Sildénafil (Viagra ) : pharmacologie, effet primaire, effets secondaires*

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Sildénafil (Viagra®)[1] : pharmacologie, effet primaire,
effets secondaires*
● N.
Moore**, M. Molimard**, B. Bégaud**
RÉSUMÉ. Le sildénafil est un inhibiteur de la phosphodiestérase 5 (PDE5), l’enzyme qui dégrade le GMPc dans le corps caverneux, indiqué dans le traitement des dysfonctionnements érectiles de l’homme. Le GMPc étant synthétisé en réponse au NO libéré lors de la stimulation sexuelle, le sildénafil est donc inefficace en cas de déficit de libido. Il est actif dans 50 à 70 % des cas, améliorant à la fois la qualité
et la durée de l’érection, permettant des rapports sexuels satisfaisants. Son délai d’action est de 20 à 40 minutes, et il est actif pendant 4 à
6 heures (durée de l’effet proérectogène, et non de l’érection). Ses principaux effets indésirables sont liés à l’inhibition de la PDE5 (gastralgies, vasodilatation avec baisse tensionnelle, céphalées) mais également à l’inhibition de la PDE6 rétinienne (troubles visuels réversibles). Il a par ailleurs été signalé un certain nombre de décès après utilisation de sildénafil, en général d’origine coronarienne, pour lesquels la part respective de la vasodilatation et de l’exercice physique intense inhabituel chez des sujets à haut risque coronarien est
discutée. La principale interaction est avec les donneurs de NO (dérivés nitrés) liés à la libération de GMPc NO-dépendante, entraînant
une vasodilatation périphérique intense. En outre, les utilisateurs de dérivés nitrés sont précisément les sujets à risque d’accident coronarien cités plus haut. En conclusion, le sildénafil semble un produit actif dans une pathologie difficile, dont la large et très médiatique utilisation outre-Atlantique laisse à penser qu’il s’agit d’un produit dans l’ensemble sûr, sous réserve des risques liés aux pathologies vasculaires accompagnant souvent la pathologie traitée.
Le sildénafil représente certainement un progrès thérapeutique majeur dans une pathologie pour laquelle les traitements étaient soit peu
efficaces (papavérine, yohimbine per os), soit difficiles à utiliser (injections intracaverneuses d’alphabloquant, applications locales de trinitrine ou d’alprostadil), soit encore invasifs (prothèses péniennes).
Mots-clés : Sildénafil - Dysfonctionnement érectile - Revue.
V
iagra ! À peine sorti, déjà un mythe. Un mot qui
fait rêver, éveillant les fantasmes des bien-portants, évoquant le satyre de Pompéi, le bouc proverbial. Plus de cinquante sites Internet, une centaine de morts,
des milliers d’histoires, des millions d’utilisateurs, pour un produit qui touche directement aux rêves (mourir en pleine extase)
et aux craintes les plus profondes (mourir avant d’y arriver) de
l’homme, et qui pose des questions inattendues : Combien de
comprimés, donc de rapports, les assurances maladies vontelles ou doivent-elles rembourser ?, définissant l’activité
sexuelle “normale”. Faudra-t-il donc limiter les excès autant
que de combler les déficits ? Comment peut-on interpréter le
remboursement de la pilule contraceptive et, non du Viagra®
autrement que comme une volonté politique de limiter la natalité ? Que fait l’Église ? Aurait-on la même effervescence pour
un produit similaire agissant chez la femme ? À quand les mouvements de soutien aux “érectilement diminués” (en anglais,
“erectally challenged”) réclamant le remboursement total du
Viagra®, et la prise en charge des Viagra®-résistants (pourraiton appeler ce mouvement ÉRACTION ?)
[1] Adresse du site Internet de l’Agence du Médicament et du dernier communiqué de presse sur le Viagra® : http://agmed.sante.gouv.fr/htm/6/6100.htm
* © La Lettre du Pharmacologue.
** Département de pharmacologie, Université Victor-Segalen, CHU de Bordeaux, place Raba-Leon, 33076, Bordeaux cedex.
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L’objectif de cet article est de faire le point sur ce qu’est et
ce que n’est pas le Viagra®, sur ce qu’on peut en attendre et
en craindre. Il n’est pas certain que l’histoire soit vraie, qui
veut que l’on ait cru que le sildénafil puisse entraîner des
troubles du comportement parce que les volontaires sains
sous sildénafil se mettaient sur le côté ou sur le ventre lors du
passage des infirmières (mais pas des investigateurs mâles),
et que plus de 90 % des sujets “actifs” voulaient continuer le
traitement en fin d’essai. Il est, en revanche, certain qu’initialement le sildénafil était développé comme antiangineux
(inefficace), et que la découverte de l’action érectogène a été
“sérendipiteuse”. Il est heureux que le laboratoire n’ait pas
abandonné le produit, mais se soit posé la question de l’utilisation thérapeutique d’un effet secondaire de type A.
En effet, la mise à disposition d’un traitement oral actif et
bien toléré serait un progrès thérapeutique considérable dans
une pathologie pour laquelle les traitements sont soit peu
efficaces (papavérine, yohimbine per os), soit difficiles à utiliser (injections intracaverneuses d’alphabloquant, applications locales de trinitrine ou d’alprostadil), soit encore invasifs (prothèses péniennes).
Les données de cette revue proviennent des données publiées
(www.ncbi.nlm.nih.gov/Entrez/medline.html), du rapport
La Lettre du Gynécologue - n° 244 - septembre 1999
public d’expertise, disponible à l’Agence européenne d’évaluation du Médicament (www.eudra.org/emea.html),
et des données rendues publiques par la FDA
(www.fda.gov/cder/consumerinfo/viagra/default.htm) et d’autres
sites (voir liste en fin d’article).
PHARMACOLOGIE DU SILDÉNAFIL
Le citrate de sildénafil est le 1-[[3-(6,7-dihydro-1-méthyl-7oxo-3-propyl-1H-pyrazolo [4,3-d]pyrimidin-5-yl)-4-ethoxyphenyl]sulfonyl]-4-méthylpipérazine (figure 1).
CH3
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CH3CH2O
HN
N
N
CH2CH2CH3
CO2H
O2S
HOOC
N
CH
CO2H
N
CH3
Figure 1. Structure chimique du sildénafil.
C’est un inhibiteur relativement sélectif du sous-type 5 de la
phosphodiestérase (PDE5), que l’on retrouve dans les vaisseaux et le corps caverneux. La PDE5 dégrade le GMPc. Le
GMPc est synthétisé par la guanylate cyclase, sous
l’influence du monoxyde d’azote (NO) libéré de l’endothélium sous l’effet de la stimulation cholinergique d’origine
parasympathique. Dans le corps caverneux, le NO est libéré
lors de l’excitation sexuelle, de l’activation de la libido (et
souvent spontanément en fin de nuit lorsque le tonus parasympathique est maximal). La relaxation caverneuse, secondaire à la synthèse de GMPc NO-dépendante, augmente le
volume du corps caverneux, contribuant à la compression des
veines sinusoïdes contre le fourreau de l’albuginée. Du fait de
la vasodilatation artérielle et de la compression veineuse, le
corps caverneux se remplit de sang, augmente de volume et
se durcit. Puis la dégradation du GMPc et l’activation sympathique entraînent une constriction artérielle et une contraction
du corps caverneux, qui diminuent l’afflux sanguin artériel et
libèrent le drainage veineux, entraînant une déturgescence (en
général postorgasmique ou postéjaculatoire), mais également
post-activation sympathique (sport, douche froide). Ces
mécanismes expliquent l’utilisation locale proérectogène
d’alphabloquants (amplifiant l’afflux artériel initial), de nitrés
La Lettre du Gynécologue - n° 244 - septembre 1999
(mais avec des effets généraux chez l’utilisateur et chez la
partenaire), et le traitement du priapisme par les vasoconstricteurs alphastimulants. On peut noter qu’alors que l’utilisation
de vasodilatateurs artériels, surtout localement, entraîne une
érection indépendamment de la stimulation sexuelle, et donc
un risque de priapisme (traité par l’injection d’alphastimulants) ; ce n’est pas le cas du sildénafil, avec lequel l’érection
ne survient qu’en cas d’activation de la libido.
De par son effet inhibiteur de la phosphodiestérase, le sildénafil inhibe la dégradation du GMPc, donc en augmente et en
prolonge l’action vasodilatatrice et caverno-relaxante. En
revanche, il n’a aucun effet sur la production initiale du
GMPc, qui est NO-dépendante, que le NO soit endogène (stimulation cholinergique) ou exogène (donneurs de NO : nitroprussiate, nitrite d’amyle, nitroglycérine…) : le sildénafil traite
l’impuissance, pas l’indifférence. L’effet du sildénafil est inhibé
par le bleu de méthylène (inhibiteur de la GMP cyclase) et par
la L-n-nitro arginine (inhibiteur de la NO-synthase).
Il existe au moins six isoformes de la phosphodiestérase, qui
dégradent les nucléotides cycliques (AMPc, GMPc). L’isoforme 1 est présente dans le rein et le muscle lisse, les isoformes 2, 3, et 4 dans le poumon et le cœur, la 5 dans les
vaisseaux, les plaquettes et le corps caverneux et la 6 dans la
rétine, où elle est impliquée dans la phototransmission.
Parmi les autres produits inhibiteurs des phosphodiestérases,
on connaît les inhibiteurs non spécifiques que sont les xanthines (théophylline, caféine) ou le dipyridamole, les inhibiteurs spécifiques de la PDE3 inotropes positifs (enoximone,
amrinone, milrinone…).
Le sildénafil a une affinité environ 1 000 fois plus forte pour
la PDE5 que pour les PDE2, 3 ou 4, 80 fois plus que pour la
PDE1 et 10 fois plus que pour la PDE6 rétinienne. L’affinité
pour d’autres types de récepteurs (alpha, bêta-adrénergiques,
dopaminergiques, histamine H1, 5HT1, 5HT2, muscariniques
et opiacés, dihydropyridine, arylalkylamines (vérapamil), benzothiazépines (diltiazem), benzodiazépines est négligeable.
PHARMACOLOGIE EXPÉRIMENTALE
Outre son effet sur le corps caverneux, le sildénafil a des
effets plaquettaires, hémodynamiques, gastro-intestinaux et
rétiniens.
Effets plaquettaires
Le sildénafil a un effet antiagrégant plaquettaire in vitro uniquement par la potentialisation de l’effet antiagrégant et
désagrégant plaquettaire des donneurs de NO (nitroprussiate). Cet effet apparaît chez l’animal à des concentrations
10 à 80 fois supérieures à celles ayant un effet sur la pression
caverneuse.
Effets hémodynamiques
Le sildénafil a un effet vasodilatateur pouvant à forte dose
entraîner une baisse de la pression artérielle, accompagnée
d’une tachycardie réactionnelle, expliquant les effets indési27
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rables observés chez l’homme (flush, céphalées). Cependant,
ces effets ne sont pas systématiques, jusqu’à des concentrations plasmatiques atteignant 25 fois celles actives sur le
corps caverneux.
inhibitrice nettement inférieure (50 % et 10 % respectivement), et des concentrations plasmatiques finales de 20 à
40 % de celles du sildénafil : leur contribution aux effets
pharmacologiques chez l’homme paraît mineure.
Effets gastro-intestinaux
In vitro, le sildénafil inhibe la motricité intestinale et en particulier gastrique. Chez l’homme, il ne paraît pas augmenter
la fréquence des œsophagites par reflux, bien que les dyspepsies soient l’un des effets indésirables les plus fréquents.
La clairance du sildénalfil est extrarénale, de l’ordre de 40 l/h,
similaire au débit sanguin hépatique, et sa demi-vie d’élimination est de 4 heures. Aucune accumulation n’est attendue si le
produit est pris quotidiennement ou moins souvent.
Effets rétiniens
Le sildénafil modifie la réponse rétinienne à la lumière
bleue, du fait de l’inhibition de la PDE6 qui dégrade le
GMPc impliqué dans la phototransmission.
PHARMACOLOGIE CLINIQUE
Chez l’homme ayant une dysfonction érectile, le sildénafil
entraîne une érection après stimulation sexuelle visuelle
et/ou tactile avec une médiane de réponse de 27 minutes
(placebo 50 minutes) pour 50 mg. Il n’y a pas de relation
dose-réponse nette sur la qualité de l’érection, mais plutôt
sur le nombre de répondeurs. La durée de l’érection,
lorsqu’elle survient, va de 22 à plus de 30 minutes en
moyenne, selon la concentration plasmatique.
À la dose de 100 mg en prise unique (le Viagra® est commercialisé en comprimés de 25 et 50 mg), il apparaît des erreurs
au test de discrimination des couleurs, mais pas aux doses
thérapeutiques usuelles.
Une diminution moyenne de la pression artérielle de
8,7 mmHg (systolique) et 5,5 mmHg (diastolique) est notée
après 100 mg en prise unique, de 7,7 et 4,5 mmHg respectivement après 50 mg. Les valeurs reviennent aux valeurs initiales en 4 heures.
Il n’y a pas de modification de l’agrégation plaquettaire in
vivo, ni du temps de saignement.
Il n’y a pas d’effet sur la mobilité, morphologie ou vitalité
du sperme 1,5 et 4 heures après la prise de 100 mg en prise
unique.
PHARMACOCINÉTIQUE
Le sildénafil est rapidement résorbé, avec une biodisponibilité absolue de l’ordre de 40 % du fait d’un premier passage
hépatique. La prise alimentaire simultanée retarde le T et
diminue la C .
Le sildénafil est fixé aux protéines plasmatiques à 96%, avec
un volume de distribution élevé (1 00l environ). L’éjaculat
contient moins de 0,0002 % de la dose totale administrée.
L’élimination est essentiellement hépatique, avec une métabolisation oxydative par le cytochrome 450 CYP3A4 (voie
majeure, inductible ou inhibable) et CYP2C9 (voie
mineure). Deux des quatre principaux métabolites semblent
actifs, avec une sélectivité comparable mais une puissance
max
max
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INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES
Pharmacocinétiques
Du fait de son métabolisme prédominant par le CYP3A4, les
inhibiteurs de ce dernier (kétoconazole, érythromycine,
cimétidine) vont diminuer la clairance du sildénafil, effet
confirmé in vivo en présence de cimétidine, qui augmente de
56 % environ les concentrations plasmatiques de sildénafil.
En cas d’utilisation concomitante d’un inhibiteur de CYP
3A4, il est conseillé de commencer par une dose de 25 mg.
De son côté, le sildénafil est un inhibiteur faible de nombreuses isoformes de P450, mais compte tenu des faibles
concentrations plasmatiques, aucune interaction significative
n’est attendue. Cela a été confirmé pour le tolbutamide et la
warfarine. Il n’a pas été retrouvé d’interaction non plus avec
l’aspirine, les anti-acides ou l’alcool.
Pharmacodynamiques
Il n’y a pas encore de données sur une interaction éventuelle
avec les inhibiteurs non spécifiques de la phosphodiestérase
(théophylline, caféine, dipyridamole).
Compte tenu de l’effet ex vivo sur la fonction plaquettaire, et
en l’absence de données en cas de diathèse hémorragique ou
d’ulcère gastro-duodénal, l’utilisation chez ces patients devra
être prudente. Il n’y a pas de données sur l’association avec la
ticlopidine, mais la prudence devrait également être de mise.
Pour ce qui concerne les médicaments antihypertenseurs, il
ne paraît pas y avoir plus d’effets indésirables en cas d’association avec le sildénafil qu’avec le placebo pour toute une
série de produits (IEC, bêtabloqueurs, antagonistes du calcium, diurétiques), et une étude spécifique d’interaction
montre un effet additif avec l’amlodipine (baisse tensionnelle supérieure de 8 mmHg en cas d’association, égale à la
baisse tensionnelle trouvée après sildénafil seul).
En revanche, comme prévu, le sildénafil potentialise les
effets hypotenseurs des dérivés nitrés, qui sont donc contreindiqués (y compris le nitrite d’amyle, souvent utilisé sous
forme de “poppers”, à des fins similaires…).
POPULATIONS PARTICULIÈRES
Chez l’insuffisant rénal sévère, mais pas chez l’insuffisant
rénal modéré, il apparaît une augmentation sensible des
concentrations plasmatiques du sildénafil et surtout de son
métabolite actif : la prudence est donc de mise. De la même
La Lettre du Gynécologue - n° 244 - septembre 1999
manière, le métabolisme du sildénafil est sérieusement compromis en cas d’insuffisance hépatique sévère, qui est donc
une contre-indication.
Du fait de l’augmentation des concentrations plasmatiques
de sildénafil et de son métabolite actif chez le sujet âgé sain
(65-81 ans), la plus faible dose (25 mg) est recommandée.
Le sildénafil n’est pas indiqué chez la femme (compte tenu
de la faible excrétion séminale, le problème de la résorption
transvaginale ne devrait pas se poser), ni chez l’enfant.
semble pas jouer de rôle majeur, si ce n’est de moins bons
résultats chez les diabétiques (restant cependant toujours
supérieurs au placebo). Globalement, le pourcentage de
réponses positives en fonction de l’étiologie s’établit comme
suit : dysfonction psychogène 84 %, dysfonction mixte
77 %, dysfonction organique 68 %, sujets âgés 67 %, diabète
59 %, ischémie cardiaque 69 %, hypertension artérielle
68 %, résection prostatique transurétrale 61 %, prostatectomie complète 41 %, lésion spinale y compris transsection
médullaire 83 %, dépression 75 %.
EFFICACITÉ
EFFETS INDÉSIRABLES AU COURS DES ESSAIS CLINIQUES
Quatre études principales à dose fixe ou variable contre placebo ont été réalisées, complétées par des études chez des
sujets ayant des atteintes médullaires et chez des diabétiques,
couvrant au total plus de 3 000 patients. Compte tenu de la
difficulté à maintenir ou obtenir l’insu, aucune comparaison
n’a été faite avec les traitements actuels de référence (injection intracaverneuse d’alphabloquants).
Quatre mille deux cent treize sujets ont participé aux essais
cliniques comparatifs en double insu, 3 003 sous sildénafil et
1 832 sous placebo, dont 769 ont ultérieurement reçu du sildénafil dans des études ouvertes. Mille six cent quatre-vingtdeux ont commencé par une dose de 50 mg ou plus et 559 en
ont pris plus d’un an. La dose moyenne était de 8 à 9 doses
par mois pendant les premiers mois, et de 3 doses par mois à
partir du cinquième mois.
N’ont pas été inclus dans ces études les patients ayant eu une
irradiation ou une chirurgie pelvienne, une insuffisance
rénale ou hépatique sévère, un accident vasculaire cérébral
ou un infarctus de moins de six mois, une insuffisance cardiaque, un angor instable ou une arythmie sévère dans les six
mois précédents, ainsi que les patients traités par trazodone,
testostérone ou un autre agent érectogène, ceux ayant une
prolactinémie élevée ou une testostéronémie basse, les
patients ayant une hypotension (< 90/50), une rétinite pigmentaire, une rétinopathie diabétique proliférative, un ulcère
gastro-duodénal en activité ou une autre maladie instable.
Plus de 90 % des sujets étaient caucasiens.
Ces études prenaient comme critère d’efficacité la qualité
(qualité de la pénétration et du maintien de l’érection après
pénétration pour un rapport satisfaisant) et la durée de l’érection, dans des conditions naturelles, sur une évaluation par
autoquestionnaire, sur des échelles à 5 ou 6 points. Pour une
réponse moyenne de l’ordre de 2,2/5 sous placebo, les scores
étaient de 3 avec 25 mg, entre 3 et 4 avec 50 mg et presque
4 avec 100 mg, avec des réponses similaires à 3 et 6 mois (le
score était de 0 : pas d’essai de rapports ; 1 : jamais ou
presque jamais ; 2 : rarement ; 3 : parfois, à peu près la moitié
du temps ; 4 : souvent, plus de la moitié du temps et 5 : toujours - presque toujours) Cette érection était obtenue régulièrement chez 50 à 55 % des sujets, contre 6 à 9 % sous placebo. Sauf chez le diabétique, 62 à 73 % des tentatives de
rapports étaient couronnées de succès sous sildénafil, contre
22-25 % sous placebo. Les partenaires indiquaient des indices
de satisfaction similaires. Plus de 91 % des sujets dans les
études ouvertes voulaient continuer à utiliser le produit.
Parmi les facteurs influençant la réponse thérapeutique, on
note que la qualité de la réponse semble diminuer un peu
avec l’âge. Si la durée de la dysfonction ne semble pas
influencer le résultat, la sévérité de celle-ci semble un facteur de moins bons résultats. La cause de la dysfonction ne
La Lettre du Gynécologue - n° 244 - septembre 1999
Décès et infarctus
Une première évaluation de l’ensemble des essais cliniques en
février 1997 faisait état de 13 décès sous sildénafil contre 2 sous
placebo (fréquences respectives 0,3 et 0,1 pour cent patients traités, risque relatif 3,16 ; IC : 0,71-14,4 [NS]). Si l’on tient
compte des durées d’exposition de 1 719,3 pour le sildénafil et
de 366,3 patients-années avec le placebo, les fréquences correspondantes sont de 0,8 et 0,5 % patients-années, risque relatif :
1,38 ; IC : 0,31 à 6,16. Pour ce qui concerne la survenue
d’infarctus, les fréquences respectives sont de 1,33 et 1,36 %
patients-années (RR : 0,98 ; IC : 0,37-2,59). Une réévaluation
un an plus tard, avec des durées de suivi plus longues
(4 900 patients-années sous sildénafil), trouve 22 morts, soit une
fréquence de 0,45 % patients-années (RR 0,74 ; IC : 0,18-3,37).
La diminution du risque relatif est un bon exemple de déplétion
des susceptibles : les plus à risque mourant d’abord, l’allongement de la durée de suivi chez les mêmes patients entraîne une
diminution du risque de mortalité…
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Arrêts prématurés
La fréquence d’arrêts prématurés de traitement était plus élevée avec le placebo (13,9 %) qu’avec le sildénafil (8,5 %),
liée surtout à un surcroît d’arrêts pour inefficacité (5,5 %
versus 1,5 %). Le nombre d’arrêts pour effets indésirables
était similaire (2,3 % [placebo] versus 2,6 %).
Autres effets indésirables
Les effets indésirables les plus fréquemment rapportés avec
le sildénafil étaient des effets digestifs (19,3 % versus 7,3 %),
essentiellement dyspepsie, certains effets étant en rapport
avec la vasodilatation (17 % versus 4,8 % : céphalées, flush),
des effets visuels (6,5 % versus 0,4 % : frange colorée bleue
ou halo, augmentation de la perception lumineuse ou vision
floue). Ces effets visuels n’étaient pas plus fréquents chez
les diabétiques (6 %) que chez les non-diabétiques.
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On retrouve également davantage de myalgies (2,1 % versus
0,8 %) sans autre anomalie, en particulier biologique,
quoique l’on signale également une augmentation des CPK
(2,3 % versus 1,2 %) et des hémoglobinuries (16,7 versus
6,8 %). On peut se demander si l’un comme l’autre ne pourraient être en rapport avec l’activité sexuelle : l’effort musculaire augmente les CPK. Les rapports sexuels sont-ils une
source d’hémoglobinurie ?
Une rhinite ou sensation de nez bouché (effet fréquent avec
tous les vasodilatateurs) ont également été signalées (1,1 %).
Aucun priapisme n’a été observé au cours des essais cliniques, mais des cas ont été signalés après commercialisation, le plus souvent lors d’une association avec un autre
traitement des troubles de l’érection (injection intracaverneuse), qui est, rappelons-le, contre-indiquée.
DONNÉES DE PHARMACOVIGILANCE
De la mise sur le marché aux États-Unis en mars 1998
jusqu’à la fin du mois de novembre 1998, environ
6 millions d’ordonnances de Viagra ® ont été délivrées,
représentant plus de cinquante millions de comprimés
(www.fda.gov/cder/consumerinfo/viagra/ default.htm).
Outre les effets indésirables connus, qui ne diffèrent pas par
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leur nature ou leur fréquence apparente des données des
essais cliniques, un certain nombre de décès ont été signalés.
Leur analyse a été remise très récemment à jour.
Deux cent quarante-deux morts ont été déclarées à la FDA.
Pour diverses raisons (patients étrangers, information invérifiable, incertitude quant à la prise du produit), 112 cas ont été
éliminés, laissant 130 morts, 2 d’homicide et de noyade, 48
de cause inconnue, de causes cardiovasculaires pour 77, principalement infarctus (41) et arrêt cardiaque (27). Tous ceux
dont le sexe était mentionné étaient des hommes. Pour les
104 dont on connaît l’âge, celui-ci allait de 29 à 87 ans
(médiane 64 ans). Sur les 62 cas pour lesquels on connaît la
dose absorbée, 3 avaient pris 25 mg, 46 avaient pris 50 mg, 9,
100 mg, 2 avaient une ordonnance pour 50-100 mg et 2 pour
plus de 100 mg. Seize avaient pris des dérivés nitrés (contreindiqués) ou en avaient une prescription et 3 en avaient en
leur possession au moment du décès, sans que l’on sache s’ils
en avaient pris. Quarante-quatre cas sont morts dans les 4 à
5 heures suivant la prise, dont 27 pendant ou juste après un
rapport, 6 sont morts le jour de la prise du Viagra®, 8 le lendemain, 5 le jour suivant et 4 trois à sept jours après. Le délai
entre la prise du Viagra ® et le décès était inconnu chez
61 hommes (48 %). Quatre-vingt-dix (70 %) des 128 morts
avaient un ou plusieurs facteurs de risque cardiovasculaires,
trois autres avaient une atteinte coronaire sévère à l’autopsie.
La Lettre du Gynécologue - n° 244 - septembre 1999
Chez 12 sujets, aucun facteur de risque n’était connu, mais
pour dix d’entre eux le délai entre la prise du produit et le
décès était soit inconnu, soit supérieur à 2 jours. Deux
hommes (60 et 70 ans), sans facteur de risque connu, sont
décédés peu de temps après la prise de sildénafil, en
l’absence d’activité sexuelle.
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Le fabricant, en accord avec la FDA, a revu l’information
du produit afin de renforcer la contre-indication de l’associa-
tion avec les dérivés nitrés et rappeler le risque cardiovasculaire, mais sans remettre en cause l’autorisation de mise sur
le marché. La surveillance continue.
Le sildénafil a été autorisé sur le marché selon une procédure
européenne centralisée, et est commercialisé en France
depuis le 15 octobre. Depuis cette date, trois décès ont été
signalés, partageant les mêmes caractéristiques que ceux
relevés aux États-Unis.
La contre-indication de l’utilisation simultanée de dérivés nitrés (un problème en cas d’angor d’effort déclenché par ledit
effort – la coprescription de bêtabloqueurs à titre préventif chez les sujets susceptibles paraît souhaitable).
La contre-indication dans les pathologies au cours desquelles une activité sexuelle intense n’est pas souhaitable (coronaropathies évolutives, insuffisance cardiaque), ainsi que chez les patients ayant une rétinopathie dégénérative.
La précaution d’emploi dans les pathologies susceptibles de favoriser le priapisme (hémopathies malignes, hyperplaquettoses, anémie falciforme…), lors de malformations péniennes (maladie de Lapeyronie par exemple), ainsi que lors de
l’association avec d’autres agents érectogènes ou antiagrégants plaquettaires.
On peut noter par ailleurs que le sildénafil est également actif expérimentalement sur le corps caverneux clitoridien et est
en cours d’essai dans les dysfonctions sexuelles féminines.
Enfin, l’impuissance est souvent un problème de couple et doit être abordée globalement et ensemble : les anecdotes fleurissent de couples désunis par la “repuissance” soudaine de l’homme, créant des tensions nouvelles ou oubliées.
Finalement, un dernier espoir : le Viagra® sauvera-t-il le rhinocéros et le tigre de l’extinction, la corne de l’un et les testicules
de l’autre étant relégués au même rang que l’homéopathie en cancérologie ?
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CONCLUSION
Le mode d’action du Viagra® est bien connu, par inhibition
de la phosphodiestérase 5. Le produit est efficace dans 60 à
80 % des cas de dysfonction érectile, à la dose de 25 à 50 mg
en prise unique, à prendre une demi-heure à une heure avant
l’acte (un peu plus en cas de prise alimentaire concomitante).
Il s’agit d’une action “physiologique” par rapport à l’action
“mécanique” de la plupart des autres traitements de l’impuissance. Sa durée d’action étant de 4 à 5 heures, une certaine
latitude ou retard est possible. Les effets indésirables fréquemment signalés sont en rapport avec les effets pharmacologiques : flush (en français, érythème de la face – on ne
parle pas de celui de la partenaire devant le résultat obtenu,
ou érythème pudique), céphalées, épigastralgies, vision floue
ou colorée. Les décès semblent en rapport également avec le
terrain conduisant à l’utilisation du produit, et semblent à
peine plus fréquents que sous placebo (on peut se demander
d’ailleurs si cette fréquence plus élevée est liée au produit ou
à l’effort inhabituel qu’il permet).
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SITES WEB
1. www.ncbi.nlm.nih.gov/Entrez/ medline.html : 64 références à ce jour dans
Medline, dont seules 26 ont un résumé, et sont des articles scientifiques (hors
revues et opinions) : voir ci-dessous.
2. http://www.viagra.com/ (le site officiel, grand public et professionnels de
santé, par Pfizer).
3. www.eudra.org/emea.html : lieu où l’on trouve le rapport d’expertise européen sur le sildénafil.
4. www.fda.gov/cder/consumerinfo/viagra/default.htm : contient les données
précliniques, les RCP et différentes informations officielles sur le produit, dont
l’analyse de la mortalité.
5. www.adis-usa.com/files/RDInsight/profile.html : inclut un récapitulatif des
pays où le produit est enregistré, un historique du développement, et une analyse économique.
6. www.motherjones.com/sideshow/umansky.html : une analyse historique et
sémantique des noms des traitements de l’impuissance.
7. www.globalite.com/viagra.html : un site central avec des afférences vers de
nombreux autres sites consacrés au Viagra® (comment l’acheter, les prix du
marché, des galeries d’humour, des forums de discussion…).
8. www.bigv.com/ : un site de discussion : viagratalk©, pour les utilisateurs qui
se posent des questions.
9. agmed.sante.gouv.fr : le site de l’Agence du Médicament.
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