M Hormonothérapie des cancers du sein métastatiques : quels progrès ?

408 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 8 - octobre 2012
DOSSIER THÉMATIQUE
L’hormonothérapie
dans les cancers du sein
Hormonothérapie des cancers
du sein métastatiques :
quels progrès ?
New advances in endocrine therapy for metastatic breast
cancers
V. Diéras*
* Institut Curie, Paris.
M
algré d’importants progrès dans la prise en
charge initiale des cancers du sein grâce
au dépistage précoce et à l’amélioration
des traitements adjuvants, un certain nombre de
patientes présenteront une évolutivité métasta-
tique et nécessiteront un traitement médical (1).
On estime qu’environ 70 à 80 % des tumeurs du
sein expriment les récepteurs hormonaux (RH+).
L’hormono thérapie représente la première thérapeu-
tique ciblée des cancers du sein et s’inscrit comme
une option en situation adjuvante et métastatique.
Le tamoxifène a représenté le gold standard de traite-
ment pendant plus de 30 ans. Cependant, l’introduc-
tion des inhibiteurs de l’aromatase (IA) en situation
métastatique, puis en adjuvant, a bouleversé les
standards et élargi l’éventail des possibilités théra-
peutiques (2, 3).
Historique
Le tamoxifène est le premier modulateur sélectif
des récepteurs aux estrogènes (SERM [Selective
Estrogen Receptor Modulator]) qui antagonise la
signalisation des estrogènes dans les cancers du sein
métastatiques. Les estrogènes à fortes doses ont été
utilisés dans le traitement des cancers du sein méta-
statiques. Dans une étude randomisée comparant le
diéthylstilbestrol au tamoxifène, aucune différence
en termes de temps jusqu’à échec du traitement, de
durée de réponse ou de survie n’a été notée (4). Le
tamoxifène est devenu le traitement de référence
du fait de son meilleur profi l de tolérance.
L’acétate de mégestrol (MA) agit contre les tumeurs
en supprimant l’hormone lutéinisante (LH) et en
réduisant la production d’estro gènes. Dans les essais
randomisés, le tamoxifène présente une activité
comparable au MA en termes de réponse objective
et de survie globale (SG), mais avec un meilleur
profi l de tolérance (5).
D’autres SERM ont été développés (torémifène,
droloxifène, idoxifène, arzoxifène), dont l’activité
est comparable ou inférieure à celle du tamoxifène.
Il existe une résistance croisée entre le tamoxifène
et ces SERM (6).
Chez la femme ménopausée, l’estradiol résulte
essentiellement de la conversion, dans les tissus
périphériques, de l’androstènedione en estrone
grâce au complexe enzymatique de l’aromatase.
Lestrone est ensuite convertie en estradiol. Les
IA présentent par ce mécanisme une activité
antitumorale au niveau de la signalisation estro-
génique. L’aminogluthétimide, un IA de première
génération, a montré une activité comparable au
tamoxifène, mais avec des effets indésirables plus
importants (rashs cutanés et insuffisance surréna-
lienne) [6].
Du fait d’une activité démontrée en première ligne
et d’un très bon profi l de tolérance, le tamoxifène est
devenu le traitement standard d’hormonothérapie
pour les cancers du sein métastatiques exprimant
les RH.
Il faut souligner cependant les limites méthodo-
logiques de ces essais cliniques : un effectif faible et
une puissance statistique insuffi sante pour démon-
trer une supériorité ou une équivalence.
La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 8 - octobre 2012 | 409
Résumé
L’hormonothérapie représente la première thérapeutique ciblée dans les cancers du sein. Le tamoxifène
a été pendant près de 30ans le
gold standard
de traitement. L’arrivée de nouveaux médicaments de plus
en plus actifs (inhibiteurs de l’aromatase, fulvestrant) a élargi les possibilités thérapeutiques avec des
séquences de plus en plus nombreuses. De plus, les avancées de la biologie moléculaire et la caractérisation
des mécanismes d’hormonorésistance conduisent à de nouvelles associations de thérapeutiques ciblées.
Mots-clés
Récepteurs
hormonaux
Hormonothérapie
Cancer du sein
métastatique
Tamoxifène
Inhibiteurs
del’aromatase
Fulvestrant
Summary
Endocrine therapy is the fi rst
targeted therapy for breast
cancer. During more than
30years, tamoxifen was the
gold standard of treatment.
The development of new, more
active compounds (aromatase
inhibitors and fulvestrant) led
to the increase of therapeutic
alternatives. Moreover, recently,
the major advances in know-
ledge of molecular biology and
characterization of endocrine
resistance led to new combina-
tions of molecular therapies.
Keywords
Hormone receptor
Endocrine therapy
Metastatic breast cancer
Tamoxifen
Aromatase inhibitor
Fulvestrant
Inhibiteurs de l’aromatase
de troisième génération
Cette classe thérapeutique comprend les IA non
stéroïdiens (anastrozole et létrozole) et stéroïdiens
(exémestane).
Les essais cliniques de phase III ont été conçus pour
démontrer des différences statistiquement signifi -
catives.
Les premiers essais ont comparé les IA de troisième
génération au MA en seconde ligne métastatique
(tableau I) [7-10]. Le temps jusqu’à progression a
été tout d’abord similaire, mais le profi l de tolé-
rance en faveur des IA a conduit à leur introduction
en pratique clinique, celle-ci ayant été confortée
ultérieurement par les données en survie des études
avec l’anastrozole et l’exémestane.
Dans un second temps, les IA de troisième génération
ont été comparés au tamoxifène en première ligne
métastatique (tableau II) [11-14]. Globalement,
ils ont été jugés comme plus actifs en termes de
contrôle de la maladie, avec un profi l de tolérance
acceptable : ils sont donc devenus la référence en
première ligne métastatique chez les femmes méno-
pausées, d’autant plus qu’une grande majorité des
patientes recevaient du tamoxifène en situation
adjuvante à cette époque et qu’il semblait logique
de proposer une autre classe thérapeutique lors de
la récidive (15).
Fulvestrant
Le fulvestrant est un régulateur sélectif du récepteur
aux estrogènes. Il se lie au récepteur, entraînant
un blocage et une augmentation de la dégradation
du récepteur et, secondairement, une inhibition
de la signalisation. Il a été approuvé initialement à
la dose de 250 mg/mois à la suite d’une première
étude, mais les essais suivants ont démontré une
meilleure effi cacité à la posologie de 500 mg/mois
(tableau III) [16-18].
Tableau I. Essais cliniques comparant inhibiteurs de l’aromatase de troisième génération à l’acétate de mégestrol en seconde
ligne.
Anastrozole versus
acétate de mégestrol
A.U. Buzdar et al. 1998
(7)
Pas de différence en temps jusqu’àprogression
Amélioration de la survie
Létrozole versus
acétate de mégestrol
A.U. Buzdar et al. 2001
(8)
P. Dombernowsky et al. 1998
(9)
Pas de différence en temps jusqu’àprogression
Pas de différence en survie
Exémestane versus
acétate de mégestrol
M. Kaufman et al. 2000
(10)
Amélioration du temps jusqu’à progression
Amélioration de la survie
Tableau II. Essais cliniques comparant inhibiteurs de l’aromatase de troisième génération au tamoxifène en première ligne métastatique.
Anastrozole versus tamoxifène J.M. Nabholtz et al. 2000
(11)
Augmentation du temps jusqu’à progression (90 % RH+)
Anastrozole versus tamoxifène (TARGET) J. Bonneterre et al. 2001
(12)
Pas de différence en temps jusqu’à progression (45 % RH+)
Létrozole versus tamoxifène H. Mouridsen et al. 2003
(13)
Augmentation du temps jusqu’à progression Pas de différence en survie
Exémestane versus tamoxifène R.J. Paridaens et al. 2008
(14)
Survie sans progression et survie globale similaires
Tableau III. Essais cliniques ayant évalué le fulvestrant.
Fulvestrant 250 mg/mois versus anastrozole J.F. Robertson et al. 2003
(16)
Seconde ligne après tamoxifène
Pas de différence en temps jusqu’à progression
Fulvestrant 500 mg/mois versus fulvestrant 250 mg/mois (CONFIRM) A. Di Leo et al. 2010
(17)
Augmentation du temps jusqu’à progression
Fulvestrant 500 mg/mois versus anastrozole (FIRST) J.F. Robertson et al. 2009
(18)
Augmentation du temps jusqu’à progression
Figure. Altérations génétiques de la voie PI3K/AKT/mTOR et nouvelles molécules en
développement.
mTOR : mammalian Target Of Rapamycin ; mTORC1 : complexe mTOR 1 ; PI3K : phosphoinositide 3-kinase ; PTEN : Phosphatase
and TENsin homolog.
Doubles
inhibiteurs
PI3K
Inhibiteurs mTORC1
Inhibiteurs
site catalytique
mTOR
Inhibiteurs
AKT
PI3K inhibiteurs
Pan PI3K inhibiteurs
Inhibiteurs spécifi ques isoformes
PI3K
mTORC2
mTORC1
Délétion
ou
perte
de fonction
PTEN
Mutations
ou
Amplifi cation gène
AKT
410 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 8 - octobre 2012
Hormonothérapie des cancers du sein métastatiques : quelsprogrès ?
DOSSIER THÉMATIQUE
L’hormonothérapie
dans les cancers du sein
Séquences thérapeutiques
optimales
Pour les femmes ménopausées, quelques essais
et une méta-analyse ont démontré un avantage
signifi catif en survie des IA de troisième génération
(létrozole, anastrozole et exémestane) [HR = 0,87 ;
p < 0,001]. Dans les essais en première ligne, lorsque
les IA sont comparés au tamoxifène, il existe un
bénéfi ce en survie de 11 % (p = 0,03). Leur bénéfi ce
en seconde ligne ou plus paraît similaire. Cepen-
dant, ces essais ont été réalisés lorsque le tamoxifène
était le standard en situation adjuvante ; actuelle-
ment, la grande majorité des femmes ménopausées
reçoit un IA en traitement adjuvant. Les essais chez
des patientes métastatiques prétraitées par IA
ont démontré qu’un autre IA, le fulvestrant ou le
tamoxifène, représentait une option valide lors de
la progression (3, 19, 20).
Pour les femmes non ménopausées, le tamoxifène
avec ou sans suppression ovarienne représente le
standard en situation adjuvante. Quelques petits
essais et une méta-analyse suggèrent que, pour la
première ligne métastatique, l’association tamoxi-
fène + suppression ovarienne est supérieure au
tamoxifène seul (21). Bien qu’utilisée fréquemment
en clinique, l’association suppression ovarienne + IA
n’a pas été évaluée en situation métastatique et,
malheureusement, les essais randomisés avec le
fulvestrant nont pas inclus de patientes non méno-
pausées.
Ciblage de la voie PI3K/AKT/
mTOR
La signalisation PI3K (PhosphoInositide 3-Kinase)
joue un rôle central dans la croissance tumo-
rale. Les différentes altérations génétiques des
éléments de cette voie de signalisation entraînent
une activation anormale de ce circuit de signali-
sation conduisant à une résistance à l’hormono-
thérapie et aux agents ciblant HER2 (Human
Epidermal growth factor Receptor 2). Parmi toutes
les nouvelles molécules en développement, les
inhibiteurs de mTORC1 (mTOR Complex 1) sont
les plus avancés (22). Le rationnel biologique est
fondé sur l’activation indépendante du ligand
du récepteur à l’estrogène par l’intermédiaire de
l’activation de la signalisation mTOR (mammalian
Target Of Rapamycin).
Létude de phase II randomisée, TAMRAD, a
évalué l’ajout de l’évérolimus au tamoxifène après
progression sous IA (23). Ladjonction de l’évéro-
limus au tamoxifène est supérieure au tamoxifène
seul en termes de survie sans progression (SSP)
[4,5 versus 8,6 mois ; HR = 0,54 ; p = 0,0021] et
de SG (HR = 0,45 ; p = 0,007). Le bénéfice est
plus important dans la population présentant une
hormono résistance secondaire.
Létude BOLERO 2 est une phase III comparant
évérolimus + exémestane à exémestane + placebo
chez des patientes présentant une progression sous
traitement adjuvant et/ou métastatique par un
IA non stéroïdien (24). Dans l’analyse avec revue
centralisée, la SSP est nettement améliorée avec
l’association évérolimus + exémestane (6,9 versus
2,8 mois) [HR = 0,36 ; p < 0,001].
Il existe 4 autres classes d’inhibiteurs de la voie PI3K
en développement clinique (fi gure) :
les doubles inhibiteurs de PI3K et de mTOR ;
les inhibiteurs “sélectifs” de PI3K ;
les inhibiteurs d’AKT ;
les inhibiteurs catalytiques de mTOR (inhibant
également mTORC2).
Le risque réel d’une toxicité supplémentaire due à
l’utilisation de ces nouveaux agents, même si elle
est tolérable et contrôlée par la réduction des doses,
oblige à trouver un moyen d’identifi er les patients
chez qui il sera acceptable.
La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 8 - octobre 2012 | 411
DOSSIER THÉMATIQUE
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À la une en septembre 2012
t6UJMJTBUJPOEFMB351$3RVBOUJUBUJWF
pour la détection des mutations
d’ALK
t*OUÏSÐUEFT$5$EBOTMFTVJWJ
des patients atteints
EVOBEÏOPDBSDJOPNFCSPODIJRVF
t*NQBDUDMJOJRVFEFTEJGGÏSFOUFT
délétions de l’exon 19 d’EGFR
EBOTMFTDBODFSTCSPODIJRVFT
non à petites cellules
t-BQBSJUÏOFTUQBTVOGBDUFVS
EFSJTRVFEFDBODFSCSPODIJRVF
t$PNQBSBJTPOEFMFGGFUDBSDJOPHÒOF
EFMBGVNÏFEFDJHBSFUUFËMÉHF
BEVMUFEBOTMFOGBODFFUJOVUÏSP
Conclusion
Les cancers du sein exprimant les RH sont
fréquents, et l’hormonothérapie représente une
thérapeutique valide en situation métastatique en
l’absence de critère d’agressivité clinique impor-
tante. Pendant plus de 30 ans, le tamoxifène a
représenté le gold standard de traitement. Larrivée
des IA de troisième génération, puis du fulvestrant,
a élargi l’éventail thérapeutique. Plus récemment,
le ciblage des voies de signalisation, notamment
mTOR/AKT, a été validé dans un grand essai de
phase III. De nombreux agents ciblant cette voie
ainsi que d’autres anomalies moléculaires sont
actuellement en développement. Cela implique
de nouvelles stratégies pour le développement de
ces molécules, avec une sélection des patientes
pour les essais cliniques fondée sur le profil molé-
culaire, la nécessité de mettre en place un screening
collectif pour des essais cliniques appropriés et
valides. Il faut donc envisager à très court terme
la réalisation d’un profil moléculaire tumoral pour
chaque patiente, réalisé de façon optimale par une
biopsie de la métastase.
410 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 8 - octobre 2012
DOSSIER THÉMATIQUE
L’hormonothérapie
dans les cancers du sein Hormonothérapie des cancers du sein métastatiques : quelsprogrès ?
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Références bibliographiques (suite de la p. 409)
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