COMPTE-RENDU ET ANALYSE Chicago 2012 Cancers du sein Breast cancers J.Y. Pierga*, V. Diéras** L e 48e congrès américain en cancérologie a été marqué par une avancée majeure dans le cancer du sein HER2+ avec la démonstration de l’efficacité du T-DM1, combinaison d’une chimiothérapie et de l’anticorps trastuzumab. Ce produit devrait devenir un standard de traitement à la phase métastatique en échappement après la première ligne. En revanche, peu de progrès ont été réalisés dans les formes triple-négatives. La question du bénéfice de l’utilisation des bisphosphonates en situation adjuvante reste débattue ; ils ont probablement un intérêt après la ménopause, mais doivent être utilisés avec prudence avant. Épidémiologie * Institut Curie, Paris ; université ParisDescartes. ** Institut Curie, Paris. T.I. Barron et al. (abstr. 521) ont présenté les données de registres de pharmacies irlandaises où un programme d’aide aux patients vise à distribuer gratuitement des médicaments. En Irlande, l’aspirine à faible dose n’est disponible que sur ordonnance. Au total, 2 714 femmes prises en charge pour un cancer du sein de stade I à III ont été identifiées, dont 642 (23,7 %) avaient pris de l’aspirine au cours des 90 jours précédant le diagnostic. Deux groupes ont été identifiés : dose forte continue à plus de 80 % (75 mg/j) dans 90 % des cas, et faible exposition (58 % de la dose dans 80 % des cas). Une exposition élevée à l’aspirine était associée à une diminution de la mortalité pour toute cause (HR = 0,70 ; IC95 : 0,51-0,95), mais aussi de la mortalité spécifique par cancer du sein (HR = 0,63 ; IC95 : 0,42-0,96). Aucune réduction de la mortalité n’était observée pour les faibles expositions à l’aspirine. Ces données sont à la base d’un essai qui doit débuter prochainement au Royaume-Uni, comparant placebo et 75 ou 300 mg/j d’aspirine pendant 5 ans. Seules ces données pourront permettre de savoir si l’aspirine est réellement recommandée chez les patientes traitées pour un cancer du sein. 14 | La Lettre du Cancérologue • Supplément 2 au vol. XXI - n° 6 - juin 2012 Radiothérapie dans les carcinomes mammaires in situ B. McCormick et al. (abstr. 1004) ont présenté les résultats de l’essai RTOG 9804 qui comparait, après tumorectomie et obtention de marges saines, l’adjonction ou non d’une irradiation mammaire. Les critères d’inclusion étaient la découverte, uniquement mammographique sans symptôme clinique, d’une tumeur de moins de 2,5 cm, de grade faible ou intermédiaire et avec des marges de plus de 3 mm. Au total, 636 patientes ont été incluses sur les 1 790 prévues, en raison d’un faible recrutement. Le nombre de récidives locales est significativement plus élevé à 5 ans dans le bras observation : 15 versus 2 événements dans le bras radiothérapie (3,2 versus 0,4 % ; p = 0,0022). Les taux de survie sans récidive (SSR) et de survie globale (SG) sont similaires. Les taux de complications de l’irradiation à long terme sont de 0,7 % pour les grades 3 et de 4,6 % pour les grades 2. En conclusion, l’irradiation reste utile pour éviter les récidives locales, même après une chirurgie de bonne qualité dans les formes de bon pronostic des carcinomes intracanalaires. Traitement adjuvant Bisphosphonates W. Gregory et al. (abstr. 513) ont présenté la métaanalyse des 7 essais randomisés concernant les bisphosphonates en adjuvant (AZURE, ABCSG-12, ZO-FAST, Z-FAST, E-Zo-FAST, NSABP B-34, GAIN). Cinq études portaient sur l’acide zolédronique, 1 sur l’acide clodronique et 1 sur l’acide ibandronique. En raison de l’hypothèse émise à la suite de l’essai AZURE selon laquelle les bisphosphonates n’auraient d’effet sur la SSR qu’en cas de ménopause (1), l’analyse Résumé Le point fort du congrès concernant le cancer du sein a été constitué par les résultats de l’étude EMILIA montrant un bénéfice en survie sans progression et en survie globale du T-DM1 (combinaison de chimiothérapie liée au trastuzumab) dans le cancer du sein métastatique surexprimant HER2 comparé à un traitement par lapatinib et chimiothérapie. Le lapatinib semble inférieur au trastuzumab en association avec le paclitaxel en première ligne métastatique mais semble potentialiser l’efficacité du trastuzumab en association en situation néo-adjvuante. Le rôle des bisphosphonates en situation adjuvante reste discuté mais leur bénéfice semble limité aux patientes ménopausées. L’iniparib, un inhibiteur de PARP, n’a montré aucune efficacité en situation néo-adjuvante dans les tumeurs triple-négatives. Le paclitaxel hebdomadaire confirme son rôle en situation adjuvante dans les tumeurs sans atteinte ganglionnaire et en situation métastatique par rapport au nab-paclitaxel ou à l’ixabepilone. Enfin le cabozantinib, inhibiteur de Met et du VEGFR, semble prometteur dans le cancer du sein. a porté uniquement sur 8 735 patientes ménopausées ou âgées de plus de 50 ans. L’essai ABCSG-12 a été inclus, car toutes ses patientes recevaient un agoniste de la LH-RH (Luteinizing Hormone-Releasing Hormone). On observe une différence absolue en SSR de 2,6 % (p = 0,0008) en faveur des bisphosphonates. Cette étude, comme une autre présentée en poster (Vidal L et al., abstr. 548), confirme donc l’effet sur la SSR et la SG de l’adjonction de bisphosphonates en situation adjuvante, mais uniquement chez les patientes ménopausées. Cependant, ces analyses portent uniquement sur les données publiées et non originelles ; par ailleurs, elles concernent des groupes et des traitements hétérogènes, ce qui rend le changement des standards de traitement discutable. Deux études présentées en session orale sont venues illustrer cette question qui reste épineuse. L’étude MA.27 avait comparé anastrozole et exémestane en adjuvant chez plus de 7 000 patientes ménopausées RH+ (aucune différence à 4 ans). Plus de 2 700 patientes (36 %) avaient déclaré prendre un traitement antiostéoporotique, alors que seules 17 % présentaient une ostéoporose (Shepherd LE et al., abstr. 501). En analyse exploratoire multivariée, dans le groupe prenant un traitement pour l’ostéoporose, la survie sans événement est significativement améliorée, avec une réduction du risque de 35 % (HR = 0,65 ; p < 0,0001). Ce résultat est corroboré par l’actualisation de l’étude AZURE (Marshall H et al., abstr. 502). Rappelons que le résultat global de cette étude est négatif : l’acide zolédronique n’apporte, sur l’ensemble de la population, aucun bénéfice (1). L’analyse de ces résultats en fonction du statut ménopausique est déroutante : un bénéfice potentiel est à nouveau montré pour les patientes ménopausées (depuis au moins 5 ans), mais semble s’amenuiser avec l’âge ; en revanche, il semble exister un effet délétère chez les patientes non ménopausées. Ces résultats ont été discutés par G. Hortobagyi, qui a souligné la grande hétérogénéité de ces différentes études, l’absence de données de SG (objectif majeur en situation adjuvante !), l’absence d’interprétation de l’interaction éventuellement délétère avec l’ostéoporose, le caractère généralement non préspécifié de ces analyses. Les données ne sont pas encore suffisamment solides ni comprises pour indiquer systématiquement un bisphosphonate en adjuvant. Mots-clés T-DM1 Bisphosphonates Lapatinib Inhibiteurs de PARP Paclitaxel Summary Taxanes Nous vivons peut-être les derniers grands essais randomisés dans le cancer du sein au stade précoce. L’essai NSABP B-38 a comparé, chez plus de 4 500 patientes N+, 3 schémas : TAC (docétaxel, doxorubicine, cyclophosphamide) × 6 cycles, ou AC (doxorubicine, cyclophosphamide) dose dense + paclitaxel dose dense, ou AC dose dense + paclitaxelgemcitabine dose dense (Swain S et al., LBA1000). La survie sans progression (SSP) est, dans les 3 groupes, de 80 % à 5 ans, et la SG, de 90 % à 5 ans. Il y a un discret surcroît de toxicité dans le bras TAC (neutropénie fébrile, diarrhée, cardiotoxicité). Pour les cancers du sein N− à haut risque (selon les critères de Saint-Gallen de 1998), l’essai GEICAM a comparé, chez plus de 1 800 patientes, FAC (5-FU, doxorubicine, cyclophosphamide) × 6 cycles à FAC × 4 cycles suivi de paclitaxel hebdomadaire × 9 cycles (à 100 mg/m2 !) [Martin M et al., abstr. 1001]. Malgré un taux d’arrêt de traitement plus important dans le bras paclitaxel en raison des effets indésirables, le bénéfice en SSP est démontré avec un gain absolu de 3 % à 5 ans. Ces 2 grands essais, commencés il y a 10 ans (une autre époque !), représentent probablement une espèce en voie de disparition, même s’ils confirment le standard adjuvant de type AC-taxanes, quel que soit le statut ganglionnaire. En effet, le curage est peut-être amené à disparaître, l’absence de valeur ajoutée des autres agents cytotoxiques montre les limites de l’exercice, l’absence de sous-groupes identifiables souligne le besoin d’une stratification préalable solide, ce qui est encore amplifié par l’excellente survie de ces patientes dont le cas est dit “grave”. On se concentre davantage, actuellement, sur la problématique de la désescalade thérapeutique à la recherche des signatures génomiques (MammaPrint®, Oncotype Dx®) permettant de définir la population qui n’aurait pas besoin de chimiothérapie adjuvante. The highlight of the American meeting for breast cancer was established by the EMILIA study results demonstrating a benefit in progression-free survival and overall survival with T-DM1 (combination of chemotherapy related to trastuzumab) in metastatic breast cancer overexpressing HER2 compared to treatment with lapatinib and chemotherapy. Lapatinib appears lower than trastuzumab in combination with paclitaxel in first line metastatic but appears to potentiate the trastuzumab together in neoadjvuant setting. The role of bisphosphonates in the adjuvant setting remains controversial but its benefit appears to be limited to postmenopausal women. The PARP inhibitor iniparib showed no efficacy in neoadjuvant in triple negative tumors. Weekly paclitaxel confirms its role in the adjuvant setting in tumors without lymph node involvement and in metastatic setting compared to nab-paclitaxel or ixabepilone. Finally cabozantinib, inhibitor of VEGFR and met, shows promise in breast cancer. Keywords T-DM1 Bisphosphonates Lapatinib PARP inhibitors Paclitaxel Traitement néo-adjuvant Lapatinib L’essai du NSABP B-41, présenté par A. Robidoux et al. (LBA506), a évalué, en situation néo-adjuvante La Lettre du Cancérologue • Supplément 2 au vol. XXI - n° 6 - juin 2012 | 15 COMPTE-RENDU ET ANALYSE Chicago 2012 Cancers du sein chez des patientes ayant une tumeur surexprimant HER2 de plus de 2 cm, 3 bras de traitement : 4 cycles d’AC suivis de paclitaxel hebdomadaire associé soit à du trastuzumab seul, soit à du lapatinib seul (1 250 mg), soit à l’association trastuzumab et lapatinib (750 mg). Un total de 529 patientes a été inclus. Sur le critère principal, qui était uniquement la réponse complète histologique (RCH) dans le sein, les 3 bras étaient équivalents : 52,5 %, 53,2 % et 62 % (différence non significative). En analysant la réponse dans le sein et les ganglions, les taux HER2 T-DM1 : mécanisme d’action de RCH montraient un avantage à la limite de la significativité en faveur de l’association lapatinib + trastuzumab (49,4 %, 47,4 % et 60,2 % ; p = 0,056). La principale toxicité notable était le taux de diarrhées de grade 3, de 20 à 27 %, dans les 2 bras comportant du lapatinib. En conclusion, le taux de réponse avec le lapatinib était équivalent à celui du trastuzumab, et l’association des 2 était à la limite de la significativité en termes de supériorité par rapport aux bras monothérapie ciblée. Ces résultats confirment les données de l’essai NeoALTTO (2) et contredisent l’essai GeparQuinto, qui montrait une infériorité du bras lapatinib (3). T-DM1 Cancers du sein métastatique Relargage de l’emtansine HER2+ p Inhibition de la polymérisation du microtubule p p Lysosome Internalisation Noyau Figure 1. Mécanisme d’action du T-DM1 (d’après Blackwell K et al., LBA1 actualisé). 100 84,7 % Survie globale (%) 80 77 % 65,4 % Médiane Nombre (mois) d’événements Capécitabine + lapatinib 23,3 129 47,5 % 60 40 T-DM1 94 NR Critère d’efficacité préspécifié p = 0,0003 ou HR = 0,617 Stratifié HR = 0,621 ; IC95 : 0,48-0,81 ; p = 0,0005 20 0 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 Mois 20 22 Patients à risque (n) Capécitabine + lapatinib 496 469 438 364 296 242 195 155 129 97 74 52 T-DM1 495 484 461 390 331 277 220 182 149 123 96 67 24 26 28 30 32 34 36 31 17 7 46 29 16 1 0 3 5 2 2 Figure 2. Étude EMILIA – survie globale : analyse intermédiaire (d’après Blackwell K et al., LBA1 actualisé). 16 | La Lettre du Cancérologue • Supplément 2 au vol. XXI - n° 6 - juin 2012 0 0 ◆ T-DM1 La prise en charge des cancers du sein a été révolutionnée par l’identification de l’oncogène HER2 (Human Epidermal growth factor Receptor 2), puis par son ciblage par l’anticorps monoclonal, le trastuzumab. L’efficacité de ce dernier est maximale en association avec les chimiothérapies habituellement efficaces dans les cancers du sein, telles que les taxanes et les vinca-alcaloïdes. Les mécanismes d’action du trastuzumab sont multiples et associent action antitumorale directe (blocage de la prolifération) et cytotoxicité cellulaire médiée par les anticorps (ADCC). Le trastuzumab est également internalisé, et cette propriété a été exploitée pour introduire de manière spécifique dans les cellules tumorales surexprimant HER2 un agent cytotoxique lui aussi poison du fuseau, la mertansine. Le composé est le trastuzumab-linker-mertansine (T-DM1, ou trastuzumab emtansine) [figure 1]. La première présentation de la séance plénière de ce congrès américain en cancérologie de 2012 a rapporté les résultats d’une étude de phase III internationale comparant, chez près de 1 000 patientes en rechute et préalablement traitées par trastuzumab et taxane, le T-DM1 et le standard de cette situation, capécitabine + lapatinib (Blackwell KL et al., LBA1) après taxane et trastuzumab. Cette étude avait un double objectif principal de bénéfice en SG et en SSP. Une bien meilleure tolérance, un taux de réponse plus élevé (43,6 versus 30,8 %, avec une durée de réponse significativement plus longue) et un bénéfice net en SSP (9,6 versus 6,4 mois ; p < 0,0001) et en SG (médiane non atteinte, +18,9 % à 2 ans) COMPTE-RENDU ET ANALYSE Chicago 2012 ont été obtenus. Cependant, les résultats définitifs en SG sont en attente (l’hypothèse initiale n’étant pas encore vérifiée) [figure 2]. Ces résultats fortement en faveur du T-DM1 feront date et ouvrent un nouveau chapitre dans l’histoire du blocage de HER2, qui vient télescoper l’autre chapitre récemment ouvert, celui du double blocage (CLEOPATRA, NeoALTTO, etc.). Dans CLEOPATRA, les données de qualité de vie ont été analysées à partir de questionnaires FACT-B (Functional Assessment of Cancer Therapy – Breast) et TOI/PFB (Trial Outcome Index − Physical/Functional/ Breast), remplis par la majorité des 808 patientes incluses, au moins pendant la première année de l’étude (Cortes J et al., abstr. 598). Il n’y a aucune différence significative entre les 2 bras, et même une tendance à l’amélioration des scores dans le bras combinant trastuzumab et pertuzumab. Ces données sont d’autant plus remarquables que la deuxième présentation, qui revenait en détail sur les effets indésirables observés dans cette étude (Baselga J et al., abstr. 597), a plutôt montré en première lecture un surcroît de toxicité dans le bras pertuzumab. On peut ainsi notamment observer un excès de diarrhées et de fatigue. Il faut néanmoins analyser les données en détail : les différences sont minimes et portent sur les bas grades, et, surtout, elles disparaissent complètement pendant la phase d’entretien, c’est-à-dire précisément au moment où le bénéfice du pertuzumab s’exprime au mieux. ◆ Lapatinib K.A. Gelmon et al. (LBA671) ont présenté les résultats de l’analyse intermédiaire de l’essai NCIC CTG MA.31/EGF 108919 comparant, en première ligne du cancer du sein métastatique HER2+, taxane (paclitaxel ou docétaxel) + trastuzumab à taxane + lapatinib. Ces résultats ont amené l’IDMC (Independant Data Monitoring Commitee) à recommander l’arrêt de l’étude pour insuffisance du bras lapatinib. Un total de 636 patientes a été inclus. La SSP avec le lapatinib était significativement inférieure (8,8 versus 11,4 mois ; p = 0,01 ; HR = 1,33). La différence était de 4,7 mois (HR = 1,48) lorsque l’analyse était restreinte aux cas HER2+ revus de façon centralisée. Les courbes divergeaient surtout après 6 mois de traitement, au moment où le taxane était arrêté et le traitement ciblé seul poursuivi. En revanche, les courbes de SG n’étaient pas différentes (p = 0,62). De plus, le bras lapatinib comportait plus d’effets indésirables à type de diarrhée et de neutropénie fébrile, mais pas de toxicité cardiaque. Cancers du sein luminaux Les données de survie actualisées de l’étude BOLERO-2 ont été présentées par M.J. PiccartGebhart et al. (abstr. 559), après une durée médiane de suivi de 18 mois (l’analyse finale a été réalisée le 15 décembre 2011). Le bénéfice en SSP déjà publié (4) est largement confirmé : la médiane est presque triplée, et le hazard-ratio est actualisé à 0,38 en relecture centralisée. Cancers du sein triple-négatifs ◆ Inhibiteurs de PARP Après l’enthousiasme soulevé suite à la présentation, en session plénière de 2009 du congrès américain en cancérologie, par J. O’Shaughnessy, de l’association de l’inhibiteur de PARP (poly[ADP-ribose] polymérase) à une chimiothérapie par carboplatine et gemcitabine dans le cancer du sein métastatique triple-négatif dans une phase II randomisée (5), nous sommes allés de déconvenue en déconvenue. L’étude de phase III randomisée comportant les mêmes bras de comparaison n’a pas montré de différence significative sur la SSP et la SG (O’Shaughnessy J et al., abstr. 1007). N. Turner, du Royal Marsden de Londres (RoyaumeUni), a fait la synthèse en poster discussion des essais portant sur les inhibiteurs de PARP. L’essai NeoPARP du groupe SOLTI a été présenté par A. Llombart (abstr. 1011). Il s’agit d’une phase II randomisée en situation néo-adjuvante chez des patientes ayant un cancer du sein triple-négatif, comparant du paclitaxel seul hebdomadaire pendant 3 mois (n = 47) à du paclitaxel et de l’iniparib 1 fois par semaine (n = 46), et du paclitaxel à de l’iniparib 2 fois par semaine (n = 48). Le taux de réponse histologique était globalement identique dans les 3 bras (21,3 %, 21,7 % et 18,8 % respectivement), confirmant l’absence de bénéfice dans le cancer du sein triple-négatif de l’iniparib, dont le mécanisme d’action sur les PARP est d’ailleurs remis en question. Il faut noter que 3 mois seulement de paclitaxel hebdomadaire en traitement néo-adjuvant des tumeurs triple-négatives permettent d’obtenir un taux de RCH de 20 %. J. Balmaña et al. (abstr. 1009) ont présenté les résultats d’une phase I testant olaparib + cisplatine dans des cancers du sein et de l’ovaire, mutés pour BRCA1 et BRCA2 dans 54 % des cas. Sur les 50 patientes incluses, 41 % ont présenté une réponse à cette association. De même, G. Solmo et al. (abstr. 1010) La Lettre du Cancérologue • Supplément 2 au vol. XXI - n° 6 - juin 2012 | 17 COMPTE-RENDU ET ANALYSE Chicago 2012 Cancers du sein ont présenté les résultats du véliparib associé à du carboplatine dans des cancers du sein métastatiques chez des patientes mutées pour BRCA1 et BRCA2. Le taux de réponse était de 50 % (9/18). Cependant, dans ces 2 études, la part de la réponse due à l’inhibiteur de PARP n’est pas évidente. Cette population de patientes est tout à fait susceptible de répondre aux sels de platine seuls. Malheureusement, très peu d’études avec un inhibiteur de PARP seul sont en cours. Au final, les preuves objectives du bénéfice des inhibiteurs de PARP dans le cancer du sein triple-négatif, muté ou non pour BRCA1 ou BRCA2, sont actuellement très faibles, ce qui rend encore plus amère la déception qui fait suite à l’engouement pour cette classe thérapeutique. Bien sûr, les études doivent continuer avec d’autres agents en sélectionnant mieux les patientes sur la biologie, et les résultats obtenus dans les cancers de l’ovaire permettent de garder espoir. ◆ Récepteurs aux androgènes L’essai TBCRC 011 (Gucalp A et al., abstr. 1006) a évalué le bénéfice d’un traitement antiandrogène par bicalutamide dans certaines formes de cancer du sein métastatique dont la tumeur n’exprimait pas les récepteurs aux estrogènes (RO) et à la progestérone (RP) mais exprimait les récepteurs aux androgènes (RA). Soixante à 80 % des cancers du sein en général expriment les RA, mais il existe un sous-groupe particulier dans les tumeurs triple-négatives. Pour cet essai, 452 patientes ont été screenées : 54 avaient le profil RA+, RO−, RP− (les cas HER2+ pouvaient être inclus en cas d’échappement au trastuzumab) ; 26 patientes éligibles ont été incluses dans l’étude. Sur un total de 24 patientes évaluables, aucune réponse objective n’a été observée, mais 5 patientes ont eu une stabilité tumorale durant plus 6 mois, soit 21 % de bénéfice clinique. Ce premier signal en termes de contrôle tumoral a été considéré comme positif pour poursuivre les études dans cette voie. Un essai portant sur l’acétate d’abiratérone (antiaromatase utilisé dans le cancer de la prostate) devrait également débuter dans le cadre d’Unicancer. Divers ◆ Taxanes Deux grandes études randomisées dans le cancer du sein avancé en première ligne métastatique ont été présentées. Chez 799 patientes, le CALGB (Cancer and Leukemia Group B) a comparé nab-paclitaxel, paclitaxel hebdomadaire et ixabépilone, toujours 18 | La Lettre du Cancérologue • Supplément 2 au vol. XXI - n° 6 - juin 2012 en association avec le bévacizumab (Rugo HS et al., CRA1002). Dans chaque bras, la chimiothérapie était associée au bévacizumab, y compris après le retrait de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) par la FDA (Food and Drug Administration). Le paclitaxel hebdomadaire associé au bévacizumab semble rester le traitement de référence : confirmation d’une SSP à plus de 10 mois comparable à celle du bras expérimental de l’essai E2100, dont la reproductibilité était contestée par la FDA (par rapport aux paclitaxel hebdomadaire seul donnant 6 mois de médiane de SSP) [6]. On observe une nette supériorité du paclitaxel + bévacizumab sur l’ixabépilone et sur le nab-paclitaxel chez les patientes RO+. Cette supériorité est d’autant plus frappante que la toxicité est significativement moindre avec le paclitaxel que dans les 2 autres bras sur les aspects hématologiques et neurologiques et la fatigue. Parallèlement, le Korean Cancer Study Group a livré une nouvelle étude randomisée testant l’intérêt de la poursuite d’une chimiothérapie de première ligne par paclitaxel et gemcitabine chez des patientes non progressives après 6 cycles (Im YH et al., abstr. 1003). Le gain en SSP et en SG qui avait été démontré par la récente méta-analyse de Gennari (7) est confirmé, au prix d’une toxicité légèrement supérieure et sans altération décelée de la qualité de vie (échelles QLQ-C30 et BR23). Ces résultats viennent confirmer ce qui a été montré en situation adjuvante : sauf cas particulier, comme celui de l’éribuline, les chimiothérapies cytotoxiques conventionnelles ont délivré tout leur potentiel (même avec des formulations innovantes), et l’effort à faire maintenant est bien d’isoler les sous-groupes de patientes qui peuvent réellement en bénéficier, que ce soit en raison d’un pronostic particulier ou de critères prédictifs spécifiques. ◆ Cabozantinib E. Winer et al. (abstr. 535) ont présenté les résultats d’un essai de phase II concernant le cabozantinib (inhibiteur de Met et du VEGFR [Vascular Endothelial Growth Factor Receptor]) dans le cancer du sein métastatique. Quarante-quatre patientes ont été incluses, et des réponses objectives ont été observées dans 6 cas (14 %). Le taux de contrôle tumoral à 12 semaines était de 48 %. Sur 10 patientes ayant des localisations osseuses évaluables par scintigraphie osseuse, 4 ont présenté une régression. Cette molécule, qui présente une activité importante dans le cancer de la prostate, semble également avoir une certaine efficacité dans le cancer du sein, justifiant la poursuite des essais. COMPTE-RENDU ET ANALYSE Chicago 2012 Signature VEGF basse SSP (n = 67) Signature VEGF haute SSP (n = 55) 100 Paclitaxel + bévacizumab Paclitaxel 80 60 40 HR = 0,453 ; IC95 : 0,265-0,772 ; p = 0,009 20 Survie sans progression (%) Survie sans progression (%) 100 0 Paclitaxel + bévacizumab Paclitaxel 80 60 40 HR = 0,567 ; IC95 : 0,322-0,998 ; p = 0,016 20 0 0 20 Mois 40 60 0 Signature VEGF basse SG (n = 67) 100 Survie globale (%) Paclitaxel + bévacizumab Paclitaxel 80 60 40 20 HR = 1,119 ; IC95 : 0,659-1,900 ; p = 0,806 0 0 20 Mois 40 Mois 40 60 Signature VEGF haute SG (n = 52) 100 Survie globale (%) 20 Paclitaxel + bévacizumab Paclitaxel 80 60 40 20 HR = 0,563 ; IC95 : 0,303-1,047 ; p = 0,023 0 60 0 20 Mois 40 60 Figure 3. Une signature à 13 gènes prédictive du bénéfice du bévacizumab dans le cancer du sein métastatique (d’après Willis S et al., abstr. 1027 actualisé). ◆ Une signature prédictive du bénéfice du bévacizumab S. Willis (abstr. 1027) a présenté la validation, sur une partie des patientes incluses dans l’essai de référence E2100 (paclitaxel versus paclitaxel + bévacizumab), d’une signature d’expression génique de 13 gènes visant à prédire le bénéfice du bévacizumab. Cette signature d’expression dite “VEGF” était associée à un pronostic moins bon dans certains cancers et impliquait plusieurs gènes exprimés dans l’hypoxie (8). Cette signature a été analysée par la technique Illu- mina DASL® sur 122 échantillons de tumeurs primitives récupérés chez les 722 patientes incluses dans l’essai randomisé E2100. Une signature dite “élevée” était associée à un bénéfice du bévacizumab en SSP, mais également en SG, alors qu’une signature dite “faible” ne donnait pas de discrimination sur la SG (figure 3). Cette étude s’inscrit dans les multiples tentatives visant à trouver des marqueurs prédictifs dans le cancer du sein métastatique de la réponse au bévacizumab, dont l’utilisation n’est plus recommandée aux États-Unis mais maintenue en Europe. ■ Liens d’intérêt. J.Y. Pierga déclare avoir des liens d’intérêt avec Roche (honoraires, soutien de recherche). Références bibliographiques 1. Coleman RE, Marshall H, Cameron D et al. Breastcancer adjuvant therapy with zoledronic acid. N Engl J Med 2011;365(15):1396-405. 2. Baselga J, Bradbury I, Eidtmann H et al. Lapatinib with trastuzumab for HER2-positive early breast cancer (NeoALTTO): a randomised, open-label, multicentre, phase 3 trial. Lancet 2012;379(9816):633-40. 3. Untch M, Loibl S, Bischoff J et al. Lapatinib versus trastuzumab in combination with neoadjuvant anthracycline- taxane-based chemotherapy (GeparQuinto, GBG 44): a randomised phase 3 trial. Lancet Oncol 2012;13(2):135-44. 4. Baselga J, Campone M, Piccart M et al. Everolimus in postmenopausal hormone-receptor-positive advanced breast cancer. N Engl J Med 2012;366(6):520-9. 5. O’Shaughnessy J, Osborne C, Pippen JE et al. Iniparib plus chemotherapy in metastatic triple-negative breast cancer. N Engl J Med 2011;364(3):205-14. 6. Miller K, Wang M, Gralow J et al. Paclitaxel plus bevaci- zumab versus paclitaxel alone for metastatic breast cancer. N Engl J Med 2007;357(26):2666-76. 7. Gennari A, Stockler M, Puntoni M et al. Duration of chemotherapy for metastatic breast cancer: a systematic review and meta-analysis of randomized clinical trials. J Clin Oncol 2011;29(16):2144-9. 8. Hu Z, Fan C, Livasy C et al. A compact VEGF signature associated with distant metastases and poor outcomes. BMC Med 2009;7:9. La Lettre du Cancérologue • Supplément 2 au vol. XXI - n° 6 - juin 2012 | 19