«Il ne faut pas revendiquer un droit de mourir dans la dignité, mais un droit de mourir dans la
liberté»
André Comte-Sponville
A. C.-S. : Le concept de « dignité » est revendiqué par les deux camps, mais selon des sens
très différents. Il y a ceux qui revendiquent « un droit à mourir dans la dignité » – c’est le
nom d’une association que par ailleurs je soutiens –, laissant donc entendre que l’on peut
mourir de façon indigne. C’est ce que nous appelons dans le rapport la dignité « subjective »
ou « normative » : on est plus ou moins digne. Mais une telle affirmation pose problème dans
la mesure où, par ailleurs, nous pensons que « tous les êtres humains sont égaux en droits et
en dignité ». Le grabataire paralytique et délirant, sur son lit de mort, a la même dignité
qu’Einstein, Mozart ou Victor Hugo. Il s’agit ici d’une dignité « ontologique » ou « absolue »,
qui n’est pas susceptible de degrés. Il y a donc là une équivoque qu’il s’agit de lever. Je suis
partisan de l’euthanasie, mais je considère avec ceux qui s’y opposent que la dignité
ontologique est la plus importante. J’en conclus qu’il ne faut pas revendiquer un droit de
mourir dans la dignité, mais un droit de mourir dans la liberté. Est-ce à l’État de décider si j’ai
le droit de mourir ? Bien sûr que non ! Alors, évidemment, j’ai le droit de me suicider. Mais si
je suis un vieillard de 95 ans, sourd, incontinent, perclus de douleurs, qui s’ennuie atrocement,
et que je me retrouve dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
(qui sont de véritables lieux de privation de liberté), comment je fais pour me suicider ? Je ne
le peux pas. Là, j’ai besoin d’une assistance au suicide.
R. A. : Deux constats sur la dignité. Premièrement, il est certaines personnes qui éprouvent un
sentiment d’indignité. Des personnes atteintes de maladies graves, évoluées, mais qui ne
meurent pas. Quel regard la société porte-t-elle sur ces personnes ? Car, en pratique, nous
sommes confrontés à des gens qui nous disent : « je ne sers plus à rien », « je suis un poids
pour mes proches » ; ou encore, je n’invente rien : « je suis un poids pour la Sécurité sociale ».
Cela renvoie à ce sentiment utilitariste de la vie qui s’est généralisé. Deuxièmement, il existe
non pas des sentiments, mais des situations d’indignité. Il y a aujourd’hui encore des
personnes qui ne sont pas accompagnées alors qu’elles se trouvent dans des situations de très
grandes douleurs, d’inconfort, de solitude. D’où cette absolue nécessité qui devrait être un
préalable à toute discussion : que toute personne souffrant, moralement ou dans sa chair,
puisse bénéficier des soins palliatifs. Il ne faudrait pas qu’au motif de défendre la liberté
individuelle, on en oublie nos devoirs collectifs à l’égard de ces personnes.
A. C.-S. : Depuis 2005, la situation a cessé d’être scandaleuse, puisque la loi Leonetti
reconnaît au patient le droit de demander l’arrêt des soins et impose au médecin de respecter
cette demande. L’avis du CCNE propose de reconnaître au patient en phase terminale un droit
à la sédation profonde jusqu’au décès s’il le demande. Et contre les situations d’acharnement