-ils prédictifs de la rechute ?
L’hypothèse selon laquelle la présence de troubles neuropsychologiques après le sevrage pourrait consister un
prédicteur de rechute a été abordée par les chercheurs selon
deux grandes approches :
– une approche transversale consistant à étudier en quoi les
troubles neuropsychologiques pourraient réduire le bénéfice des prises en charge cognitivo-comportementales et
donc compromettre l’abstinence ;
– une approche longitudinale étudiant plus directement le
caractère prédictif des troubles neuropsychologiques présents lors du sevrage en opérant un suivi longitudinal des
patients.
Les études transversales ont cherché à préciser en quoi
l’ensemble des troubles neuropsychologiques présents juste
après le sevrage pourrait réduire le bénéfice des prises en
charge proposées aux patients afin de maintenir leur abstinence à moyen et long termes. Cette hypothèse repose sur
le constat selon lequel le chemin vers l’abstinence et son
maintien ont un coût cognitif non négligeable (figure 1) qui
pourrait être trop important eu égard aux déficits neuropsychologiques de certains patients.
En effet, l’une des premières étapes majeures vers
l’abstinence est de décider de changer son comportement
vis-à-vis de l’alcool. Cette motivation au changement en
début de sevrage peut être évaluée au moyen d’échelle
de motivation telle que le questionnaire Readiness to
Change [38]. Cet outil a permis d’étudier les liens entre
la motivation au changement des alcoolo-dépendants et
la présence de troubles neuropsychologiques. Il a ainsi
été montré que les déficits de mémoire épisodique [39, 40],
les déficits exécutifs et de prise de décision [40] peuvent
réduire la motivation au changement des patients alcoolodépendants. Par ailleurs, une étude récente de Le Berre et al.
[32] suggère un lien entre l’atrophie des régions frontales et
du cervelet et le manque de motivation au changement chez
ces derniers, renforçant encore l’hypothèse d’un lien entre
l’atteinte du circuit fronto-cérébelleux, les déficits exécutifs
et l’absence de motivation.
Au-delà de leur impact sur la motivation au changement, les troubles neuropsychologiques de certains patients
alcoolo-dépendants peuvent également réduire le bénéfice de l’éducation thérapeutique qui leur est proposée
à la suite de leur sevrage. Pitel et al. [22] ont ainsi
montré que la présence de troubles exécutifs et épisodiques pourrait compromettre les capacités des patients
alcoolo-dépendants à acquérir de nouvelles connaissances complexes. Ces difficultés d’apprentissage pourraient
constituer un des facteurs explicatifs de l’inefficacité relative de l’éducation thérapeutique fréquemment dispensée
lors de la prise en charge de la dépendance alcoolique. En
effet, l’éducation thérapeutique implique pour les patients
d’apprendre de nouvelles informations factuelles (telles que
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Éducation
thérapeutique
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• Mémoire
épisodique
• Fonctions
exécutives
• Prise de décision
• Apprentissage de
nouvelles connaissances
sémantiques
• Planification et
automatisation de
nouveaux scripts
• Inhibition de scripts
sur-appris
• Flexibilité
• Planification
• Résolution de
problème
Maintien de
l’abstinence
Motivation au
changement
Figure 1. Coût cognitif des principales étapes du parcours thérapeutique vers l’abstinence chez le patient alcoolo-dépendant. Les différentes étapes qui
mènent au maintien de l’abstinence d’alcool font appel à des fonctions cognitives telles que les fonctions exécutives et la mémoire épisodique. Leur
altération chez certains patients alcoolo-dépendants peut expliquer en partie l’absence de motivation au changement, les difficultés à acquérir de nouvelles
connaissances complexes mises en jeu lors de l’éducation thérapeutique et la difficulté à inhiber la réponse sur-apprise de consommation d’alcool lors de
situations déclenchantes ou l’incapacité à élaborer une réponse alternative.
la signification du mot dépendance ou les conséquences de
l’alcoolisme sur le foie) et de nouveaux scripts comportementaux (i.e. nouvelles réponses comportementales face à
des situations à risque de consommation d’alcool).
Enfin, bien qu’aucune étude ne s’y soit spécifiquement intéressée, l’hypothèse selon laquelle le maintien
de l’abstinence à moyen et long termes représente un
effort cognitif est forte. En effet, maintenir l’abstinence
requiert pour les patients d’inhiber au quotidien des scripts
sur-appris de consommation d’alcool en réponse à des
situations à risque de consommation et donc de planifier des
nouvelles réponses comportementales. Les fonctions exécutives auraient donc potentiellement un rôle majeur dans
cette étape d’intégration des connaissances dispensées lors
de l’éducation thérapeutique dans la vie quotidienne.
Les études longitudinales se sont intéressées plus
directement au caractère prédictif des troubles neuropsychologiques post-sevrage en opérant un suivi longitudinal
des patients à la sortie des services d’addictologie. La
méthodologie générale de ces études consiste à comparer les performances neuropsychologiques post-sevrage des
patients selon leur évolution (abstinence ou rechute) à
moyen ou à long terme. Les données de la littérature rapportent des résultats très hétérogènes. Pitel et al. [41] ont
ainsi évalué l’existence de troubles neuropsychologiques
chez 54 patients alcoolo-dépendants qui ont ensuite était
revus à six mois. Les auteurs ont ensuite comparé les per-
162
formances neuropsychologiques post-sevrage des patients
selon leur statut à six mois (abstinence ou rechute). Cette
étude confirme tout d’abord le fort taux de rechute observé
chez les patients alcoolo-dépendants à la sortie des services
d’addictologie (60 %) en accord avec les données de la
littérature [42, 43]. La comparaison des profils neuropsychologiques post-sevrage des deux groupes de patients ne
met pas en évidence de différence significative tant d’un
point de vue du fonctionnement mnésique que du fonctionnement exécutif en accord avec d’autres études de la
littérature [44, 45]. D’autres travaux rapportent l’existence
possible d’un lien entre la rechute et les scores au subtest
des cubes de la WAIS [46], une mesure globale du fonctionnement cognitif [47, 48] ou encore une mesure composite
d’apprentissage visuo-spatial et de mémoire [49].
Ces résultats discordants pourraient être la conséquence
de divergences méthodologiques tant d’un point de vue de
la durée du suivi, que des variables considérées ou encore
des critères utilisés pour considérer que le patient a rechuté.
Durazzo et al. [50] ont abordé la question de la
prédiction de la rechute des alcoolo-dépendants de
façon multifactorielle en combinant des mesures en
neuro-imagerie, en neuropsychologie et des facteurs psychiatriques. Au terme d’un suivi de six mois, ces auteurs
montrent que les patients ayant repris une consommation
d’alcool présentent des atteintes plus sévères des régions
frontales et temporales, un ralentissement de la vitesse de
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S
Substance grise
4
-2
S
S
2
S
41
4.5
4.0
P
P
P
P
3.5
3.0
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Thalamus
Cortex visuel
Gyrus pariétal supérieur
Gyrus précentral
Corrélations négatives: les patients présentant des faibles
volumes de substance grise dans ces régions après le sevrage
auront tendance à reprendre une consommation d’alcool
importante dans les 6 mois
Multiple Regression (SPM); p < 0,005 non corrigé ; k = 250 voxels
Figure 2. Les volumes cérébraux de substance grise après le sevrage sont-ils prédictifs de la réussite du traitement des patients alcoolo-dépendants [56] ?
Facteurs
psychiatriques
Facteurs
génétiques
Facteurs
cliniques
Morphologie
Connectivité
Métabolisme
Rechute
Facteurs
économiques
Cognition
Sommeil
Facteurs sociaux
et familiaux
Figure 3. Vers une approche intégrée du problème de la rechute dans l’alcoolo-dépendance. La question fondamentale du repérage lors des séjours thérapeutiques des patients alcoolo-dépendants les plus à risque de reconsommer de l’alcool doit considérer non seulement la présence d’atteintes cérébrales
et les troubles neuropsychologiques associés mais également d’autres facteurs tels que la comorbidité psychiatrique, la qualité du sommeil, la présence de
désordres hépatiques, la sensibilité génétique ou encore les facteurs socioéconomiques et familiaux.
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traitement et des troubles unipolaires plus fréquents que
chez les patients restés abstinents. Ces données, en accord
avec d’autres études [51, 52], soulignent que la prédiction
de la rechute chez les patients alcoolo-dépendants dépasse
largement la simple problématique neuropsychologique et
doit être envisagée de façon multidéterminée. Les travaux
conduits sur la valeur prédictive de la qualité du sommeil
sur la rechute (voir [53] pour revue) vont également dans ce
sens en soulignant la pertinence de considérer tant la qualité objective du sommeil [54] que sa qualité perçue par le
patient [55] dans la prédiction de la rechute.
L’hétérogénéité des résultats des études longitudinales
cherchant à prédire la rechute pourrait également être la
conséquence de divergences méthodologiques quant aux
critères utilisés pour considérer que le patient a rechuté. En
effet, les critères utilisés dans les études les plus anciennes
pour juger de la rechute ou de l’abstinence des patients lors
du suivi ont été jusqu’à très récemment très stricts : tout
patient qui avait reconsommé durant la période de suivi,
ne serait-ce qu’un verre d’alcool, était considéré comme
ayant rechuté. Une étude à paraître a reconsidéré ces critères au regard notamment de l’évolution des critères du
DSM-V en abandonnant la dichotomie abstinence/rechute
au profit d’une variable continue considérant la quantité
d’alcool consommée sur la période de suivi (figure 2) [56].
Ces auteurs ont étudié les liens entre les modifications
cérébrales structurales et la quantité d’alcool consommée
dans les six mois qui suivent la phase de sevrage des
patients alcoolo-dépendants. Cette étude avait notamment
pour objectif de déterminer si les volumes cérébraux estimés en IRM juste après le sevrage pouvaient prédire de la
quantité d’alcool consommée lors de la période de suivi.
Les résultats de cette étude suggèrent que le volume du
thalamus des patients récemment sevrés est significativement corrélé à la quantité d’alcool consommée lors des six
mois de suivi et pourrait donc constituer un facteur prédictif
supplémentaire de la réussite du traitement.
En conclusion, la littérature concernant les facteurs prédictifs de la rechute chez les patients alcoolo-dépendants
suggère que la présence de troubles neuropsychologiques
après le sevrage est un facteur parmi d’autres permettant
de prédire de l’évolution après traitement. Une approche
multifactorielle et longitudinale semble donc indispensable
pour répondre à cette question clinique cruciale. Au-delà
des facteurs biologiques ou comportementaux déjà envisagés, les futures études devront également considérer le
patient dans son environnement et intégrer des facteurs
socioéconomiques et familiaux, facteurs également déterminants dans le maintien de l’abstinence (figure 3).
Liens d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en
rapport avec l’article.
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REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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