252 | La Lettre du Cancérologue Vol. XX - n° 4 - avril 2011
OBJECTIFS D’ENSEIGNEMENT
PROFESSIONNEL CONTINU
Cancer du sein - Coordonnateurs : J.Y. Pierga, V. Diéras
HER2 et cancer du sein
V. Diéras
État des lieux
Le récepteur de facteurs de croissance HER2 est un facteur pronos-
tique et prédictif important dans les cancers du sein, en situation
adjuvante comme métastatique. Le gène HER2 est amplifi é et la
protéine HER2 surexprimée dans 15 à 20 % des cas. Le gène HER2,
connu également sous les noms HER2/neu ou c-erb2, est localisé
sur le chromosome 17q et appartient à la famille des gènes de
récepteurs de facteurs de croissance HER. Il code pour une protéine
transmembranaire de 185 kDa, récepteur de facteurs de croissance
avec activité tyrosine kinase, ce qui entraîne la signalisation pour la
prolifération et la survie cellulaires. Le trastuzumab est un anticorps
monoclonal humanisé se xant sur le récepteur (1).
Méthodologie de détermination
du statut HER2
À l’heure actuelle, il est indispensable d’évaluer le statut HER2
dans toute tumeur du sein nouvellement diagnostiquée.
L’immunohistochimie (IHC) évalue la présence membranaire de
la protéine HER2. Les spécimens sont cotés 0, 1+, 2+ ou 3+, selon
l’importance et la proportion du marquage membranaire : IHC 3+
indique le résultat le plus positif. L’hybridation in situ en uores-
cence (fl uorescence in situ hybridization [FISH]) teste directement
les copies du gène dans la cellule. Les faux négatifs et les faux
positifs dans l’évaluation du statut HER2 ont des conséquences
cliniques importantes : certaines patientes peuvent être privées de
trastuzumab sur la base de faux négatifs alors que d’autres recevront
un traitement potentiellement toxique et onéreux en cas de faux
positifs. Les études ont démontré que la surexpression de HER2 est
fortement corrélée avec l’amplifi cation en cas d’IHC 3+, mais non
en cas d’IHC 2+. Dans ce dernier cas, la réalisation d’une FISH est
indispensable avant d’instaurer un traitement par trastuzumab (2).
Trastuzumab en situation métastatique
Le trastuzumab est administré soit selon un schéma hebdoma-
daire (dose de charge de 4 mg/kg puis 2 mg/kg), soit toutes les
3 semaines (dose de charge de 8 mg/kg puis 6 mg/kg).
Deux études pivots d’enregistrement ont évalué l’apport du
trastuzumab à une chimiothérapie par taxane, paclitaxel ou
docétaxel. L’association de trastuzumab à un taxane entraîne une
augmentation signifi cative du taux de réponse objective, du temps
jusqu’à progression et de la survie (3, 4).
D’autres agents cytotoxiques ont montré une synergie ou une
additivité avec le trastuzumab : vinorelbine, capécitabine, sels de
platine, gemcitabine, etc.
Poursuivre l’administration d’un agent après progression représente
un nouveau paradigme en oncologie, mais le mécanisme d’action du
trastuzumab et sa synergie avec un grand nombre de cytotoxiques
supportent cette approche. Beaucoup de données rétrospectives,
non randomisées, sont disponibles. Deux essais randomisés sont
en faveur de la prolongation du blocage d’HER2 après progression.
Maintenir le blocage de la voie HER2 est important, même après
la progression sous trastuzumab. De nombreuses données rétros-
pectives étaient en faveur de cette attitude thérapeutique. Deux
essais prospectifs confi rment cette approche. Le premier essai
comparait, après progression sous trastuzumab, la capécitabine
avec et sans trastuzumab (5). La poursuite du trastuzumab se
traduit par une augmentation de la survie sans progression de
5,6 à 8,2 mois et par une augmentation du taux de réponse
de 27 à 48 %. L’autre essai compare, dans la même situation, le
lapatinib avec et sans trastuzumab : la poursuite de l’administration
du trastuzumab s’accompagne non seulement d’une augmentation
de la survie sans progression mais également d’une augmentation
signifi cative de la survie globale, ce qui traduit l’intérêt potentiel
d’un blocage complet du récepteur HER2 (6).
Trastuzumab en situation adjuvante
Plusieurs grands essais randomisés (études HERA, NSABP B-31,
NCCTG N9831, BCIRG 06 et FinHer) ont démontré l’activité du
trastuzumab en situation adjuvante (7). Dans l’étude pivot d’enre-
gistrement, une réduction du risque de récidive de plus de 35 %
est observée.
Lapatinib
Le lapatinib est un inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) ciblant
HER1 et HER2. Il est administré par voie orale, et ses principaux
effets indésirables sont la diarrhée et les rashs cutanés. Létude
pivot d’enregistrement, portant sur des patientes présentant une
progression après un traitement par anthracyclines, taxane et
trastuzumab, rapporte que l’association capécitabine-lapatinib est
supérieure à la capécitabine seule en termes de réponse objective
et de temps jusqu’à progression (8).
Association hormonothérapie-
traitement ciblé anti-HER2
Les études précliniques suggèrent une connexion entre les voies de
signalisation HER2 et certains récepteurs hormonaux (RH). Bien
qu’environ 50 % des tumeurs HER2 présentent une expression des
RH, elles peuvent être hormonorésistantes.
Figure 2. Nouveaux ciblages thérapeutiques anti-HER2.
Apoptose
cdk2 p27 Cycline p
MEK 1/2
GRPSOS
RAS
RAF
p85
p110
src
PTEN
PI3 kinase
IRS1
Tyrosine
kinase Signalisation IGF-1
Famille HER
ERBB2
AKT
src
p27
p27
MAP kinase
Dégradation
de p27
Prolifération Angiogenèse
Noyau
Cytoplasme
Inhibiteurs de PI3K
inhibiteurs de mTOR
et AKT
Lapatinib
Nératinib
Inhibiteurs
de HSP90
TDM1
TDM1
Anti-IGF1-R
Pertuzumab
Inhibiteurs d’HDAC
mTOR
Figure 1. Mécanismes de résistance au trastuzumab.
Mutations de PI3K
Activation d’AKT
PTEN
(délétion ou mutation)
HER2 tronquée
Surexpression du ligand
Dégradation
de p27
HER1-HER1
HER1-HER3+++
Apoptose
cdk2 p27 Cycline p
MEK 1/2
GRPSOS
RAS
RAF
p85
p110
src
PTEN
PI3 kinase
IRS1
Tyrosine
kinase Signalisation IGF-1
Famille HER
ERBB2
AKT
src
p27
p27
MAP kinase
Dégradation
de p27
Prolifération Angiogenèse
Noyau
Cytoplasme
Interaction IGF1-R/HER2
La Lettre du Cancérologue Vol. XX - n° 4 - avril 2011 | 253
OBJECTIFS D’ENSEIGNEMENT
PROFESSIONNEL CONTINU
Les tumeurs du sein HER2+ RH+ sont peu sensibles à l’hormono-
thérapie, du fait de l’existence d’interactions entre les circuits
de signalisation de ces deux voies. Lassociation de traitements
anti-HER2 à une hormonothérapie par inhibiteur de l’aromatase
(IA) a été évaluée dans deux essais de phase III. Le premier essai
(étude TAnDEM) comparait l’anastrozole avec et sans trastuzumab
chez 207 patientes. L’ajout du trastuzumab à l’anastrozole entraîne
une augmentation de la survie sans progression de 2,4 à 4,8 mois
(p = 0,0016) [9]. Dans le second essai (10), le létrozole était associé
au lapatinib. L’ajout du lapatinib au létrozole entraîne une augmen-
tation de la survie sans progression de 3 à 8,2 mois (p = 0,019).
Faits nouveaux
En situation adjuvante, les questions en suspens sont : la durée de
traitement optimale, l’administration séquentielle versus conco-
mitante, l’apport du lapatinib.
Quelle est la durée optimale d’un traitement adjuvant par
trastuzumab ? À l’heure actuelle, le standard est l’association d’une
chimiothérapie et de 1 an de trastuzumab. Les données relatives
au bras 2 ans de l’essai HERA ne sont pas disponibles. Dans l’essai
FinHer, la durée de traitement était très courte (9 semaines). Lessai
PHARE, réalisé en France, compare 1 an versus 6 mois et est en
cours d’analyse.
Le traitement doit-il être concomitant ou séquentiel ? Les essais
en situation métastatique ont clairement démontré que l’adminis-
tration de trastuzumab devait être précoce. Dans l’essai HERA, elle
suivait la chimiothérapie adjuvante, soit un délai médian de 8 mois.
L’actualisation des essais NSABP B-31, NCCTG N9831, BCIRG 06
et l’essai ALTTO en cours devraient répondre à ces questions.
Cardiotoxicité du trastuzumab
Dans l’étude pivot en situation métastatique de D.J. Slamon,
l’association anthracycline et trastuzumab entraînait un taux de
cardiotoxicité de grade 3-4 de 16 %, contre-indiquant l’association
anthracycline-trastuzumab (3, 11).
Métastases cérébrales
Les patientes présentant une tumeur surexprimant HER2 ont un
risque élevé de métastases cérébrales (35 %) : c’est l’événement le
plus fréquent après un traitement adjuvant par trastuzumab. Cela est
lié à une biologie particulière de HER2, à la modifi cation de l’ histoire
naturelle de la maladie sous trastuzumab, à un diagnostic plus fréquent
et au fait que le trastuzumab ne passe pas la barrière mato-ningée.
Le lapatinib, petite molécule inhibitrice de tyrosine kinase, se diffuse
au niveau cérébral. Dans un essai de phase II, il a montré une activi
potentielle. D’autres essais sont en cours pour confi rmer son utilité
soit en adjuvant, soit en situation métastatique (12).
Résistance au trastuzumab
En situation métastatique, la résistance est fréquente : 60 à 70 %
des cas en monothérapie, 30 % en association avec la chimio-
thérapie. Tous les cancers du sein métastatiques nissent par
progresser sous trastuzumab. En situation adjuvante, après un
traitement par trastuzumab, des récidives surviennent également.
La surexpression de HER2 ne suffi t pas à assurer une sensibilité
au trastuzumab ; d’autres voies de signalisation sont impliquées.
Différents mécanismes sont évoqués (fi gure 1) [13, 14].
Perspectives :
nouveaux agents ciblant HER2 (fi gure 2) [15]
Le pertuzumab est un anticorps monoclonal humanisé se fi xant
sur un épitope différent de celui du trastuzumab, empêchant la
dimérisation des récepteurs (fi gure 3, p. 254).
Figure 3. Sites de liaison des anticorps sur le récepteur HER2.
Pertuzumab/trastuzumab
Pertuzumab
Trastuzumab
Extracellulaire
Intracellulaire
Domaine
tyrosine
kinase
ErbB2
HER2
neu
Figure 4. Mécanisme d’action TDM1.
Trastuzumab-MCC-DM1
DM1
HER2
Trastuzumab
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Cancer du sein
OBJECTIFS D’ENSEIGNEMENT
PROFESSIONNEL CONTINU
Le trastuzumab-MCC-DM1 (TDM1) associe le trastuzumab à un
agent cytotoxique, la maytansine, qui est libéré dans le cytoplasme,
ce qui permet une approche cytotoxique plus ciblée avec moins
d’effets indésirables (fi gure 4).
Plusieurs ITK sont en développement ; ceux dont le développement
est le plus avancé sont le lapatinib et le nératinib.
Les inhibiteurs de la transduction de signal sont représentés
par les inhibiteurs de la voie mTOR (évérolimus, temsirolimus) et
les inhibiteurs de PI3K.
D’autres circuits de signalisation sont également étudiés,
notamment l’inhibition de la voie de l’IGF-1R, qui motive le
développement de nombreux anticorps, et, plus récemment,
d’ITK.
Lassociation d’agents antiangiogéniques aux agents ciblant HER2
(anticorps, comme le bévacizumab, ou ITK, comme le pazopanib)
a montré une effi cacité potentielle, en cours de confi rmation dans
les essais randomisés.
Les inhibiteurs de HSP90 entraînent une dégradation des protéines
y compris de HER2. À l’heure actuelle, leur développement est
limité par leurs effets indésirables.
Il est très vraisemblable que, dans l’avenir, il faudra envisager
l’association de plusieurs thérapies ciblées. Le défi sera de défi nir
les associations et leurs séquences optimales, en s’appuyant sur
des données biologiques. Dans cette optique, l’intégration de
recherche biologique dans les essais cliniques est primordiale.
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