OBJECTIFS D’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL CONTINU Cancer du sein - Coordonnateurs : J.Y. Pierga, V. Diéras HER2 et cancer du sein V. Diéras État des lieux Le récepteur de facteurs de croissance HER2 est un facteur pronostique et prédictif important dans les cancers du sein, en situation adjuvante comme métastatique. Le gène HER2 est amplifié et la protéine HER2 surexprimée dans 15 à 20 % des cas. Le gène HER2, connu également sous les noms HER2/neu ou c-erb2, est localisé sur le chromosome 17q et appartient à la famille des gènes de récepteurs de facteurs de croissance HER. Il code pour une protéine transmembranaire de 185 kDa, récepteur de facteurs de croissance avec activité tyrosine kinase, ce qui entraîne la signalisation pour la prolifération et la survie cellulaires. Le trastuzumab est un anticorps monoclonal humanisé se fixant sur le récepteur (1). Méthodologie de détermination du statut HER2 À l’heure actuelle, il est indispensable d’évaluer le statut HER2 dans toute tumeur du sein nouvellement diagnostiquée. L’immunohistochimie (IHC) évalue la présence membranaire de la protéine HER2. Les spécimens sont cotés 0, 1+, 2+ ou 3+, selon l’importance et la proportion du marquage membranaire : IHC 3+ indique le résultat le plus positif. L’hybridation in situ en fluorescence (fluorescence in situ hybridization [FISH]) teste directement les copies du gène dans la cellule. Les faux négatifs et les faux positifs dans l’évaluation du statut HER2 ont des conséquences cliniques importantes : certaines patientes peuvent être privées de trastuzumab sur la base de faux négatifs alors que d’autres recevront un traitement potentiellement toxique et onéreux en cas de faux positifs. Les études ont démontré que la surexpression de HER2 est fortement corrélée avec l’amplification en cas d’IHC 3+, mais non en cas d’IHC 2+. Dans ce dernier cas, la réalisation d’une FISH est indispensable avant d’instaurer un traitement par trastuzumab (2). Trastuzumab en situation métastatique Le trastuzumab est administré soit selon un schéma hebdomadaire (dose de charge de 4 mg/kg puis 2 mg/kg), soit toutes les 3 semaines (dose de charge de 8 mg/kg puis 6 mg/kg). Deux études pivots d’enregistrement ont évalué l’apport du trastuzumab à une chimiothérapie par taxane, paclitaxel ou docétaxel. L’association de trastuzumab à un taxane entraîne une augmentation significative du taux de réponse objective, du temps jusqu’à progression et de la survie (3, 4). 252 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 4 - avril 2011 D’autres agents cytotoxiques ont montré une synergie ou une additivité avec le trastuzumab : vinorelbine, capécitabine, sels de platine, gemcitabine, etc. Poursuivre l’administration d’un agent après progression représente un nouveau paradigme en oncologie, mais le mécanisme d’action du trastuzumab et sa synergie avec un grand nombre de cytotoxiques supportent cette approche. Beaucoup de données rétrospectives, non randomisées, sont disponibles. Deux essais randomisés sont en faveur de la prolongation du blocage d’HER2 après progression. Maintenir le blocage de la voie HER2 est important, même après la progression sous trastuzumab. De nombreuses données rétrospectives étaient en faveur de cette attitude thérapeutique. Deux essais prospectifs confirment cette approche. Le premier essai comparait, après progression sous trastuzumab, la capécitabine avec et sans trastuzumab (5). La poursuite du trastuzumab se traduit par une augmentation de la survie sans progression de 5,6 à 8,2 mois et par une augmentation du taux de réponse de 27 à 48 %. L’autre essai compare, dans la même situation, le lapatinib avec et sans trastuzumab : la poursuite de l’administration du trastuzumab s’accompagne non seulement d’une augmentation de la survie sans progression mais également d’une augmentation significative de la survie globale, ce qui traduit l’intérêt potentiel d’un blocage complet du récepteur HER2 (6). Trastuzumab en situation adjuvante Plusieurs grands essais randomisés (études HERA, NSABP B-31, NCCTG N9831, BCIRG 06 et FinHer) ont démontré l’activité du trastuzumab en situation adjuvante (7). Dans l’étude pivot d’enregistrement, une réduction du risque de récidive de plus de 35 % est observée. Lapatinib Le lapatinib est un inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) ciblant HER1 et HER2. Il est administré par voie orale, et ses principaux effets indésirables sont la diarrhée et les rashs cutanés. L’étude pivot d’enregistrement, portant sur des patientes présentant une progression après un traitement par anthracyclines, taxane et trastuzumab, rapporte que l’association capécitabine-lapatinib est supérieure à la capécitabine seule en termes de réponse objective et de temps jusqu’à progression (8). Association hormonothérapietraitement ciblé anti-HER2 Les études précliniques suggèrent une connexion entre les voies de signalisation HER2 et certains récepteurs hormonaux (RH). Bien qu’environ 50 % des tumeurs HER2 présentent une expression des RH, elles peuvent être hormonorésistantes. OBJECTIFS D’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL CONTINU Les tumeurs du sein HER2+ RH+ sont peu sensibles à l’hormonothérapie, du fait de l’existence d’interactions entre les circuits de signalisation de ces deux voies. L’association de traitements anti-HER2 à une hormonothérapie par inhibiteur de l’aromatase (IA) a été évaluée dans deux essais de phase III. Le premier essai (étude TAnDEM) comparait l’anastrozole avec et sans trastuzumab chez 207 patientes. L’ajout du trastuzumab à l’anastrozole entraîne une augmentation de la survie sans progression de 2,4 à 4,8 mois (p = 0,0016) [9]. Dans le second essai (10), le létrozole était associé au lapatinib. L’ajout du lapatinib au létrozole entraîne une augmentation de la survie sans progression de 3 à 8,2 mois (p = 0,019). Faits nouveaux En situation adjuvante, les questions en suspens sont : la durée de traitement optimale, l’administration séquentielle versus concomitante, l’apport du lapatinib. Quelle est la durée optimale d’un traitement adjuvant par trastuzumab ? À l’heure actuelle, le standard est l’association d’une chimiothérapie et de 1 an de trastuzumab. Les données relatives au bras 2 ans de l’essai HERA ne sont pas disponibles. Dans l’essai FinHer, la durée de traitement était très courte (9 semaines). L’essai PHARE, réalisé en France, compare 1 an versus 6 mois et est en cours d’analyse. Le traitement doit-il être concomitant ou séquentiel ? Les essais en situation métastatique ont clairement démontré que l’administration de trastuzumab devait être précoce. Dans l’essai HERA, elle suivait la chimiothérapie adjuvante, soit un délai médian de 8 mois. L’actualisation des essais NSABP B-31, NCCTG N9831, BCIRG 06 et l’essai ALTTO en cours devraient répondre à ces questions. Résistance au trastuzumab En situation métastatique, la résistance est fréquente : 60 à 70 % des cas en monothérapie, 30 % en association avec la chimiothérapie. Tous les cancers du sein métastatiques finissent par progresser sous trastuzumab. En situation adjuvante, après un traitement par trastuzumab, des récidives surviennent également. La surexpression de HER2 ne suffit pas à assurer une sensibilité au trastuzumab ; d’autres voies de signalisation sont impliquées. Différents mécanismes sont évoqués (figure 1) [13, 14]. Perspectives : nouveaux agents ciblant HER2 (figure 2) [15] Le pertuzumab est un anticorps monoclonal humanisé se fixant sur un épitope différent de celui du trastuzumab, empêchant la dimérisation des récepteurs (figure 3, p. 254). Interaction IGF1-R/HER2 Tyrosine kinase Dans l’étude pivot en situation métastatique de D.J. Slamon, l’association anthracycline et trastuzumab entraînait un taux de cardiotoxicité de grade 3-4 de 16 %, contre-indiquant l’association anthracycline-trastuzumab (3, 11). Métastases cérébrales Les patientes présentant une tumeur surexprimant HER2 ont un risque élevé de métastases cérébrales (35 %) : c’est l’événement le plus fréquent après un traitement adjuvant par trastuzumab. Cela est lié à une biologie particulière de HER2, à la modification de l’histoire naturelle de la maladie sous trastuzumab, à un diagnostic plus fréquent et au fait que le trastuzumab ne passe pas la barrière hémato-méningée. Le lapatinib, petite molécule inhibitrice de tyrosine kinase, se diffuse au niveau cérébral. Dans un essai de phase II, il a montré une activité potentielle. D’autres essais sont en cours pour confirmer son utilité soit en adjuvant, soit en situation métastatique (12). p110 p85 GRP PI3 kinase PTEN (délétion ou mutation) Activation d’AKT PTEN p27 p Cycline p27 Prolifération Apoptose Surexpression du ligand SOS RAS RAF MEK 1/2 MAP kinase AKT cdk2 Noyau Cardiotoxicité du trastuzumab src src IRS1 Cytoplasme Mutations de PI3K Fam HER2 tronquée E R Bi l l e H E B2 R HER1-HER1 HER1-HER3+++ Signalisation IGF-1 Dégradation p27 de p27 Dégradation de p27 Angiogenèse Figure 1. Mécanismes de résistance au trastuzumab. Anti-IGF1-R Tyrosine kinase TDM1 Fam E R Bi l l e H E B2 R src IRS1 Pertuzumab Lapatinib src Nératinib Cytoplasme p110 GRP SOS p85 RAS PI3 kinase RAF Inhibiteurs de PI3K MEK 1/2 Inhibiteurs de HSP90 PTEN MAP kinase inhibiteurs de mTOR TDM1 mTOR AKT et AKT cdk2 Noyau Apoptose Signalisation IGF-1 p27 Cycline p p27 Inhibiteurs d’HDAC Prolifération p27 Dégradation de p27 Angiogenèse Figure 2. Nouveaux ciblages thérapeutiques anti-HER2. La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 4 - avril 2011 | 253 OBJECTIFS D’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL CONTINU Cancer du sein Pertuzumab/trastuzumab Pertuzumab Trastuzumab Extracellulaire Intracellulaire Domaine tyrosine kinase ErbB2 HER2 neu Figure 3. Sites de liaison des anticorps sur le récepteur HER2. D’autres circuits de signalisation sont également étudiés, notamment l’inhibition de la voie de l’IGF-1R, qui motive le développement de nombreux anticorps, et, plus récemment, d’ITK. L’association d’agents antiangiogéniques aux agents ciblant HER2 (anticorps, comme le bévacizumab, ou ITK, comme le pazopanib) a montré une efficacité potentielle, en cours de confirmation dans les essais randomisés. Les inhibiteurs de HSP90 entraînent une dégradation des protéines y compris de HER2. À l’heure actuelle, leur développement est limité par leurs effets indésirables. Il est très vraisemblable que, dans l’avenir, il faudra envisager l’association de plusieurs thérapies ciblées. Le défi sera de définir les associations et leurs séquences optimales, en s’appuyant sur des données biologiques. Dans cette optique, l’intégration de recherche biologique dans les essais cliniques est primordiale. Références bibliographiques 1. Pegram MD, Konecny G, Slamon DJ. The molecular and cellular biology of HER2/ neu gene amplification/overexpression and the clinical development of herceptin (trastuzumab) therapy for breast cancer. Cancer Treat Res 2000;103:57-75. Le trastuzumab-MCC-DM1 (TDM1) associe le trastuzumab à un agent cytotoxique, la maytansine, qui est libéré dans le cytoplasme, ce qui permet une approche cytotoxique plus ciblée avec moins d’effets indésirables (figure 4). 2. Sauter G, Lee J, Bartlett JM, Slamon DJ, Press MF. Guidelines for human epidermal growth factor receptor 2 testing: biologic and methodologic considerations. J Clin Oncol 2009;27(8):1323-33. 3. Slamon DJ, Leyland-Jones B, Shak S et al. Use of chemotherapy plus a monoclonal antibody against HER2 for metastatic breast cancer that overexpresses HER2. N Engl J Med 2001;344(11):783-92. 4. Marty M, Cognetti F, Maraninchi D et al. Randomized phase II trial of the efficacy and safety of trastuzumab combined with docetaxel in patients with human epidermal growth factor receptor 2-positive metastatic breast cancer administered as first-line treatment: the M77001 study group. J Clin Oncol 2005;23(19):4265-74. Trastuzumab-MCC-DM1 DM1 Trastuzumab 5. Von Minckwitz G, du Bois A, Schmidt M et al. Trastuzumab beyond progression in human epidermal growth factor receptor 2-positive advanced breast cancer: a German breast group 26/breast international group 03-05 study. J Clin Oncol 2009;27(12): 1999-2006. 6. Blackwell KL, Burstein HJ, Storniolo AM et al. Randomized study of lapatinib alone or in combination with trastuzumab in women with ErbB2-positive, trastuzumab-refractory metastatic breast cancer. J Clin Oncol 2010;28(7):1124-30. 7. Mackey J, McLeod D, Ragaz J et al. Adjuvant targeted therapy in early breast cancer. Cancer 2009;115(6):1154-68. HER2 8. Geyer CE, Forster J, Lindquist D et al. Lapatinib plus capecitabine for HER2- positive advanced breast cancer. N Engl J Med 2006;355(26):2733-43. 9. Kaufman B, Mackey JR, Clemens MR et al. Trastuzumab plus anastrozole versus anastrozole alone for the treatment of postmenopausal women with human epidermal growth factor receptor 2-positive, hormone receptor-positive metastatic breast cancer: results from the randomized phase III TAnDEM study. J Clin Oncol 2009;27(33): 5529-37. 10. Johnston S, Pippen J Jr., Pivot X et al. Lapatinib combined with letrozole versus letrozole and placebo as first-line therapy for postmenopausal hormone receptorpositive metastatic breast cancer. J Clin Oncol 2009;27(33):5538-46. Figure 4. Mécanisme d’action TDM1. Plusieurs ITK sont en développement ; ceux dont le développement est le plus avancé sont le lapatinib et le nératinib. Les inhibiteurs de la transduction de signal sont représentés par les inhibiteurs de la voie mTOR (évérolimus, temsirolimus) et les inhibiteurs de PI3K. 254 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 4 - avril 2011 11. De Azambuja E, Bedard PL, Suter T, Piccart-Gebhart M. Cardiac toxicity with antiHER-2 therapies: what have we learned so far? Target Oncol 2009;4(2):77-88. 12. Lin NU, Dieras V, Paul D et al. Multicenter phase II study of lapatinib in patients with brain metastases from HER2-positive breast cancer. Clin Cancer Res 2009;15(4):1452-9. 13. Spector NL, Blackwell KL. Understanding the mechanisms behind trastuzumab therapy for human epidermal growth factor receptor 2-positive breast cancer. J Clin Oncol 2009;27(34):5838-47. 14. Dieras V, Vincent-Salomon A, Degeorges A, Beuzeboc P, Mignot L, de Cremoux P. Trastuzumab (Herceptin®) and breast cancer: mechanisms of resistance. Bull Cancer 2007;94:259-66. 15. Jones KL, Buzdar AU. Evolving novel anti-HER2 strategies. Lancet Oncol 2009; 10(12):1179-87.