P Les cancers du sein à l’ESMO 2012 DOSSIER THÉMATIQUE

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DOSSIER THÉMATIQUE
Compte-rendu et analyse
de l’ESMO 2012
Les cancers du sein
à l’ESMO 2012
Breast cancers at the ESMO Congress 2012
F.C. Bidard*
P
eu de résultats majeurs et originaux ont été
rapportés cette année au congrès de l’ESMO
(European Society for Medical Oncology) dans
le domaine du cancer du sein, particulièrement en
comparaison avec l’année dernière. Néanmoins,
plusieurs résultats sont à connaître, essentiellement
dans le cancer du sein HER2+ (Human Epidermal
growth factor Receptor-2 positif), avec les résultats
des études PHARE et HERA.
Cancers du sein néo-adjuvants
* Département d’oncologie médicale,
institut Curie, Paris.
L’objectif principal de l’étude française REMAGUS 04
a été rapporté lors de ce congrès. Dans cette étude
randomisée de phase III, l’objectif était de comparer
une chimiothérapie standard des cancers du sein
HER2− par 4 cycles de FEC (5-FU, épirubicine,
cyclophosphamide) + 4 cycles de docétaxel à une
chimiothérapie guidée par une signature génomique
élaborée au MD Anderson Cancer Center (États-Unis)
il y a quelques années (DLD30), associée à la mesure
du niveau d’expression de la topo-isomérase II
(TOP2A). Dans le bras guidé par la génomique, les
patientes pouvaient recevoir soit 12 cycles de paclitaxel + 4 cycles de FEC, soit 4 cycles de FEC + 4 cycles
de docétaxel, soit 6 cycles de capécitabine + docétaxel (pour les patientes dont la tumeur ne semblait
pas sensible aux 2 précédents types de chimiothérapie). Cet essai a été arrêté prématurément pour
absence de réponse complète (RC) observé chez les
patientes traitées par capécitabine + docétaxel du
bras génomique. Le point positif est la démonstration, à l’échelle française, qu’il est possible d’obtenir
des résultats d’analyse transcriptomique en moins
de 2 semaines chez la plupart des patientes (67 % de
réussite). Dans le bras génomique, en termes de RC,
446 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 9 - novembre 2012
les patientes sensibles d’après la signature DLD30
ont effectivement montré des taux de RC plus élevés,
mais les patientes non sensibles n’ont pas eu de taux
de RC intéressants avec les autres chimiothérapies
proposées. L’essai est donc un échec, avec des taux
de RC très similaires (de l’ordre de 20 %) dans le bras
standard et le bras guidé par la génomique.
Il n’y a pas eu d’autre résultat majeur en situation
néo-adjuvante lors de ce congrès. Les études de
biomarqueurs ancillaires à la phase II TRYPHAENA,
dans laquelle 225 patientes HER2+ recevaient la
combinaison trastuzumab + pertuzumab associée à
différents types de chimiothérapie, n’ont pas permis,
comme dans l’essai NEOSPHERE, de retrouver de
biomarqueur prédictif de la RC intéressant parmi un
nombre important de biomarqueurs testés (niveau
ARN et protéique de HER2, de HER3, FISH [Fluorescence In Situ Hybridization] TOP2A, mutations
de PIK3CA, etc.) [Schneeweiss A et al., abstr. 202P].
En l’absence de nouveau facteur pronostique, les
sessions éducationnelles ont été l’occasion pour
nombre d’intervenants de rappeler leur attachement à la mesure de différents marqueurs avant et
pendant le traitement, notamment le Ki-67 en tant
que marqueur précoce de réponse. Plusieurs essais
américains d’hormonothérapie néo-adjuvante ont
intégré dans leur schéma actuel la mesure du Ki-67
après 3 semaines, l’hormonothérapie étant interrompue à ce moment en cas d’absence de baisse
significative.
Cancers du sein adjuvants
Deux études ont été présentées dans le cancer du
sein HER2+ en adjuvant, portant toutes les 2 sur la
durée du traitement par trastuzumab. Sur la base
Points forts
» Essai HERA : la survie sans progression n’est pas supérieure après 2 ans de trastuzumab adjuvant
(comparés à 1 an) dans le cancer du sein HER2+ localisé.
» Essai PHARE : la survie sans progression est potentiellement inférieure après 6 mois de trastuzumab
adjuvant (comparés à 1 an) dans le cancer du sein HER2+ localisé.
» Essai CEREBEL : pas d’effet préventif du lapatinib sur l’apparition de métastases cérébrales, comparé
au trastuzumab, dans le cancer du sein HER2+ métastatique.
» Étude EMILIA : les données de survie globale confirment la supériorité du T-DM1 par rapport à capécitabine-lapatinib en deuxième ligne du cancer du sein métastatique HER2+.
Mots-clés
Cancer du sein
Étude PHARE
Étude HERA
Highlights
100
Probabilité (%)
75
97,0
93,8
90,7
87,8
95,5
91,2
87,8
84,9
Trastuzumab 12 mois
Trastuzumab 6 mois
Événements
176
219
12
24
50
25
0
0
IC95
1,28 1,05-1,56
p
0,29
36
48
60
980
939
544
526
18
23
Mois
Patientes à risque (n)
Trastuzumab 12 mois 1 690
Trastuzumab 6 mois 1 690
HR
1 613
1 586
1 390
1 353
Figure. Essai PHARE : survie sans maladie.
de l’essai initial FINHER, l’essai français PHARE a
randomisé avec un objectif de non-infériorité près
de 3 400 patientes entre 6 et 12 mois de trastuzumab adjuvant et a montré un rapport des risques
(HR) de 1,28 pour la survie sans cancer, en faveur du
bras 12 mois (figure). Ce HR ne permet de conclure
formellement à l’infériorité du bras 6 mois (p = 0,29),
mais suggère une tendance. Par exemple, la survie
sans maladie à 4 ans est de 87,8 et de 84,9 % dans
les bras 12 et 6 mois respectivement, soit +17 % de
rechute en valeur relative dans le bras 6 mois… Les
données de survie globale, objectif secondaire, ne
sont pas encore matures. La cardiotoxicité, mesurée
de manière très régulière, était significativement
augmentée dans le bras 12 mois, mais elle est restée
globalement limitée. En conclusion, PHARE est un
échec, et la durée du traitement par trastuzumab
reste donc de 1 an (Pivot X et al., LBA5_PR).
De manière très complémentaire, les résultats de
la comparaison entre 1 et 2 ans de trastuzumab de
l’essai adjuvant HERA ont été communiqués. Cet
essai comportait initialement 3 bras : sans trastuzumab, avec trastuzumab pour 1 et pour 2 ans. Parmi
les plus de 3 000 patientes randomisées initialement
dans les bras 1 et 2 ans (donc sans prendre en compte
les patientes du bras sans traitement ayant réalisé
un crossover), il n’y avait aucune différence de survie
sans maladie ni de survie globale (HR = 0,99). En
revanche, là encore, une augmentation significative
de la toxicité cardiaque, généralement une baisse
asymptomatique de la fraction d’éjection, a été
observée (4,1 % dans le bras 1 an, 7,1 % dans le bras
2 ans), celle-ci survenant presque toujours pendant
la période de traitement plutôt que pendant le suivi
(Goldhirsch A et al., LBA6_PR). Il n’existe donc aucun
argument pour étendre la durée de traitement par
trastuzumab au-delà des 1 an actuels.
En radiothérapie, des résultats actualisés, mais
incomplets, de l’étude TARGIT-A (déjà publiée
en 2010 dans le Lancet [1]) ont été rapportés. Pour
rappel, il s’agit d’un essai de phase III comparant
une radiothérapie externe classique à une stratégie reposant sur une radiothérapie peropératoire
à haut débit du lit tumoral (avec ou sans radiothérapie externe). Pour des raisons assez obscures,
la population dorénavant incluse est plus importante (plus de 3 400 patientes) que le nombre total
initialement prévu pour terminer l’essai (de l’ordre
de 2 200) et correspond à des cancers de très bon
pronostic global. Le taux de rechute locale actualisé
» The HERA trial reported no
improvement of progressionfree survival after 2 years
of adjuvant trastuzumab in
HER2+ early breast cancers
(compared to 1 year).
» The PHARE trial reported
a possible inferiority of
progression-free survival after
6 months of adjuvant trastuzumab in HER2+ early breast
cancers (compared to 1 year).
» The CEREBEL study showed
that lapatinib, compared to
trastuzumab, does not significantly prevent the onset on
brain metastases in HER2+
metastatic breast cancer.
» The EMILIA study reported
a significant increase of the
overall survival in HER2+ metastatic breast cancer patients
treated by T-DM1 (compared
to capecitabine-lapatinib).
Keywords
Breast cancer
PHARE study
HERA study
La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 9 - novembre 2012 |
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DOSSIER THÉMATIQUE
Compte-rendu et analyse
de l’ESMO 2012
Les cancers du sein à l’ESMO 2012
parmi les patientes traitées exclusivement par radiothérapie partielle intraopératoire est bas, de l’ordre
de 1,2 %. À noter que les résultats obtenus dans
le bras contrôle n’ont pas été rapportés, et que le
suivi médian de TARGIT-A (5 ans) est actuellement
insuffisant pour en tirer des conclusions définitives.
Pour en finir avec la situation adjuvante, 2 postersdiscussions ont porté sur les changements induits
par l’utilisation des signatures génomiques MammaPrint® et OncoType® DX dans les indications de
chimiothérapie adjuvante de centres européens.
Ces taux de changements observés sont de l’ordre
de 30 %, ce qui n’est finalement pas négligeable
(Stork-Sloots L et al., abstr. 251PD ; Albanell J et al.,
abstr. 252PD).
Thérapies anti-HER2,
phase métastatique
Les données de survie globale de l’essai EMILIA
(T-DM1 versus capécitabine + lapatinib en deuxième
ligne) ont été présentées, et montrent ce qui était
largement attendu : la différence déjà visible dès les
premières analyses est maintenant statistiquement
significative, avec un HR de 0,68 (p = 0,0006). Les
médianes étaient à 25 mois dans le bras capécitabine + lapatinib versus 30 mois pour le bras T-DM1.
Ces résultats indiscutables ouvrent la voie au crossover à progression des patientes sous capécitabine +
lapatinib vers le T-DM1 (Verma S et al., LBA12).
Autre essai rapporté, CEREBEL, avait pour objectif
de démontrer que les patientes métastatiques, sans
métastase cérébrale à l’inclusion et traitées par capécitabine + lapatinib, développaient moins de métastases cérébrales à progression que celles traitées
par capécitabine + trastuzumab. Cet essai avait pour
hypothèse une incidence de 20 % de métastases à
progression sous traitement dans le bras avec trastuzumab, versus 12 % dans le bras avec lapatinib. Chez
540 patientes, la réalité observée s’est révélée loin de
cette hypothèse, avec 5 et 3 %, respectivement, de
métastases cérébrales à progression, sans que cette
différence soit significative. La survie sans progression, qui n’était pas l’objectif principal de l’essai, s’est
en revanche révélée significativement plus courte
dans le bras avec lapatinib (6,6 versus 8,0 mois),
menant à l’arrêt prématuré de l’essai par un comité
de suivi indépendant. Il s’agit donc là encore d’un
essai négatif du fait, d’une part, du faible taux de
métastases se développant au cours du traitement
chez des patientes initialement indemnes et, d’autre
part, de la moindre efficacité notée du lapatinib
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dans le sous-groupe de patientes qui recevaient ce
traitement en première ligne métastatique (Pivot X
et al., LBA11).
Dans une étude de phase II randomisée comparant T-DM1 et docétaxel + trastuzumab (présentée
l’année dernière à l’ESMO), il a été rapporté en poster
une interaction entre le bénéfice (en survie sans
progression) apporté par le T-DM1 et le niveau d’expression de HER2 en ARNm, chez 137 patientes ayant
toutes une tumeur HER2 amplifiée. L’explication,
du point de vue biologique, serait que ces tumeurs
expriment plus de protéines HER2 qui seraient associées à une endocytose plus importante, menant
donc à une meilleure efficacité du T-DM1. L’hypothèse d’une absence de bénéfice chez les patientes
avec tumeurs HER2 amplifiées à niveau plus faible
d’ARNm observée dans cette étude va être étudiée
dans l’ensemble des autres grands essais actuels
utilisant le T-DM1 (MARIANNE, etc.), ce qui devrait
permettre de confirmer ou non ces résultats surprenants mais compréhensibles sur le plan biologique
(Perez E et al., abstr. 226P).
Autres thérapies ciblées,
phase métastatique
Dans la catégorie des inhibiteurs de la voie PI3K
(PhosphoInositide 3-Kinase), il semble que les résultats de l’analyse des mutations du gène PIK3CA
des tumeurs primitives de l’étude BOLERO-2 (qui
avaient montré l’efficacité majeure de l’ajout de
l’évérolimus à une antiaromatase dans les cancers
du sein métastatiques RH+ HER2−) seront bientôt
disponibles, ce qui permettra de savoir si la prescription de cette classe de médicaments doit se limiter
ou non aux tumeurs présentant une mutation de
PIK3CA. À noter néanmoins que l’activation de la
voie PI3K/AKT/mTOR est déjà un critère d’inclusion,
ou à défaut de stratification, pour les nombreuses
études cliniques en cours avec les inhibiteurs de
la voie PI3K (Baselga J, symposium sur le cancer du
sein luminal). À souligner également, avec ce même
BKM120, inhibiteur pan-PI3K, une étude de phase II
dans les cancers du sein HER2+, dont les résultats
rapportent 10 % de réponses tumorales en association avec le trastuzumab chez 50 patientes ayant
déjà été exposées au trastuzumab, et semble-t-il
plus particulièrement en présence de mutations
de PI3KCA ou de délétions de PTEN (Pistilli B et al.,
abstr. 318O).
Une étude de phase II randomisée sur 156 patientes
RH+ conclut, cependant, à l’absence d’intérêt de
DOSSIER THÉMATIQUE
l’ajout d’enzastaurine (composé anti-PKC mais aussi
modérément anti-PI3K) au fulvestrant (De Jong RS
et al., abstr. 342P).
Une cohorte d’extension de phase I/II a rapporté
l’effet de l’acétate d’abiratérone (1 000 mg/j) chez
des patientes ménopausées présentant des tumeurs
métastatiques exprimant le récepteur aux estrogènes
(RE+ ; n = 32) et/ou aux androgènes (RA+ RE− ; n = 6).
Les résultats ne sont pas très enthousiasmants :
seulement 1 réponse partielle et 7 stabilisations
tumorales de plus de 6 mois ont été observées dans
le groupe RE+, et 1 stabilité prolongée dans le groupe
RA+ RE− (Ng CHM, abstr. 325PD).
Une autre cohorte d’extension de phase I/II a
rapporté l’effet du E-3810, un inhibiteur des
domaines tyrosine kinase de FGFR1 (Fibroblast
Growth Factor Receptor 1) et des VEGFR (Vascular
Endothelial Growth Factor Receptor), ayant une
activation de la voie FGFR (amplification de FGFR1
ou amplification du locus de FGF3, un ligand de
FGFR1). Sur 20 patientes atteintes d’un cancer du
sein méta statique, pour la plupart lourdement
prétraitées, 7 ont présenté une réponse partielle
au cours du traitement, ce qui confirme l’intérêt de
cette nouvelle classe de médicaments (Dienstmann R
et al., abstr. 3190).
Concernant les aspects organisationnels du transfert en clinique des technologies génomiques à
haut débit, l’essai français SAFIR01 a rapporté
quelques résultats observés depuis sa fermeture
au printemps 2012. Pour rappel, cet essai consistait à proposer la recherche des principales mutations correspondant potentiellement à une cible
moléculaire, et avait pour objectif que 30 % des
patientes incluses se voient proposer un traitement
correspondant à l’une des anomalies moléculaires
mises en évidence dans la biopsie de leur métastase.
En un temps record (1 an), près de 400 patientes ont
été incluses et ont subi une biopsie, ce qui a permis
d’obtenir des résultats moléculaires pour 251 d’entre
elles (64 %). Parmi ces 251 métastases analysées,
172 (69 %) ont présenté une altération génétique
potentiellement cible d’un traitement. Sans surprise,
il s’agit essentiellement de mutations de PIK3CA
(25 %) mais aussi d’amplifications de la cycline D1
(20 %) ou du FGFR1 (13 %), ou de mutations d’AKT1
(4 %). Pour l’instant, seules 26 patientes (7 %) ont
été incluses dans des essais testant des traitements
en rapport avec leur mutation (ce qui est loin des
30 % initialement envisagés), mais ce chiffre devrait
encore augmenter, et pourrait au moins doubler ou
tripler. Parmi ces 26 patientes traitées, 8 semblent en
avoir retiré un bénéfice (défini comme l’absence de
progression immédiate). Cela sera éventuellement à
discuter au regard des presque 400 biopsies réalisées
(André F et al., LBA13_PR).
■
Référence bibliographique
1. Vaidya JS, Joseph DJ, Tobias JS et al. Targeted intraoperative radiotherapy versus whole breast radiotherapy for breast cancer (TARGIT-A trial): an international, prospective, randomised,
non-inferiority phase 3 trial. Lancet 2010;376(9735):91-102.
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