La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - février 199852
L’arrêt de la Cour de Cassation, qui ne concerne que les hôpitaux pri-
vés relevant du juge judiciaire, pose le problème de savoir s’il appar-
tient au patient d’apporter la preuve qu’il n’a pas reçu l’information
nécessaire, ou à l’hôpital de prouver le contraire.
Les juridictions administratives ont, en la matière, des règles de fonc-
tionnement relativement souples. En principe,le défaut d’information
est une faute que le patient doit prouver. Cependant, cette preuve est
très difficile à rapporter. Aussi, en pratique,le juge administratif va
appliquer la méthode de la balance, c’est-à-dire attendre du défenseur
de l’hôpital qu’il apporte des éléments d’information proportionnés
aux preuves fournies par le malade.
Pour résumer,il n’y a pas de règle absolue et le juge se forgera une
conviction au vu des circonstances d’espèce et des affirmations du
patient et du médecin. L’avocat a donc un rôle à jouer pour empor-
ter la conviction du juge.
Pr Bigard : Dans la pratique, est-il préférable de se mettre dans les
conditions de pouvoir ap p o rter la pre u ve de l’information du malade ?
M. Leducq :Il est certain qu’il est souhaitable que le médecin soit
en mesure d’apporter la preuve qu’il a fourni une information suffi-
sante au patient. Les juridictions administratives n’ont pas encore
tranché sur la nature de cette preuve : la signature d’un document
d’information stéréotypé suffit-elle ou faut-il une information person-
nalisée ?
Pr Bigard : Mme Vallée, pouvez-vous nous donner votre point de
vue sur l’arrêt de la Cour de Cassation et sur ses implications pra-
tiques ?
Mme Vallée : Je tiens avant tout à préciser que devant les juridic-
tions judiciaires, la responsabilité des médecins est d’abord d’ordre
contractuel. C’est une obligation de moyens qui consiste à apporter
au patient des soins consciencieux, attentifs et conformes aux don-
nées actuelles de la science.Dans cette optique,le médecin doit
informer le patient, lors d’une intervention ou de la mise en route
d’un traitement, d’une part, de la nature et de l’évolution prévisible de
sa maladie et d’autre part, des soins préconisés et des risques inhé-
rents. Le code de déontologie précise que le médecin doit une infor-
mation loyale, claire et appropriée sur l’état du patient, les investiga-
tions qui lui sont proposées tout au long de sa maladie en tenant
compte de la personnalité du patient et en veillant à sa compréhen-
sion, sauf en cas d’urgence et risque vital immédiat.
Avant toute intervention ou traitement, le patient doit donc donner
son consentement libre et éclairé après avoir été convenablement
informé des risques encourus.
Le médecin, qui n’a pas au préalable informé le patient, engage sa res-
ponsabilité, même sans faute,si le risque se réalise.
La charge de la preuve incombait au malade depuis un arrêt de 1951.
L’arrêt du 25 février 1997 renverse cette jurisprudence puisqu’il
appartient désormais au médecin de démontrer qu’il a fourni au
patient l’information exigée.Il est fondé sur l’article 1315 du Code
Civil dont le 1
er
alinéa pose le principe selon lequel celui qui exige
l’exécution d’une obligation doit la prouver et dont le 2
e
alinéa
indique que celui qui se prétend libéré de cette obligation doit appor-
ter la preuve qu’il s’est exécuté.
La position antérieure de la Cour de Cassation était très largement
controversée en doctrine et avait déjà donné lieu à des décisions
contraires devant des juridictions de première instance.Sous le cou-
vert de la présomption, elle avait aussi admis la responsabilité du
médecin sans faute démontrée.
Pr Bigard : Le juge est-il lié par cet arrêt de la Cour de Cassation ?
Mme Vallée : Les arrêts de la Cour ne sont pas normatifs mais les
tribunaux de première instance s’y réfèrent s’ils veulent éviter de voir
leurs jugements cassés en cas de pourvoi devant la Cour.
Une autre question essentielle est de savoir s’il ne peut être considé-
ré comme malvenu d’évoquer avec le patient un certain nombre de
risques peu graves et/ou peu fréquents. Le patient pourrait en effet
renoncer à un traitement important.
Sans prendre expressément parti, la jurisprudence n’impose pas pour
l’instant au médecin de mentionner les risques exceptionnels.
Pr Bigard : Qu’entend-on par exceptionnel ?
Mme Vallée : Les notes et commentaires récents vont dans le sens
d’une information totale du patient :tous les risques, même excep-
tionnels, devraient être évoqués lorsqu’ils sont susceptibles d’engen-
drer des conséquences graves.
Cette position n’a pas été formellement reprise par la Cour de
Cassation mais l’a, d’ores et déjà, été par la Cour d’Appel de Paris.
Un autre problème est de savoir comment rapporter la preuve de
l’information du patient. La Cour de Cassation a récemment rappelé
qu’il n’était pas nécessaire de fournir une preuve écrite puisque la
preuve peut être rapportée par tout moyen.
Mais concrètement, quels pourraient être les éléments de preuve
autres que le dossier médical ou des documents contractuels ? Une
proposition consisterait à élaborer des schémas généraux de risques
à soumettre au malade selon la typologie de l’intervention prévue.
Le dernier point que je souhaite évoquer est la portée de l’arrêt de
la Cour de Cassation :il ne vise pas seulement les médecins mais
toutes les professions tenues à une obligation d’information, c’est-à-
dire celles qui mettent face à face un “sachant” et un “profane”. C’est
le cas notamment des notaires, des experts-comptables ou des avo-
cats.
Pr Bigard : Est-ce que cet arrêt facilite le travail d’un expert près
la Cour de Cassation ?
Pr Coudane :L’arrêt du 25 février 1997 a le mérite de clarifier la
situation. L’information donnée au patient doit être simple, approxi-
mative, intelligible et loyale.Dans le cas classique du bûcheron vosgien
présentant une lésion méniscale :“Moi faire arthroscopie à toi, toi
peut-être mourir mais toi peut-être guérir” est une information !
Les experts connaissent la difficulté de faire passer une information
médicale au patient. Depuis le 25 février 1997, cette information est
une quasi-obligation dont le non-respect pourra engager votre res-
ponsabilité. Le Conseil National de l’Ordre des Médecins souhaite
élaborer des documents à faire signer aux malades.
Toutefois, il faut remarquer que l’on a constaté que dans le cas des
expérimentations médicales par la loi Huriet qui exige un consente-
ment libre, éclairé et signé, un tiers des patients ne savaient pas exac-
tement ce qu’on leur faisait, alors qu’ils avaient reçu une information
préalable.
Les conseils que je peux vous donner sont de tenir correctement à
jour les dossiers médicaux et de lire le Code Pénal pour connaître
vos droits et obligations.
Je voudrais conclure en précisant la mission des experts. Ils sont char-
gés par les juges de répondre à des questions extrêmement précises
V
I E P R O F E S S I O N N E L L E