Comprendre le cerveau du dyslexique : la clinique et la recherche plus que jamais indissociables Michel Habib Centre référent des troubles d'apprentissage CHU Timone, Marseille FRANCE Plan de la présentation • I/ Quelques généralités – Définitions et notions basiques – Comorbidités : un concept fondamental • II/ Le cerveau du dyslexique – Une morphologie singulière? – Le cerveau en fonction : imagerie fonctionnelle • III/ Mécanismes de la dyslexie : deux théories I/ Quelques généralités Dyslexie : définition • Défaut d'apprentissage de la lecture-écriture (orthographe seule chez l'adulte) • Chez un enfant sans déficit intellectuel ou perceptif et sans carence environnementale ou affective • Avec des conséquences observables sur l'intégration académique ou sociale Avec cette même définition, on rapporte des incidences de 5 à 30%!! Sans déficit intellectuel ? En fait : "significativement en-dessous du niveau escompté eu égard à l'intelligence mesurée" (DSM-IV) "La perturbation interfère de façon significative avec la réussite scolaire ou les activités de la vie courante" (DSM-IV) En fait, certains dyslexiques peuvent traverser tout le cursus scolaire sans difficulté apparente : cas des intellectuellement précoces 1 La clinique neuropsychologique comme base de réflexion • Concevoir le cerveau de l'enfant comme un cerveau adulte en puissance • Une modularité certes relative (KarmiloffSmith), mais modulaire tout de même! • Comprendre les associations de syndromes (comorbidités) Dyslexie et comorbidités… • Importance de la notion de comorbidités : pour la recherche, pour la clinique, pour la pédagogie • D'autres entités ayant des mécanismes sous-jacents en partie communs • Des diagnostics basés sur des définitions également très précises • Le cas particulier du TDAH et trouble des conduites • Des déficits, mais aussi des talents (précocité intellectuelle?) DYSLATÉRALITÉ (15) DYSGRAPHIE/ TRB. DES CONDUITES (11) DYSORTHOGRAPHIE (37) / DYSPRAXIE (19) 55 cas TDAH/ Déficit attentionnel (32) DYSLEXIE 177 cas Dysphasie (26) + tr. lang. oral (84) Autisme (2) dyschronie (45 cas) Précocité intellect. (21) Dyscalculie (48 cas) Inventaire des diagnostics posés chez 209 patients reçus successivement à une consultation spécialisée de troubles d'apprentissage dyslexie (N=177) : comorbidités 70 60 50 40 Trouble du développement du langage oral Dysphasie Dysorthographie Dyschronie Dyscalculie Dysgraphie Dyspraxie Troubles attentionnels 63 42 30 38 35 II/ Le cerveau du dyslexique 20 26 10 15 18 13 0 1 Incidence des principaux syndromes associés au diagnostic principal 'dyslexie' (177 observations) 2 Aire de Wernicke Planum temporale Ectopies sur le cerveau dyslexique (Galaburda et al., 1979, 1985) G D Dyslexie : opercule pariétal gauche plus vaste PT Planum temporale Planum temporale left right NON DYSLEXIC DYSLEXIC Absence of planum asymmetry in the dyslexic brain From Galaburda et al., 1979; 1985 Teszner et al., 1972 : asymétrie du planum déjà présente sur un cerveau de fœtus à terme Einstein’s brain : no parietal opercula (from Witelson et al., 1999) 3 R 40 20 30 10 20 0 Asym. ∂BR ∂PO 10 -10 -20 -10 -30 -40 0 -20 -30 DYS VS DYS VS Robichon et al. (2000) : réduction (inversion) d’asymétrie de l’aire de Broca chez les adultes dyslexiques L Leonard et al. (2001) : extreme leftward asymmetry of temporal and parietal cortices (15 college students vs 15 dyslexic adolescents) Aire de Broca témoin dyslexique cervelet Hypertrophie du corps calleux Areas analysis : No areal differences Shape analysis : shorter posterior midbody dyslexique (2136) témoin 4 Imagerie morphologique moderne (avec IRM) Voxel-based morphometry (VBM) Diffusion tensor imaging (DTI) •10 dyslexic subjects (5 females, 5 males; age range 13 to 57 years, mean 31.6 years) belonging to four different families characterized by the presence of a proband with persistent, severe developmental dyslexia •11 matched controls •Regions of reduction in grey matter volume •PT bilat •inferior temporal bilat •Left sup and inf tempor gyrus Détermine des régions de différentes orientations des fibres (anisotropie) Moyennage de densités de substance blanche ou grise Méthodes d'analyse du cerveau entier (non R.O.I.) zone de différence maximale d'anisotropie entre 6 dyslexiques adultes et 11 témoins Corrélation significative avec les scores de lecture decrease increase Gray matter dyslex/controls decrease White matter dyslex/controls Silani et al. (2005) : une zone temporale latérale d'augmentation de densité de voxels corrèle inversement avec la performance en lecture 5 GM •32 volunteers (14 male, 18 female). •8.3–12.9 years mean 11.1 ± 1.3 years •30/32 right handed. • aptitudes en lecture variables évaluées par un test d’identification de mots WM Corrélation avec performance en lecture : voxels de plus forte corrélation En conclusion (1) : imagerie morphologique Voxel of higher correlation with word identification rate Rendre des rats dyslexiques ? La microgyrie induite Production d’un sillon anormal Lésions de « freezing » de la surface corticale J1 post-natal Observation de malformation sur le cerveau adulte Modification comportementale : trouble de discrimination temporelle Seulement chez les rats mâles (les seuls à avoir des anomalies thalamiques associées) Galaburda et al., 2001 Réduction de la couche II • Malgré des preuves convaincantes d'une latéralisation anormale chez les dyslexiques, l'insistance initiale des chercheurs sur une anomalie d'asymétrie s'avère aujourd'hui une piste décevante • Il y a à présent un ensemble d'évidences hautement évocateur d'une région très discrète de modification de la substance blanche et à un moindre degré de la substance grise de la région temporale gauche • Ce siège est probablement impliqué à la fois dans les difficultés de traitement auditif du dyslexique et dans ses anomalies fréquentes d'établissement de la latéralisation hémisphérique gauche du langage. Souris dyslexiques : des ectopies génétiquement déterminées 2 souches de souris (NZB et NXSM) présentent à la naissance des anomalies corticales et des troubles d’apprentissage spatio-moteur (labyrinthe) Jenner AR, Galaburda AM, Sherman GF, 2000. 6 DYX2 on 6p22 Translocation 3p12q11 DCX DCX ROBO1 has a role in regulating axon crossing across the midline between brain hemispheres and guidance of neuronal dendrites DCDC2 : deletion in strong linkage with reading performance Contains doublecortine (DCX) gene domain (responsible for lissencephaly & double cortex syndrome) RNA present in cerebral tissue from reading-associated regions Thus should be associated to abnormal migration Perte neuronale physiologique des neurones MIGRATION NEURONALE : 1- compétition pour l'établissement de synapses chaque neurone semble "choisir" son rail glial en fonction de la 2- des facteurs trophiques déterminent, par leur concentration au niveau des terminaisons synaptiques, la survivance ou l'élimination des neurones présence à la surface de ce dernier de certaines molécules, dites molécules d'adhésion Total callosal area : group x country interaction F(1,60)=9.337; p=0.033 820 800 total callosal area Effect of group (DYS/CONT) and country (FR/ENGL) on callosal size 780 760 740 720 dyslex control 700 680 french english 7 En résumé : le cerveau singulier du dyslexique • Est constitué dès la naissance de manière différente de la majorité des individus • Sous l’influence de facteurs pré-nataux complexes, sans doute en partie génétiques, en partie d’environnement • Mais l’environnement continue à le façonner durant toute l’enfance (voire l’adolescence) : l’éducation, la rééducation, la motivation… cerveau singulier du dyslexique (2) anatomie fonctionnelle • Les zones activées par la lecture : une illustration ‘on line’ • Imager le trouble phonologique : l’épreuve de jugement de rimes • Utilisation de l’imagerie fonctionnelle pour observer l’effet d’un entraînement • Utilisation de l’imagerie fonctionnelle pour juger de l’effet du milieu Aire de Broca (articulation de la parole) Zone temporale postérieure (discrimination des sons) Zone temporale Inférieure (forme visuelle des mots écrits) L’hémisphère gauche du cerveau humain et ses régions activées par la lecture 150 400 100 • ~ 150ms after stimulus onset Type II activation (sources location): Strongest for visible words • left predominant occipito-temporal • correlates with time for word-reading • increases with string length • = letter-string specific Magnetoencephalography (MEG) during word reading (Salmelin et al., 2000) : intact perceptual processing, decreased VWFA activation, delayed semantic- temporal activation 8 CHAPEAU CHAPEAU Lecture normale : activation initiale et prédominante de la forme visuelle des mots Lecture chez un dyslexique : Activation retardée de la forme visuelle Activation excessive de l’aire de Broca Enfant dyslexique Test de conscience phonologique; enfant non dyslexique TG H D G H Lettres riment? Activation des régions auditive et articulatoire de l’hémisphère gauche Activation plus faible et plus antérieure de l’aire de Broca Absence d’activation temporale postérieure Enfant dyslexique après entraînement (Fastforword®) G H Réapparition des zones « éteintes » Mais aussi… … apparition de zones non activées précédemment (et non activées chez le témoin) : mécanisme de compensation? réorganisation? 9 III/ Mécanismes de la dyslexie Controls - dyslexics Deux théories qui s'opposent • La dyslexie est un trouble spécifique du langage, se manifestant lors de l'apprentissage de la lecture, directement lié au trouble phonologique • La dyslexie ne peut s'appréhender qu'en tenant compte des signes associés et dérive d'un déficit plus profond ou plus élémentaire – – – – trouble perceptif auditif trouble temporel trouble perceptif visuel trouble moteur Tallal et al., 1973-76 10 Mody et al., 1997 : le déficit de discrimination auditive chez le dyslexique est spécifique à la parole par rapport à la « non-parole » Pour la non-parole, les mauvais lecteurs ne sont pas significativement différents des témoins Autre argument : si au lieu de ba/da on teste sa/sha, la différence témoins/dyslexiques disparaît dyslex > control Slowed speech control > dyslex Norm. speech Deficits in speech perception predict language learning impairment Johannes C. Ziegler*. Catherine Pech-Georgel*. Florence George*. F.-Xavier Alario*. and Christian Lorenzi§ Speech + Speech shaped noise = 11 Lecture Pseudomots (% correct) % correct identification 80 75 70 65 60 55 50 45 40 100 80 60 40 20 Pearson’s r = .88 0 30 40 50 60 70 80 Intelligibilité de la parole (% correct) 35 Témoins dys Epreuve visuo-attentionnelle rétine Cortex strié Report Global magno A V T. S R Réponse parvo AVTSR Défaut du système magno-cellulaire : - sensibilité aux contrastes - persistance visuelle excessive Epreuve visuo-attentionnelle Whole report Report Partiel 25 Letter identification 20 Laurent Nicolas 7th Grade 3rd Grade 15 10 A V T. S R 5 Réponse 0 P1 P2 P3 P4 S P5 Letter position 12 2,5 VA Partial report Sans déficit (44%) (22%) 1,5 12 0,5 Letter identification 10 -0,5 8 Laurent Nicolas 7th Grade 3rd Grade 6 4 -1,5 -2,5 0 P1 P2 P3 P4 P5 Letter position phonological factorial coefficient 2 dyslexics -3,5 Mixte 15% -3,0 20 Jonathan F Sonia E Denis S 15 Johan G Julien P Thomas A 10 Manon S Frédéric S 5 Tiffany F Kevin B Arnaud O 0 Report G. 1 Report G. 2 Report G.3 Report G.4 Report G.5 Laurie B report global/ groupe "visuel" 25 Assia L Yasmine Z 20 Amina L Charlotte L Axel G 15 Lucie P Mathieu R Gaetan A 10 Thomas R Mathilde L 5 -2,5 -2,0 -1,5 -1,0 28 dyslexiques âgés de 7;11 à 14;3 moy: 10;2 • groupe "visuel" : pris parmi la clientèle d'un groupe d'orthoptistes, avec 3 types de diagnostics : trouble de la motricité conjuguée trouble de la vision binoculaire trouble neurovisuel • groupe phonologique : trouble phono exclusif ou prédominant; pas de symptôme d'appel d'ordre visuel ou oculo-moteur Zineb A Margaux V Report G. 1 Report G. 2 Report G.3 Report G.4 Report G.5 CAC 10th percentile 0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 visual factorial coefficient 25 20 15 Contrôles Visuels 10 5 0 Report G 1 Report G 2 Report G 3 Report G 4 Report G 5 moyenne report partiel 9 8,5 8 Contrôles Visuels 7,5 Renaud L 0 -0,5 moyenne report global Manon D Léa R RAC 19% -4,5 report global / sujets contrôle 25 CAC Phono 7 Naim S 6,5 ReportP1 ReportP2 ReportP3 ReportP4 ReportP5 Principaux résultats : •pas de différence significative selon la position entre les deux groupes •pas de différence d'âge chronologique ni d'âge de lecture •groupe phonologique significativement plus faible sur les tâches phono et empan de chiffres •groupe visuel significativement plus faible sur les épreuves de lecture rapide, mais aussi dénomination rapide et Stroop •Profil de dyslexie de surface plus fréquent dans le groupe contrôle (paradoxal) Finch et al., 2002 • Lobe antérieur : pas de différence de proportion de grandes cellules/petites • Noyau dentelé : Pas d’anomalie 13 Controverse à l’hypothèse cérébelleuse Ramus et al., 2003 in JCPP (Nicolson et al., 1999) Difference in activation between 6 dyslexics and 6 controls during learning of a motor sequence of the fingers: underactivation of the right cerebellum • 22 dyslexiques âgés de 8 à 12 ans et 22 contrôles (10/22 comorbidité) • WISC III, Niveau lecture/orthographe, Batterie compétences phonologiques (8 tâches), Tests cérébelleux : – 1 « Finger to thumb » – 2 « Bead threading » – 3 « Postural stability » – 4 « Time estimation » Controverse à l’hypothèse cérébelleuse Ramus et al., 2003 in JCPP • Principaux résultats : – différence significative entre dyslexiques et contrôles pour 3 tests cérébelleux – fréquence 13/22 (59%) < Nicolson et al., 2001 – comparaison dyslexiques purs vs dyslexiques plus = 42 % vs 80% 14 Hebbian learning Hebb's synapse: if axon a fires when neuron B is being activated by c and d, then the connection between A and B will be increased •An input synapse to a given neuron that is activated slightly before the neuron fires is strengthened, whereas a synapse activated slightlyafter is weakened •This window of plasticity ranges from -40 to +40 msec •This mechanism would cause multiple neurons in the primary auditory cortex that fire nearly simultaneously to bind together Temporally asymmetric learning (Hebb, 1949) = spike-based temporal difference Conclusion : la synapse de Hebb comme explication de la dyslexie et des troubles apparentés • Explique à la fois les déficits auditifs et visuels de bas niveau et des déficit de niveau plus complexe, y compris des déficits multimodaux • Peut expliquer la coexistence de signes visuels et auditifs • A mené à des applications thérapeutiques (toutefois récentes et à confirmer) • Explique que les résultats soient différents selon la nature linguistique ou non des stimuli • Explique surtout la coexistence de déficits extra-linguistiques chez les dyslexiques (dyscalculie, dyspraxie…et même précocité intellectuelle) • est compatible avec les constatations d'anomalies morphologiques intra- et inter-hémisphériques Visual word form (BA37) Learning grapheme-phoneme conversion : the fundamental defect in dyslexia Learning numerical value of quantities : the fundamental defect in dyscalculia Hebbian learning : further speculations 15