e s n è Sy ntth synthèse Sy hèse La réduction de la consommation d’alcool en dix points P. Bendimerad*, G. Brousse** Le concept de réduction de la consommation d’alcool, évoqué dès 1976 par Pattison, fait actuellement l’objet d’un regain d’intérêt, notamment en lien avec les dernières données épidémiologiques, la médiatisation de plusieurs molécules et les attentes croissantes des populations concernées. Nous tenterons de résumer autour de 10 points clés le positionnement actuel de cette approche. 1. Le bénéfice obtenu par la réduction de la consommation correspond à un objectif d’amélioration en termes de santé publique (1) Dans les sociétés à haut ou moyen niveau de vie, le poids global des conséquences dommageables liées à une consommation excessive d’alcool s’avère nettement plus élevé qu’attendu, notamment du fait de l’association avec d’autres comorbidités addictives. L’augmentation de la consommation excessive chez les femmes et les jeunes constitue une autre donnée intéressante (1). Le champ des conséquences négatives s’étend également au-delà du domaine sanitaire : J. Rehm et al. montrent une corrélation à un fort coût social (1). Les prises en charge restent très limitées et les programmes de santé publique semblent manifestement insuffisants au vu de l’étendue de la tranche de population concernée. La persistance d’une stigmatisation des patients addicts à l’alcool semble être un des facteurs explicatifs de la faiblesse des moyens engagés. Pour marquer les esprits sur les enjeux : la diminution de 14 à 11 boissons par jour par rapport à celle de 3 à 0 réduit le risque de mortalité de plus de 10 fois (2). 2. “Revenez quand vous serez motivé” n’est plus une réponse thérapeutique acceptable (3) En 2013, le caractère personnalisé des prises en charge thérapeutiques ou des accompagnements éducatifs ne doit plus faire débat. En s’inspirant des approches centrées sur la personne de Carl Rogers (4), et en incorporant les étapes du modèle transthéorique du changement de J.O. Prochaska et C.C. DiClemente (5), W.R. Miller et S. Rollnick (6) ont mis l’accent sur la nécessité de commencer le traitement là où en est le patient plutôt que là où le thérapeute voudrait qu’il en soit. Les techniques d’entretien motivationnel permettent de ne pas envoyer un message de refus de soins chez un patient * Praticien hospitalier, service de psychiatrie, groupe hospitalier La Rochelle-Ré-Aunis, secteur 17G02. ** Maître de conférences des universités, praticien hospitalier, Service de psychiatrie et addictologie, CMPB, CHU de Clermont-Ferrand. qui a déjà réalisé la démarche, souvent difficile, de consulter un soignant, mais d’aborder avec lui, de manière empathique, la problématique telle qu’il la perçoit et de l’accompagner vers une décision de changement. Plutôt que d’attendre une augmentation spontanée de motivation souvent hypothétique, l’accent est mis sur la prise en considération de la motivation telle qu’elle est, pour la faire évoluer vers un objectif thérapeutique plus ambitieux. Les positions des médecins doivent continuer à évoluer car, en 2011, seuls la moitié des alcoologues français considéraient la consommation contrôlée comme un objectif acceptable dans le traitement de l’addiction alcoolique (7). 3. L’élargissement du spectre des offres thérapeutiques est nécessaire pour s’adapter à la demande d’un plus grand nombre de patients En Europe, la European Study of the Epidemiology of Mental Disorder (ESEMeD) [8] a mis en évidence un faible taux de patients alcoolo­ dépendants percevant la nécessité de consulter. En outre, seuls 8 % des patients en difficulté avec l’alcool ont consulté versus 37 % pour les troubles de l’humeur et 26 % pour les troubles anxieux. Sur la base de ces données, force est de constater qu’il est nécessaire de mettre en place de nouvelles stratégies thérapeutiques. Elles devront être validées scientifiquement et plus attractives que les stratégies traditionnelles de maintien de l’abstinence via une prise en charge psychosociale et/ou pharmacologique. Les stratégies de réduction de la consommation ont, dans ce contexte, une place certaine pour élargir le spectre des offres et s’adapter aux besoins. 4. Plusieurs recommandations intègrent la réduction de la consommation d’alcool comme “objectif thérapeutique intermédiaire” En 2005, le National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAAA) recommande en Le Courrier des addictions (15) ­– n ° 2 – Avril-mai-juin 2013 4 premier lieu l’abstinence. Cependant, puisque certains patients n’y sont pas prêts, notamment au début de la prise en charge, il faut déterminer avec eux un objectif de soins personnalisé, et s’engager dans une réduction conséquente de la consommation, en continuant à valoriser l’abstinence comme meilleure issue (9). L’European Medicines Agency (EMA) recommande aussi de maintenir l’abstinence complète, mais propose un objectif intermédiaire de réduction des risques, avec une diminution significative de la consommation (sans sevrage préalable), puis une obtention de l’abstinence dès que le patient est prêt (10). En Angleterre, le National Institute for Clinical Excellence (NICE) recommande, en l’absence de comorbidités significatives, d’accompagner la seule diminution de la consommation, si telle est la préférence du patient (11). 5. L’évolution du DSM-V vers une approche dimensionnelle conduit à utiliser la réduction de la consommation comme stratégie réaliste dans certains schémas thérapeutiques La fusion des catégories d’abus et de dépendance, au profit d’un continuum de degrés de sévérité des troubles, vise, outre à déstigmatiser les patients, à élargir la population cible entrant dans le champ de la pathologie et pouvant ainsi tirer bénéfices d’une prise en charge (12). Les différentes stratégies doivent être corrélées aux degrés de sévérité des troubles. Ainsi, un objectif d’abstinence appliqué au nombre de patients nouvellement intégrés dans le champ des troubles addictifs semble inadapté. 6. Aider les patients en échecs répétés d’une abstinence totale à obtenir un succès sur un objectif de réduction de la consommation peut être un premier pas Les patients en échec répété peuvent, en obtenant un succès sur un objectif plus modeste, restaurer une confiance en eux et sortir d’un sentiment de spirale négative inéluctable. Les restaurations narcissiques ainsi obtenues positionnent le patient dans une dynamique nettement plus favorable et ouvrent la porte à l’accompagnement vers d’autres objectifs thérapeutiques plus ambitieux (13). 7. Les comorbidités psychiatriques sont améliorées par la réduction de la consommation O utre le s améliorations somatique s , P. Anderson et B. Baumberg ont montré que les réductions des comorbidités psychiatriques consécutives à une réduction de la consommation d’alcool étaient significatives (14). L’élabora- Synntthèsysenthèse Sy hèse tion, chez les patients présentant des comorbidités, des stratégies thérapeutiques combinées, intégrées ou séquentielles, doit tenir compte de ces données (15). 8. Le pronostic du succès thérapeutique est amélioré si le patient choisit son objectif En Grande-Bretagne, près de 50 % des patients semblent préférer la réduction de la consommation comme objectif initial (16). D. Hodgins rapporte que, d’après plusieurs cohortes de patients pris en charge pour leur addiction à l’alcool, le meilleur marqueur de succès était la détermination de l’objectif par le patient lui-même, devant d’autres facteurs tels que le jeune âge, la stabilité psychologique et sociale, l’activité professionnelle et l’intensité modérée de l’addiction. Lorsque l’objectif planifié sera la réduction de la consommation, il sera ainsi pleinement investi par le patient et éventuellement réadapté au fur et à mesure pour rester réaliste. Il en conclut qu’à l’évidence les patients sont tout à fait capables de faire de bons choix pour eux-mêmes (17). 9. La qualité de vie est améliorée par une réduction de la consommation d’alcool L’étude de H.M. Pettinati et al. (18), en utilisant le questionnaire SF36, a mis en avant une corrélation entre la réduction de la consommation d’alcool et une amélioration de plusieurs champs de la qualité de vie, notamment dans le domaine de la santé mentale, du fonctionnement social, de la santé générale et du fonctionnement physique. 10. La démarche thérapeutique de réduction de la consommation d’alcool peut être vue comme un changement de paradigme des soins En effet, la contractualisation avec le patient d’un objectif fixé par lui-même après discussion avec le thérapeute peut être perçue douloureusement par ce dernier : jusqu’alors, le cursus universitaire formait les médecins dans un positionnement d’expert. L’acceptation d’un objectif réaliste du point de vue du patient, mais non optimal en termes de réduction des dommages, nécessite d’accepter que le curseur soit positionné par le patient (19). La relation thérapeutique évolue ainsi vers un rapport collaboratif et se libère d’une approche dogmatique. Ce mode relationnel est depuis longtemps accepté dans la prise en charge de la douleur. Conclusion Les nombreux débats récents autours de la réduction de la consommation d’alcool ont le mérite de permettre de mieux positionner la place de cette approche thérapeutique dans l’éventail des soins en addictologie. L’obtention d’une abstinence reste l’objectif principal, mais la réduction de la consommation peut être un objectif acceptable ou une étape intermédiaire permettant, outre une réduction immédiate des dommages, l’ouverture des portes du soin à des patients jusque-là non pris en charge. v Références bibliographiques 1. 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Alcohol Alcohol 2010;45(2):136-42. vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvv Joueurs-info-service.fr : un site pour comprendre et aider ADALIS (Addictions drogues alcool info service) et l’Inpes (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) lancent un nouveau portail interactif d’information et d’aide personnalisée sur les jeux liés à l’argent à destination des joueurs et de leur entourage, en complément de la ligne d’écoute Joueurs Info Service (09 74 75 13 13) qui, créée en juin 2010, a déjà traité plus de 32 000 appels). “Aujourd’hui, un dispositif d’aide à distance ne peut en effet se concevoir sans son volet Internet. Il nous faut diffuser de l’information et proposer notre aide via ce média prédominant et, ainsi, toucher un public qui ne téléphone pas facilement et se sent plus à l’aise avec l’échange en ligne” explique Véronique Bony, directrice générale d’ADALIS. Le contenu du site a été rédigé dans le but de répondre aux questions que se posent les joueurs et leur entourage : comment limiter ma pratique de jeu, gérer mes problèmes d’argent, préserver mes finances ? Que faire pour l’aider ? Le site délivre des conseils pratiques et juridiques, et oriente les internautes vers des professionnels à l’aide d’un annuaire de 3 000 structures spécialisées en addictologie. En France, selon les résultats du Baromètre santé Inpes 2010, on peut estimer que 0,9 % des individus (400 000 personnes) présentent un risque modéré et que 0,4 % sont des joueurs excessifs (200 000 person­nes, dont 76 % sont des hommes), soit 1,3 % de joueurs dits problématiques. Quatrevingt-quatre pour cent ont entre 25 et 54 ans, et la grande majorité vit en ville. Les montants joués augmentent fortement avec le niveau de risque du joueur. La part de joueurs misant plus de 1 500 euros par an est de 3 % chez les joueurs sans problème, 10 % chez les joueurs à risque faible, 23 % chez les joueurs à risque modéré, pour atteindre 48 % chez les joueurs excessifs. Si le site est avant tout centré sur l’aide, il permet aussi à l’internaute d’être acteur et de favoriser l’entraide. Pour accéder au site : www.joueurs-info-service.fr Pour en savoir plus, rendez-vous sur www.joueurs-info-service.fr. Source : “Addiction aux jeux : Joueurs Info Service, une aide personnalisée et interactive” : Espace Presse INPES, 24 janvier 2013, http://www.inpes.sante.fr 5 Le Courrier des addictions (15) ­– n ° 2 – Avril-mai-juin 2013