OBJECTIFS D’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL CONTINU Oncogénétique - Coordonnateur : B. Buecher Formes héréditaires des cancers digestifs Les tumeurs desmoïdes sont une autre manifestation phénotypique préoccupante de l’affection, en particulier pour les localisations mésentériques. Des corrélations phénotype-génotype ont été décrites, notamment pour la sévérité de la polypose colorectale et le risque de tumeur desmoïde. B. Buecher État des lieux Des agrégations familiales témoignant d’une prédisposition génétique majeure sont décrites pour différents types de cancers digestifs, en particulier pour les cancers de l’estomac, du pancréas et du côlon-rectum. On parle de formes “héréditaires”. Il s’agit d’affections rares, responsables d’une faible proportion des cancers correspondants (inférieure à 10 %, voire à 5 %), mais associées à une augmentation considérable du risque tumoral chez les individus atteints. Les formes héréditaires, polyposiques et non polyposiques, des cancers colorectaux sont les mieux connues (tableau I). Polypose adénomateuse familiale C’est la plus fréquente des formes polyposiques. Une mutation germinale du gène APC (adenomatous polyposis coli) est responsable de la très grande majorité des cas de polyposes adénomateuses “classiques” (nombre de polypes supérieur à 100, et pouvant atteindre plusieurs milliers) et d’une faible proportion de polyposes adénomateuses de type “atténué” (nombre de polypes inférieur à 100). La transmission est autosomique dominante. Dans les formes classiques, la surveillance endoscopique doit débuter vers l’âge de 12 ans, et l’indication d’une colectomie (ou d’une coloproctectomie) prophylactique est généralement retenue vers l’âge de 20 ans. La polypose duodénale est très fréquente et justifie une surveillance endoscopique périodique du tractus digestif supérieur par fibroscopie œso-gastro-duodénale et duodénoscopie. Syndrome de Lynch (hereditary non polyposis colorectal cancer [HNPCC]) Cette forme héréditaire de cancers colorectaux sans polypose est responsable de 3 à 5 % des cas incidents. Les éléments évocateurs du diagnostic sont l’agrégation familiale de cancers colorectaux ou de cancers génétiquement associés (endomètre, voies excrétrices urinaires, intestin grêle, ovaire, estomac, voies biliaires), la présence de cancers multiples synchrones ou métachrones chez un individu donné et un âge jeune au diagnostic. L’affection est liée à la mutation germinale d’un gène impliqué dans le système de réparation des mésappariements de l’ADN, appelé MMR (mismatch repair) : MLH1, MSH2 principalement, MSH6 ou PMS2 beaucoup plus rarement. Cette mutation est responsable d’une perte de la fidélité de la réplication de l’ADN, authentifiée par la mise en évidence d’une instabilité des microsatellites (IM) au niveau tumoral. L’IM n’est pas spécifique du syndrome de Lynch (elle est également observée dans 15 % des cancers colorectaux sporadiques), mais elle est quasiment constante dans ce contexte. Sa recherche est un outil précieux dans la stratégie diagnostique, en particulier en cas de présentation clinique peu évocatrice. Les individus atteints doivent faire l’objet d’une surveillance coloscopique avec chromoendoscopie tous les 1 à 2 ans, dès l’âge de 20 ou 25 ans. Une surveillance gynécologique annuelle est également préconisée à partir de l’âge de 30 ans, comportant un examen clinique et, au minimum, une échographie endovaginale. Tableau I. Formes héréditaires des cancers colorectaux : contribution relative et risques tumoraux. Syndrome Incidence cumulée Proportion des cas de CCR concernée Polypose adénomateuse familiale liée au gène APC (forme classique) 100 % (à 40 ans) 1% Polyposes hamartomateuses – Polypose de Peutz-Jeghers – Polypose juvénile 50 % (à 70 ans) 50 % (à 70 ans) <1% Syndrome de Lynch (HNPCC) 70 à 80 % hommes (à 70 ans) 40 à 50 % femmes (à 70 ans) 3à5% CCR : cancer colorectal. 240 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 4 - avril 2011 OBJECTIFS D’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL CONTINU Faits nouveaux Cancers colorectaux familiaux de type X (1) Certaines formes héréditaires de cancers colorectaux sans polypose répondent à un mécanisme de carcinogenèse distinct de celui du syndrome de Lynch. Elles ne sont pas associées à une mutation d’un gène MMR, et il n’existe pas d’IM au niveau tumoral. La transmission est autosomique dominante. Les gènes en cause ne sont pas identifiés. L’augmentation du risque de cancer colorectal est probablement moins importante que dans le syndrome de Lynch, et l’âge au diagnostic est généralement plus avancé. Il n’existe par ailleurs pas d’augmentation démontrée du risque de cancers “extracolorectaux” associés au syndrome de Lynch. Les recommandations pour le suivi des individus porteurs d’un tel syndrome sont mal définies, mais la surveillance endoscopique peut être “allégée” par rapport à celle qui est recommandée dans le syndrome de Lynch : coloscopie tous les 3 ans à partir de l’âge de 30 ans. Des travaux sont actuellement en cours afin de définir le déterminisme génétique de cette entité probablement hétérogène (altération d’un gène majeur de susceptibilité non caractérisé ? déterminisme oligogénique ? etc.). Polypose adénomateuse associée au gène MYH (2) Récemment, certaines polyposes adénomateuses ont été rattachées à une mutation germinale biallélique du gène MYH. Il s’agit donc, contrairement aux autres prédispositions héréditaires aux cancers digestifs, d’une affection à transmission autosomique récessive. Les deux mutations faux-sens G382D et Y165C sont les plus fréquentes dans les populations caucasiennes, où elles sont la cause des deux tiers des cas environ, à l’état homozygote ou hétérozygote composite. La polypose colorectale est généralement de type atténué. Une surveillance coloscopique étroite avec chromoendoscopie doit être mise en place. Une chirurgie prophylactique peut être indiquée (colectomie subtotale le plus souvent) lorsque l’exérèse endoscopique de l’ensemble des polypes est impossible. Une surveillance endoscopique périodique du tractus digestif supérieur est également indiquée, en raison du risque de polypose duodénale. Le diagnostic moléculaire doit être proposé en premier lieu aux membres de la fratrie des individus atteints, pour lesquels la probabilité d’être porteurs d’une altération biallélique est de 25 %. Formes héréditaires de cancer gastrique de type diffus (3) Une mutation germinale du gène CDH1, qui code pour la E-cadhérine, serait responsable de 30 à 50 % des formes familiales de cancer gastrique de type diffus. L’incidence cumulée de cancer gastrique chez les individus porteurs d’une telle mutation serait de 83 % pour les hommes et de 67 % pour les femmes. Une surveillance endoscopique annuelle doit être débutée précocement, dès l’âge de 14 ou 15 ans. La gastrectomie prophylactique doit être envisagée dès l’âge de 20 ans, compte tenu de l’importance du risque tumoral et de la médiocre sensibilité de l’endoscopie pour le diagnostic précoce des lésions débutantes. Les femmes atteintes ont également un risque accru de cancer mammaire (incidence cumulée : 30 à 40 %), principalement de type carcinome lobulaire infiltrant. Elles pourraient bénéficier d’une surveillance voisine de celle recommandée chez les femmes porteuses d’une mutation d’un gène BRCA (à partir de l’âge de 35 ans ?) : palpation mammaire semestrielle ; mammographie, échographie mammaire et probablement IRM mammaire annuelles. Des cas d’adénocarcinomes coliques à cellules indépendantes ont également été rapportés dans le contexte de cette affection. Implication des gènes Palladin et PALB2 dans certaines formes familiales d’adénocarcinomes pancréatiques Récemment, une mutation délétère du gène Palladin, qui code pour une protéine impliquée dans l’intégrité de l’architecture cellulaire, a été identifiée dans une famille avec agrégation non syndromique d’adénocarcinomes pancréatiques (4). La contribution des altérations de ce gène dans la genèse de ces formes familiales n’est pas connue mais semble faible. En particulier, aucune mutation de ce gène n’a été identifiée chez 48 patients atteints de cancers pancréatiques “familiaux” dans un travail récemment publié par l’équipe de Baltimore (5). Les altérations du gène PALB2, qui code pour une protéine partenaire de la protéine BRCA2, ont également été impliquées dans certaines formes familiales d’adénocarcinomes pancréatiques (6). Elles pourraient être causales dans 3 à 4 % des cas et associées à une majoration du risque de cancer mammaire (6, 7). Références bibliographiques 1. Jass JR. Hereditary non-polyposis colorectal cancer: the rise and fall of a confusing term. World J Gastroenterol 2006;12:4943-50. 2. Sampson JR, Jones S, Dolwani S, Cheadle JP. MutYH (MYH) and colorectal cancer. Biochem Soc Trans 2005;33:679-83. 3. Blair V, Martin I, Shaw D et al. Hereditary diffuse gastric cancer: diagnosis and management. Clin Gastroenterol Hepatol 2006;4:262-75. 4. Pogue-Geile KL, Chen R, Bronner MP et al. Palladin mutation causes familial pancreatic cancer and suggests a new cancer mechanism. PLoS Med 2006;3:e516. 5. Klein AP, Borges M, Griffith M et al. Absence of deleterious mutations in patients with familial pancreatic cancer. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2009;18:1328-30. 6. Jones S, Hruban RH, Kamiyama M et al. Exomic sequencing identifies PALB2 as a pancreatic cancer susceptibility gene. Science 2009;324:217. 7. Slater EP, Langer P, Niemczyk E et al. PALB2 mutations in european familial pancreatic cancer families. Clin Genet 2010;78:490-4. La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 4 - avril 2011 | 241