C A N C E R S D I G E S T I F S Prise en charge des cancers digestifs : avancées diagnostiques et thérapeutiques en 2002 ● C. Tournigand* CANCER COLORECTAL MÉTASTATIQUE Les dérivés oraux du 5-FU UFT Les résultats définitifs de plusieurs études de phase III comparant une fluoropyrimidine orale à un schéma de 5-FU en bolus ont été publiés cette année. Deux études internationales parallèles menées entre 1995 et 1997 ont comparé l’association tégafur-uracil (UFT) et acide folinique (AF) à un schéma de 5-FU en bolus de type Mayo Clinic (5-FU bolus 425 mg/m2/j + AF 20 mg/m2/j, 5 jours par mois). Dans les deux études, les doses d’UFT étaient de 300 mg/m2/j associées à 90 mg/j d’AF, 28 jours sur 35. Dans la première étude (1), 380 patients ont été inclus. Il n’y a pas de différence significative en termes de survie sans progression (3,4 mois dans le bras UFT-AF et 3,3 mois dans le bras 5-FU-AF). Les taux de réponse sont faibles : respectivement 10,5 % et 9 %. Enfin, la survie globale n’est pas non plus significativement différente : 12,2 mois versus 10,3 mois. Concernant la tolérance, l’UFT-AF a entraîné moins de mucites de grades 3-4 (16 % au versus 2 %) et moins de neutropénies de grades 3-4 (8 % versus 1 %). La deuxième étude (2) a inclus 816 patients. Les résultats sont semblables à ceux cités précédemment : pas de différence en termes de survie globale (12,4 mois dans le bras UFT-AF, 13,4 mois dans le bras Mayo Clinic), de survie sans progression (3,5 versus 3,8 mois), de taux de réponse (11,7 % versus 14,5 %). Les résultats de la tolérance montrent également moins de mucites de grades 3-4 et moins de neutropénies fébriles avec l’UFT-AF. En conclusion, l’UFT-AF est moins toxique que le schéma Mayo Clinic (moins de mucites et de neutropénies fébriles). Cependant, le bras de référence comme le bras investigationnel sont des traitements de première ligne insuffisants en termes d’efficacité par rapport aux combinaisons associant du 5-FU avec de l’oxaliplatine et du CPT11 et qui sont employées actuellement. Cela ne fait que souligner les progrès qui ont été effectués en quelques années, puisque la survie globale des patients ayant un cancer colorectal métastatique a été doublée par rapport aux résultats présentés dans ces études. * Hôpital Saint-Antoine, Paris. La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 6 - novembre-décembre 2002 Éniluracil Une autre étude a comparé l’association éniluracil et 5-FU au schéma Mayo Clinic (3). L’éniluracil est un inhibiteur de la dihydropyrimidine déshydrogénase. L’association d’éniluracil et de 5-FU augmente la biodisponibilité orale du 5-FU, diminue sa clairance et ses variabilités pharmacocinétiques. L’association éniluracil-5-FU est administrée per os (éniluracil 11,5 mg/m 2 et 5-FU 1,15 mg/m 2 ) tous les jours pendant 4 semaines suivies d’une semaine de repos. Neuf cent quatrevingt-un patients ont été randomisés. Les résultats de survie montrent une survie globale équivalente dans le bras éniluracil et le bras Mayo Clinic (respectivement 13,3 versus 14,5 mois), une survie sans progression inférieure dans le bras éniluracil (20 semaines versus 22,7 semaines, p = 0,01) et un taux de réponse similaire (12,2 % pour éniluracil et 12,7 % pour le schéma Mayo Clinic). Moins de neutropénies de grades 3-4 et de neutropénies fébriles sont présentes avec l’éniluracil (5 et 0,2 % contre 47 % et 9,4 %). Les nausées et les mucites sont également moins fréquentes. Capécitabine La capécitabine fait également partie des fluoropyrimidines orales. Elle a la particularité d’être métabolisée en 5-FU, principalement au niveau de la cellule tumorale. Cette propriété est intéressante puisque, en théorie, la capécitabine permettrait d’augmenter la dose d’intensité de 5-FU en réduisant les effets secondaires systémiques. L’étude menée par le Xeloda Colorectal Cancer Study Group a comparé la capécitabine (1 250 mg/m2 x 2/j J1 à J14 toutes les 3 semaines) au schéma FUFOL Mayo Clinic chez des patients en première ligne métastatique (4). En 16 mois, sur 59 centres, 602 patients ont été inclus dans l’étude. Il faut souligner qu’il n’y avait pas de limite supérieure d’âge et que l’âge médian des patients était de 64 ans (groupe capécitabine) et de 63,5 ans (groupe Mayo Clinic), les extrêmes étant, respectivement, de 84 et 86 ans. L’objectif principal était le taux de réponse : 18,9 % dans le bras capécitabine et 15 % dans le bras Mayo Clinic. Les temps jusqu’à progression n’étaient pas significativement différents : respectivement 5,2 mois et 4,7 mois. Enfin, les médianes de survie globale sont équivalentes : 13,2 mois versus 12,1 mois. Le profil de tolérance est différent dans les deux groupes : le schéma Mayo Clinic entraîne davantage de mucites de grades 3-4 (13 % versus 1 %), d’alopécies et de neutropénies de 213 C A N C E R S D grades 3-4 (20 % versus 2 %). En revanche, la capécitabine entraîne plus de syndromes mains-pieds de grades 3-4 (16,2 % versus 0,3 %). L’incidence des diarrhées est équivalente dans les deux bras (environ 10 % de grades 3-4). Les résultats de cette étude sont à mettre en parallèle avec ceux de l’étude américaine bâtie sur le même mode (5). Les taux de réponse étaient plus élevés dans le bras capécitabine mais il s’agissait de réponses investigateurs, non revues par un panel d’experts. Les autres conclusions sont équivalentes à celles de l’étude présentée précédemment. Une étude européenne s’est intéressée à la préférence des patients entre un traitement par UFT-LV per os à domicile et un traitement de type Mayo Clinic (6). Les patients recevaient leur première cure selon l’un ou l’autre protocole (i.v. ou per os) puis passaient à l’autre voie d’administration lors de la deuxième cure. Pour la suite, ils pouvaient choisir la voie d’administration qu’ils préféraient. L’effectif de patients était faible : 38 patients au total. Un questionnaire avant le début du traitement montrait que les critères de choix de l’un ou l’autre des traitements seraient essentiellement des critères de tolérance : la préférence irait au traitement qui donnerait le moins de risque d’infection, de nausées, de vomissements ou de diarrhées. Les critères de “traitement à domicile” ou de “traitement per os” venaient seulement en 4e et 6e position, respectivement. Après la deuxième cure (les patients avaient donc testé les deux voies d’administration), le critère de “traitement à domicile” devenait le plus important. Globalement, 84 % des patients préféraient le traitement par voie orale. De l’ensemble de ces résultats concernant les fluoropyrimidines orales, on peut retenir qu’elles ont une activité comparable à celle du 5-FU en bolus, avec une toxicité moindre et une plus grande facilité d’utilisation pour les patients. Cependant, il faut remarquer, à l’instar des éditorialistes du Journal of Clinical Oncology, que le FUFOL Mayo Clinic est plus toxique que le 5-FU administré en perfusion continue. Or, il n’y a pas, à l’heure actuelle, d’étude comparant un schéma de 5-FU continu à une fluoropyrimidine orale. Enfin, le 5-FU (oral ou i.v.) en monothérapie n’est pas actuellement le traitement de choix en première ligne métastatique, compte tenu des bons résultats obtenus grâce aux associations avec l’oxaliplatine et le CPT11. Les fluoropyrimidines orales devront donc Tableau I. Fluoropyrimidines orales : essais randomisés. Référence (1) (2) (3) (4) (5) n UFT Mayo Clinic UFT Mayo Clinic Éniluracil Mayo Clinic Capécitabine Mayo Clinic Capécitabine Mayo clinic 190 190 409 407 485 479 301 301 302 303 Taux de SSP réponse (%) 10,5 3,4 mois 9 3,3 mois 11,7 3,5 mois 14,5 3,8 mois 12,2 20 semaines 12,7 22,7 semaines 18,9 5,2 mois 15 4,7 mois 25,8 4,3 mois 11,6 4,7 mois SSP : survie sans progression ; SG : survie globale. 214 SG 12,2 mois 10,3 mois 12,4 mois 13,4 mois 13,3 mois 14,5 mois 13,2 mois 12,1 mois 12,5 mois 13,3 mois I G E S T I F S être testées en combinaison avec l’une ou l’autre de ces molécules, ce qui imposera au patient une hospitalisation pour recevoir celles-ci par voie veineuse. Chimiothérapie intra-artérielle Les résultats définitifs de l’étude intergroupe du SWOG et de l’ECOG ont été publiés par M. Kemeny (7). Il s’agit d’une étude randomisée comparant, chez des patients ayant un cancer colorectal avec une à trois métastases hépatiques, une surveillance à un traitement par chimiothérapie intra-artérielle associée à du 5-FU i.v. continu. Les premiers résultats avaient été présentés à l’ASCO en 1999. Le groupe traité recevait du FUDR 4 à 8 semaines après l’intervention, à la dose de 0,1 mg/kg/j pendant 14 jours tous les 28 jours. Quatre cycles, au maximum, étaient administrés. Les doses de 5-FU continu étaient de 200 mg/m2/j sur 14 jours en même temps que la chimiothérapie intra-artérielle. Après la fin de la chimiothérapie intra-artérielle, 8 cycles supplémentaires de 5-FU étaient administrés (300 mg/m2/j). L’âge médian était de 62 ans dans le groupe contrôle et de 59 ans dans le groupe chimiothérapie. Dans plus de 75 % des cas, les patients avaient un indice de performance de 0. Les taux de rechute observés à 4 ans sont de 25 % dans le groupe contrôle et de 46 % dans le groupe chimiothérapie (p = 0,04). La survie sans rechute hépatique était, respectivement, de 43 % et 67 % (p = 0,03). La survie globale, quant à elle, n’est pas significativement différente : 49 mois dans le groupe contrôle, 63,7 mois dans le groupe chimiothérapie (p = 0,6), mais l’essai n’était pas dimensionné pour répondre à la question. Cette étude confirme que la chimiothérapie intra-artérielle permet un meilleur contrôle local hépatique mais qu’il s’agit d’une technique difficile, même entre des mains entraînées (100 patients inclus dans cette étude en 6,5 ans). Parmi les résultats importants rapportés cette année figurent ceux de l’essai N 9741 du NCCTG (8). Sur les six bras initiaux de cette étude de première ligne métastatique, trois bras avaient été fermés en mars 2000 en raison de la toxicité (schéma Mayo Clinic, Mayo Clinic + oxaliplatine, Mayo Clinic + CPT11). Restaient alors le schéma dit “de Saltz” (IFL, CPT11 + 5-FU en bolus), le schéma FOLFOX 4 et le schéma associant oxaliplatine et CPT11. Les résultats montrent que le schéma FOLFOX 4 est supérieur au schéma IFL en termes de survie sans progression, de survie globale et de taux de réponse (tableau II). En dehors des neuropathies, le schéma Tableau II. Étude N 9741 : 5-FU/AF et oxaliplatine ou CPT11 ou oxaliplatine-CPT11 (8). Efficacité globale. RO p (vs IFL) SSP p (vs IFL) SG Survie à 1 an p (vs IFL) IFL 29 % – 6,9 – 14,1 58 % – FOLFOX 4 38 % 0,03 8,8 0,0009 18,6 71 % 0,002 Oxali-CPT11 28 % 0,89 6,7 > 0,5 16,5 65 % immature La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 6 - novembre-décembre 2002 FOLFOX 4 est également mieux toléré que le schéma IFL. Ces résultats ont été à l’origine d’une démarche accélérée de la FDA pour que l’oxaliplatine soit enfin disponible aux ÉtatsUnis. Traitement adjuvant du cancer du côlon Edrecolomab C’est dans la revue Lancet que sont parus des résultats de l’étude comparant edrecolomab (anticorps 17-1-A) seul, edrecolomab + 5-FU-AF et 5-FU-AF (9). Plus de 900 patients ayant un cancer du côlon de stade III ont été randomisés. Après un suivi médian de 26 mois, la survie globale à 3 ans de la combinaison anticorps et chimiothérapie n’était pas différente de celle sous chimiothérapie seule (74,7 % versus 76,1 %). La survie sans progression était significativement plus courte avec l’edrecolomab seul par rapport à la chimiothérapie (53 % versus 65,5 %). Dans cette étude, l’anticorps 17-1-A en adjuvant n’apporte donc pas de bénéfice par rapport à une chimiothérapie dans les cancers du côlon de stade III. Les résultats de l’étude américaine, en revanche, sont en faveur de l’edrecolomab (10). Cette étude de phase III comparait le schéma FUFOL Mayo Clinic 6 mois et l’association 5-FU lévamisole 12 mois, avec ou sans edrecolomab. La survie globale à 3 ans est de 81,6 % dans le bras avec l’anticorps et de 78,9 % dans le bras sans anticorps. Cette différence est statistiquement significative. En revanche, la survie sans rechute n’est pas différente (66,6 % versus 67,5 %). Les résultats définitifs seront à analyser de près. LV5FU2 Toujours en adjuvant, chez les patients ayant un cancer du côlon de stade II ou III, citons les résultats de l’essai du GERCOR qui valide le LV5FU2 en adjuvant (11). Il s’agit d’une étude bâtie sur une double randomisation entre LV5FU2 et FUFOL (AF 200 mg/m2, 5-FU 400 mg/m2 en bolus de J1 à J5 toutes les 4 semaines), d’une part, et 24 versus 36 semaines, d’autre part. Les premiers résultats montrent que la survie sans progression est identique entre 24 et 36 semaines de traitement. La survie sans rechute n’est pas significativement différente entre FUFOL et LV5FU2, mais les toxicités de grades 3-4 sont moins fréquentes avec LV5FU2. En termes de survie globale, il n’y a pas de différence entre les deux schémas ni entre les deux durées du traitement adjuvant. Cette étude valide donc le schéma LV5FU2 en adjuvant pendant 6 mois. Sujets âgés La chimiothérapie adjuvante chez les sujets âgés apporte-t-elle le même bénéfice en survie que chez les sujets plus jeunes ? C’est la question à laquelle deux études américaines ont tenté de répondre, selon des méthodologies différentes. La première étude a repris les données de 7 essais de phase III (3 351 patients) qui avaient comparé une chimiothérapie adjuvante par 5-FU et lévamisole ou acide folinique à la chirurgie seule dans les stade II et III (12). Les auteurs ont analysé le bénéfice en survie selon les groupes d’âge ( 50 ans, 51-60 ans, 61-70 ans, > 70 ans). Ils retrouvent un bénéfice en survie similaire, quelle que soit la catégorie d’âge du patient. Par ailleurs, La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 6 - novembre-décembre 2002 les effets secondaires n’ont pas été plus fréquents chez les malades de plus de 70 ans. La deuxième étude est une étude de cohorte prospective non randomisée (3 357 patients) réalisée à partir d’une base de données (SEER) (13). La survie des patients de stade III dont l’âge était supérieur à 67 ans a été comparée entre pas de traitement adjuvant et une chimiothérapie adjuvante à base de 5-FU. Les résultats montrent que le 5-FU diminue le risque de décès de 27 %. La survie à 5 ans est de 52,7 % dans le bras traité et de 40,7 % dans le bras non traité. CANCERS DU PANCRÉAS Maladie localement avancée ou métastatique Il faut souligner cette année le nombre important d’études de phase III publiées sur le cancer du pancréas avancé : au moins quatre études randomisées incluant un total de près de 900 patients. Cela montre le dynamisme des différentes équipes dans ce domaine. L’étude américaine de Berlin et al. a comparé la gemcitabine à l’association gemcitabine et 5-FU (14). Les études de phase II gemcitabine-5-FU avaient montré des résultats variables avec des survies globales entre 7 et 11 mois, selon les schémas utilisés et les caractéristiques des patients inclus. Les schémas de cette étude randomisée étaient soit la gemcitabine à 1 000 mg/m2/semaine, 3 semaines sur 4, soit l’association de gemcitabine (même schéma) et de 5-FU en bolus de 600 mg/m2/semaine, également 3 semaines sur 4. Trois cent vingt-sept patients ont été inclus dans les deux bras, avec une majorité de patients métastatiques (environ 90 % dans chaque bras). Les médianes de survie globale ne sont pas significativement différentes : 5,4 mois dans le bras gemcitabine seule, 6,7 mois dans le bras gemcitabine et 5-FU. Il en est de même pour la survie sans progression (2,2 mois versus 3,4 mois). Les taux de réponse sont très faibles dans les deux bras : 5,6 % versus 6,9 %. Même si l’incidence de toxicités de grades 3-4 est plus importante dans le bras gemcitabine-5-FU, les différences ne sont pas significatives. Il s’agit principalement de toxicités digestives et hématologiques (neutropénies). En conclusion, l’adjonction de 5-FU en bolus ne semble pas améliorer les résultats de la gemcitabine administrée en 30 minutes. Une étude italienne a comparé la gemcitabine seule à l’association gemcitabine-cisplatine (15). La gemcitabine était administrée dans les deux bras en perfusion de 1 000 mg/m2 sur 30 minutes toutes les semaines, 7 semaines de suite, suivies d’une pause de 2 semaines puis de 2 cycles de 6 semaines. Le cisplatine était délivré à la dose de 25 mg/m 2 par semaine, avant chaque perfusion de gemcitabine (sauf à J22). Les patients avaient une maladie localement avancée ou métastatique bien équilibrée dans les deux bras. Les taux de réponse ont été, respectivement de 9,2 % et de 26,4 % (p = 0,02). Les survies sans progression sont de 8 semaines versus 20 semaines, la différence étant significative (p = 0,48). En revanche, la survie globale n’est pas significativement différente dans les deux bras (20 versus 30 semaines). En termes de tolérance, la seule différence a été l’asthénie, plus fréquente dans le bras 215 A N C E R S avec cisplatine (24 % contre 9 % avec la gemcitabine seule). Ces résultats sont donc en faveur d’une association de gemcitabine avec un dérivé du platine par rapport à la gemcitabine en monothérapie. L’intérêt du marimastat a été testé dans les cancers du pancréas avancés en comparant gemcitabine-placebo à gemcitabine-marimastat (16). Le marimastat est un inhibiteur des métalloprotéinases, enzymes responsables de la dégradation de la matrice extracellulaire, favorisant l’invasion tumorale. Le marimastat n’a pas un effet cytotoxique, mais son action consiste en une inhibition de la croissance cellulaire et du potentiel métastatique des cellules tumorales. Dans cet essai randomisé, la gemcitabine était administrée selon un schéma hebdomadaire de 1 000 mg/m2 en 30 minutes. Le marimastat était administré oralement à la dose de 10 mg deux fois par jour. Le nombre de patients inclus a été de 239. Il n’a pas été mis en évidence de différence de survie globale (médiane de 165 jours dans le bras gemcitabine-marimastat et de 164 jours dans le bras gemcitabine-placebo). Les taux de réponse ont été, respectivement, de 11 % et 16 %. La survie sans progression est également équivalente dans les deux bras. La toxicité la plus fréquente du marimastat consiste en des douleurs musculosquelettiques, résolutives lors de l’interruption du traitement. Cet effet secondaire a touché 59 % des patients sous marimastat, 4 % ayant une toxicité de grade 3 ou 4. Le marimastat n’augmente donc pas l’efficacité de la gemcitabine. Ce type d’étude n’est sans doute pas la meilleure façon d’évaluer l’effet de telles molécules qui ont des mécanismes d’action différents des cytotoxiques habituels, probablement plus efficaces lorsque le contingent tumoral est plus faible. Une équipe anglaise a randomisé le 5-FU en perfusion continue 300 mg/m2/jour associé ou non à la mitomycine hebdomadaire (17). Deux cent huit patients ont été inclus. Les résultats sont semblables à ceux présentés en 2001 à l’ASCO : le taux de réponse a été significativement plus élevé dans le bras combiné (17,6 % versus 8,4 %), mais la réponse symptomatique, la médiane de survie sans progression (3,8 mois versus 2,8 mois) et la médiane de survie globale (6,5 mois versus 5,1) ne diffèrent pas significativement. D I G E S T I F S CANCERS DE L’ESTOMAC ET DE L’ŒSOPHAGE Une étude multicentrique anglaise a porté sur 369 patients qui ont reçu en double aveugle soit du marimastat à la dose de 10 mg x 2 par jour pendant une durée théorique de 18 mois, soit un placebo (19). La population étudiée comportait un mélange de patients non prétraités et de patients ayant reçu auparavant une ligne de chimiothérapie à base de 5-FU sans signe de progression sous ce schéma. Environ un tiers des patients avaient déjà reçu une chimiothérapie. Il s’agissait de patients en bon état général (indice de performance 0 ou 1). La majorité des patients avaient des métastases (respectivement, 71 % et 73 %). La survie sans progression est en faveur du groupe marimastat (p = 0,043). La médiane de survie du groupe marimastat est légèrement supérieure à celle du groupe placebo (160 jours versus 138 jours, p = 0,028). Le pourcentage de patients vivant à 2 ans est, respectivement, de 9 % et de 3 % (p = 0,12). L’analyse par sous-groupe indique que la différence de survie globale est significative en faveur du marimastat pour les patients ayant déjà reçu une chimiothérapie antérieurement : 253 versus 175 jours (p = 0,006) (figure 1). Il s’agit de la première étude d’envergure dans les cancers digestifs évaluant l’effet d’un inhibiteur des métalloprotéinases. Si certaines données sont encourageantes, il faut certainement retenir que ce type de traitement en monothérapie chez des patients avec maladie avancée n’est pas satisfaisant, car si la médiane de survie est supérieure pour le marimastat par rapport au placebo, elle n’est que de 160 jours, soit à peine plus de 5 mois, et donc largement inférieure à ce qui est obtenu avec une chimiothérapie conventionnelle. 1 Survival estimate C Marimastat (n = 61) médiane = 253 jours Placebo (n = 62) médiane = 175 jours Hazard ratio = 1,68 (1,16-2,44) p = 0,006 0,8 0,6 0,4 0,2 0 Traitement adjuvant L’étude ESPAC, dont les résultats avaient été présentés à l’ASCO en 2000, a été publiée en 2001 (18). Il s’agit d’une étude randomisée en situation adjuvante, qui cherchait à définir les rôles respectifs de la radio-chimiothérapie (45 Gy + 5-FU) et de la chimiothérapie (5-FU et acide folinique en bolus hebdomadaire). Certains patients ont été inclus dans une étude factorielle à 2 x 2 bras (observation, RT-CT, CT, RT-CT et CT), alors que d’autres patients ont été randomisés entre observation et CT, et d’autres, enfin, entre observation et RTCT. La complexité de l’étude rend l’analyse délicate, mais les résultats indiquent que la radio-chimiothérapie ne semble pas augmenter significativement la survie. En revanche, la survie médiane des patients ayant reçu une chimiothérapie adjuvante est significativement plus longue que celle des patients n’en ayant pas reçu (19,7 mois versus 14 mois, p = 0,0005). 216 0 1 2 Années 3 4 Figure 1. Survie globale (sous-groupe chimiothérapie). Toujours en situation métastatique, une comparaison entre le schéma ECF (épirubicine 50 mg/m2, cisplatine 60 mg/m2 et 5-FU continu 200 mg/m2/j) et le MCF (mitomycine 7 mg/m2, cisplatine 60 mg/m2 et 5-FU continu 300 mg/m2) a été effectuée chez des patients ayant un cancer de l’œsophage ou de l’estomac avancé (20). Cette étude avait été menée à la suite des travaux montrant la supériorité de l’ECF sur le schéma FAMTX. Les taux de réponse sont de 42,4 % avec l’ECF (289 patients) et de 44,1 % (285 patients) avec le MCF, cette différence n’étant pas significative. La survie sans progression est de 7 mois dans les deux bras, la survie globale médiane est de 9,4 mois pour l’ECF et de 8,7 mois pour le MCF. En termes La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 6 - novembre-décembre 2002 de tolérance, l’ECF entraîne davantage de neutropénies de grades 3-4 et d’alopécies de grade 2, alors que le MCF donne plus de thrombopénies et de syndromes mains-pieds. L’analyse de la qualité de vie (QLQC30) est en faveur du schéma ECF. Cette étude montre que le schéma ECF reste un des standards dans cette indication. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Carmichael J, Popiela T, Radstone D et al. Randomized comparative study of tegafur/uracil and oral leucovorin versus parenteral fluorouracil and leucovorin in patients with previously untreated metastatic colorectal cancer. J Clin Oncol 2002 ; 20 (17) : 3617-27. 2. Douillard JY, Hoff PM, Skillings JR et al. Multicenter phase III study of uracil/tegafur and oral leucovorin versus fluorouracil and leucovorin in patients with previously untreated metastatic colorectal cancer. J Clin Oncol 2002 ; 20 (17) : 3605-16. 3. Schilsky RL, Levin J, West WH et al. Randomized, open-label, phase III study of a 28-day oral regimen of eniluracil plus fluorouracil versus intravenous fluorouracil plus leucovorin as first-line therapy in patients with metastatic/advanced colorectal cancer. J Clin Oncol 2002 ; 20 (6) : 1519-26. 4. Van Cutsem E, Twelves C, Cassidy J et al. Oral capecitabine compared with intravenous fluorouracil plus leucovorin in patients with metastatic colorectal cancer : results of a large phase III study. J Clin Oncol 2001 ; 19 (21) : 4097-106. 5. Hoff PM, Ansari R, Batist G et al. Comparison of oral capecitabine versus intravenous fluorouracil plus leucovorin as first-line treatment in 605 patients with metastatic colorectal cancer : results of a randomized phase III study. J Clin Oncol 2001 ; 19 : 2282-92. 6. Borner MM, Schoffski P, de Wit R et al. Patient preference and pharmacokinetics of oral modulated UFT versus intravenous fluorouracil and leucovorin : a randomised crossover trial in advanced colorectal cancer. Eur J Cancer 2002 ; 38 (3) : 349-58. 7. Kemeny MM, Adak S, Gray B et al. Combined-modality treatment for resectable metastatic colorectal carcinoma to the liver : surgical resection of hepatic metastases in combination with continuous infusion of chemotherapy, an intergroup study. J Clin Oncol 2002 ; 20 (6) : 1499-5052. 8. Goldberg RM, Morton RF, Sargent DJ et al. N 9741 : oxaliplatin or CPT11 + 5-fluorouracil/leucovorin or oxaliplatin + CPT11 in advanced colorectal cancer. Initial toxicity and response data from a GI Intergroup study. Proc ASCO, 2002 abstr. 511. INTERVIEW M. Ducreux* L’avenir de la chimiothérapie en dérivés oraux * Unité de gastroentérologie, Institut Custave-Roussy, Villejuif Deux molécules de chimiothérapie analogues oraux du 5-FU, la capécitabine et l’UFT ont été récemment mis sur le marché. Le mécanisme d’action de ces molécules est différent puisque la capécitabine est une prodrogue du 5-FU absorbé et subissant des étapes métaboliques l’amenant à la transformation en 5-FU au sein de la cellule tumorale. L’UFT est une combinaison d’une prodrogue du 5-FU le ftorafur et d’uracile qui inhibe la principale enzyme de catabolisme du 5-FU. Il est déjà acquis que ces deux molécules ont une activité dans le cancer colorectal métastasé. De grandes études de phase III ont montré qu’elles étaient, en monochimiothérapie, d’efficacité comparable à un schéma de référence américain le 5-FU + acide folinique de la Mayo Clinic. La différence se fait plutôt en termes de toxicité, les chimiothéra- 9. Punt CJ, Nagy A, Douillard JY et al. Edrecolomab alone or in combination with fluorouracil and folinic acid in the adjuvant treatment of stage III colon cancer : a randomised study. Lancet 2002 ; 360 (9334) : 671-7. 10. Anthony L Fields, Alan M Keller, Lee Schwartzberg et al. Edrecolomab (17-1-A antibody) in combination with 5-fluorouracil (FU) based chemotherapy in the adjuvant treatment of stage III colon cancer : results of a randomised North American phase III study. Proc ASCO 2002 ; abstr. 508. 11. Andre T, Colin P, Louvet C et al. Phase III trial (GERCOR C96.1) comparing bimonthly LV5FU2 to monthly 5FU-leucovorin high dose in patients with Dukes B2 and C colon cancer. Proc ASCO 2002, abstr. 529 12. Sargent DJ, Goldberg RM, Jacobson SD et al. A pooled analysis of adjuvant chemotherapy for resected colon cancer in elderly patients. N Engl J Med 2001 ; 345 (15) : 1091-7. 13. Iwashyna TJ, Lamont EB. Effectiveness of adjuvant fluorouracil in clinical practice : a population-based cohort study of elderly patients with stage III colon cancer. J Clin Oncol 2002 ; 20 (19) : 3992-8. 14. Berlin JD, Catalano P, Thomas JP. Phase III study of gemcitabine in combination with fluorouracil versus gemcitabine alone in patients with advanced pancreatic carcinoma : Eastern Cooperative Oncology Group Trial E2297. J Clin Oncol 2002 ; 20 (15) : 3270-5. 15. Colucci G, Giuliani F, Gebbia V et al. Gemcitabine alone or with cisplatin for the treatment of patients with locally advanced and/or metastatic pancreatic carcinoma : a prospective, randomized phase III study of the Gruppo Oncologia dell’Italia Meridionale. Cancer 2002 ; 94 (4) : 902-10. 16. Bramhall SR, Schulz J, Nemunaitis J et al. A double-blind placebo-controlled, randomised study comparing gemcitabine and marimastat with gemcitabine and placebo as first line therapy in patients with advanced pancreatic cancer. Br J Cancer 2002 ; 87 (2) : 161-7. 17. Maisey N, Chau I, Cunningham D et al. Multicenter randomized phase III trial comparing protracted venous infusion (p.v.i.) fluorouracil (5-FU) with p.v.i. 5-FU plus mitomycin in inoperable pancreatic cancer. J Clin Oncol 2002 ; 20 (14) : 3130-6. 18. Neoptolemos JP, Dunn JA, Stocken DD et al. Adjuvant chemoradiotherapy and chemotherapy in resectable pancreatic cancer : a randomised controlled trial. Lancet 2001 ; 358 (9293) : 1576-85. 19. Bramhall SR, Hallissey MT, Whiting J et al. Marimastat as maintenance therapy for patients with advanced gastric cancer : a randomised trial. Br J Cancer 2002 ; 86 (12) : 1864-70. 20. Ross P, Nicolson M, Cunningham D et al. Prospective randomized trial comparing mitomycin, cisplatin, and protracted venous-infusion fluorouracil (p.v.i. 5-FU) with epirubicin, cisplatin, and p.v.i. 5-FU in advanced oesophagogastric cancer. J Clin Oncol 2002 ; 20 (8) : 1996-2004. pies orales étant moins toxiques en plus de leur facilité d’utilisation. Il s’agit cependant d’études de monochimiothérapie et la comparaison n’est pas faite versus des schémas de perfusion continue de 5FU dont on sait qu’ils sont plus actifs et mieux tolérés. Il n’existe pas à ce jour de comparaison directe entre ces deux nouveaux agents, la différence entre les deux se faisant plutôt au niveau de la toxicité : plus de syndromes main-pied avec la capécitabine et plus de diarrhée avec l’UFT. C’est au sein des associations que ces molécules ont le plus grand intérêt que ce soit en association avec l’irinotécan, l’oxaliplatine ou la radiothérapie. Des La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 6 - novembre-décembre 2002 schémas d’association ont déjà fait preuve d’une efficacité prometteuse leur permettant de menacer l’équivalent intraveineux, au premier rang se situent les deux associations capécitabine oxaliplatine et capécitabine-irinotécan. Il est tout à fait possible que les études de phase III à venir permettent de démontrer que le 5-FU traditionnel n’a plus sa place dans le traitement du cancer colorectal ce qui serait une révolution. Le schéma capécitabine-oxaliplatineradiothérapie est également un protocole prometteur dans le traitement du cancer du rectum. Le champ d’action des fluoropyrimidines orales ne se limite pas là puisque nous disposons déjà de résultats préliminaires d’une étude randomisée britannique suggérant qu’il est possible de remplacer le 5FU en perfusion continue du très contraignant schéma ECF (5-FU perfusion continue pendant 21 semaines) lors du traitement des cancers gastriques métastasés. Il est donc raisonnable d’envisager dans les 5 ans à venir la disparition complète des indications de 5-FU en perfusion au profit des molécules orales : dans le cancer colorectal métastasé et le cancer gastrique métastasé d’abord, dans le traitement adjuvant du cancer du côlon ensuite, dans les combinaisons de radio-chimiothérapie ensuite. 217