MISE AU POINT Pertuzumab : une nouvelle option thérapeutique dans le traitement des cancers du sein HER2+ Pertuzumab: a novel targeted therapy for HER2-positive breast cancers F.C. Bidard*, J.Y. Pierga* L * Département d’oncologie médicale, institut Curie, Paris. e récepteur du facteur de croissance HER2 (Human Epidermal growth factor Receptor 2) est surexprimé dans environ 20 % des cancers du sein (1). HER2 appartient à la famille des récepteurs de l’EGF (Epidermal Growth Factor), constituée de 4 membres (ErbB1/HER1 ou EGFR, ErbB2/ HER2, ErbB3/HER3 et ErbB4/HER4) qui sont impliqués dans la prolifération et la survie cellulaire. La surexpression et l’activation de HER2 promeut la prolifération et la survie des cellules tumorales et confère un phénotype agressif et un pronostic défavorable (2). L’inhibition de l’activation de HER2 constitue la pierre d’angle de la prise en charge thérapeutique actuelle du cancer du sein HER2+ depuis que l’utilisation du trastuzumab, anticorps monoclonal humanisé anti-HER2, a démontré un net bénéfice pour les patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique HER2+, en combinaison avec la chimiothérapie (3, 4). En situation adjuvante, l’utilisation du trastuzumab a également permis d’améliorer significativement la survie globale (SG) et de diminuer le risque de récidive des cancers du sein HER2+ (5-7). Ces données cliniques validant l’efficacité anti­ tumorale du ciblage de HER2 dans le traitement du cancer du sein en situation métastatique et 492 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 10 - décembre 2012 adjuvante ont motivé l’optimisation de l’inhibition de HER2. Dans cette perspective, le pertuzumab, nouvel anticorps monoclonal humanisé anti-HER2, a été développé dans plusieurs essais cliniques. Nous faisons ici le point sur les études cliniques ayant rapporté des données d’efficacité du pertuzumab dans le traitement des cancers du sein HER2+. Mécanisme d’action du pertuzumab Le pertuzumab cible un épitope de HER2 impliqué dans le processus d’appariement (dimérisation) de HER2 avec les autres récepteurs HER, qui permet l’activation de HER2 après la fixation préalable d’un ligand (figure). Après fixation sur son épitope, le pertuzumab inhibe la dimérisation de HER2 avec les autres récepteurs HER, notamment HER3 (8), sachant que l’hétérodimère HER2-HER3 semble jouer un rôle important dans l’activation de voies de signalisation mitogènes et antiapoptotiques. Le pertuzumab est donc un inhibiteur de la dimérisation de HER2, ce mécanisme d’action étant complémentaire de celui du ­trastuzumab (figure), qui est dirigé contre un autre épitope de la partie Points forts »» La surexpression du récepteur HER2 est décrite dans environ 20 % des cancers du sein et confère un phénotype agressif et un pronostic défavorable. »» Le pertuzumab est un anticorps monoclonal ciblant HER2 qui inhibe la dimérisation de celui-ci. Ce mécanisme d’action est complémentaire de celui du trastuzumab, ce qui permet de réaliser un double blocage du récepteur. »» En première ligne de traitement du cancer du sein métastatique HER2+, la combinaison docétaxeltrastuzumab-pertuzumab prolonge la survie sans progression de 6,1 mois par rapport au traitement de référence docétaxel-trastuzumab. »» En situation néo-adjuvante, le traitement par docétaxel-trastuzumab-pertuzumab augmente le taux de réponse pathologique complète par rapport au traitement de référence docétaxel-trastuzumab. Mots-clés Pertuzumab Dimérisation de HER2 Cancer du sein Double blocage de HER2 Highlights Ligand du récepteur HER Trastuzumab p p Pertuzumab p p p p p p Erb2 Signalisation intracellulaire Prolifération tumorale Pas de signalisation Arrêt de la croissance tumorale p p p p Erb2/Erb3 Signalisation intracellulaire Prolifération tumorale Pas de signalisation Arrêt de la croissance tumorale Figure. Mécanisme d’action du pertuzumab et du trastuzumab. extracellulaire de HER2 et inhibe son activation. En préclinique, il a été montré que l’association pertuzumab-trastuzumab permet d’inhiber de façon synergique la survie de cellules tumorales mammaires (9) et d’induire la régression de xénogreffes de tumeurs mammaires humaines (10). Cet effet synergique est imputable aux mécanismes d’action complémentaires de ces 2 thérapies ciblant HER2 (10). Modalités d’administration du pertuzumab Dans les études cliniques de phases II et III, le pertuzumab était administré toutes les 3 semaines, compte tenu de sa demi-vie comprise entre 2 et 3 semaines (11). De plus, l’administration du pertuzumab s’effectuait selon un schéma de dose fixe, sa concentration plasmatique ne semblant pas modifiée que les doses soient fixes ou normalisées au poids ou à la surface corporelle (12). Le pertuzumab est donc administré à la dose de 420 mg (équivalents à 6 mg/­k g pour un patient de 70 kg) toutes les 3 semaines, précédée d’une dose de charge initiale de 840 mg. Pertuzumab dans le traitement du cancer du sein HER2+ métastatique L’efficacité antitumorale du pertuzumab associé au trastuzumab et à une chimiothérapie a été démontrée dans l’étude de phase III randomisée, en double aveugle contre placebo CLEOPATRA. Cette étude comparait, chez 808 patientes, les combinaisons docétaxel-trastuzumab-pertuzumab et docétaxeltrastuzumab-placebo en première ligne dans le cancer du sein métastatique HER2+ (13). Efficacité »» Overexpression of HER2 occurs in about 20% of breast cancer and portends a poor prognosis and an aggressive phenotype. »» Pertuzumab is a humanized monoclonal antibody against HER2 receptor which blocks dimerization of HER2. The mechanisms of action of pertuzumab and trastuzumab are believed to complement each other. Consistently, the combination of these HER2 targeting agents produces a dual blockade of HER2. »» In the first-line treatment of HER2+ metastatic breast cancer, treatment with pertuzumab plus trastuzumab plus docetaxel, as compared with placebo plus trastuzumab plus docetaxel, resulted in an increase of 6.1 months in median progression-free survival . »» In a neoadjuvant setting, the combination of pertuzumab with trastuzumab and docetaxel improves the pathologic complete response rate as compared with the docetaxel and trastuzumab combination. Keywords Pertuzumab HER2 dimerization Breast cancer Dual HER2 blockade L’objectif principal de l’étude CLEOPATRA était la comparaison de la survie sans progression (SSP) dans les bras de traitement, telle que revue par un comité indépendant. Les résultats ont montré une augmentation nette de la SSP dans le bras recevant du pertuzumab, avec un rapport des risques instantanés (HR) à 0,62, statistiquement significatif (p < 0,001). Les médianes de SSP étaient très différentes, mesurées à 12,4 mois dans le bras La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 10 - décembre 2012 | 493 MISE AU POINT Pertuzumab : une nouvelle option thérapeutique dans le traitement des stades précoces et métastatiques des cancers du sein HER2+ sans pertuzumab, et à 18,5 mois (+ 50 %) dans le bras avec. Parmi les objectifs secondaires, le taux de réponse objective atteignait 80,2 % dans le bras avec pertuzumab, versus 69,4 % dans le bras sans (p = 0,001). La première analyse intermédiaire de la SG, autre critère secondaire, montrait de plus une tendance très forte en faveur d’un bénéfice du pertuzumab. Une seconde analyse intermédiaire de la SG a montré une amélioration statistiquement significative de cette dernière dans le bras pertuzumab. Les données définitives de SG seront communiquées d’ici fin 2012. Tolérance L’association docétaxel-trastuzumab-pertuzumab n’a pas eu d’incidence notable sur la tolérance cardiaque, l’incidence des événements cardiaques ou des troubles ventriculaires gauches étant comparable à celle observée dans le bras docétaxel-trastuzumabplacebo. Une augmentation de 5 % de l’incidence des événements indésirables de tous grades (notamment, diarrhée, rash cutané, mucite, neutropénie fébrile et sécheresse cutanée) a été observée dans le bras pertuzumab. La neutropénie, la neutropénie fébrile et la diarrhée étaient les événements indésirables de grade supérieur ou égal à 3 dont l’incidence était augmentée d’au moins 2 % dans le bras avec pertuzumab. L’ensemble des résultats de l’étude CLEOPATRA a donc permis de démontrer que l’ajout du pertuzumab au traitement de référence qu’est l’association docétaxel-trastuzumab se traduit par un bénéfice important sur la survie, sans surtoxicité majeure. Ce niveau de réduction du risque est de l’ordre de celui observé lors de l’introduction du trastuzumab chez les patientes métastatiques, alors que l’on aurait pu s’attendre à un gain marginal d’efficacité. Le double blocage par 2 anticorps anti-HER2 aux modalités d’inhibition distinctes permet donc de potentialiser leurs effets antitumoraux respectifs et a donc une efficacité substantielle sur les cellules tumorales au stade métastatique. Pertuzumab dans le traitement du cancer du sein HER2+ non métastatique Pertuzumab en néo-adjuvant ◆◆ Étude NeoSphere L’efficacité et la tolérance du pertuzumab associé au trastuzumab et à une chimiothérapie à base de taxanes, le docétaxel, ont été évaluées en situation néo-adjuvante dans une large étude de phase II : l’étude NeoSphere (14). Cette étude multi­centrique, randomisée, en ouvert, comportait 4 bras : docétaxel-trastuzumab (bras de référence), docétaxeltrastuzumab-pertuzumab, trastuzumab-pertuzumab et docétaxel-pertuzumab. Cette étude a été menée chez 417 patientes atteintes d’un cancer du sein HER2+ opérable soit de plus de 2 cm, soit localement avancé ou inflammatoire, sans traitement préalable. Les caractéristiques tumorales étaient comparables dans les 4 bras : la médiane de la taille de la tumeur était de 50 mm à l’examen clinique, et un tiers des patientes étaient atteintes d’un cancer du sein localement avancé. Le critère d’évaluation principal de l’étude Neo­Sphere était la réponse pathologique complète (pCR) après 12 semaines de traitement (c’est-à-dire moins que dans les schémas actuels), la pCR étant utilisée comme indicateur de la survie à long terme (15, 16). Les taux de pCR obtenus dans chacun des bras sont rapportés dans le tableau : l’addition du pertuzumab à la combinaison docétaxel-trastuzumab a permis d’obtenir le plus fort taux de pCR (45,8 %) parmi les 4 bras testés. Il est intéressant par ailleurs de constater que 17 % des tumeurs ont pu être mises en pCR dans le bras combinant trastuzumab et pertuzumab mais sans chimiothérapie. Tableau. Principaux résultats de l’étude NeoSphere. Docétaxeltrastuzumab (n = 107) Docétaxel-trastuzumabpertuzumab (n = 107) Trastuzumabpertuzumab (n = 107) Docétaxelpertuzumab (n = 96) 49 18 23 Réponse pathologique complète* n 31 % 29,0 45,8 16,8 24,0 IC95 20,6-38,5 36,1-55,7 10,3-55,7 15,8-33,7 * Définie comme l’absence de cellules tumorales invasives à l’examen microscopique sur la tumeur primitive lors de la chirurgie. 494 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 10 - décembre 2012 MISE AU POINT Cette approche sans chimiothérapie n’est néanmoins pas envisageable pour l’instant, du fait de l’absence de marqueurs prédictifs permettant de cibler les patientes ne nécessitant pas de chimiothérapie (cf. “Pertuzumab et biomarqueurs prédictifs”) [17]. Par ailleurs, la tolérance de la combinaison docétaxel-trastuzumab-pertuzumab associée à une chimiothérapie à base de taxanes s’est révélée comparable à celle du docétaxel-trastuzumab. ◆◆ Étude TRYPHAENA L’objectif principal de cette étude néo-adjuvante de phase II était d’étudier la cardiotoxicité de différents schémas de traitement, toutes les patientes recevant du pertuzumab. Au total, 225 patientes HER2+ ont été randomisées entre 3 bras : 3 cycles de 5-FU-épirubicine-cyclophosphamide (FEC) suivis de 3 cycles de docétaxel, avec introduction de la combinaison pertuzumab-trastuzumab lors de l’instauration du FEC (bras A) ou lors de l’instauration du docétaxel (bras B). Le bras C étudiait une combinaison sans anthracycline, avec 6 cycles de docétaxel-carboplatine-pertuzumab-trastuzumab (18). Il est à noter que cette administration concomitante des anticorps anti-HER2 avec les anthracyclines correspond à une modalité d’administration relativement commune outre-Rhin, depuis les essais GEPARTrio, GEPARQuattro et GEPARQuinto (19). Les résultats de cette étude ont montré que l’inci­ dence des dysfonctions ventriculaires gauches symptomatiques et asymptomatiques était faible (moins de 5 %) et similaire quel que soit le type de schéma. Aussi, bien qu’une cardiotoxicité ait été imputée à l’association trastuzumab-anthra­ cycline (4), l’addition concomitante d’anthracycline à l’association pertuzumab-trastuzumab semble ne pas obérer le profil de tolérance cardiaque immédiate (les données à long terme sont encore inconnues). Les taux de pCR étaient respectivement de 51 %, 45 % et 52 %, sans différence significative. L’ensemble des données issues des études ­NeoSphere et TRYPHAENA souligne, d’une part, que, en situation néo-adjuvante, l’association de 2 thérapies ciblant HER2 et d’une chimiothérapie permet d’améliorer l’efficacité antitumorale dans le traitement des stades précoces du cancer du sein HER2+ et, d’autre part, qu’une telle association est bien tolérée, y compris lorsque la chimiothérapie administrée comporte une anthracycline. Ces résultats positifs ont conduit à effectuer une étude de phase III adjuvante pivotale chez des patients ayant un cancer du sein primaire opérable HER2+ : l’étude APHINITY (ClinicalTrials.gov, numéro BO25126). Pertuzumab en adjuvant : l’étude APHINITY APHINITY est une étude multicentrique, randomisée, en double aveugle dans laquelle le traitement de référence (chimiothérapie adjuvante-trastuzumab) est combiné avec du pertuzumab ou du placebo. La chimiothérapie adjuvante, dont le type est laissé au choix de l’investigateur, peut comporter soit des anthracyclines et des taxanes, soit uniquement des taxanes. Les traitements anti-HER2 sont administrés toutes les 3 semaines pendant 52 semaines. Cette étude doit inclure à terme environ 4 000 patientes opérées d’un cancer du sein HER2+, confirmé par une analyse centralisée. Le critère principal de jugement est la survie sans maladie invasive. Pertuzumab et biomarqueurs prédictifs Il n’existe pas, à ce jour, de biomarqueurs prédictifs de l’efficacité du pertuzumab contre les cancers HER2+. En situation métastatique (CLEOPATRA), les analyses de sous-groupes, en fonction des caractéristiques clinicohistologiques habituelles, n’ont pas mis en évidence de population pour laquelle l’ajout du pertuzumab à la combinaison docétaxel-trastuzumab serait significativement plus ou moins efficace au sein de la population HER2+. En néo-adjuvant, l’étude TRYPHAENA suggérait une augmentation marquée du taux de pCR dans le sousgroupe n’exprimant pas les récepteurs hormonaux si le trastuzumab et le pertuzumab étaient introduits dès le début du traitement néo-adjuvant, et non pas après une phase initiale de traitement par anthracycline seule. Les patientes ayant un cancer HER2+ et exprimant les récepteurs hormonaux semblaient moins bénéficier de l’introduction précoce des thérapies anti-HER2. L’absence de bras sans pertuzumab ne permet néanmoins pas de conclure si l’effet était propre au pertuzumab ou s’il s’agissait, plus généralement, d’un effet des thérapies anti-HER2 (trastuzumab compris). Enfin, l’étude NeoSphere a permis d’explorer de très nombreux biomarqueurs “translationnels” : HER2, HER3, IGF1R, PTEN, pAKT, c-myc, EGFR, PI3KCA, etc. (17). Ces diverses analyses n’ont pas directement permis de retrouver de biomarqueurs prédictifs permettant d’isoler une sous-population particulièrement résistante ou sensible de manière applicable en clinique. À noter, néanmoins, que les taux de pCR étaient là encore particulièrement augmentés par l’ajout du La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 10 - décembre 2012 | 495 MISE AU POINT Pertuzumab : une nouvelle option thérapeutique dans le traitement des stades précoces et métastatiques des cancers du sein HER2+ pertuzumab dans les cancers HER2+ n’exprimant pas les récepteurs hormonaux. L’une des pistes les plus prometteuses actuellement reste la mesure de l’interaction HER2-HER3, mais elle reste techniquement compliquée. Conclusion L’efficacité antitumorale du pertuzumab associé au trastuzumab et à une chimiothérapie a été initialement démontrée en première ligne de traitement des cancers du sein métastatiques HER2+, avec un allongement de la survie. Ces résultats positifs sont confortés par les résultats obtenus en situation néo-adjuvante, avec une réponse pathologique complète observée chez près de la moitié des patientes traitées par l’association pertuzumabtrastuzumab-­docétaxel. En situation adjuvante, l’effi­cacité antitumorale du pertuzumab est en cours d’évaluation. L’ensemble de ces données suggère que le pertuzumab pourrait très bientôt faire partie intégrante de la prise en charge thérapeutiques des cancers du sein HER2+ en France, comme c’est déjà le cas aux États-Unis (l’autorisation de mise sur le marché a été obtenue en juin 2012). ■ UN PEU PLUS… …PRÈS DE VOUS Déjà paru La Lettre du Sénologue Correspondances en Onco-Urologie Correspondances en Onco-Hématologie Correspondances en Onco-Théranostic N O U S FA I S O N S D E V O S S P É C I A L I T É S N OT R E S P É C I A L I T É www.edimark.fr - Les Lettres, Les Correspondances, Les Courriers, Les Images, Les Pages de la Pratique Médicale MISE AU POINT Pertuzumab : une nouvelle option thérapeutique dans le traitement des stades précoces et métastatiques des cancers du sein HER2+ Références bibliographiques (suite de la p. 496) 1. Baselga J, Gelmon KA, Verma S et al. 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