A postrophe ! H. Kreis* Considérations critiques sur la biopsie des organes transplantés e rejet chronique, si l’on entend sous ce vocable toute lésion chronique du greffon L secondaire à l’alloréaction induite par la présence des antigènes du donneur, est – ou en tout cas devrait être – la première préoccupation du transplanteur. La pathologie chronique du greffon, dénommée “néphropathie chronique du greffon” lorsque le greffon est rénal, est un ensemble lésionnel complexe ; elle résulte des multiples agressions qui peuvent endommager un organe greffé, parmi lesquelles le rejet chronique figure en bonne place. Ces lésions chroniques du greffon, aujourd’hui encore inévitables, conduisent à son dysfonctionnement chronique. La pathologie chronique du greffon peut comporter une définition clinique se fondant sur la diminution progressive de la ou des fonction(s) du greffon, qu’il soit rénal, cardiaque, hépatique ou autre, et une définition histologique dépendant donc de son analyse anatomopathologique. Le rejet chronique du greffon a, quant à lui, une triple définition, selon que l’on considère sa répercussion clinique, histologique ou les perturbations immunologiques qui sont la source des lésions histologiques, cellulaires ou tissulaires. On comprend donc l’importance que devrait avoir l’examen histologique systématique du transplant, à une période où sa fonction n’est pas encore altérée. En effet, l’immunologie ne nous a pas encore fourni les instruments nécessaires au diagnostic de l’alloréaction, c’est-à-dire du rejet, qu’il soit aigu ou chronique. Le diagnostic préclinique de survenue d’un rejet ne peut donc reposer que sur l’analyse d’un fragment de l’organe transplanté. Cela est tellement vrai que certaines équipes, comme celle de l’hôpital Necker (Paris), pratiquent, depuis plus de quarante ans, cet examen de façon protocolaire, c’est-à-dire systématique, à certaines périodes fixes après la greffe. C’est ainsi que l’on a pu * Service de transplantation et de réanimation, hôpital Necker, 75743 Paris Cedex 15. 4 s’apercevoir à la fois de l’intérêt que revêtent ces examens répétés, qui nous permettent de découvrir des lésions souvent conséquentes du transplant en l’absence de la moindre dégradation fonctionnelle, et de leurs limites, qui sont malheureusement importantes. En effet, les lésions qui frappent le transplant sont, dans la majorité des cas, d’une grande hétérogénéité de répartition. Cela est particulièrement évident lorsque, par exemple, à la suite d’un accident chirurgical, on est amené à pratiquer l’ablation du transplant à un stade quelconque de son évolution et que l’on fait l’analyse histologique de larges fragments. Dans ces conditions, une simple biopsie ne peut être considérée comme une juste représentation des lésions de l’organe greffé. Ce que l’on voit existe, bien sûr, mais de façon non quantifiable, et l’on ne peut pas dire que ce que l’on ne voit pas n’existe pas ! Ces deux données devraient toujours venir pondérer les conclusions diagnostiques et les interprétations trop souvent péremptoires des examens histologiques des transplants. Cela, à tout le moins, chez un seul sujet ou un petit nombre de sujets. L’analyse statistique d’un grand nombre de biopsies, dans des études randomisées, vient cependant atténuer cet aléa majeur. La deuxième limitation de l’analyse histologique, qu’elle soit systématique ou non, est l’absence de spécificité des lésions observées. L’infiltration cellulaire du parenchyme de l’organe greffé n’est que le témoin d’une réaction inflammatoire présente en son sein, qui peut être la cause ou la conséquence du rejet, voire même en être totalement indépendante. L’artériopathie sclérosante n’est certes pas l’apanage du rejet chronique, même si elle en est évocatrice, et la fibrose parenchymateuse n’est peutêtre initialement qu’un processus de guérison, qui a ensuite dépassé son but et détruit l’organe, quel que soit le mécanisme originel de son Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 1 - avril-mai-juin 2001 A postrophe déclenchement. S’il se confirmait que le collagène constituant la fibrose du rejet chronique était réellement différent de celui des autres fibroses, alors un pas important serait fait vers la spécificité des lésions objectivées par les biopsies des greffons. Ainsi, les biopsies du transplant prennent toute leur valeur dans la mise en évidence d’une pathologie chronique du greffon chez un patient qui ne présente aucun dysfonctionnement clinique de son transplant. Dès que des manifestations cliniques viennent témoigner de la défaillance fonctionnelle du greffon, la biopsie perd beaucoup de son intérêt, en raison de sa faible spécificité diagnostique. Et ce qui est vrai pour le rein l’est probablement également, à des degrés différents, pour tous les autres organes greffés. En revanche, la biopsie acquiert tout son intérêt dans le cadre d’études statistiques portant sur de grands nombres, parce qu’elle permet de comparer des variations lésionnelles au cours du temps, sous l’influence, par exemple, de protocoles thérapeutiques différents. Indépendamment de la pathologie chronique du greffon, la pratique des biopsies systématiques, itératives, joue également un rôle important dans la pathologie aiguë, en particulier dans les semaines qui suivent l’acte chirurgical. Cela est vrai pour le rein lorsque la non-reprise immédiate de sa fonction prive le médecin transplanteur du seul paramètre clinique important pouvant lui faire suspecter la survenue d’un rejet aigu, à savoir l’augmentation de la créatinine plasmatique. Cela est encore plus vrai pour le cœur. Attendre la défaillance de l’organe pour traiter le rejet aigu entraînerait le décès de nom- 5 breux patients. Tel était le cas avant la pratique systématique de la biopsie endomyocardique au début des années 80. Mais la biopsie ne doit pas pour autant être considérée comme le gold standard dans le diagnostic du rejet aigu. Les limitations que nous avons rappelées plus haut pour le rejet chronique – hétérogénéité de répartition et absence de spécificité des lésions – sont également présentes au cours du rejet aigu. Combien de fois l’anatomopathologiste le plus expérimenté mettra en évidence une toxicité d’un inhibiteur de la calcineurine, au grand dam du transplanteur rénal, inquiet d’une diminution de la fonction du transplant chez un patient qui n’a jamais reçu un seul milligramme d’un tel produit ? Combien de fois un transplanteur rénal obstiné aura obtenu la guérison d’une insuffisance rénale aiguë post-transplantation en administrant de fortes doses de corticostéroïdes au mépris du diagnostic histologique de rein strictement normal, ou de simple nécrose tubulaire aiguë ? CONCLUSION De nos jours encore, les biopsies, orientées par la clinique, mais surtout protocolaires, doivent être considérées comme un outil indispensable au développement de nos connaissances sur la destruction progressive et, pour l’instant, inévitable des allogreffons. Il ne faut pas pour autant ne jurer que par elles pour la prise en charge diagnostique et thérapeutique du patient transplanté. Cependant, elles sont aujourd’hui en train d’établir les fondements de leur nécessité future." Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 1 - avril-mai-juin 2001