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Intérêt thérapeutique de la réduction
de la consommation chez les patients
dépendants à l’alcool
Enquête descriptive transversale
auprès de médecins exerçants en CSAPA
Therapeutic interest of reduction of consumption
in alcohol dependence. A descriptive cross-sectional
survey (doctors in specialized centers CSAPA)
F. Pebret1, M. Kosim2, A. Benyamina3, F. Goupy4, N. Auzanneau5
Dans la prise en charge de la dépendance à l’alcool, le choix thérapeutique de la
réduction de la consommation se confirme de plus en plus, comme en témoignent
les recommandations prises dans de nombreux pays. L’acceptation de cette option
thérapeutique, et surtout sa mise en pratique par les médecins addictologues
exerçant en centres de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie
(CSAPA) en consultation, sont en nette progression, comme le démontre l’enquête
descriptive transversale réalisée en avril 2013.
Mots-clés :
Réduction
de
la
consommation, dépendance à l’alcool
Keywords: Reduction of consumption,
alcohol dependence
la proposition à certains patients dépendants
de réduire leur consommation dans le but de
diminuer les risques encourus. Cette option
thérapeutique devient ainsi une étape possible
vers l’abstinence.
Une première enquête a été menée sur ce thème
auprès de certains membres de la SFA (dont
près de 75 % de médecins). Les résultats en ont
été publiés en 2011 (5) : 48,6 % des répondants
acceptaient le principe de la réduction de la
consommation, mais 61,9 % reconnaissaient le
mettre déjà en pratique. De plus, 1/3 d’entre eux
disait que la moitié, au moins, de leurs patients
souhaitaient adopter cet objectif thérapeutique.
Toutefois, dans cette enquête, les répondants
n’étaient pas tous médecins. Par ailleurs, elle
n’a pas évalué les motivations et les freins à
proposer ou refuser cette option.
C’est pourquoi, une enquête téléphonique et
anonyme a été réalisée en avril 2013 auprès d’un
panel national représentatif de médecins addictologues exerçant dans les CSAPA. L’objectif
principal en était d’identifier leur position (motivations ou freins) concernant la réduction de la
consommation chez leurs patients dépendants
à l’alcool, reçus en consultation au cours des
15 jours précédant l’enquête.
Matériel et méthode
In the management of alcohol dependence, the treatment goal that is reducing the consumption of
alcohol confirms more as valid adoption of the recommendations in many countries. Acceptance
and practice grow by addictologists doctors in CSAPA as demonstrated by a descriptive crosssectional survey conducted in April 2013.
Le nouveau paradigme
L’atteinte d’une abstinence complète et durable
est particulièrement difficile pour de nombreux
patients dépendants à l’alcool. En 2007, le
National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAAA) révisait ses lignes directrices
cliniques sur la prise en charge de la dépendance
à l’alcool : “Le plus sûr est l’abstinence et ce serait
la recommandation habituelle. Pourtant, il est
préférable de fi xer des objectifs individualisés
pour chaque patient. Certains patients peuvent
ne pas accepter l’abstinence comme objectif. Si
1
Responsable formation Lundbeck France.
Addictologue, attachée à l’hôpital Corentin-Celton, Issyles-Moulineaux.
3 Psychiatre, centre hospitalier Paul-Brousse (AP-HP), Villejuif.
4 Santé Publique, Hôtel-Dieu (AP-HP), Paris.
5 Directrice du département Santé, OpinionWay.
2
Travail réalisé dans le cadre d’un mémoire du diplôme
universitaire en alcoologie de l’université Paris Descartes
(Paris-5).
un patient alcoolodépendant s’engage à réduire
sa consommation excessive, il est préférable de
l’engager vers l’atteinte de cet objectif tout en
continuant à garder l’abstinence comme l’objectif
final.” (1, 2)
Depuis plusieurs années, la réduction de la
consommation en tant que nouveau choix
thérapeutique dans la prise en charge de
la dépendance à l’alcool est de plus en plus
souvent adoptée dans les recommandations de
nombreux pays, notamment européens (3). En
France, les recommandations officielles de la
Haute Autorité de santé (HAS) concernant
la prise en charge de la dépendance à l’alcool
reposent actuellement sur les conclusions de
2 conférences de consensus de l’ex-Agence
nationale d’accréditation et d’évaluation en
santé (ANAES) et de la société française d’alcoologie (SFA), datant respectivement de 1999 et
2001 (4, 5). Elles ne proposent que le sevrage,
avec, pour objectif, le maintien de l’abstinence.
Cependant, la pratique clinique évolue dans le
sens de l’acceptation par les praticiens (6) et
Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013
26
Le questionnaire de l’enquête a été rédigé en
collaboration avec la société OpinionWay
chargée d’assurer l’enquête téléphonique au
cours du mois d’avril 2013 (selon les procédures
et règles de la norme ISO 20252 relatives aux
entreprises réalisant des études d’opinion).
Celle-ci s’est déroulée entre le 17 et le 23 avril
2013 avec 4 enquêteurs, par téléphone sur
système CATI (Computer Assisted Telephone
Interview), à partir d’une plateforme téléphonique localisée en France.
Le fichier de contacts téléphoniques a été
constitué sur la base des informations disponibles en avril 2013 sur le site de la SFA (www.
sfalcoologie.asso.fr), département par département, soit 450 CSAPA répertoriés sur la
France au mois de mars 2013. La répartition
des 100 structures contactées est la suivante :
25 dans le Sud-Est, 16 dans le Sud-Ouest,
23 dans le Nord-Est, 24 dans le Nord-Ouest et
8 en Île-de-France.
Lors d’un appel auprès d’un CSAPA, l’enquêteur
demandait à parler au médecin responsable de
la structure pour lui proposer de répondre à
l’enquête. Parfois, un rendez-vous téléphonique
était nécessaire. En cas de refus, soit un autre
médecin de la structure acceptait de répondre,
soit on contactait alors un autre CSAPA.
L’échantillon représentatif retenu était de
120 médecins addictologues exerçant dans
des structures de soins ambulatoires de prise
en charge de personnes ayant des problèmes
d’alcool (dont des patients dépendants), disposant d’au moins un médecin. Plusieurs médecins
au sein d’un même centre pouvaient être inter-
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rogés. Afin de refléter la diversité des structures
existantes, on a respecté une répartition régionale adéquate. Pour éviter tout conflit d’intérêt
avec les médecins acceptant de répondre à
l’enquête, aucune rémunération n’était proposée.
Les résultats
Échantillon des médecins
Parmi les 120 médecins addictologues exerçant dans 100 structures qui ont accepté de
répondre à l’enquête, 51 % étaient des femmes
et 49 % travaillaient à temps plein. Ils avaient en
moyenne 23 ans d’expérience et une ancienneté
de 11 ans dans la structure de prise en charge.
Parmi eux, 38 % étaient membres de la SFA.
Formation
Leur formation initiale était majoritairement
la médecine générale pour 69 % (n = 83) et la
psychiatrie pour 20 % (n = 24).
Ainsi, 2 groupes de médecins ont été identifiés, selon leurs pratiques cliniques d’approche
thérapeutique de la dépendance à l’alcool : ceux
qui proposent systématiquement l’abstinence à
tout nouveau patient dépendant à l’alcool (22 %,
n = 27) et ceux qui ne le font pas systématiquement (78 %, n = 93).
Suivi des patients
L’ensemble des 100 structures contactées a
suivi 8 728 patients pour des problèmes d’alcool au cours des 15 jours précédant l’enquête :
81 % d’entre eux ont été suivis pour dépendance (6 876 patients) parmi lesquels 28 %
(1 837 patients) étaient des nouveaux patients.
En moyenne, chaque centre a vu dans les
15 derniers jours avant l’interview, 91 personnes
pour des problèmes d’alcool dont 74 pour
dépendance. Parmi ces derniers, 19 étaient des
nouveaux patients.
L’ensemble des 120 médecins interrogés a
suivi 3 975 patients dépendants au cours
des 15 derniers jours. Cela correspond à
une moyenne de file active par médecin de
34 patients (minimum de 3, maximum de 200),
avec une médiane de 24 patients.
Les 3 principales raisons de consultation sont
une décision de justice (28 %), un motif d’ordre
personnel (19 %), et enfin suite au conseil du
médecin traitant (17 %).
Intérêt de la réduction de la consommation
Sur les 120 médecins interrogés, 92 % (n = 110)
considèrent la réduction de la consommation
d’alcool comme étant un choix thérapeutique
intermédiaire. Il existe une différence significative sur ce point entre les 27 médecins proposant
systématiquement l’abstinence et les 93 médecins qui ne le font pas systématiquement (81 %
versus 96 %).
Dans le premier groupe, les freins à proposer la
réduction sont avant tout la démarche d’abstinence totale pour les dépendants à l’alcool et, loin
derrière, l’habitude de cette démarche et l’absence
de recul sur la pratique de réduction. Néanmoins
41 % d’entre eux admettent qu’ils peuvent la
proposer aussi, selon la psychologie du patient
et s’il n’accepte pas d’emblée de l’abstinence.
Malgré tout, en cas de refus par le patient ou
de non-adhésion au projet d’abstinence dans un
premier temps, plus des 2/3 de ces médecins
proposent un second rendez-vous de persuasion
(70 %) ou un entretien motivationnel (63 %) en
vue de l’abstinence. Ce n’est que dans 44 % des
cas qu’ils déclarent proposer la réduction de
la consommation comme une première étape
alternative.
Dans le second groupe, majoritaire (78 %), des
médecins qui ne visent pas systématiquement
l’abstinence, la réduction de la consommation
a été proposée à 61 % de leurs patients.
Parmi eux, 60 % considèrent également la réduction comme une première étape vers l’abstinence et prennent en compte les motivations
du patient (refus de l’abstinence pour 52 %, pas
encore prêt à l’abstinence pour 26 %).
Autre constatation : le fait d’exercer dans un
CSAPA employant seulement 1 ou 2 médecins
semble lié à un plus fort taux d’acceptation de
cette option thérapeutique (70 % versus 46 %
pour les plus grosses structures), comme le
fait d’être généraliste (62 % versus 24 % pour
les autres spécialités).
Enfin, les 3 principales raisons pour proposer
la réduction de la consommation sont, pour ces
praticiens : la demande du patient (54 %) ; la nonmotivation pour l’abstinence (53 %) ; la rechute
après abstinence (49 %).
Discussion
Cette enquête téléphonique auprès d’addictologues exerçant en CSAPA n’est pas comparable à
celle menée auprès des membres de la SFA (5),
mais elle montre qu’il existe une évolution
des mentalités en faveur de la réduction de la
consommation pour certains de leurs patients
dépendants à l’alcool.
En effet, alors que seulement 48,6 % des professionnels répondants (médecins ou non) de l’enquête SFA acceptaient le principe de la réduction
de la consommation, notre enquête montre une
très nette augmentation de cette acceptation
(92 % de notre échantillon) et surtout de sa mise
en pratique.
Ces médecins, majoritairement de formation
initiale “médecine générale”, ne sont donc plus
des partisans de l’abstinence systématique.
La réduction de la consommation est donc
majoritairement acceptée comme un choix
thérapeutique. Les 93 médecins qui la recommandent ont conscience que l’abstinence est
refusée par certains patients (52 %) ou qu’elle
ne fonctionne pas dans tous les cas (38 %). Nous
retrouvons ici l’importance de la prise en compte
du choix et de la motivation du patient sur son
changement de comportement.
27
L’ancienneté d’expérience (plus ou moins de
25 ans) est un facteur significatif de l’acceptation
de la réduction, les médecins ayant moins de
25 ans d’expérience étant plus favorables à celleci (67 % versus 56 %). Il est également étonnant
de retrouver le facteur “faible effectif de médecins
(1 ou 2) dans la structure” comme étant lié à
une plus forte acceptation de la réduction. Une
hypothèse (non vérifiable par les données de
cette enquête) serait que les CSAPA ayant un
faible effectif de médecins ont également peu
de personnels soignants pouvant assurer des
suivis de sevrage ambulatoire.
Cependant, les médecins du groupe minoritaire
qui restent sur la proposition systématique de
l’abstinence considèrent encore, pour 44 %
d’entre eux, que cela constitue l’unique traitement pour les patients dépendants à l’alcool.
Et parmi ces médecins, près de 40 % peuvent
tout de même proposer la réduction comme
une première étape ou alternative (en fonction
du patient). Mais ils considèrent qu’un recul sur
l’expérience de la réduction de la consommation
est nécessaire pour éventuellement la mettre en
pratique, de façon plus systématique.
Conclusion
Le choix thérapeutique de la réduction de la
consommation pour certains patients dépendants à l’alcool est devenu une pratique
fréquente dans l’exercice médical en CSAPA.
Cette enquête réalisée en avril 2013 auprès d’un
échantillon représentatif de 120 médecins addictologues exerçant dans ces structures tend à le
montrer. Ils acceptent majoritairement cette
pratique et la proposent à de nombreux patients
motivés, malgré l’absence à ce jour de recommandations officielles françaises proposant la
réduction de la consommation dans la prise en
charge de la dépendance à l’alcool.
v
F. Pebret est médecin salarié des laboratoires Lundbeck.
Il déclare ne pas avoir d’autres liens d’intérêts. Les autres auteurs
n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts.
Références bibliographiques
1. National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism. Helping patients who drink too much. A clinician’s
guide. Bethesda (MD) : NIAAA, 2007.
2. National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism.
Rethinking Drinking. Alcohol and your health. Bethesda
(MD) : NIAAA, 2010.
3. Rolland B. Abstinence dans l’alcoolodépendance :
approche critique et actualisée des recommandations
nationales de 2001. La Presse Médicale 2013;42:19-25.
4. ANAES, SFA. Objectifs, indications et modalités
du sevrage du patient alcoolodépendant. Conférences
de consensus. Paris : 1999. http://www.has-sante.fr/
portail/upload/docs/application/pdf/alcool.court.pdf
5. ANAES, SFA. Modalités d’accompagnement du
sujet alcoolodépendant après sevrage. Conférence
de consensus. Paris : 2001. http://www.has-sante.fr/
portail/upload/docs/application/pdf/alc2.pdf
6. Luquiens A, Reynaud M, Aubin HJ. Is controlled
drinking an acceptable goal in the treatment of alcohol
dependence? A Survey of French alcohol specialists.
Alcohol Alcohol 2011;46(5):586-91.
Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013
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