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A N C E R S B R O N C H I Q U E S
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a lueur d’optimisme entrevue dans les congrès de 2002
et 2003 s’est confirmée cette année, avec des résultats
apportant de réels changements dans la pratique cou-
rante, et des avancées en matière de connaissances fondamentales
qui non seulement apportent des explications à ce que l'on observe
en pratique, mais amènent en outre un grand nombre de questions.
CHIMIOTHÉRAPIE ADJUVANTE DES CANCERS
BRONCHIQUES NON À PETITES CELLULES OPÉRÉS
Jusqu’au congrès de l’ASCO 2003, il n’a pas été possible de
démontrer l’intérêt d’administrer une chimiothérapie en situa-
tion adjuvante dans les cancers bronchiques. Nous ne revien-
drons pas sur les études randomisées, majoritairement négatives,
réalisées dans les années 1980 et au début des années 1990 et fai-
sant intervenir de nombreuses équipes internationales, notamment
le Lung Cancer Study Group. Une méta-analyse de ces études
randomisées effectuées entre janvier 1965 et décembre 1991 (1)
a montré que la chimiothérapie adjuvante réduisait le risque de
décès de 3 % à 2 ans et de 5 % à 5 ans. Dans l’étude ALPI, pré-
sentée à l’ASCO 2002 et maintenant publiée (2), les investiga-
teurs italiens, associés à ceux de l’EORTC, avaient randomisé
1 209 patients après résection complète d’un carcinome non à
petites cellules. Les patients randomisés dans le groupe adjuvant
recevaient 3 cycles de mitomycine, vindésine, cisplatine. Plus des
deux tiers des patients étaient opérés à un stade précoce. La chi-
miothérapie adjuvante n’avait modifié, dans cette étude, ni le
risque de rechute, qu’il soit local ou métastatique, ni le risque de
décès. Soixante-dix pour cent des patients avaient pu recevoir les
trois cycles de chimiothérapie prévus dans le protocole.
L’étude internationale multicentrique IALT (International Adju-
vant Lung Trial), présentée l’an dernier par T. Le Chevalier (3),
démontrait pour la première fois l’intérêt d’une chimiothérapie
adjuvante, et cela sur le plus grand nombre de patients jamais
inclus dans une telle étude. Le choix du traitement était laissé à
l’initiative de chaque centre investigateur, tant en ce qui concerne
la stratégie en matière de radiothérapie adjuvante que pour le
choix des médicaments de chimiothérapie. Cependant, la dose de
cisplatine prévue devait être de 300 à 400 mg/m
2
et le cisplatine
devait être associé soit à l’étoposide, soit à un vinca alcaloïde.
Mille huit cent soixante-sept patients de stade I à III ont été ran-
domisés. L’observance au traitement a été bonne, avec 67 % des
patients ayant reçu au moins 300 mg/m
2
de cisplatine. Le second
médicament associé au cisplatine était l’étoposide (56 %), la
vinorelbine (27 %), la vinblastine (11 %) et enfin la vindésine
(6 %). Dans cette grande étude randomisée, la chimiothérapie
adjuvante a amélioré la survie à 5 ans de 5 %.
Deux études randomisées présentées cette année en session orale
ont définitivement apporté le niveau de preuve nécessaire pour
faire de la chimiothérapie adjuvante un standard thérapeutique.
Ces deux études ont analysé l’intérêt et la tolérance de la chimio-
th é r a p i e adjuvante administrée pendant 12 à 16 semaines chez des
patients de stades I et II. Dans l’étude intergroupe JBR10, qui a
inclus des patients de stades IB et II (abstract 7018) (tableau I),
243 patients ont été traités par 4 cycles de vinorelbine et cispla-
tine ; ils ont été comparés à 239 patients simplement surveillés
après l’opération. Dans l’étude 9633 du CALGB (tableau II), qui
n’a étudié que des patients de stade IB (abstract 7019),
173 patients ont été randomisés dans un groupe devant recevoir
4cycles de l’association carboplatine-paclitaxel, et 171 patients
ont été simplement surveillés. Les résultats de ces deux études
sont comparables, avec une survie globale de 61 % à 5 ans pour
l’étude JBR10 et de 71 % à 4 ans pour l’étude CALGB 9633
(figures 1 et 2), et une amélioration de la survie sans progression
en faveur du traitement adjuvant (30 % pour le JBR10 et 31 %
pour le CALGB 9633). L’amélioration de la survie globale dans
ces deux études a été d’environ 12 à 15 %. La réduction du risque
de décès a été de 38 % pour l’étude JBR10 et de 49 % pour l’étude
C A L G B 9633. L’étude JBR10 a, par ailleurs, démontré l’absence
de préjudice à long terme dans les paramètres de qualité de vie
chez les patients traités par chimiothérapie.
Il faut souligner que ces deux études ont concerné des stades très
précoces de cancer bronchique ; elles ont, par ailleurs, inclus
plus de femmes que les essais antérieurs. La chimiothérapie uti-
lisée a été dans tous les cas un doublet moderne associant un sel
de platine à un médicament de chimiothérapie de troisième géné-
ration. La compliance au traitement a été, probablement de ce fait,
Cancers bronchiques
D. Moro-Sibilot
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*UF oncologie thoracique, CHU Grenoble, INSERM U578.
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La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - n
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3 - mai-juin 2004
Tableau I. Évaluation randomisée de la chimiothérapie adjuvante
chez les patients opérés en résection complète de stade IB et II : étude
du NCIC CTG JBR10.
Adjuvant Contrôle
Hommes/femmes 66/34 64/35
PS 0/1 % 49/51 49/51
Stades I/IIA/IIB 46/13/39 45/13/41
Pneumonectomie (%) 26 22
Adénocarcinome/autres (%) 53/47 54/46
Survie à 5 ans (%) 61 48
Médiane de survie (mois) Non atteinte 46,7