« Autonomie et interdépendance : la relation enrichissement ou limite à
l’autonomie ?
Avant toute chose, je tiens à préciser que par laïcité, j’entends stricte séparation de l’Etat et
du religieux.
En tant que laïque, je ne dois obéir à aucun dogme ou vérité révélée. Dès lors, j’ai toute
liberté du choix de mes actes.
Pour leslaïques, l’autonomie est une valeur phare. Se donner sa propre loi (traduction
littérale de auto-nomos) afin de pouvoir réaliser son projet (quel qu’il soit, libéré des dogmes
et des injonctions normatives), c’est depuis toujours notre-ambition. Le droit de mourir dans
la dignité permet à l’individu de mener une vie autonome jusqu’au bout de celle-ci.
Un sujet aussi sensible et encore trop souvent tabou ne peut être traité qu’avec respect et
humanité. Il soulève de nombreuses questions : l’humain âgé peut-il encore espérer jusqu’au
bout de sa vie ? Quelles valeurs soutiennent cette espérance ? Qu’est-il possible d’espérer ?
Mais on ne peut pas se contenter de valoriser une autonomie abstraite sans prendre en
compte les conditions concrètes nécessaires à sa réalisation. Sans cela, sans cette attention
au contexte économique, politique, social, intellectuel et psychologique dans lequel évoluent
les individus, l’autonomie est un mot creux.
Laissez-moi donc m’attarder sur les contextes sociaux et psychologiques liés à la fin de vie.
Grâce aux progrès des sciences et surtout de la médecine, l’espérance de vie ne cesse
d’augmenter et de plus en plus de solutions existent pour la finir dignement
Le but des nouvelles thérapies qui se mettent actuellement en place n’est-pour le moment en
tous les cas-pas d’empêcher de mourir mais plutôt de permettre de vivre le plus longtemps
possible en meilleure santé et sans trop de dégradation.
D’importants budgets de recherche sont consacrés à l’arrêt ou à l’inversion des processus de
vieillissement. On ne peut qu’accepter cette espérance de vie qui ne cesse d’augmenter, mais
néanmoins, elle doit être accompagnée de la capacité à vivre une vie digne.
Si vieillir n’est pas en soi un but dans la vie, demeurer humain jusqu’à la fin peut l’être.
A partir de l’acceptation de ce vieillissement inéluctable, il apparaît possible d’entrer dans
une démarche de détachement qui n’a rien à voir avec de l’indifférence ou une négation, mais
d’un affinement de la prise de conscience de cette réalité avérée. Le vieillissement, c’est la
vie. Vieillir activement implique une représentation du temps qui tient compte de la durée
limitée de notre vie.
Pour faire face à ce défi,3 lois ont été votées en 2002,en Belgique:
-une loi concernant le droit du patient qui peut être informé de son état de santé et avoir
accès à son dossier médical
-une loi sur les soins palliatifs avec accompagnement
-et une loi dépénalisant l’euthanasie.
Ces 3 lois sont complémentaires et ne s’excluent pas. Quels sont dès lors les choix qui
s’offrent à nous ?
-Ne rien décider et s’en remettre à la « nature »ou à la volonté de Dieu selon les croyances de
chacun.
-Choisir les soins palliatifs avec accompagnement, c’est-à-dire opter pour la sédation
palliative qui peut finalement entraîner la mort
-Choisir les soins palliatifs pendant un certain temps, en ayant la certitude de pouvoir obtenir
l’euthanasie au moment décidé par le patient
-Choisir l’auto-euthanasie sous surveillance médicale par l’absorption d’une potion par le
patient lui-même
-Choisir l’euthanasie par injection à la demande du patient conscient
-Choisir l’euthanasie par déclaration anticipée dans le cas où le patient deviendrait
irréversiblement inconscient.
Il faudra donc analyser ces différents choix tant du point de vue du patient que de celui de sa
famille et de son docteur. Il me semble évident que cette analyse doit se faire au cas par cas et
sans précipitation.
Attention, le choix de l’acte euthanasique est difficile à exécuter pour le médecin .Il existe
d’ailleurs une clause de conscience. En cas d’un refus de conscience du médecin, celui-ci est
obligé de transférer le dossier à un confrère non opposé à l’euthanasie .Mais se pose alors
pour ce confrère, le problème de mal connaître ce patient ;ce qui risque d’augmenter le délai
pour que sa demande soit acceptée. Idéalement, il faudrait pouvoir en parler au préalable à
son généraliste. Car l’éthique médicale est complexe : quelle différence entre intervenir
activement ou passivement ? Quelle différence y-a-t-il du point de vue de l’éthique médicale
entre euthanasier et laisser mourir lentement ? Entre agir et s’abstenir ? Dans les deux cas,
le médecin prend une décision qu’il le veuille ou non. Dans tous les cas, il reste responsable.
Pour moi, le refus d’offrir une mort digne et rapide à une personne qui le demande relève
d’un déni d’humanité. Un cadre légal était donc nécessaire et s’il s’est étoffé c’est grâce au
combat mené par l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité
A propos de cette notion de dignité qui est pour moi un principe et non une règle, je me
réfère à 4 concepts :
-la liberté individuelle et l’autonomie : suis-je libre jusqu’au bout ?
-le jugement personnel de la qualité de sa propre vie : qu’ai-je encore d’agréable à vivre ou
quels plaisirs puis-je encore attendre de la vie ?
-l’estime de soi : à partir de quand (de quel état physique ou psychique), je ne me respecte
plus ?
-l’autodétermination : quelle est la limite de mon pouvoir de décision ?
Face à la fin de vie, il est important de prendre le temps de la réflexion, de sonder ses désirs,
sans se référer à des dogmes, de s’interroger sur l’humain et sur la dignité humaine.
Mais il faut admettre aussi que les malades ne sont pas toujours au clair avec eux-mêmes
dans leur demande : « vous m’aiderez Docteur ? » , »quand ce sera le moment »,
« aujourd’hui, je me sens bien, je vais mieux ». C’est le droit du patient d’hésiter, d’exprimer
son désir de vivre encore certains moments.
C’est donc aussi une difficulté supplémentaire pour le médecin. Celui-ci, s’il se rend compte
que la maladie progresse et que la médecine n’a plus rien à offrir à son patient, aura pour
attitude de soulager la souffrance et de faire appel aux soins palliatifs après une mise au
point avec son patient, sa famille et l’équipe médicale.
Son rôle est de l’accompagner jusqu’au bout, de ne pas l’abandonner, même quand tout est
perdu et de respecter sa volonté afin qu’il quitte la vie apaisé, conscient d’avoir été entendu
dans son souhait le plus intime quel qu’il soit…
J’estime qu’il est bon que la loi sur l’euthanasie existe, elle permet d’abréger des souffrances
intolérables. Une fin de vie respectueuse de nos limites, de notre seuil de tolérance à la
douleur est le dernier choix qui nous est laissé.
Libre à chacun d’entre nous de supporter la souffrance s’il estime que c’est la volonté de
Dieu. Dans la version religieuse, ma dignité consisterait à subir mon sort parce que ma
condition humaine suppose l’acceptation de ses limites. La souffrance est significative, il faut
l’assumer avec courage.
Pour d’autres, croyants ou non, nous sommes les obligés de la société, de notre famille, nous
devons accepter la souffrance au nom du caractère sacré de la vie ou par respect et amour
pour nos proches .
Dans les deux premiers cas, nous sommes désappropriés de notre propre vie au nom de
valeurs qui la transcendent.
Mais c’est librement aussi que le patient, dans un dialogue ouvert et constructif avec ses
proches et son généraliste, pourra décider de ses derniers moments. Et ce même s’il n’est pas
légalement majeur. Pour lui, sa seule dignité est sa liberté qui fonde son humanité.
Cette loi ne sous-tend aucune obligation. Elle donne juste la liberté de choix ; ce qui à mes
yeux reste une valeur fondamentale. Mais il y a là fracture dans la société entre ceux qui
pensent comme moi-que la liberté individuelle est au sommet des valeurs et ceux qui ne
reconnaissent à l’humain qu’une liberté relative.
Pourtant ces trois positions restent très théoriques, car quelle que soit notre opinion
philosophique, face à la fin de vie, notre décision restera individuelle.
Même en tant que croyant, nous pouvons décider d’un acte euthanasique, comme le fit le
professeur de Duve, et même, en tant qu’athée, certains refuseront cet acte…
Et à propos de choix, le courant laïque qui n’est pas seulement composé d’athées ou
d’agnostiques mais surtout d’hommes et de femmes qui ne veulent aucune ingérence entre
Etat et religions. Le courant laïque donc, s’étonne souvent que les Eglises interviennent dans
des lois votées par les représentants de l’ensemble des citoyens. Remettant en cause le
principe même de la démocratie qui est de respecter la volonté du peuple.
Cet étonnement est parfois source de crispations de part et d’autre et peut entraîner chez un
patient incurable, en souffrance et en fin de vie et par là-même déjà fragilisé, une culpabilité
qui risque de se répercuter sur son entourage familial.
Pourquoi ne pas laisser à chacun cet ultime choix et ce en toute conscience ?
La question reste posée….
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