l’heure où les promesses des “biothérapies ciblées”
nous ouvrent un nouveau champ d’investigation
dans le traitement des tumeurs malignes, faire le
point sur l’hormonothérapie actuelle du cancer du sein revient à
constater nos progrès déjà acquis sur l’un des tout premiers trai-
tements hautement ciblés. Depuis environ 30 ans, le tamoxifène
a dominé la scène de l’hormonothérapie adjuvante et palliative
du cancer du sein. Aujourd’hui, les inhibiteurs de l’aromatase
(IA) de troisième génération nous apportent, grâce à de solides
études cliniques, les preuves tangibles de leur efficacité. Ce
constat repose sur le fruit et l’aboutissement d’une recherche
clinique particulièrement riche avec ces nouveaux agents hor-
monaux tels que le létrozole, l’anastrozole et l’exémestane
pour ne citer que les plus récents.
La synthèse de la littérature en ce qui concerne la supério-
rité des IA par rapport à des produits de seconde ligne
comme l’aminogluthétimide et l’acétate de mégestrol donne
des preuves solides dans cette situation (1, 2).
En première ligne métastatique, l’étude létrozole versus
tamoxifène dont les résultats actualisés ont été présentés à San
Antonio en décembre 2001 est un pilier de cette démonstration
(3, 4). Cet essai a la puissance d’une étude randomisée en
double aveugle et établit la supériorité de cet IA sur tous les
paramètres d’efficacité (p < 0,02 sur la survie globale jusqu’à
24 mois inclus) et dans tous les sous-groupes étudiés (avec ou
sans métastases viscérales et quelle que soit l’existence d’une
exposition antérieure au tamoxifène). Bien entendu, nous
aimerions tous voir un autre IA démontrer ce même bénéfice :
nous aurions alors ce que nos collègues anglo-saxons appellent
un Level I of Evidence-Based Medicine. L’anastrozole en pre-
mière ligne métastatique est au moins aussi efficace que le
tamoxifène mais n’a pas apporté la preuve d’une supériorité,
au niveau de tous les paramètres d’efficacité, pour des raisons
sans doute liées à la population étudiée (5). L’exémestane
apportera, on l’espère, des résultats similaires à ceux du létro-
zole dans l’étude en cours exémestane versus tamoxifène. Pour
ma part, je suis très à l’aise avec l’affirmation qu’un IA de
type létrozole est supérieur au tamoxifène en première ligne
métastatique : la force d’une étude en double aveugle équivaut,
à mon avis, à celle des preuves apportées par deux études ran-
domisées ouvertes ! Il nous reste cependant à mieux définir et
à comprendre quelle est la population de patientes qui va le
plus bénéficier de la séquence IA en première ligne et tamoxi-
fène en seconde intention : il semblerait que la coexpression
d’HER 2-neu soit un paramètre particulièrement intéressant
(6). Dans ma pratique quotidienne, toutes mes patientes en pre-
mière ligne d’hormonothérapie au stade métastatique bénéfi-
cient désormais du progrès des IA. Dans nos pays développés,
le coût de cette décision thérapeutique n’est pas un facteur
limitant, mais cela peut ne pas être le cas dans des nations où
les systèmes de santé sont moins favorisés.
En ce qui concerne l’hormonothérapie adjuvante, nous
sommes là encore dans un état proche de la fascination devant
les résultats de l’étude ATAC : quel réconfort d’abord de
confirmer en adjuvant ce que l’on a démontré en situation pal-
liative avec les IA (7). Cependant, le suivi est encore trop court
(33 mois actuellement) et il nous faudra patienter pour laisser
les résultats arriver à leur maturité, aussi bien sur le plan de la
survie sans rechute que sur celui de la tolérance à long terme
(risque fracturaire mais aussi fonctions cognitives). Il me
semble cependant fort improbable que les résultats à 66 mois
se soldent par une déception du type de celle vécue avec le
paclitaxel en adjuvant. Les différences déjà observées dans
l’analyse à 33 mois de l’étude adjuvante ATAC (diminution de
17 % des rechutes et réduction de 60 % du taux de cancer du
sein controlatéral sous anastrozole) devraient s’amplifier avec
un recul plus important. Dans ma pratique, je propose un trai-
tement par inhibiteur de l’aromatase à une patiente à haut
risque de rechute (N+ et RH+) en l’informant des risques non
encore totalement connus de la tolérance au long court de ce
traitement. Quand le risque de rechute est faible, je préfère
conserver ma prescription de tamoxifène en adjuvant, au vu
des 25 ans de recul que nous avons avec cet agent. Enfin, s’il
existe des antécédents personnels ou familiaux d’accidents
thrombo-emboliques, mon choix d’un IA en adjuvant est com-
plètement justifié. En revanche, si une patiente me demande de
changer son traitement adjuvant par tamoxifène, en cours
depuis 1 à 2 ans, pour bénéficier d’un IA, je reste très réticente
en expliquant ma position : la longue demi-vie du tamoxifène
ÉDITORIAL
135
La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 4 - juillet-août 2002
Inhibiteurs de l’aromatase :
des bénéfices solides après un quart
de siècle de suprématie du tamoxifène
M. Piccart*
À
Hormonothérapie
du cancer du sein
en 2002
* Institut Jules-Bordet, Bruxelles, Belgique.
© La Lettre du Sénologue 2002 ; 16 : 6-7.
va induire en fait une association temporaire de cet agent avec
l’IA et l’on sait que le traitement combiné de ces deux agents
n’apporte aucun bénéfice (7).
Les preuves cliniques demeurent la clé de voûte de notre
stratégie thérapeutique et c’est par la démonstration d’un
bénéfice clinique que doit passer l’avancée de nos changements
de prescription : le marqueur de substitution (surrogate marker
des Anglo-Saxons) qu’est la mesure de l’inhibition de l’aroma-
tase est intéressant mais ne se suffit pas à lui seul. Les études
qui comparent ce paramètre, pour hiérarchiser la puissance des
différents IA, ne peuvent pas nous conforter sur un éventuel
bénéfice clinique. En revanche, les deux études de première
ligne métastatique en cours, comparant de façon frontale
létrozole versus anastrozole (n = 600 patientes) et exémestane
versus anastrozole (n = 200 patientes atteintes de métastases
viscérales), nous aideront à y voir plus clair : il n’est cependant
pas certain que ces études aient la puissance nécessaire pour
établir la supériorité d’un IA par rapport à l’autre.
L’avenir de l’hormonothérapie est elle aussi pleine de
promesses : notre espoir est de retarder le plus possible le
phénomène d’hormonorésistance qui se produit actuellement
après une médiane de durée de traitement de 2 à 3 ans. Il est
conceptuellement plus séduisant d’associer un agent hormonal
de type IA avec un de ces nouveaux agents de biothérapie
moléculaire plutôt que de pencher vers une association agent
cytotoxique + thérapie moléculaire ciblée. Des données pré-
cliniques font d’un inhibiteur de la cyclo-oxygénase 2 l’un des
candidats intéressants à associer à un IA. Cependant, à mon
avis, c’est aux stades précoces du traitement, voire à celui du
cancer in situ ou de la chimio-prévention, que ces associations
auraient le plus de chances d’être bénéfiques.
Propos recueillis par F. André-David
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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2. Kaufmann M, Bajetta E, Dirix LY et al. Exemestane is superior to megestrol
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Breast Cancer Res Treat 2001 ; 69 : 211 (abstr. 9).
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6. Ellis MJ, Coop AS. Letrozole is more effective neoadjuvant therapy than
tamoxifen for ErbB1 and ErbB2-positive, estrogen receptor-positive primary
breast cancer : evidence from a phase III randomized trial. J Clin Oncol 2001 ;
19 : 3808-16 (abstr.).
7. Baum M, on behalf of the ATAC Trialists’Group. The ATAC (Arimedex,
Tamoxifen, Alone or in Combination) adjuvant breast cancer trial in post-
menopausal (PM) women. Breast Cancer Res Treat 2001 ; 69 : 211 (abstr. 8).
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La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 4 - juillet-août 2002
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