DOSSIER THÉMATIQUE XXIe Journée scientifique FFCD-PRODIGE Traitement adjuvant des cancers du pancréas et facteurs prédictifs de réponse à la gemcitabine Adjuvant treatment for pancreatic adenocarcinoma and factors predicting response to gemcitabine L. Dahan*, J.F. Seitz* L’ adénocarcinome du pancréas est la cinquième cause de décès par cancer dans le monde, et l’on recensait en France, en 2002, 5 300 nouveaux cas. L’exérèse chirurgicale est le seul traitement permettant d’espérer une survie prolongée. Néanmoins, les résultats de la chirurgie sont décevants, et 80 % des patients traités par chirurgie seule décéderont d’une récidive locorégionale ou métastatique. Un petit nombre d’essais randomisés ont essayé de préciser la place d’un traitement adjuvant par radiochimiothérapie ou chimiothérapie. * Assistance publique, hôpitaux de Marseille, hôpital de la Timone, université de la Méditerranée, Marseille. La radiochimiothérapie adjuvante Les recommandations ont été établies sur la base de trois essais randomisés (tableau I). L’essai du Tableau I. Essais randomisés de phase III évaluant la radiochimiothérapie adjuvante. n Survie médiane (mois) p GITSG (1) RT-CT puis 5-FU (1 an) Observation 22 21 20 11 0,035 EORTC (2) RT-CT Observation 60 54 17,1 12,6 0,09 ESPAC-1 (3) RT-CT Pas de RT-CT 145 144 15,9 17,9 0,05 248 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 4 - avril 2010 GITSG portant sur un petit effectif de 43 patients comparait la chirurgie seule à une chirurgie suivie d’une radiochimiothérapie postopératoire (1). Le traitement adjuvant comportait une radiothérapie en split-course (deux séries de 20 Gy en 10 fractions à 2 semaines d’intervalle) associée à une chimiothérapie par 5-fluorouracile (5-FU) bolus (500 mg/m2) de J1 à J3 suivie d’une chimiothérapie hebdomadaire par 5-FU bolus pendant 1 an. Les résultats montraient une amélioration significative de la survie sans rechute (SSR) [11 mois versus 9 mois, p = 0,01] et de la survie globale (SG) [20 mois versus 11 mois, p = 0,03] en faveur du traitement adjuvant postopératoire. Ce consensus nord-américain n’a pas été adopté en Europe, conforté par les résultats négatifs des études ultérieures. En effet, la phase III randomisée de l’EORTC – portant sur 218 patients, dont la moitié d’entre eux étaient atteints d’un adénocarcinome de la tête et l’autre moitié, d’un ampullome dégénéré, et comparant la chirurgie seule à une chirurgie suivie d’une radiochimiothérapie (40 Gy en split-course associé à du 5-FU continu aux semaines 1 et 4) – n’a pas mis en évidence de différence en termes de SG (2). Sur l’ensemble des patients randomisés, la survie à 5 ans était de 22 % dans le bras chirurgie seule contre 28 % dans le bras traitement adjuvant (p = 0,2). Dans le sous-groupe des 114 patients atteints d’adénocarcinome de la tête, il existait une tendance en faveur du traitement postopératoire avec une survie à 5 ans de 20 % contre 10 % (p = 0,09) sans atteindre la significati- Résumé La chirurgie est le seul traitement curatif des adénocarcinomes pancréatiques, mais seuls 20 % des patients peuvent en bénéficier et la plupart rechutent. L’évaluation des traitements adjuvants ces dernières années a permis d’établir des recommandations en Europe. La radiochimiothérapie n’a pas montré de bénéfice en termes de survie dans deux des trois essais randomisés disponibles, et une méta-analyse a confirmé ce résultat. Depuis 2004, la chimiothérapie adjuvante est recommandée chez tous les patients opérés, quel que soit le statut ganglionnaire, et deux options sont possibles : le 5-FU ou la gemcitabine. De nombreuses équipes essaient de mettre en évidence des facteurs prédictifs d’efficacité de la gemcitabine, molécule clé dans la prise en charge des patients métastatiques. vité, peut-être en raison d’un manque de puissance de l’étude. Les résultats définitifs de l’essai ESPAC-1 sont venus conforter ces données avec un abandon définitif en Europe de la radiochimiothérapie postopératoire (3). Cet essai a analysé 289 patients avec une méthodologie un peu complexe en plan factoriel 2 × 2, et a comparé chez des patients opérés pour un adénocarcinome du pancréas en résection macroscopiquement complète une radiochimiothérapie postopératoire (seule ou suivie d’une chimiothérapie par 5-FU-acide folinique) à une absence de radiochimiothérapie (observation ou chimiothérapie). Les résultats retrouvaient une survie à 5 ans significativement moins bonne (p = 0,05) chez les patients ayant reçu une radiochimiothérapie postopératoire (10 %) par rapport à ceux n’en ayant pas reçu (20 %). Une méta-analyse regroupant ces trois essais de phase III randomisés a confirmé l’absence de bénéfice à la réalisation d’un traitement adjuvant par radiochimiothérapie (4). Enfin, un essai randomisé intergroupe (RTOG 9704) portant sur 538 cancers du pancréas réséqués R0 ou R1, a comparé une radiochimiothérapie à base de 5-FU précédée et suivie d’une chimiothérapie par 5-FU dans le premier bras ou précédée et suivie d’une chimiothérapie par gemcitabine dans le second bras. Cette phase III a montré une tendance en faveur de la gemcitabine en termes de SG dans le sous-groupe des tumeurs de la tête du pancréas (médiane de SG de 20,4 mois versus 16,9, p = 0,09) [5]. La chimiothérapie adjuvante Deux essais randomisés de phase III ont démontré un bénéfice de la chimiothérapie adjuvante en termes de SG (tableau II). L’essai ESPAC-1, qui a comparé chez des patients opérés d’un adénocarcinome du pancréas en résection macroscopiquement complète une chimiothérapie postopératoire par 5-FU-acide folinique (schéma en bolus de la Mayo Clinic) pendant 6 mois (chimiothérapie seule ou radiochimiothérapie suivie d’une chimiothérapie) à une absence de chimiothérapie (observation ou radiochimiothérapie), montrait une amélioration significative de la survie à 5 ans chez les patients ayant reçu une chimiothérapie postopératoire par rapport à ceux n’ayant pas reçu ce traitement (21 % versus 8 %, p = 0,009) [3]. La méta-analyse de Stocken et al. a montré une diminution du risque relatif de décès de 25 % avec la chimiothérapie, avec une médiane de survie de 19 mois contre 13 mois sans chimiothérapie (p = 0,001) [4]. La gemcitabine, qui est actuellement le standard de première ligne pour les adénocarcinomes pancréatiques métastatiques, a été évaluée en adjuvant dans une phase III randomisée (CONKO 001) comparant la gemcitabine (1 000 mg/m2, 3 semaines sur 4 pendant 6 mois) à un bras observation chez près de 370 patients (6). Les résultats actualisés présentés à l’ASCO en 2008 montrent une amélioration significative de la SSR à 5 ans de 16 % dans le bras gemcitabine contre 6,5 % dans le bras observation (p < 0,001), et de la survie globale à 5 ans de 21 % dans le bras gemcitabine contre 9 % dans le bras observation (p = 0,005) [7]. Enfin, l’essai ESPAC-3 a comparé en adjuvant sur plus de 1 000 patients atteints d’un cancer du pancréas réséqué, le 5-FU-acide folinique en bolus à la gemcitabine (8). Cet essai, qui n’était pas un essai d’équivalence, a permis néanmoins de ne pas mettre en évidence de différence entre les deux bras de traitement ni en termes de survie sans progression (SSP) [14,1 mois dans le bras 5-FU contre 14,3 mois dans le bras gemcitabine, p = 0,95] ni en termes de SG (23 mois dans le bras 5-FU contre 23,6 mois dans le bras gemcitabine, p = 0,94). Les profils de tolérance étaient différents, avec plus de mucites et de diarrhées dans le bras 5-FU-acide folinique en bolus, et plus de thrombopénie avec la gemcitabine. Mots-clés Cancer du pancréas Chimiothérapie Radiochimiothérapie Traitement adjuvant Gemcitabine Highlights An efficient carcinologic surgery will not be possible for 80% of patients with pancreatic adenocarcinoma. After surgical resection we observe a high rate of locoregional or metastatic relapses. Numerous adjuvant therapeutic trials have been conducted to establish recommandations in Europe. Chemoradiotherapy doesn’t improve survival in two out of three randomized trials and in a meta-analysis. Since 2004, adjuvant chemotherapy either with 5FU or with gemcitabine, has been the reference treatment for patients with resected pancreatic adenocarcinoma with or without lymph node involvment. Gemcitabine is the standard for metastatic patients and new predictive factors for efficacity are under evaluation. Keywords Pancreatic cancer Chemotherapy Chemoradiotherapy Adjuvant treatment Gemcitabine Tableau II. Essais randomisés de phase III évaluant la chimiothérapie adjuvante. n Survie médiane (mois) p ESPAC-1 (3) CT (5-FU-AF*) Pas de CT 147 142 20,1 15,5 0,009 CONKO 001 (6, 7) CT (gemcitabine) Observation 179 175 22,8 20,2 0,005 ESPAC-3 (8) 5-FU-AF* Gemcitabine 551 537 23 23,6 0,94 * schéma FU-FOL Mayo Clinic La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 4 - avril 2010 | 249 DOSSIER THÉMATIQUE XXIe Journée scientifique FFCD-PRODIGE Traitement adjuvant des cancers du pancréas et facteurs prédictifs de réponse à la gemcitabine Facteurs prédictifs de réponse à la gemcitabine La pénétration de la gemcitabine dans la cellule est sous le contrôle de trois principaux transporteurs membranaires : hENT1 (human Equilibrative Nucleoside Transporter 1), hCNT1 et hCNT3 (human Concentrative Nucleoside Transporter 1 et 3). Deux principaux travaux rétrospectifs ont montré l’impact de l’expression en immunohistochimie de hENT1 et hCNT3 sur l’efficacité de la gemcitabine (9, 10). Le premier travail est fondé sur un tissue micro-array portant sur 229 des 538 tumeurs des patients inclus dans l’essai prospectif RTOG 9704 (107 dans le bras gemcitabine et 91 dans le bras 5-FU) [9]. Les auteurs ont montré une SSR significativement meilleure chez les patients traités par gemcitabine et exprimant hENT1 sur le plan tumoral (expression élevée ou faible) par rapport aux patients ne l’exprimant pas (HR = 0,57, IC 95 [0,32-1, 0] ; p = 0,05). Cette différence n’est pas retrouvée dans le groupe traité par 5-FU. Le second travail est une analyse rétrospective de 45 tumeurs de patients opérés d’un adénocarcinome de la tête du pancréas et traités par gemcitabine/radiothérapie en postopératoire (10). Les auteurs retrouvent une amélioration significative de la SSR et de la SG chez les patients ayant une expression élevée d’hENT1 comparativement aux patients ayant une expression faible (respectivement 46 mois contre 8 mois, et 13 mois contre une médiane de survie non atteinte, p = 0,0001). Ce travail a également montré une amélioration significative de la SSR et de la SG chez les patients ayant une expression élevée d’hCNT3 comparativement aux patients ayant une expression faible (respectivement 23 mois contre 8 mois, et 12 mois contre une médiane de survie non atteinte, p = 0,02). La gemcitabine est catabolisée dans la cellule par une enzyme, la cytidine désaminase (CDA), dont l’activité enzymatique peut varier avec des patients déficitaires (qui accumulent la gemcitabine) et des patients extensifs (qui éliminent trop vite la molécule). Une étude rétrospective portant sur 130 patients traités par gemcitabine (64 par monothérapie et 66 par traitements combinés) a permis de montrer que le déficit en CDA était corrélé à une surtoxicité sévère (grade 3-4) précoce (activité CDA à 3,9 U/mg en absence de toxicité contre 1 U/mg en cas de toxicité, p < 0,001) [11]. L’analyse du sous-groupe des patients traités pour un adénocarcinome pancréatique métastatique montre que le phénotype extensif est corrélé à une moins bonne réponse (75 % de progression dans le groupe extensif contre 15 % chez les patients non extensifs) [12]. Une étude nationale (FFCD-PRODIGE) est en cours de lancement chez les patients recevant une chimiothérapie adjuvante par la gemcitabine pour valider de façon prospective et multicentrique l’impact de l’activité CDA sur la toxicité sévère précoce et l’efficacité de la gemcitabine. Conclusion La chimiothérapie adjuvante est un standard après résection chirurgicale d’un adénocarcinome pancréatique. Selon le thésaurus national de cancérologie digestive (13), deux options sont possibles : l’association 5-FU-acide folinique et la gemcitabine pendant 6 mois. En France, le schéma LV5FU2 est généralement préféré au FU-FOL Mayo Clinic pour réduire la toxicité. ■ Références bibliographiques 1. Kalser MH, Ellenberg SS. Pancreatic cancer. Adjuvant combined radiation and chemotherapy following curative resection. Arch Surg 1985;120(8):899-903. 2. Klinkenbijl JH, Jeekel J, Sahmoud T et al. Adjuvant radiotherapy and 5-fluorouracil after curative resection of cancer of the pancreas and periampullary region: phase III trial of the EORTC gastrointestinal tract cancer cooperative group. Ann Surg 1999;230:776-82; discussion 782-4. 3. Neoptolemos JP, Stocken DD, Friess H et al. A randomized trial of chemoradiotherapy and chemotherapy after resection of pancreatic cancer. N Engl J Med 2004;350(12):120010. 4. Stocken DD, Buchler MW, Dervenis C et al. Meta-analysis of randomised adjuvant therapy trials for pancreatic cancer. Br J Cancer 2005;92(8):1372-81. 5. Regine WF, Winter KA, Abrams RA et al. Fluorouracil vs gemcitabine chemotherapy before and after fluorouracilbased chemoradiation following resection of pancreatic adenocarcinoma: a randomized controlled trial. JAMA 2008;299(9):1019-26. 6. Oettle H, Post S, Neuhaus P et al. Adjuvant chemotherapy with gemcitabine vs observation in patients undergoing curative-intent resection of pancreatic cancer: a randomized controlled trial. JAMA 2007;297(3):267-77. 7. Neuhaus P, Riess H, Post S et al. CONKO-001: final results of the randomized, prospective, multicenter phase III trial of adjuvant chemotherapy with gemcitabine versus observation in patients with resected pancreatic cancer. Proc Am Soc Clin Oncol 2008;26:241s. 8. Neoptolemos J, Büchler M, Stocken DD et al. 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Dahan L, Ciccolini J, Duluc M et al. Extensiveness in CDA is a marker of treatment-failure in digestive cancer patients treated with gemcitabine-based chemotherapy. Proc Am Soc Clin Oncol GI 2010. 13. Thésaurus national de cancérologie digestive : “www. tncd.org”