Le pieux mensonge
La jurisprudence vient, dans un domaine proche, de confirmer
ce constat. Il ne s’agit plus de l’information préalable à l’acte
médical, la fameuse recherche du consentement éclairé, mais
de l’attitude du médecin confronté à l’annonce d’un diagnostic
ou d’un pronostic grave.
Comme souvent, la solution puise dans le bon sens. Bien sûr,
le médecin doit dire la vérité sur la maladie, mais il doit par des-
sus tout respecter le malade. L’annonce d’un diagnostic grave,
qui correspondrait à une recherche de la vérité, peut devenir anti-
nomique du respect du malade : l’affirmation de la vérité ne peut
répondre à aucun automatisme. Cette vérité est parfois salutaire,
parfois destructrice ; parfois souhaitée, parfois redoutée ; souvent
affirmée souhaitée, alors qu’elle est en fait redoutée. Tout est très
simple quand une personne en bonne santé se prononce sur des
principes qui lui sont étrangers. La situation est bien différente
quand la même personne, confrontée à la maladie, placée devant
la perspective de la souffrance ou de la mort, cherche à maintenir
les fils de la cohérence et de l’espoir.
C’est la règle du “pieux mensonge” : l’intérêt réel du patient
n’est pas d’être confronté brutalement à une vérité, mais d’être
armé le mieux possible pour lutter contre la maladie. Le code de
déontologie médicale a toujours retenu cette option. Le texte
actuel, qui résulte du décret du 6 septembre 1995, rappelle que
le médecin est tenu de donner à son patient une information loyale,
claire et appropriée sur son état, à propos des investigations et
soins qu’il lui propose, avant d’ajouter en son article 35 : “Pour
des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un
malade peut être laissé dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un
pronostic grave.”
L’arrêt du 23 mai 2000
La Cour de cassation, dans un arrêt du 23 mai 2000, confirme la
règle et en souligne toute la portée. L’affaire jugée concerne la
psychiatrie, mais les règles posées sont transposables à toute
l’activité médicale.
En février 1986, un homme vient consulter un médecin psychiatre
pour un accès dépressif consécutif au dépôt de bilan de l’entre-
prise qu’il dirigeait. Le médecin psychiatre entreprend une prise
en charge et, dès le mois d’avril 1987, analyse qu’il ne s’agit pas
d’un phénomène dépressif banal, mais d’une psychose maniaco-
dépressive. ll n’en informe pas le patient dans la mesure où l’état
semble se stabiliser. De fait, à partir de septembre 1987, le patient
va mieux et vivra normalement pendant deux ans, ne rencontrant
qu’épisodiquement le médecin psychiatre. En septembre 1989
apparaît un état d’excitation maniaque suivi très rapidement d’une
phase d’effondrement de type mélancolique.
Le praticien annonce alors au patient le diagnostic de psychose
maniaco-dépressive et établit au mois d’octobre 1990 un certifi-
cat médical d’invalidité à 90 %, permettant au patient de faire
valoir ses droits auprès des organismes sociaux dont il relève, et
de bénéficier, dans le cadre des contrats d’assurance qu’il avait
souscrits, de la prise en charge de crédits bancaires. Le médecin
psychiatre explique que, dès avril 1987, il avait établi le diagnostic
de psychose maniaco-dépressive, mais que, compte tenu de l’évo-
lution favorable, il avait préféré différer l’annonce de ce dia-
gnostic. Ce faisant, le praticien reconnaît qu’il a bien menti par
omission pendant près de trois ans ; mais il estime ce mensonge
légitime, au regard de l’intérêt supérieur qu’est la prise en charge
thérapeutique et, en définitive, le respect du patient.
Le patient ne se satisfait pas de cette explication et engage un
recours en responsabilité contre le médecin psychiatre. Il ne
s’agit pas d’une plainte pénale, aucune infraction ne pouvant être
invoquée, mais d’un recours en responsabilité, géré par l’assu-
reur du médecin. Les demandes formées sont doubles : l’une,
relativement marginale, est l’indemnisation d’un dommage
moral ; l’autre, qui constitue le cœur du procès, est une demande
indemnitaire conséquente, le patient estimant que, du fait de ce
retard de près de trois ans, il n’a pu faire valoir ses droits à une
pension d’invalidité, à un complément de pension de retraite et à
la prise en charge par sa compagnie d’assurances des prêts qu’il
avait souscrits. Le montant des dommages réclamés dépasse les
deux millions de francs.
Comme dans toute affaire médicale, une expertise est ordonnée.
Les experts confirment le diagnostic, mais à propos de ce retard
de trois ans, qui est la question principale, estiment : “Révéler la
gravité en phase mélancolique souvent accompagnée d’idée d’in-
curabilité, d’indignité, de culpabilité, risquerait d’entraîner un
suicide, malheureusement fréquent dans cette maladie. Révéler
en phase d’excitation maniaque, où le malade se sent guéri, grand,
fort, entreprenant : il ne le croira jamais. Révéler à la famille pose
un problème à peu près identique quand on connaît l’importance
de l’espoir des proches dans le soutien à apporter au malade.”
Le tribunal de grande instance, puis la cour d’appel, et enfin la
Cour de cassation par cet arrêt du 23 mai 2000 ont tous statué
dans le même sens : l’absence de faute du médecin.
L’intérêt du malade comme critère
Sur le plan technique, cet arrêt de la Cour de cassation confirme
une règle qui s’est imposée ces dernières années : la référence au
code de déontologie médicale n’est pas limitée à l’instance dis-
ciplinaire. C’est un décret qui peut être évoqué devant toutes les
juridictions, civile, administrative ou pénale. Dans la présente
affaire, la Cour de cassation vise directement les dispositions du
code de déontologie.
Elle pousse ensuite l’analyse pour définir les critères qui valident
ce mensonge, qualifié pudiquement de “limitation de l’informa-
tion”.
“Une telle limitation doit être fondée sur des raisons légitimes et
dans l’intérêt du patient ; cet intérêt doit être apprécié en fonc-
tion de la nature de la pathologie et de la personnalité du malade.”
La Lettre du Cardiologue - n° 346 - juin 2001
47
V
IE PROFESSIONNELLE