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Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013
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rogés. Afi n de refl éter la diversité des structures
existantes, on a respecté une répartition régio-
nale adéquate. Pour éviter tout confl it d’intérêt
avec les médecins acceptant de répondre à
l’enquête, aucune rémunération n’était proposée.
Les résultats
Échantillon des médecins
Parmi les 120médecins addictologues exer-
çant dans 100structures qui ont accepté de
répondre à l’enquête, 51 % étaient des femmes
et 49 % travaillaient à temps plein. Ils avaient en
moyenne 23ans d’expérience et une ancienneté
de 11ans dans la structure de prise en charge.
Parmi eux, 38 % étaient membres de la SFA.
Formation
Leur formation initiale était majoritairement
la médecine générale pour 69 % (n=83) et la
psychiatrie pour 20 % (n=24).
Ainsi, 2groupes de médecins ont été identi-
fi és, selon leurs pratiques cliniques d’approche
thérapeutique de la dépendance à l’alcool : ceux
qui proposent systématiquement l’abstinence à
tout nouveau patient dépendant à l’alcool (22 %,
n=27) et ceux qui ne le font pas systématique-
ment (78 %, n=93).
Suivi des patients
L’ensemble des 100structures contactées a
suivi 8 728patients pour des problèmes d’al-
cool au cours des 15jours précédant l’enquête :
81 % d’entre eux ont été suivis pour dépen-
dance (6 876patients) parmi lesquels 28 %
(1 837patients) étaient des nouveaux patients.
En moyenne, chaque centre a vu dans les
15derniers jours avant l’interview, 91personnes
pour des problèmes d’alcool dont 74 pour
dépendance. Parmi ces derniers, 19étaient des
nouveaux patients.
L’ensemble des 120 médecins interrogés a
suivi 3 975patients dépendants au cours
des 15derniers jours. Cela correspond à
une moyenne de file active par médecin de
34patients (minimum de3, maximum de200),
avec une médiane de 24patients.
Les 3principales raisons de consultation sont
une décision de justice (28 %), un motif d’ordre
personnel (19 %), et enfi n suite au conseil du
médecin traitant (17 %).
Intérêt de la réduction de la consommation
Sur les 120 médecins interrogés, 92 % (n=110)
considèrent la réduction de la consommation
d’alcool comme étant un choix thérapeutique
intermédiaire. Il existe une diff érence signifi ca-
tive sur ce point entre les 27médecins proposant
systématiquement l’abstinence et les 93méde-
cins qui ne le font pas systématiquement (81 %
versus 96 %).
Dans le premier groupe, les freins à proposer la
réduction sont avant tout la démarche d’absti-
nence totale pour les dépendants à l’alcool et, loin
derrière, l’habitude de cette démarche et l’absence
de recul sur la pratique de réduction. Néanmoins
41 % d’entre eux admettent qu’ils peuvent la
proposer aussi, selon la psychologie du patient
et s’il n’accepte pas d’emblée de l’abstinence.
Malgré tout, en cas de refus par le patient ou
de non-adhésion au projet d’abstinence dans un
premier temps, plus des 2/3 de ces médecins
proposent un second rendez-vous de persuasion
(70 %) ou un entretien motivationnel (63 %) en
vue de l’abstinence. Ce n’est que dans 44 % des
cas qu’ils déclarent proposer la réduction de
la consommation comme une première étape
alternative.
Dans le second groupe, majoritaire (78 %), des
médecins qui ne visent pas systématiquement
l’abstinence, la réduction de la consommation
a été proposée à 61 % de leurs patients.
Parmi eux, 60 % considèrent également la réduc-
tion comme une première étape vers l’absti-
nence et prennent en compte les motivations
du patient (refus de l’abstinence pour 52 %, pas
encore prêt à l’abstinence pour 26 %).
Autre constatation : le fait d’exercer dans un
CSAPA employant seulement 1ou2médecins
semble lié à un plus fort taux d’acceptation de
cette option thérapeutique (70 % versus 46 %
pour les plus grosses structures), comme le
fait d’être généraliste (62 % versus 24 % pour
les autres spécialités).
Enfi n, les 3principales raisons pour proposer
la réduction de la consommation sont, pour ces
praticiens : la demande du patient (54 %) ; la non-
motivation pour l’abstinence (53 %) ; la rechute
après abstinence (49 %).
Discussion
Cette enquête téléphonique auprès d’addictolo-
gues exerçant en CSAPA n’est pas comparable à
celle menée auprès des membres de la SFA(5),
mais elle montre qu’il existe une évolution
des mentalités en faveur de la réduction de la
consommation pour certains de leurs patients
dépendants à l’alcool.
En eff et, alors que seulement 48,6 % des profes-
sionnels répondants (médecins ou non) de l’en-
quête SFA acceptaient le principe de la réduction
de la consommation, notre enquête montre une
très nette augmentation de cette acceptation
(92 % de notre échantillon) et surtout de sa mise
en pratique.
Ces médecins, majoritairement de formation
initiale “médecine générale”, ne sont donc plus
des partisans de l’abstinence systématique.
La réduction de la consommation est donc
majoritairement acceptée comme un choix
thérapeutique. Les 93médecins qui la recom-
mandent ont conscience que l’abstinence est
refusée par certains patients (52 %) ou qu’elle
ne fonctionne pas dans tous les cas (38 %). Nous
retrouvons ici l’importance de la prise en compte
du choix et de la motivation du patient sur son
changement de comportement.
L’ancienneté d’expérience (plus ou moins de
25ans) est un facteur signifi catif de l’acceptation
de la réduction, les médecins ayant moins de
25ans d’expérience étant plus favorables à celle-
ci (67 % versus 56 %). Il est également étonnant
de retrouver le facteur “faible eff ectif de médecins
(1ou2) dans la structure” comme étant lié à
une plus forte acceptation de la réduction. Une
hypothèse (non vérifi able par les données de
cette enquête) serait que les CSAPA ayant un
faible eff ectif de médecins ont également peu
de personnels soignants pouvant assurer des
suivis de sevrage ambulatoire.
Cependant, les médecins du groupe minoritaire
qui restent sur la proposition systématique de
l’abstinence considèrent encore, pour 44 %
d’entre eux, que cela constitue l’unique traite-
ment pour les patients dépendants à l’alcool.
Et parmi ces médecins, près de 40 % peuvent
tout de même proposer la réduction comme
une première étape ou alternative (en fonction
du patient). Mais ils considèrent qu’un recul sur
l’expérience de la réduction de la consommation
est nécessaire pour éventuellement la mettre en
pratique, de façon plus systématique.
Conclusion
Le choix thérapeutique de la réduction de la
consommation pour certains patients dépen-
dants à l’alcool est devenu une pratique
fréquente dans l’exercice médical en CSAPA.
Cette enquête réalisée en avril 2013 auprès d’un
échantillon représentatif de 120médecins addic-
tologues exerçant dans ces structures tend à le
montrer. Ils acceptent majoritairement cette
pratique et la proposent à de nombreux patients
motivés, malgré l’absence à ce jour de recom-
mandations offi cielles françaises proposant la
réduction de la consommation dans la prise en
charge de la dépendance à l’alcool.
v
F. Pebret est médecin salarié des laboratoires Lundbeck.
Ildéclare ne pas avoir d’autres liens d’intérêts. Les autres auteurs
n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts.
Références bibliographiques
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