DOssIER ThémATIQuE FFCD Quoi de neuf dans le cancer gastrique ? What’s new for gastric cancer? R. Guimbaud* I l n’y a pas eu, au cours de l’année 2008, de scoop modifiant les recommandations thérapeutiques concernant le cancer gastrique ; mais les résultats de grandes études ont été publiés, permettant de renforcer les standards actuels ou de les compléter. Traitement chirurgical du cancer gastrique : ne pas dépasser D2 La question du curage ganglionnaire associé au geste chirurgical a fait l’objet de nouvelles publications, essentiellement asiatiques. En France, le Thésaurus national recommande un curage minimum de type D1 (comprenant au moins 15 ganglions). La prolongation de la survie par le curage D2 par rapport au curage D1 n’est pas démontrée, mais, dans la principale étude sur le sujet, le contrôle qualité montre un non-respect du curage théorique dans plus de 4 cas sur 5. On a donc proposé d’associer un curage D1 à un curage pédiculaire (artère hépatique commune gastrique gauche et artère splénique proximale), soit : un curage D2 pour les cancers de l’antre, et un curage D1,5 pour les cancers du corps du tiers supérieur de l’estomac. En Asie, notamment au Japon, le curage D2 est le standard thérapeutique. La grande étude prospective randomisée de phase III menée par M. Sasako et al. (1), publiée dans le New England Journal of Medicine, porte sur l’intérêt d’un curage étendu, au-delà du curage D2, aux ganglions périaortiques (curage D2 + para aortic nodal dissection [PAND]). Les 523 patients inclus dans cette étude japonaise ont été opérés à visée curative d’un cancer gastrique entre juillet 1995 et avril 2001. Ils ont été randomisés entre curage D2 (bras témoin) et curage D2 + PAND (bras expérimental). Une “qualité japonaise” était requise : les chirurgiens impliqués dans cette étude étaient des chirurgiens expérimentés ayant réalisé plus de 100 gastrectomies totales avec curage D2 ou exerçant dans un établissement où plus de 80 gestes de ce type étaient réalisés chaque année. Il s’agissait d’une étude de supériorité ayant pour objectif primaire la survie globale, le but étant d’augmenter de 12 % brut la survie globale dans le bras expérimental. Il n’y avait pas de traitement adjuvant postopératoire. Les résultats n’ont montré aucune différence en termes de survie globale (hazard-ratio [HR] = 1,03 ; IC95 : 0,77-1,37 ; p = 0,85 ; survie à 5 ans de 69,2 % pour le bras D2, versus 70,3 % pour le bras D2 + PAND) ni de survie sans récidive. Il n’y avait pas non plus de différence en termes de complication sévère postopératoire ni de mortalité opératoire. En revanche, la durée d’intervention, les besoins transfusionnels et les complications mineures étaient plus importants dans le bras expérimental. Cette étude démontre qu’un curage extensif para-aortique n’augmente pas la survie totale par rapport au curage D2 (qui reste donc le traitement standard en Asie). L’étude de Y. Yonemura et al. (2), elle aussi asiatique (Japon, Taïwan et Corée), confirme ces données. Il s’agit également d’une étude de phase III, qui a randomisé 293 malades en deux bras : un bras standard, avec curage D2, et un bras expérimental, avec curage D2 étendu aux ganglions para-aortiques (appelé groupe D4). Aucune différence de survie n’a été mise en évidence entre les deux bras ; le taux de complications et de mortalité postopératoire était plus important dans le bras expérimental, mais sans que la différence soit significative. mot-clé Cancer gastrique Keyword Gastric cancer * Pôle digestif, hôpital Purpan, Toulouse. La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 | 209 dossier thématique Journée FFCD-PRODIGE Quoi de neuf dans le cancer gastrique ? On peut clairement conclure qu’un curage au-delà de D2, étendu au relais para-aortique, n’est pas recommandé et ne doit pas être proposé. Traitement adjuvant : rien de nouveau ! Actuellement, deux stratégies de traitement complémentaire à la chirurgie curative peuvent être proposées : d’une part, la chimiothérapie périopératoire (recommandation de niveau A), et d’autre part, la radio-chimiothérapie postopératoire (recommandation de niveau B). La chimiothérapie adjuvante postopératoire n’est pas recommandée et n’est en aucun cas un standard dans les pays occidentaux, alors qu’au Japon elle garde toute sa place et est considérée comme un standard thérapeutique. L’étude publiée par F. Di Costanzo et al. (3) pose de nouveau la question de la chimiothérapie adjuvante hors Asie. Le schéma de cette étude italienne est déjà ancien, puisque le recrutement a été réalisé entre janvier 1995 et septembre 2000. Cette étude apporte une preuve supplémentaire de l’absence d’efficacité de la chimiothérapie adjuvante dans les formes “occidentales” des cancers gastriques. À la suite d’une chirurgie gastrique à visée curative (chirurgie non standardisée avec un curage minimal recommandé de type D1), deux cent cinquantehuit patients ont été randomisés entre absence de traitement (bras témoin) et schéma expérimental (polychimiothérapie par PELF [cisplatine 40 mg/­m2 à J1 et J5, épirubicine 30 mg/m2 à J1 et J5, leucovorine 100 mg/m2 de J1 à J4 et 5-FU 300 mg/­m2 de J1 à J4], 4 cycles). Cette étude de supériorité avait pour objectif principal la survie globale (visant un gain de 20 % brut de survie globale à 5 ans dans le bras traité !). Aucune différence de survie globale n’a été démontrée, la médiane de survie étant de 56,7 mois dans le bras PELF et de 57,6 mois dans le bras contrôle. Cet essai confirme non seulement, par ce résultat négatif, l’absence d’efficacité de la chimiothérapie adjuvante, mais aussi la difficulté de réaliser des chimiothérapies adjuvantes postgastrectomie : seuls 91 patients sur 130 dans le bras chimiothérapie ont pu recevoir plus de 3 cycles de chimiothérapie, et 10 % des patients n’ont jamais pu commencer le traitement. Aucune autre étude publiée en 2008 n’apporte d’information complémentaire sur les stratégies adjuvantes, pour lesquelles les standards restent inchangés. 210 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 Chimiothérapie palliative : du neuf avec de l’ancien Le traitement spécifique des formes métastatiques des cancers gastriques repose sur la chimiothérapie palliative (niveau B) dès que l’état général est jugé satisfaisant, dans le but d’améliorer la survie et la qualité de vie. Plusieurs standards de chimiothérapie existent, sans qu’aucun d’entre eux “domine”, et, dans l’ensemble, la médiane de survie reste faible : en général, aux environs de 10 mois. Parmi ces standards thérapeutiques, on distingue l’association 5-FU-platine (et ses variantes LV5FU2-platine ou capécitabine-platine), l’association épirubicine-cisplatine-5-FU (ECF) [et sa variante ECC, où la capécitabine remplace la perfusion continue de 5-FU], et le DCF (associant docétaxel, cisplatine et 5-FU) plus récent, tous ces standards ayant fait l’objet d’études de phase III publiées. Enfin, l’arrivée de l’irinotécan et de l’oxaliplatine a permis d’introduire ces médicaments dans des schémas de polychimiothérapie utilisés en pratique (mais ne disposant pas encore d’AMM). Ils avaient préalablement fait l’objet de communications en congrès. L’année 2008 a vu la publication de ces essais. Oxaliplatine En ce qui concerne l’oxaliplatine, deux études ont été publiées. ➤➤ L’étude de phase III allemande, publiée par S. Al-Batran et al. (4) dans le Journal of Clinical Oncology, a randomisé 220 patients, de juin 2003 à janvier 2006, en un bras expérimental FLO (oxaliplatine 85 mg/­m2, leucovorine 200 mg/m2 et 5-FU 2 600 mg/m2 en 24 heures, toutes les 2 semaines) et un bras témoin FLP : 5-FU (2 000 mg/m 2 en 24 heures), acide folinique (200 mg/m2) et cisplatine (50 mg/­m2). Il s’agissait d’une étude de supériorité dont l’objectif principal était de mettre en évidence un allongement de la survie sans progression allant de 2,5 à 5 mois. Les résultats n’ont pas montré de différence significative en termes de survie sans progression entre les deux bras de traitement (médiane de survie de 5,8 mois pour le bras FLO versus 3,9 mois pour le bras FLP ; p = 0,77). Il n’y avait pas non plus de différence significative en termes de survie globale. Une meilleure tolérance était notée avec le FLO. Par ailleurs, l’analyse en sous-groupes a permis de montrer un avantage significatif du FLO en termes de survie globale et de survie sans progression chez les patients âgés de plus de 65 ans. Cette étude n’a donc pas démontré la supériorité du schéma comprenant de l’oxaliplatine sur le schéma dossier thématique contenant du platine, mais elle a montré son efficacité au moins similaire et sa meilleure tolérance. ➤➤ L’étude REAL 2, publiée par D. Cunningham et al. (5), s’intéressait à la fois à l’oxaliplatine et à la capécitabine dans les schémas de chimiothérapie de première ligne des cancers œso-gastriques avancés. Dans le cadre de cette étude à large effectif, 1 002 patients étaient randomisés, suivant un plan factoriel, entre juin 2000 et mai 2005, entre, d’une part, l’oxaliplatine et le cisplatine et, d’autre part, la capécitabine et le 5-FU. Le schéma de référence était l’ECF. Au total, quatre bras de traitement étaient proposés : ECF, ECX, EOF et EOX (l’ECF comprenait de l’épiribucine à 50 mg/m2, du cisplatine à 60 mg/m2, du 5-FU continu à 200 mg/m2/j ; pour les autres schémas, le XELODA était à 1 000 mg/m2/j et l’oxaliplatine à 130 mg/m2, toutes les 3 semaines). Les bras étaient comparés deux à deux : d’une part, ECF et EOF versus ECX et EOX (capécitabine versus 5-FU) et, d’autre part, ECF et ECX versus EOF et EOX (oxaliplatine versus cisplatine). L’objectif principal de cette étude de non-infériorité était la survie globale. Outre la comparaison des bras deux à deux, une comparaison bras par bras était programmée (sans que les objectifs chiffrés de cette analyse soient clairement exposés). La comparaison des bras deux à deux a montré l’équivalence de la capécitabine et du 5-FU, et l’équivalence de l’oxaliplatine et du cisplatine. Par ailleurs, l’analyse bras par bras a permis de montrer une meilleure survie globale dans le bras EOX que dans le bras standard ECF (HR = 0,80 ; IC95 : 0,66-0,97 ; p = 0,2). Cette étude confirme l’équivalence de la capécitabine et du 5-FU et démontre l’équivalence de l’oxaliplatine et du cisplatine. L’ensemble de ces deux études valide la place de l’oxaliplatine dans les schémas de chimiothérapie de première ligne des cancers gastriques avancés, le problème de l’AMM restant entier en France. Le Thésaurus national indique que “le schéma FOLFOX peut être proposé hors essai dans des cas particuliers après validation de l’indication en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) [recommandation de niveau C]”. Irinotécan L’année 2008 a été (enfin !) l’année de la publication de l’étude de phase III évaluant l’intérêt de l’irinotécan dans le traitement du cancer gastrique avancé. Cette étude randomisée de phase III, publiée par N. Dank et al. (6), avait déjà été présentée par ces mêmes auteurs au congrès de l’ASCO en 2005. Trois cent trente-trois patients porteurs de cancers œso-gastriques avancés ont été randomisés entre un bras témoin 5-FU-platine (platine 100 mg/­m2 à J1 et 5-FU 1 000 mg/m 2 de J1 à J5, toutes les 4 semaines) et un bras expérimental associant irinotécan et 5-FU selon un schéma hebdomadaire (irinotécan 80 mg/­m 2, acide folinique 500 mg/ m 2 et 5-FU 200 mg/m 2 pendant 22 heures). Il s’agissait à la fois d’une étude de supériorité et de non-infériorité, dont l’objectif principal était le temps jusqu’à progression. Les résultats n’ont pas permis de mettre en évidence de différence significative entre les deux bras, malgré une tendance en faveur du bras irinotécan-5-FU, avec une médiane de survie de 5 mois, versus 4,2 mois dans le bras standard (HR : 1,23 ; IC95 : 0,97-1,57 ; p = 0,088). L’analyse de non-infériorité montrait l’équivalence des deux traitements. En revanche, en termes de profil de tolérance, la toxicité était plus faible dans le bras expérimental que dans le bras témoin. Cette étude ne permet donc pas de démontrer la supériorité de l’irinotécan, qui n’a d’ailleurs pas reçu l’AMM dans cette indication. En revanche, elle valide son équivalence thérapeutique et sa tolérance. Actuellement, le Thésaurus national, en France, indique que “le schéma FOLFIRI peut être proposé hors essai dans des cas particuliers après validation de l’indication en RCP (recommandation de niveau C)”. Les inclusions de l’étude française intergroupe FFCD-GERCOR-FNCLCC-ARO comparant l’ECC (suivi du FOLFIRI en deuxième ligne) au FOLFIRI (suivi de l’ECC en deuxième ligne) sont closes, et les résultats finaux, qui ne seront pas disponibles avant 1 an, permettront d’apporter des données supplémentaires quant à l’utilisation du FOLFIRI dans cette indication. ■ Références bibliographiques 1. Sasako M, Sano T, Yamamoto S et al. D2 lymphadenectomy alone or with para-aortic nodal dissection for gastric cancer. N Engl J Med 2008;359:453-62. 2. Yonemura Y , Wu CC , Fukushima N et al. Randomized clinical trial of D2 and extended paraaortic lymphadenectomy in patients with gastric cancer. Int J Clin Oncol 2008;13:132-7. 3. Di Costanzo F, Gasperoni S, Manzione L et al. Adjuvant chemotherapy in completely resected gastric cancer: a randomi­z ed phase III trial conducted by GOIRC. J Natl Cancer Inst 2008; 100:388-98. 4. Al-Batran SE, Hartmann JT, Probst S et al. Phase III trial in metastatic gastroesophageal adenocarcinoma with fluoro­ uracil, leucovorin plus either oxaliplatin or cisplatin: a study of the Arbeitsgemeinschaft Internistische Onkologie. J Clin Oncol 2008;26:1435-42. 5. Cunningham D, Starling N, Rao S et al. Capecitabine and oxaliplatin for advanced esophagogastric cancer. N Engl J Med 2008;358:36-46. 6. Dank N, Zaluski J, Barone C et al. Randomized phase III study comparing irinotecan combined with 5-fluorouracil and folinic acid to cisplatin combined with 5-fluorouracil in chemotherapy naive patients with advanced adenocarcinoma of the stomach or esophagogastric junction. Ann Oncol 2008;19:1450-7. La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 | 211