Dossier thématique
Dossier thématique
132
La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 4 - avril 2007
Formes héréditaires des cancers digestifs
Inherited digestive cancers
B. Buecher*
* Service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Nantes.
C
ette année a été marquée une fois encore par un nombre
important de publications relatives à la génétique des
formes familiales, polyposiques et non polyposiques, des
cancers colorectaux. Elles permettent certes d’améliorer nos
connaissances dans ce domaine, mais elles soulèvent également
un grand nombre de questions et font apparaître un degré de
complexité insoupçonné. Elles conduisent à reconsidérer les
diff érentes entités nosologiques et à modifi er progressivement
les algorithmes diagnostiques. Nous envisagerons successive-
ment les principales acquisitions dans le domaine des formes
polyposiques et des formes non polyposiques et mentionnerons
pour fi nir quelques données relatives aux facteurs génétiques
de prédisposition aux cancers colorectaux sporadiques.
FORMES POLYPOSIQUES
Polypose adénomateuse liée à MYH
(MYH-associated polyposis [MAP])
Lévolution des connaissances dans le champ des polyposes
adénomateuses intéresse principalement la polypose adénoma-
teuse liée à MYH, qui a d’ailleurs donné lieu à de nombreuses
publications. Ces dernières ont permis de préciser un certain
nombre de points concernant à la fois le phénotype de l’af-
fection et les données de génétique moléculaire (altérations
génétiques constitutionnelles causales ; profi l des altérations
génétiques somatiques). Il s’agit d’une polypose à transmission
autosomique récessive liée à une mutation délétère des deux
allèles du gène MYH (mutations invalidant l’allèle d’origine
paternelle et l’allèle d’origine maternelle). La perte de fonc-
tion de la protéine MYH, adénine glycosylase normalement
impliquée dans la réparation des lésions oxydatives de l’ADN,
est responsable de l’accumulation tumorigène de mutations
somatiques à type de transversions. Laff ection rendrait compte
de 20 à 30 % des polyposes adénomateuses non liées à APC. La
polypose colique est le plus souvent de type atténué, avec un
nombre de polypes compris entre 15 et 100. Un phénotype de
polypose adénomateuse colorectale classique (> 100 polypes) est
également possible, mais les formes particulièrement profuses
(> 1 000 polypes) sont rares. Une agrégation de polypes, poly-
poses et/ou cancers colorectaux au sein d’une même fratrie en
l’absence de transmission “verticale” évidente ou des cas appa-
remment sporadiques correspondent aux modes de présentation
clinique les plus fréquents et doivent faire évoquer la responsabi-
lité de MYH. Il est également acquis que la polypose duodénale
fait partie du spectre de l’aff ection et que les individus atteints
doivent faire l’objet d’une surveillance périodique du tractus
digestif supérieur. Lexistence de manifestations phénotypiques
extradigestives obseres au cours de la polypose adénomateuse
associée à APC (hypertrophie de l’épithélium pigmentaire de la
rétine ; lésions dermatologiques ; ostéomes, etc.) est possible,
mais cela est moins bien documenté. Sur le plan moléculaire,
les données récentes confi rment l’implication préférentielle de
deux altérations de type faux-sens dans les populations cauca-
siennes : c.494A>G/p.Tyr165Cys et c.1145G>A/p.Gly382Asp.
Les études fonctionnelles ont permis de conclure qu’elles étaient
associées à une diminution signifi cative de l’activité adénine
glycosylase. Elles sont responsables de plus de deux tiers des
cas à l’état homozygote ou hétérozygote composite.
Di Gregorio et al. ont récemment démontré quil existait une
modifi cation du profi l d’expression de la protéine MYH en immu-
nohistochimie au niveau de la muqueuse colique “saine” et des
lésions néoplasiques (adénomes et adénocarcinomes colorec-
taux) des individus porteurs d’une polypose associée à MYH
(1). Dans cette situation, en eff et, il n’existe pas de marquage
nucléaire des colonocytes, alors que le marquage cytoplasmisque
est intense et prend volontiers un aspect granulaire. Ce profi l
diff ère de celui de la muqueuse colique d’individus non atteints,
dans laquelle on observe une positivité de l’immunomarquage
au niveau nucléaire et cytoplasmique, et semble spécifi que
dans la mesure où il na pas été retrouvé au niveau de cancers
colorectaux sporadiques ou survenant dans le contexte d’une
polypose adénomateuse liée à APC. Cette étude suggère que
l’immunohistochimie pourrait être une technique utile pour
l’identifi cation des individus porteurs d’une polypose associée
à MYH. Ces données méritent néanmoins d’être confi rmées.
Polyposes “festonnées”
Les polypes festonnés ou dentelés (serrated polyps des Anglo-
Saxons) correspondent à un ensemble hétérogène de lésions
de nature épithéliale caractérisées, sur le plan architectural,
par un festonnement de la lumière des cryptes responsable
d’un aspect en “dents de scie” à la coupe. Les caractéristiques
cytologiques et l’existence éventuelle de troubles de la proliféra-
tion épithéliale permettent de distinguer au sein de ce groupe :
les polypes hyperplasiques classiques, les adénomes festonnés
(manifestement dysplasiques) et les adénomes festonnés sessiles
(sessile serrated adenomas, encore appelés polypes festonnés ou
hyperplasiques “atypiques”), caractérisés par de discrets troubles
Dossier thématique
Dossier thématique
133
La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 4 - avril 2007
de la prolifération et de diagnostic anatomopathologique diffi cile.
Les polypes composites ou mixtes peuvent s’intégrer au groupe
des polypes festonnés lorsque l’un des contingents constitutifs au
moins présente cette caractéristique architecturale. Les polypes
festonnés peuvent être uniques ou multiples et réaliser un aspect
de polypose. Des formes familiales de polyposes “festonnées” ont
été décrites. Elles sont rares et pourraient regrouper plusieurs
entités. Les gènes en cause ne sont pas connus. La polypose
hyperplasique est caractérisée par la présence de multiples
polypes hyperplasiques (parfois de grande taille et/ou de localisa-
tion colique proximale), généralement associés à d’autres types de
polypes festonnés (adénomes festonnés et adénomes festonnés
sessiles) et à des adénomes “classiques” (2, 3). Le diagnostic est
porté le plus souvent au cours de la cinquième ou de la sixième
décennie, et il existe un potentiel de dégénérescence certain.
Les formes familiales sont caractérisées par une hétérogénéité
phénotypique intrafamiliale, et les agrégations décrites sont
généralement évocatrices d’un mode de transmission autoso-
mique récessif. J. Young et J.R. Jass suggèrent que la polypose
hyperplasique doit être distinguée d’une autre forme de polypose
festonnée baptisée serrated pathway syndrome, caractérisée par
un nombre moindre de polypes, une prédominance féminine
ainsi qu’une agrégation plus marquée et transgénérationnelle
de cancers colorectaux évocatrice d’un mode de transmission
autosomique dominant (4).
Des altérations génétiques et épigénétiques sont observées de
façon récurrente au niveau des lésions survenant dans le contexte
de ces polyposes festonnées. Il s’agit de l’hyperméthylation des
îlots CpG de l’ADN (phénotype “méthylateur”) et des mutations
activatrices du proto-oncogène B-Raf responsables de l’activation
constitutionnelle de la voie de signalisation Ras/Raf/MAPki-
nase. L’hyperméthylation des séquences CpG de l’ADN semble
être particulièrement précoce et déterminante dans la genèse
de ces lésions. Elle suggère que les gènes en cause pourraient
être impliqués dans le contrôle de la méthylation de lADN. Ses
conséquences phénotypiques et fonctionnelles varient en fonc-
tion de la nature des gènes cibles dont l’expression est réprimée.
Cela explique la variabilité du phénotype moléculaire, certaines
lésions présentant une instabilité des microsatellites et d’autres non
(phénotype MSI-H en cas de méthylation du promoteur des deux
allèles du gène MLH1 ; phénotype MSI-L en cas de méthylation du
promoteur des deux allèles du gène MGMT 0-6-méthylguanine
DNA méthyltransférase, notamment ; phénotype MSS en cas de
conservation de l’expression de ces deux gènes).
FORMES NON POLYPOSIQUES
OU SYNDROME HNPCC (HEREDITARY NON
POLYPOSIS COLORECTAL CANCER)
Nouveau mécanisme d’inactivation germinale
des gènes du système MMR
Le syndrome HNPCC est classiquement dû à une altération
délétère germinale et héritée d’un gène du système MMR
(mismatch repair) responsable de la faillite de ce système
d’identifi cation et de réparation des lésions de l’ADN à type
de mésappariements de bases et d’erreurs de réplication de
l’ADN polymérase. Si diff érents types de mutations “ponc-
tuelles” de la séquence codante de ces gènes (faux-sens, non
sens, insertion ou délétion d’un ou de plusieurs nucléotides
responsables d’un décalage du cadre de lecture et fi nalement
de la synthèse d’une protéine tronquée, non fonctionnelle) sont
le plus souvent en cause, l’implication de réarrangements de
grande taille de ces gènes a été plus récemment démontrée.
Il s’agit de délétions ou de duplications d’un ou de plusieurs
exons, méconnues par la technique de séquençage classique et
dont l’identifi cation nécessite la mise en place de techniques
de génétique moléculaire particulières (QMPFS ; MLPA). Des
travaux récents indiquent la possibilité d’un troisième méca-
nisme d’inactivation de ces gènes correspondant à un défaut
d’expression (silencing) en rapport avec une hyperméthylation
du promoteur correspondant alors que la séquence codante
est intacte. T.L. Chan et al. ont en eff et rapporté un cas de
syndrome HNPCC en rapport avec une hyperméthylation
constitutive, stable et transmissible, du promoteur du gène
MSH2 (5). Le cas index correspondait à une femme ayant déve-
loppé un cancer colique à l’âge de 40 ans. La tumeur présentait
une instabilité des microsatellites (phénotype MSI-H) et un
défaut d’expression de la protéine MSH2 en immunohisto-
chimie. Létude constitutionnelle ne permettait pas d’identifi er
d’altération délétère du gène MLH2 (pas de mutation position
de la séquence codante et des régions introniques adjacentes
ni de réarrangement de grande taille) mais une hyperméthyla-
tion allèle-spécifi que du promoteur de ce gène. Cette dernière
était identifi ée au niveau de l’ADN extrait des lymphocytes du
sang périphérique ainsi que de cellules jugales et de muqueuse
colique saine. Une hyperméthylation du promoteur du gène
MSH2 était également observée au niveau des lymphocytes
sanguins et de la muqueuse rectale de 10 des 12 individus testés
de cette famille, répartis sur trois générations successives (en
particulier chez deux sœurs de la proposante ayant développé
un cancer du côlon à l’âge de 30 ans et un carcinome in situ de
l’endomètre à l’âge de 43 ans, ainsi que chez sa mère, porteuse
de plusieurs polypes adénomateux colorectaux).
Une hyperméthylation constitutionnelle du promoteur du gène
MLH1 a également été rapportée dans le contexte du syndrome
HNPCC (6-9). Elle était obsere en proportion variable dans
les diff érents types cellulaires testés et en particulier dans les
spermatozoïdes d’un homme atteint (7). Ainsi, l’hyperméthy-
lation constitutionnelle du promoteur d’un gène du système
MMR correspond à une altération épigénétique potentiellement
responsable du syndrome HNPCC. Linactivation somatique de
l’allèle fonctionnel restant (par mutation ou perte de matériel
chromosomique) dans une cellule “hémi-méthylée” est respon-
sable de la perte de fonction biologique initiatrice de la trans-
formation cancéreuse. La prévalence de ce type d’altération
au cours du syndrome HNPCC nest pas connue mais il s’agit
très certainement d’un phénomène rare. De même, il existe
des incertitudes vis-à-vis de l’expression phénotypique de la
maladie dans ce contexte.
Dossier thématique
Dossier thématique
134
La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 4 - avril 2007
Vers l’identi cation des gènes impliqués dans
le “syndrome X”
Le syndrome X est défi ni par une agrégation familiale de cancers
colorectaux (et possiblement de cancers extracolorectaux du
spectre HNPPC) ne présentant pas d’instabilité des micro-
satellites ni de perte d’expression des protéines de réparation des
mésappariements de l’ADN. Il représenterait 30 à 40 % environ
des cas d’agrégation familiale validant les critères d’Amsterdam,
et correspond donc stricto sensu à un sous-groupe du syndrome
HNPCC dans lequel la carcinogenèse n’implique pas une alté-
ration du système MMR mais des mécanismes qui restent à
identifi er. De nombreuses équipes tentent d’identifi er le ou les
gènes en cause. À ce titre, Z. Kemp et al. ont sélectionné un locus
d’intérêt au niveau de bras long du chromosome 3 (3q21-q24)
à partir de l’analyse de 295 individus porteurs de cancers ou
d’adénomes colorectaux phénotype MSS, issus de 69 familles, au
moyen d’une approche pangénomique (étude de liaison utilisant
des puces de génotypage explorant 10 000 polymorphismes
de type SNP [single nucleotide polymorphism] et réalisant une
cartographie à haute densité du génome) [10].
FACTEURS GÉNÉTIQUES DE PRÉDISPOSITION
AUX CANCERS COLORECTAUX SPORADIQUES
Lidentifi cation des facteurs génétiques impliqués dans la suscep-
tibilité aux cancers colorectaux sporadiques survenant dans les
groupes d’individus à risque moyen et élevé correspond à un
enjeu majeur, puisque plus de 90 % des cancers colorectaux
surviennent dans ces populations. Elle off re la perspective d’une
évaluation fi ne et individualisée du niveau de risque de cancer
colorectal, préalable à l’établissement de recommandations de
dépistage spécifi ques, voire à la mise en œuvre de mesures de
prévention pharmacologiques ou nutritionnelles ciblées. La genèse
des cancers colorectaux sporadiques est multifactorielle. Elle
implique à la fois des facteurs environnementaux et des facteurs
génétiques dont la nature est actuellement inconnue. Il s’agit de
gènes à pénétrance faible qui interviennent de manière “discrète”
et cumulative dans la carcinogenèse pour constituer un “fond
génétique” de prédisposition. Des études cas-témoins ont permis
d’incriminer individuellement un certain nombre de gènes codant
pour des protéines généralement impliquées dans le contrôle
de la prolifération et de la diff érenciation cellulaire ou dans le
métabolisme des xénobiotiques : méthylène tétrahydrofolate
réductase (MTHFR), enzymes du cytochrome P450 (CYP), N-
acétyl-transférase (NAT), glutathion-transférases (GST) et glucu-
ronyltransférases (UGT). Lapproche développée par J.E. Goodman
et al. est particulièrement intéressante, puisqu’elle a consisté à
étudier 94 polymorphismes de type SNP et à évaluer le risque
relatif de cancer colorectal conféré par chacun de ces polymor-
phismes ainsi que par toutes les combinaisons possibles de ces
polymorphismes à partir de l’étude d’une cohorte de 216 hommes
avec cancer colorectal et d’une cohorte de 255 hommes témoins
(11). Cette étude a permis d’attribuer un rôle délétère à l’allèle
nul de la glutathion S-transférases T1 (GSTT1) et de démontrer
l’interaction de deux polymorphismes codants du gène TP53
(p.Arg72Pro) et du gène de la caspase 8 (p.Asp302His) avec cet
allèle. Les données fondamentales fournissent un rationnel à
cette interaction dans la mesure où la GSTT1 est normalement
impliquée dans la prévention des lésions de l’ADN induites par
diff érents agents mutagènes, alors que la protéine P53 gouverne
l’arrêt du cycle cellulaire nécessaire à la réparation des lésions
induites ou préalable à l’induction de l’apoptose impliquant la
caspase 8.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Di Gregorio C, Frattini M, Maff ei S et al. Immunohistochemical expression of
MYH protein can be used to identify pateints with MYH-associated polyposis.
Gastroenterology 2006;131:439-44.
2. Burt RW, Jass JR. Hyperplastic polyposis. In: Hamilton SR, Aaltonen LA (eds).
World Health Organisation classifi cation of tumours. Pathology and genetics.
Tumours of the digestive system. Berlin: Springler-Verlag, 2000:135-6.
3. Chow E, Lipton L, Lynch E et al. Hyperplastic polyposis syndrome: pheno-
typic presentations and the role of MBD4 and MYH. Gastroenterology 2006;
131:30-9.
4. Young J, Jass JR.  e case for a genetic predisposition to serrated neoplasia
in the colorectum: hypothesis and review of the literature. Cancer Epidemiol
Biomarkers Prev 2006;15:1778-84.
5. Chan TL, Yuen ST, Kong CK et al. Heritable germline epimutation of MSH2
in a family with hereditary non polyposis colorectal cancer. Nature genetics
2006;38:1178-83.
6. Gazzoli I, Loda M, Garber J et al. A hereditary non polyposis colorectal carci-
noma case associated with hypermethylation of the MLH1 gene in normal tissue
and loss of heterozygosity of the unmethylated allele in the resulting microsatel-
lite instability-high tumor. Cancer Res 2002;62:3925-8.
7. Suter CM, Martin DI, Ward RL. Germline epimutation of MLH1 in indivi-
duals with multiple cancers. Nat Genet 2004;36:497-501.
8. Miyakura Y, Sugano K, Akasu T et al. Extensive but hemiallelic methylation
of the hMLH1 promotor region in early-onset sporadic colon cancers with micro-
satellite instability. Clin Gastroenterol Hepatol 2004;2:147-56.
9. Hitchins M, Williams R, Cheong K et al. MLH1 germline epimutations as
a factor in hereditary non polyposis colorectal cancer. Gastroenterology 2005;
129:1392-9.
10. Kemp Z, Carvajal-Carmona L, Spain S et al. Evidence for a colorectal
cancer susceptibility locus on chromosome 3q21-q24 from a high-density SNP
genome-wide linkage scan. Hum Molecular Genetics 2006;15:2903-10.
11. Goodman JE, Mechanic LE, Luke BT et al. Exploring SNP-SNP interactions
and colon cancer risk using polymorphism interaction analysis. Int J Cancer
2006;118:1790-7.
1 / 3 100%